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Read Ebook: Récits d'un soldat: Une armée prisonnière; Une campagne devant Paris by Achard Am D E
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 591 lines and 45276 words, and 12 pagesR?CITS D'UN SOLDAT UNE ARM?E PRISONNI?RE UNE CAMPAGNE DEVANT PARIS PAR AM?D?E ACHARD PARIS PR?FACE Les pages qu'on va lire sont extraites d'un cahier de notes ?crites par un engag? volontaire. Il n'y faut point chercher de graves ?tudes sur les causes qui ont amen? les d?sastres sous lesquels notre pays a failli succomber, ni de longues dissertations sur les fautes commises. Non; c'est ici le r?cit d'un soldat qui raconte simplement ce qu'il a vu, ce qu'il a fait, ce qu'il a senti, au milieu de ces arm?es s'?croulant dans un ab?me. A ce point de vue, ces souvenirs, qui ont au moins le m?rite de la sinc?rit?, ont leur int?r?t; c'est un nouveau chapitre de l'histoire de cette funeste guerre de 1870 que nous offrons ? nos lecteurs. R?CITS D'UN SOLDAT PREMI?RE PARTIE UNE ARM?E PRISONNI?RE Un d?cret appela au service la garde mobile de l'Empire, cette m?me garde mobile que le mauvais vouloir des soldats qui la composaient, ajout? ? l'opposition aveugle et tenace de la gauche, semblaient condamner ? un ?ternel repos. En un jour elle passa du sommeil des cartons ? la vie agit?e des camps. L'?cole centrale se h?ta de fermer ses portes et d'exp?dier les dipl?mes ? ceux des concurrents d?sign?s par leur num?ro d'ordre. Ing?nieur civil depuis quelques heures, j'?tais soldat et faisais partie du bataillon de Passy portant le no 13. La garde mobile de la Seine n'?tait pas encore organis?e, qu'il ?tait facile d?j? de reconna?tre le mauvais esprit qui l'animait. Elle poussait l'amour de l'indiscipline jusqu'? l'absurde. Qui ne se rappelle encore ces d?parts bruyants qui remplissaient la rue Lafayette de voitures de toute sorte conduisant ? la gare du chemin de fer de l'Est des bataillons compos?s d'?l?ments de toute nature? Quelles attitudes! quel tapage! quels cris! A la vue de ces bandes qui partaient en fiacre apr?s boire, il ?tait ais? de pressentir quel triste exemple elles donneraient. Mon bataillon partit le 6 ao?t pour le camp de Ch?lons; ce furent, jusqu'? la gare de la Villette, o? il s'embarqua, les m?mes cris, les m?mes voitures, les m?mes chants. Des voix enrou?es chantaient encore ? Ch?teau-Thierry. Les chefs de gare ne savaient auquel entendre, les hommes d'?quipe ?taient dans l'ahurissement. A chaque halte nouvelle, c'?tait une d?bandade. Les moblots s'envolaient des voitures et couraient aux buvettes, quelques-uns s'y oubliaient. On faisait ? ceux d'entre nous qui avaient conserv? leur sang-froid des r?cits lamentables de ce qui s'?tait pass? la veille et les jours pr?c?dents. Un certain nombre de ces enfants de Paris avaient ex?cut? de v?ritables razzias dans les buffets, o? tout avait disparu, la vaisselle apr?s les comestibles; les plus fac?tieux emportaient les verres et les assiettes, qu'ils jetaient, chemin faisant, par la porti?re des wagons; histoire de faire du bruit et de rire un peu. Des courses imp?tueuses lan?aient les officiers z?l?s ? la poursuite des soldats qui s'?garaient dans les fermes voisines, trouvant dr?le < A mon arriv?e ? Ch?lons, la gare et les salles d'attente, les cours, les hangars, ?taient remplis d'?clop?s et de bless?s couch?s par terre, ?tendus sur des bancs, s'appuyant aux murs. L? ?taient les d?bris vivants des meurtri?res rencontres des premiers jours: dragons, zouaves, chasseurs de Vincennes, turcos, soldats de la ligne, hussards, lanciers, tous h?ves, silencieux, mornes, tra?nant ce qui leur restait de souffle. Point de paille, point d'ambulance, point de m?decins. Ils attendaient qu'un convoi les pr?t. Des centaines de wagons encombraient la voie. Il fallait dix manoeuvres pour le passage d'un train. Le personnel de la gare ne dormait plus, ?tait sur les dents. Au moment o? nous allions quitter Paris, nous avions eu la nouvelle de ces d?faites, sit?t suivies d'irr?parables d?sastres. Maintenant j'avais sous les yeux le t?moignage sanglant et mutil? de ces chocs terribles au devant desquels on avait couru d'un coeur si l?ger. Mon ardeur n'en ?tait pas diminu?e; mais la piti? me prenait ? la gorge ? la vue de ces malheureux, dont plusieurs attendaient encore un premier pansement. Quoi! tant de mis?res et si peu de secours! Le chemin de fer ?tabli pour le service du camp emmena les mobiles au Petit-Mourmelon, d'o? une premi?re ?tape les conduisit ? leur campement, le sac au dos. Pour un gar?on qui, la veille encore, voyageait ? Paris en voiture et n'avait fatigu? ses pieds que sur l'asphalte du boulevard, la transition ?tait brusque. Ce ne fut donc pas sans un certain sentiment de bonheur que j'aper?us la tente dans laquelle je devais prendre g?te, moi seizi?me. L'espace n'?tait pas immense, et quelques vents coulis, qui avaient, quoique au coeur de l'?t?, des fra?cheurs de novembre, passaient bien par les fentes de la toile et les interstices laiss?s au ras du sol; mais il y avait de la paille, et, serr?s les uns contre les autres, se servant mutuellement de calorif?res, les mobiles, la fatigue aidant, dormirent comme des soldats. Aux premi?res lueurs du jour, un coup de canon retentit: c'?tait le r?veil. Comme des abeilles sortent des ruches, des milliers de mobiles s'?chappaient des tentes, en s'?tirant. L'un avait le bras endolori, l'autre la jambe engourdie. Le concert des plaintes commen?a. L'?l?ment comique s'y m?lait ? haute dose; quelques-uns s'?tonn?rent qu'on les e?t r?veill?s si t?t, d'autres se plaignirent de n'avoir pas de caf? ? la cr?me. Au nombre de ces conscrits de quelques jours si m?ticuleux sur la question du confortable, j'en avais remarqu? un qui, la veille au soir, avait paru surpris de ne point trouver de souper dress? sous la tente. --A quoi songe-t-on?--s'?tait-il ?cri?. Les yeux ouverts, sa surprise devint de l'indignation. Le d?jeuner n'arrivait pas. --Si c'est comme cela qu'on nous traite, murmura-t-il, que sera-ce en campagne? Je ne doutais pas que ce ne f?t quelque fils de famille, comte ou marquis, tomb? du faubourg Saint-Germain en pleine d?mocratie. Un camarade discr?tement interrog? m'apprit que le gentilhomme inconnu s'essayait la veille encore dans l'art utile de tirer le cordon. C'est, au reste, une remarque que je n'eus pas seul occasion de faire. Les exigences des mobiles de Paris croissaient en raison inverse des positions qu'ils avaient occup?es: tous ceux qui avaient eu les carrefours pour r?sidence et les mansardes pour domicile poussaient les hauts cris. Le menu du soldat leur paraissait insuffisant; les objets de campement ne venaient pas de chez le bon faiseur. Le spectacle que pr?sentait le camp de Ch?lons aux clart?s du matin ne manquait ni de grandeur, ni de majest?. Aussi loin que la vue pouvait s'?tendre, les c?nes blancs des tentes se profilaient dans la plaine. Leurs longues lignes disparaissaient dans les ondulations du terrain pour repara?tre encore dans les profondeurs de l'horizon. Un grouillement d'hommes animait cette ville mouvante dont un po?te de l'antiquit? aurait dit qu'elle renfermait le printemps de la grande ville: triste printemps qui avait toutes les lassitudes et la s?cheresse de l'hiver avant d'avoir donn? la moisson de l'?t?! Mais, si le camp avait cette gr?ce imposante qui se d?gage des grandes lignes, il pr?sentait des inconv?nients qui en diminuaient les charmes pittoresques. Des vents terribles en parcouraient la vaste ?tendue et nous aveuglaient de tourbillons de poussi?re; ? la chaleur accablante du jour succ?daient les froids p?n?trants des nuits. Une ros?e abondante et glaciale mouillait les tentes, et, si l'on ne respirait pas au coucher du soleil, le matin on grelottait. --Le gouvernement sait bien ce qu'il fait, disaient les mobiles; nous sommes r?publicains, il nous tue en d?tail! Le premier coup de canon tir?, la vie militaire s'emparait du camp. Les tambours battaient, les clairons sonnaient, et les officiers qui avaient eu cette chance heureuse d'attraper des fusils pour leurs bataillons, s'effor?aient d'enseigner ? leurs hommes l'exercice qu'ils ne savaient pas. On voyait bon nombre de compagnies o?, les fusils ? tabati?re manquant, on s'exer?ait avec des b?tons. Les mobiles qui n'avaient que leur paye vivaient de l'ordinaire du soldat. Quant aux fils de famille, ils se r?unissaient au Petit-Mourmelon, o? l'on trouvait un peu de tout, depuis des p?t?s de foie gras et du vin de Champagne pour les gourmets jusqu'? des cuvettes pour les d?licats. Je devais une visite au Petit-Mourmelon; l? r?gnait le tapage en permanence. Qu'on se figure une longue rue dont les bas c?t?s offraient une s?rie interminable de cabarets, de guinguettes, d'h?tels garnis, de boutiques louches, de magasins borgnes, de caf?s et de restaurants, entre lesquels s'agitait incessamment une cohue de k?pis et de tuniques, de pantalons rouges et de galons d'or. On y faisait tous les commerces, la traite des montres et l'escompte des lettres de change. ?? et l?, on jouait la com?die; dans d'autres coins, on dansait. Ce Petit-Mourmelon, qui ?tait dans le camp comme une verrue, n'a pas peu contribu? ? entretenir et ? d?velopper l'indiscipline. On y prenait des le?ons de dissipation et d'ivrognerie. On s'entretenait encore ? l'ombre de ces ?tablissements interlopes de l'accueil insolent que les bataillons de Paris avaient fait ? un mar?chal de France. Des ?mes de gavroches s'en faisaient un sujet de gloire. Peut-?tre aurait-il fallu qu'une main de fer pli?t ces caract?res qu'on avait ?lev?s dans le culte de l'insubordination; on eut le tort de croire que l'indulgence porterait de meilleurs fruits. Un coeur un peu bien plac? et sur lequel pesait le sang r?pandu ? Reichshoffen devait ?tre bien vite d?go?t? de cette platitude et de ces criailleries. Parmi les jeunes gens que j'avais connus ? Paris, et qui faisaient comme moi leur apprentissage du m?tier des armes, beaucoup ne se g?naient pas pour manifester leurs sentiments d'indignation et souffraient de leur inutilit?. L'uniforme que je portais devenait lourd ? mes ?paules. Sur ces entrefaites, j'entendis parler du 3e zouaves, dont les d?bris ralliaient le camp de Ch?lons. Le colonel, M. Alfred Bocher, se trouvait parmi les ?paves du plus brave des r?giments. Je l'avais connu dans mon enfance, mon parti fut pris sur-le-champ. Il ne s'agissait plus que de d?couvrir le 3e zouaves et son colonel. Des tentes d'un r?giment de ligne, je passais aux tentes d'un bataillon de chasseurs de Vincennes; je tombais d'un escadron de cuirassiers dans un escadron de hussards; je me perdais entre des batteries dont les canons luisaient au soleil. Si je demandais un renseignement, je n'obtenais que des r?ponses vagues. Enfin, apr?s trois ou quatre heures de marche dans cette solitude anim?e par le bruit des clairons, j'arrivai au campement du 3e zouaves. Quelques centaines d'hommes y ?taient r?unis portant la veste au tambour jaune. Quand il avait quitt? l'Afrique, le r?giment comptait pr?s de trois mille hommes. Le colonel Bocher ?tait l?, assis sur un pliant, entour? de trois ou quatre officiers ? qui des bottes de paille servaient de si?ges. Je me nommai, et pr?sentai ma requ?te. --Savez-vous bien ce que vous me demandez? dit-il alors; c'est une longue suite de mis?res, de fatigues, de souffrances. Tous les soldats les connaissent: mais au 3e zouaves ce sont les compagnons de tous les jours. Mon r?giment a une r?putation dont il est fier, mais qui lui vaut le dangereux honneur d'?tre toujours le premier au feu. Si vous c?dez ? une ardeur juv?nile, prenez le temps de r?fl?chir. Ma r?solution ?tait bien arr?t?e, le colonel c?da. Il me remit une carte avec quelques mots ?crits ? la h?te, par lesquels il m'autorisait ? faire partie des compagnies actives sans passer par les lenteurs et les ennuis du d?p?t, et me cong?dia. Peu de jours apr?s, j'?tais ? Paris, o? je n'avais plus qu'? m'enr?ler et ? m'?quiper. C'?tait plus difficile que je ne pensais. Rien n'avait ?t? chang? pour rendre plus rapides et plus faciles les engagements. Aucun tailleur de Paris n'a jamais employ? ses ciseaux et ses aiguilles ? couper et ? coudre des v?tements de zouave. Quant au tailleur officiel du r?giment, il habitait Mostaganem; enfin, toutes les difficult?s vaincues, ma veste sur le dos et ma feuille de route dans la poche, le 28 ao?t, en qualit? de zouave de deuxi?me classe au 3e r?giment, je partis pour Rethel avec un billet qui ne me garantissait le voyage que jusqu'? Reims. Je n'avais d'ailleurs ni fusil, ni cartouches. Tout mon bagage se composait d'un tartan qui renfermait deux chemises de flanelle, trois ou quatre paires de chaussettes de laine et quelques mouchoirs. Ma fortune ?tait cach?e dans une ceinture, o?, en cherchant bien, on e?t trouv? un assez bon nombre de pi?ces d'or. Il y avait dans le compartiment dans lequel j'?tais mont?, une femme envelopp?e d'un manteau qui pleurait sous son voile et un ing?nieur qui prenait des notes. Ma voisine m'apprit entre deux sanglots qu'elle avait un fils et un fr?re ? l'arm?e. Elle n'en avait point de nouvelles depuis quinze jours. L'ing?nieur voyageait pour la destruction des oeuvres d'art, telles que viaducs, ponts et tunnels. Il en avait une centaine ? faire sauter. C'?tait une mission de confiance. Son crayon voltigeait sur le calepin et il honorait quelquefois son voisin d'un sourire modestement orgueilleux. La guerre et ses cons?quences, la guerre et ses probabilit?s faisaient tous les frais de la conversation. On n'avait rien ? apprendre et on parlait toujours. Chaque voyageur qui montait apportait son contingent de nouvelles. La plupart reposaient sur des renseignements fournis par le hasard. Ils ne mentaient pas moins que les d?p?ches. Le bl?me avait plus de part ? l'entretien que l'?loge. L'un attaquait l'?tat-major, un autre l'intendance. On improvisait des plans de campagne magnifiques qui n'avaient d'autre d?faut que d'?tre impraticables. Leurs auteurs retournaient ? leurs affaires ?? et l?; celui-l? dans son ch?teau, celui-ci dans sa boutique. A la station de Reims, o? l'on n'attendait pas encore le roi Guillaume, tous mes compagnons de route descendirent. Un officier d'artillerie, qui semblait avoir fait cent lieues ? travers champs, monta, ?tendit ses jambes crott?es sur les coussins, soupira, se retourna, et se mit ? ronfler comme une batterie. Vers deux heures du matin, le convoi s'arr?ta ? Rethel. Il ne s'agissait plus maintenant que de d?couvrir le 3e zouaves. Il pleuvait beaucoup, et la ville ?tait encore dans l'?pouvante d'une visite qu'elle avait re?ue la veille. Quatre uhlans avaient pris Rethel; mais, trop peu nombreux pour garder cette sous-pr?fecture, ils ?taient repartis comme ils ?taient arriv?s, lentement, au pas. Tout en discutant les chances du retour des quatre uhlans avec l'aubergiste qui m'avait accord? l'hospitalit? d'une chambre et d'un lit, j'appris que le 3e zouaves ?tait parti depuis trois jours. Personne ne savait o? il ?tait all?. Je voulais ? la fois des renseignements et un fusil. La matin?e s'?coula en recherches vaines. Point d'armes ? me fournir, aucune information non plus. S?r enfin que le chemin de fer ne marchait plus, et bien d?cid? ? rejoindre mon r?giment, j'obtins d'un loueur une voiture avec laquelle il s'engageait ? me faire conduire ? M?zi?res. Nous n'avions pas fait un demi-kilom?tre sur la route de M?zi?res, que d?j? nous rencontrions des groupes de paysans marchant d'un air effar?. Quelques-uns tournaient la t?te en pressant le pas. Leur nombre augmentait ? mesure que la voiture avan?ait. Bient?t la route se trouva presque encombr?e par les malheureux qui poussaient devant eux leur b?tail, et fuyaient en escortant de longues files de charrettes sur lesquelles ils avaient entass? des ustensiles, quelques provisions et leurs meubles les plus pr?cieux. Les femmes et les enfants, assis sur la paille et le foin, pleuraient et se lamentaient. Je pensai alors aux chants qui avaient salu? la nouvelle de la d?claration de guerre, ? l'enthousiasme nerveux de Paris, ? cette fi?vre des premiers jours. J'?tais non plus ? l'Op?ra, mais au milieu de campagnes d?sol?es que leurs habitants abandonnaient. La ruine et l'incendie les balayaient comme un troupeau. L'un de ces fugitifs que je questionnai au passage, me r?pondit que les Prussiens arrivaient en grand nombre: ils avaient coup? la route entre M?zi?res et Rethel, et me conseilla de rebrousser chemin. Cela dit, il reprit sa course. De sourdes et lointaines d?tonations pr?taient une ?loquence plus s?rieuse au discours du paysan: c'?tait la voix grave du canon qui tonnait dans la direction de Vouziers. Je ne l'avais jamais entendue qu'? Paris pendant les r?jouissances des f?tes officielles. Elle empruntait au silence des campagnes et au spectacle de cette route o? fuyait une foule en d?sordre, un accent formidable qui faisait passer un frisson dans mes veines. Plus tard je devais me familiariser avec ce bruit. Une ferme br?lait aux environs, et l'on n'avait besoin que de se dresser un peu pour apercevoir derri?re les haies les coureurs fran?ais et prussiens qui ?changeaient des coups de fusil. A six heures du soir, la voiture atteignit les portes de M?zi?res. Mon premier soin fut de me rendre ? la place o? je voulais, comme ? Rethel, obtenir tout ? la fois un fusil et des renseignements sur le 3e zouaves; mais le d?sordre et le trouble que j'avais d?j? remarqu?s ? Rethel n'?taient pas moindres ? M?zi?res. Un employ? pr?s duquel je parvins ? me glisser apr?s de longs efforts, me jura, sur ses dossiers, que personne dans l'administration ne savait o? pouvait camper dans ce moment le r?giment que je cherchais. Il n'y avait plus qu'? trancher la question du fusil. Mon insistance parut ?tonner beaucoup l'honn?te bureaucrate. Prenant alors un air doux: --Je comprends votre empressement ? servir votre pays, reprit-il, c'est pourquoi je vous engage ? partir pour Lille. --Pour Lille! pour Lille en Flandres? --Oui, monsieur, Lille, d?partement du Nord, o? l'on forme un r?giment qui sera compos? d'?l?ments divers tr?s-bien choisis. Vous y serez admis d'embl?e, et l? certainement vous trouverez enfin ce fusil qu'on n'a pu vous procurer ni ? Rethel, ni ? M?zi?res. D'ailleurs il y a des ordres. L'entretien ?tait fini; la voix de l'autorit? venait de se faire entendre. Pour un volontaire qui avait r?v? de se trouver en face des Prussiens quelques heures apr?s son d?part de Paris, elle n'?tait ni douce, ni consolante. Au lieu de la bataille, le d?p?t! L'oreille basse, je poussai devant moi tristement ? travers les rues. Des militaires portant tous les uniformes les encombraient, allant et venant, sortant du cabaret pour entrer chez les marchands de vin. Il y avait comme du d?senchantement dans l'air. A la nuit tombante, un passant m'indiqua la rue que d?signait mon billet de logement, et je ne tardai pas ? frapper ? la modeste porte de la maison o? je devais passer la nuit. Une servante, sa chandelle ? la main, me conduisit dans une esp?ce de galetas dont un vieux lit mal ?quilibr? occupait tout le plancher. Ce n'?tait pas l'heure de faire des r?flexions. La fatigue, du reste, avait la parole, et non plus la d?licatesse. Cinq minutes apr?s je dormais tout habill?. Vers deux heures du matin cependant, une temp?te de fanfares ?clata. Je sautai sur mes pieds et courus vers le palier. Une servante qui regardait par une lucarne se retourna.--C'est le prince imp?rial qu'on ?veille, me dit-elle. Les trompettes sonnaient partout le boute-selle pour un d?part qui ne devait point avoir de retour. Des cavaliers passaient au galop dans la rue; les escadrons se rangeaient en ordre de marche; un cliquetis d'armes s'?leva m?l? au roulement lointain d'une voiture, puis tout s'?teignit: l'h?ritier d'un empire s'en allait vers l'ab?me! Le train qui devait partir ? six heures de la station de Charleville n'?tait pas encore form? au moment o? j'arrivai. La gare ?tait remplie de soldats fi?vreux et fourbus o? l'on comptait non moins de tra?nards que de malades, et que l'administration aux abois versait dans les d?p?ts du Nord et les divers h?pitaux qui pouvaient disposer de quelques lits encore. Les wagons ne furent pleins qu'? neuf heures. On y entassait les d?bris de vingt r?giments. A neuf heures et demie, la locomotive s'?branla lourdement. On voyait ?? et l? des grappes de pantalons garance sur les plates-formes et les marchepieds, ceux-ci debout, ceux-l? couch?s. De temps ? autres, des convois charg?s de soldats, de canons et de chevaux saluaient au passage le convoi qui s'?loignait de M?zi?res. C'?tait l'arm?e du g?n?ral Vinoy, qui allait appuyer l'arm?e du mar?chal Mac-Mahon, et qui devait presque aussit?t battre en retraite et s'enfermer dans Paris. Un de ces convois s'arr?ta ? la station de Harrison vers deux heures en m?me temps que celui sur lequel j'?tais mont?. On causa de wagon ? wagon entre cavaliers et fantassins; c'est ainsi que j'appris qu'un d?tachement du 3e zouaves venait de prendre place dans un train montant, et ne devait pas tarder ? passer. Je r?solus d'attendre l'arriv?e de mes camarades inconnus. Au bout de quatre heures, le d?tachement du 3e zouaves parut enfin. D'un bond je m'?lan?ai aupr?s du lieutenant qui le commandait. --Monsieur? lui dis-je. --On m'appelle mon lieutenant, r?pliqua l'officier d'un ton sec; puis me regardant le sourcil d?j? fronc?: --Que voulez-vous? et surtout soyez bref. Je lui exposai ma demande en termes nets et pr?cis. --Montez! dit le lieutenant. Je pris subitement place dans un wagon o? quinze zouaves allongeaient leurs gu?tres. Des regards curieux se dirig?rent vers le nouveau-venu, qui m?lait tout ? coup sa jeune barbiche au rassemblement farouche de ces moustaches rouges et noires. L'instant ?tait critique: il y avait l? un ?cueil ? franchir. Une magnifique pipe que je tirai et que j'offris tour ? tour ? chacun me gagna le coeur de mes compagnons de route. En signe d'adoption, ils me tutoy?rent spontan?ment. Vers dix heures du soir, le train s'arr?ta ? Charleville: le d?tachement des zouaves quitta les wagons, et vint camper sur une promenade au-dessus de la station. L'influence de la pipe, dont le tuyau d'ambre sortait de ma poche, me permit l'entr?e d'une tente o? l'hospitalit? la plus cordiale m'accueillit sur un pan de gazon. Mon tartan, que je n'avais pas quitt? depuis mon d?part de Paris, me servit de matelas et de couverture, et je m'endormis entre mes camarades. Lorsque par hasard j'entrouvrais les yeux, et qu'? la lueur p?le de quelques tisons br?lant ?? et l? j'apercevais ce p?le-m?le de jambes enfouies dans d'immenses culottes, et de t?tes cach?es ? demi sous le fez rouge, des rires silencieux me prenaient. Je fus r?veill? par la ros?e qui transper?ait mes v?tements et me gla?ait. Les zouaves, qui, dans des attitudes diverses, ronflaient sous la tente, secou?rent leurs oreilles comme des chiens qui viennent de recevoir une ond?e, et, sifflant des airs bizarres m?l?s de couplets saugrenus, se mirent en devoir de plier les tentes et de faire les sacs pour ?tre pr?ts ? partir au premier signal. Je m'employai avec eux tant bien que mal. Allant et venant, je fis la d?couverte d'un superbe capuchon de drap tout neuf qui gisait sur l'herbe et semblait orphelin. Je soulevai le capuchon, l'examinai, et ne put lui refuser les louanges qu'il m?ritait au double point de vue de la solidit? et de la conservation. Add to tbrJar First Page Next Page |
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