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Munafa ebook

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Read Ebook: Légendes Normandes by Lavalley Gaston

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Ebook has 967 lines and 35530 words, and 20 pages

Les deux touristes.

Une des nombreuses voitures, qui faisaient alors le service de Caen ? Bayeux, venait de s'arr?ter ? Bretteville-l'Orgueilleuse. Deux jeunes gens saut?rent de l'imp?riale plut?t qu'ils n'en descendirent, emportant avec eux tout leur bagage: un sac en toile, un b?ton, un album; avantage inappr?ciable qui n'appartient qu'aux c?libataires.

A peine arriv?s, nos voyageurs se dirig?rent vers l'?glise avec un empressement qui d?notait, sinon une certaine exaltation religieuse, du moins un go?t prononc? pour l'arch?ologie. Ils firent le tour du monument; en visit?rent l'int?rieur, et sortirent bient?t pour se consulter sur l'emploi de leur journ?e.

--Il est midi, dit l'un des touristes en tirant sa montre, et j'ai plus faim de beefsteak que d'architecture.

--J'allais te faire la m?me r?flexion, r?pondit l'autre. Il faut d?jeuner au plus vite.

Le premier r?pond au nom de L?on Vautier. Ses traits ne sont pas pr?cis?ment r?guliers, mais ses yeux sont pleins de feu et d'intelligence. S'il sourit devant vous, vous comprenez imm?diatement que vous ne parlez pas ? un sot. Sorti de l'?cole des Beaux-Arts, L?on Vautier avait travaill? sous la direction d'un architecte du gouvernement. Au moment o? nous le rencontrons, il venait d'?tre charg? par la commission des monuments historiques, institu?e pr?s le ministre de l'int?rieur, de l'inspection de quelques-uns des ?difices religieux de la Basse-Normandie.

--Ce chef-d'oeuvre vaut bien un coup d'oeil, dit-il en montrant du doigt la figure du h?ros d'Ivry, enlumin? comme un ivrogne qui sort du cabaret.

--En effet, ce n'est pas mal! Il a l'air d'avoir abus? du premier de ses trois talents, le bon Henri!

Ce diable ? quatre A le triple talent De boire, etc...

Je soup?onne l'artiste d'avoir eu des relations avec les ligueurs. C'est une satire, ce portrait-l?!

--Est-ce tout ce que tu as remarqu??

--Mon Dieu, oui!

--Comment! tu n'admires pas sa cotte de mailles? de vraies ?cailles de poisson! Le peintre aura vu ton tableau. C'est un plagiaire.

--Quoi que tu en dises, r?pliqua Victor en prenant feu, je soutiens que pas un des membres du jury ne serait capable de donner ? Neptune un tel cachet d'originalit?. Ces messieurs sont habitu?s ? se tra?ner dans les orni?res de la tradition. Ils m'ont trouv? ridicule, et je m'y r?signe; mais on sera bien oblig? de reconna?tre en moi le courage de d?fendre un syst?me; ce dont tu ne saurais te vanter... car tu ne penses encore que par le cerveau de tes professeurs.

--Qu'en sais-tu? Je n'ai encore rien produit.

--Je m'en aper?ois bien; car tu n'es gu?re indulgent pour les autres. Il n'y a pas de critiques plus aboyeurs que ceux qui n'ont rien imagin?. Je crois que tu suivras la loi commune. Imbu, nourri des id?es de tes ma?tres, tu seras tout surpris de copier l? o? tu croyais cr?er. L'architecture est morte!...

--Vous n'avez plus, continua Victor en s'?chauffant, ce sentiment patriotique et religieux, ce souffle divin qui inspirait les architectes du moyen ?ge. Si vous construisez une ?glise, vous faites une mauvaise imitation de nos salles de spectacle, vous copiez un temple grec, ou vous construisez une esp?ce de gare de chemin de fer. Et chacun conna?t le ma?on qui b?tit ces masures, tandis que les noms de ceux qui ont ?lev? les cath?drales de Noyon, de Chartres, de Reims, l'admirable fa?ade de Notre-Dame, ne nous sont pas conserv?s!

--Qui se permet d'?couter aux portes? dit Victor en se retournant vers le nouveau venu.

--Vous vous parlez en latin? dit L?on Vautier; je ne jouis pas de cet avantage; mais voici mon camarade qui parle h?breu. La preuve, c'est qu'il vient de me tenir un long discours dans cette langue.

--C'est-?-dire que je ne me suis pas bien expliqu?! r?pondit le peintre en se mordant les l?vres.

--On voit que monsieur est vers? dans l'histoire de l'architecture, dit L?on Vautier.

Et, pour la premi?re fois, il songea ? examiner l'?tranger.

C'?tait un homme de cinquante ? cinquante-cinq ans. Son costume ?tait celui d'un paysan endimanch?: blouse bleue, pantalon de toile, cravate rouge avec un gros noeud dont les bouts se balan?aient au vent, chapeau de paille et souliers ferr?s. Mais, si l'on venait ? observer sa toilette, ? consid?rer plus attentivement sa tournure et ses mani?res, il sautait aux yeux que ce personnage devait porter l'habit avec autant d'aisance que la blouse.

--Si je ne m'abuse, dit-il, j'ai l'honneur de parler ? des artistes, et, comme je les ai en grande estime...

--Vous avez peut-?tre ?t? du m?tier? demanda Victor.

--Vous d?sirez savoir mon nom? r?pondit l'?tranger en souriant finement. Au temps o? je me servais de cartes de visite, on y lisait: Louis Landry, et au-dessous: procureur du... procureur de... procureur imp... suivant les variations du barom?tre politique. J'ai d?j? servi,--comme vous le voyez,--deux ou trois gouvernements. Cela fatigue ? la longue. Aussi me suis-je d?cid? sans peine ? c?der la toge ? la magistrature militante. J'ai suivi le pr?cepte de Virgile... je me suis fait paysan! Comme tel, j'aime ? exercer l'hospitalit?, et j'esp?re, si cela ne d?range pas vos projets, vous amener d?ner chez moi.

On ?tait arriv? devant l'?glise de Norrey, une des curiosit?s du pays.

--Vous d?sirez la visiter? dit l'ancien magistrat. Je vais chercher les clefs chez le sonneur. Attendez-moi.

Il partit et revint bient?t avec les clefs.

--Voil? un charmant morceau du treizi?me si?cle, s'?cria L?on Vautier en contemplant avec d?lices la tour ?l?gante de l'?glise de Norrey.

--Et voil? un charmant magistrat du dix-neuvi?me! dit Victor. Il va nous ouvrir la porte du sanctuaire, en attendant qu'il nous ouvre celle de la salle ? manger.

Le dialogue fut interrompu par l'arriv?e de M. Landry.

--Un peu de patience, mes amis! dit le M?c?ne bas-normand en tournant et retournant la clef dans la serrure.

On entra dans l'?glise.

L?on Vautier en eut pour une bonne heure ? satisfaire sa curiosit?. Son regard interrogeait chaque d?tail d'ornementation avec autant d'ardeur que l'artiste du moyen ?ge en avait mis ? fouiller la pierre. Quand ils furent sortis de l'?glise, les deux jeunes gens s'assirent sur un tertre de gazon, ouvrirent leurs albums et commenc?rent un dessin du monument.

--Prenez un si?ge et donnez-vous la peine de vous asseoir, dit gravement Victor ? leur complaisant cicerone.

--Volontiers! r?pondit l'ex-magistrat en prenant place entre les deux jeunes gens; je taillerai les crayons.

--Non, vous nous raconterez quelque grand scandale de cour d'assises.

--Y songez-vous? J'ai tout oubli? en d?pouillant la robe de magistrat. Je pr?f?re vous raconter une histoire locale. Ce lieu o? nous sommes assis tranquillement a ?t? le th??tre d'un drame sanglant.

--Vous me faites fr?mir! Commencez toutefois votre r?cit; j'adore le drame... f?t-il de M. Dennery!

--Puisque vous l'exigez, j'appelle ? mon secours feu mon ?loquence de minist?re public; puisse-t-elle ne pas blesser les oreilles d?licates de mon auditoire! Or donc, voici l'histoire du ma?tre de l'oeuvre de Norrey:

Pierre Vardouin

Mais il y avait une autre cause ? la renomm?e de Pierre Vardouin. Les moeurs, le langage, les costumes, le gouvernement changent avec le temps; mais les pr?jug?s, les petitesses du coeur humain ne suivent pas les variations du calendrier. Que le treizi?me ou le dix-neuvi?me si?cle sonne ? l'horloge du temps, les sept p?ch?s capitaux n'en sont pas moins ? l'ordre du jour. On accepte une r?putation faite, parce qu'on ne se sent pas de force ? lutter contre l'opinion g?n?rale; mais si votre voisin a du talent, vous en parlez comme d'un homme ordinaire; vous vous feriez tort ? vous-m?me plut?t que de servir ? son ?l?vation. Il est tr?s-difficile d'avoir du m?rite dans la ville qui vous a vu na?tre.

Les habitants de Bretteville avaient donc Pierre Vardouin en grande estime, parce qu'il venait de loin. On ne connaissait pas le lieu de sa naissance, on ne savait pas au juste dans quel chantier ni sous quel patron il avait fait son apprentissage; mais il s'?tait ?tabli tout ? coup ? Bretteville, se faisant pr?c?der d'une r?putation plus ou moins m?rit?e, r?p?tant ? qui voulait l'entendre qu'il avait travaill? sous les ma?tres les plus illustres et ?merveill? les gens du m?tier par son bon go?t, ses nouveaux proc?d?s et l'?l?gance de ses constructions. Pourquoi abandonnait-il le th??tre de ses triomphes? Pourquoi s'enterrait-il dans un village ? peine connu? On ne se le demandait m?me pas. Il fit si bien son apologie, vanta si habilement ses connaissances, que son ?loge fut bient?t dans toutes les bouches. Chacun proclama son talent.

La tour s'?levait, s'?levait ? vue d'oeil et commen?ait ? dominer tout le village. Chaque habitant pouvait apercevoir, de ses fen?tres ou de son jardin, les manoeuvres des ouvriers suspendus aux ?chafaudages. La plupart, n'osant porter un jugement sur ce qu'ils ?taient incapables de comprendre, se contentaient d'admirer sur la foi de la renomm?e de Pierre Vardouin. Le ma?tre de l'oeuvre ne trouvait pas partout la m?me indulgence. Les esprits forts de l'endroit,--ces gens qui aiment ? critiquer en raison directe de leur ignorance,--parlaient d?j? librement sur son travail ? mesure qu'il approchait de sa fin. On n'aimait pas la forme des gargouilles, qui vomissaient l'eau du sommet du corps carr?; la fl?che ne s'annon?ait pas bien, elle ?tait trop massive, elle ne s'?lan?ait pas gracieusement dans les airs. Ces commentaires ne se faisaient pas ? huis clos ou ? voix basse; car le d?sir de se faire remarquer entre pour beaucoup dans l'esprit de ceux qui les font. Bien que Pierre Vardouin ne le c?d?t ? personne sous le rapport du contentement de soi-m?me, bien qu'il f?t convaincu de sa sup?riorit?, il fut bless? au coeur par ces critiques malveillantes.

Un dimanche, en revenant de l'office avec sa fille, il passa pr?s d'un groupe qui s'?tait form? ? l'entr?e du cimeti?re, comme pour mieux examiner les travaux. Il pr?ta l'oreille, esp?rant saisir au vol quelques-uns de ces mots flatteurs si agr?ables ? la m?diocrit?. H?las! l'orateur de la troupe faisait une satire. Pierre Vardouin h?ta le pas et entra?na sa fille sous le porche de sa maison. Il monta au premier ?tage, entra dans sa chambre et se jeta, tout d?courag?, sur une chaise. Sa fille, une jeune fille de seize ans, aux cheveux blonds, aux yeux purs comme un beau ciel d'?t?, une de ces adorables natures qui vivent de d?vouement, devinent vos douleurs et s'ing?nient toujours pour vous consoler, voyant l'accablement du vieillard, s'approcha de lui, prit ses mains et lui demanda la cause de son chagrin.

--Je crois savoir; dit-elle, le motif de votre m?contentement. Mais laissez parler vos ennemis. Leurs am?res critiques passeront comme le vent, et votre ouvrage restera pour dire votre nom et votre gloire aux ?ges futurs.

Le vieillard rougit l?g?rement, en voyant sa pens?e si bien mise ? nu. Il regretta de ne pas avoir mieux cach? sa faiblesse et ne chercha plus qu'? dissimuler la honte qu'il en ?prouvait.

--Que tu es jeune, ma pauvre Marie! dit-il en regardant sa fille d'un air de compassion. Les ?pigrammes de ces lourdauds ne peuvent que s'aplatir en m'atteignant. J'ai le droit de les m?priser. Ce que tu as pris pour les souffrances de l'humiliation, c'?tait tout simplement une des mille souffrances de ce mis?rable corps qui se vieillit. Car je souffre affreusement! Ma t?te est lourde... Le sang me br?le!... je suis alt?r?. C'est cela m?me, ajouta-t-il en voyant sa fille courir vers une armoire et lui rapporter une coupe pleine de vin. Cela me calmera peut-?tre. La fi?vre, la pire de toutes les maladies, la fi?vre de l'esprit me d?vore. La pens?e, quand elle est trop forte, trop fr?quente, use et abat le corps le plus robuste. Et c'est au moment o? j'enfante les plus belles conceptions, o? je m'?puise, o? je me tue pour la gloire et l'embellissement de ce pays, c'est ? cet instant que ces hommes stupides me crachent l'injure ? la face.--Tiens! regarde, dit-il apr?s avoir amen? sa fille pr?s de la fen?tre, regarde cette tour, cette fl?che, d?pouille-les, par un effort d'imagination, de ces ?chafaudages qui les masquent en partie, et dis-moi si tu as vu jamais quelque chose de plus l?ger, de plus simple, mais aussi de plus solide et de plus gracieux!

--Vous n'ignorez pas, mon p?re, r?pondit na?vement Marie, que j'?tais bien jeune quand j'ai voyag? et que je n'ai pas grande connaissance en fait d'art?

--N'importe! tu es ma fille et tu vas me comprendre. Admire l'?l?gance de ces fen?tres, longues et ?troites. Admire la finesse des colonnettes; vois comme les quatre pans de l'octogone correspondent bien aux quatre faces de la tour. Remarque comme chaque d?tail est ?tudi?, comme tout est pr?vu, calcul?, proportionn?; et dis-moi si ce n'est pas l? un travail admirable!

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