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Munafa ebook

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Read Ebook: Claire de Lune by Maupassant Guy De

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Ebook has 834 lines and 27771 words, and 17 pages

CLAIR DE LUNE

PAR

GUY DE MAUPASSANT

PARIS

ARCOS--GAMBARD--GRASSET--JEANNIOT--LE NATUR--ADRIEN MARIE MERWART--MYRBACH--RENOUARD--ROCHEGROSSE--ROY--TIRADO

CLAIR DE LUNE

Il portait bien son nom de bataille, l'abb? Marignan. C'?tait un grand pr?tre maigre, fanatique, d'?me toujours exalt?e, mais droite. Toutes ses croyances ?taient fixes, sans jamais d'oscillations. Il s'imaginait sinc?rement conna?tre son Dieu, p?n?trer ses desseins, ses volont?s, ses intentions.

Quand il se promenait ? grands pas dans l'all?e de son petit presbyt?re de campagne, quelquefois une interrogation se dressait dans son esprit: <> Et il cherchait obstin?ment, prenant en sa pens?e la place de Dieu, et il trouvait presque toujours. Ce n'est pas lui qui e?t murmur? dans un ?lan de pieuse humilit?: <> ICI se disait: <>

Tout lui paraissait cr?? dans la nature avec une logique absolue et admirable. Les <> et les <> se balan?aient toujours. Les aurores ?taient faites pour rendre joyeux les r?veils, les jours pour m?rir les moissons, les pluies pour les arroser, les soirs pour pr?parer au sommeil et les nuits sombres pour dormir.

Les quatre saisons correspondaient parfaitement ? tous les besoins de l'agriculture; et jamais le soup?on n'aurait pu venir au pr?tre que la nature n'a point d'intentions et que tout ce qui vit s'est pli?, au contraire, aux dures n?cessit?s des ?poques, des climats et de la mati?re.

Mais il ha?ssait la femme, il la ha?ssait inconsciemment, et la m?prisait par instinct. Il r?p?tait souvent la parole du Christ: <> et il ajoutait: <> La femme ?tait bien pour lui l'enfant douze fois impure dont parle le po?te. Elle ?tait le tentateur qui avait entra?n? le premier homme et qui continuait toujours son oeuvre de damnation, l'?tre faible, dangereux, myst?rieusement troublant. Et plus encore que leur corps de perdition, il ha?ssait leur ?me aimante.

Souvent il avait senti leur tendresse attach?e ? lui et, bien qu'il se s?t inattaquable, il s'exasp?rait de ce besoin d'aimer qui fr?missait toujours en elles.

Dieu, ? son avis, n'avait cr?? la femme que pour tenter l'homme et l'?prouver. Il ne fallait approcher d'elle qu'avec des pr?cautions d?fensives, et les craintes qu'on a des pi?ges. Elle ?tait, en effet, toute pareille ? un pi?ge avec ses bras tendus et ses l?vres ouvertes vers l'homme.

Il n'avait d'indulgence que pour les religieuses que leur voeu rendait inoffensives; mais il les traitait durement quand m?me, parce qu'il la sentait toujours vivante au fond de leur coeur encha?n?, de leur coeur humili?, cette ?ternelle tendresse qui venait encore ? lui, bien qu'il f?t un pr?tre.

Il la sentait dans leurs regards plus mouill?s de pi?t? que les regards des moines, dans leurs extases o? leur sexe se m?lait, dans leurs ?lans d'amour vers le Christ, qui l'indignaient parce que c'?tait de l'amour de femme, de l'amour charnel; il la sentait, cette tendresse maudite, dans leur docilit? m?me, dans la douceur de leur voix en lui parlant, dans leurs yeux baiss?s, et dans leurs larmes r?sign?es quand il les reprenait avec rudesse.

Et il secouait sa soutane en sortant des portes du couvent, et il s'en allait en allongeant les jambes comme s'il avait fui devant un danger.

Il avait une ni?ce qui vivait avec sa m?re dans une petite maison voisine. Il s'acharnait ? en faire une soeur de charit?.

Elle ?tait jolie, ?cervel?e et moqueuse. Quand l'abb? sermonnait, elle riait; et quand il se f?chait contre elle, elle l'embrassait avec v?h?mence, le serrant contre son coeur, tandis qu'il cherchait involontairement ? se d?gager de cette ?treinte qui lui faisait go?ter cependant une joie douce, ?veillant au fond de lui cette sensation de paternit? qui sommeille en tout homme.

Souvent il lui parlait de Dieu, de son Dieu, en marchant ? c?t? d'elle par les chemins des champs. Elle ne l'?coutait gu?re et regardait le ciel, les herbes, les fleurs, avec un bonheur de vivre qui se voyait dans ses yeux. Quelquefois elle s'?lan?ait pour attraper une b?te volante, et s'?criait en la rapportant: <> Et ce besoin <> ou des grains de lilas inqui?tait, irritait, soulevait le pr?tre, qui retrouvait encore l? cette ind?racinable tendresse qui germe toujours au coeur des femmes.

Puis, voil? qu'un jour l'?pouse du sacristain, qui faisait le m?nage de l'abb? Marignan, lui apprit avec pr?caution que sa ni?ce avait un amoureux.

Il en ressentit une ?motion effroyable, et il demeura suffoqu?, avec du savon plein la figure, car il ?tait en train de se raser.

Quand il se retrouva en ?tat de r?fl?chir et de parler, il s'?cria: <>

Mais la paysanne posa la main sur son coeur: <>

Il cessa de se gratter le menton, et il se mit ? marcher violemment, comme il faisait toujours en ses heures de grave m?ditation. Quand il voulut recommencer ? se barbifier, il se coupa trois fois depuis le nez jusqu'? l'oreille.

Tout le jour, il demeura muet, gonfl? d'indignation et de col?re. A sa fureur de pr?tre, devant l'invincible amour, s'ajoutait une exasp?ration de p?re moral, de tuteur, de charg? d'?me, tromp?, vol?, jou? par une enfant; cette suffocation ?go?ste des parents ? qui leur fille annonce qu'elle a fait, sans eux et malgr? eux, choix d'un ?poux.

Apr?s son d?ner, il essaya de lire un peu, mais il ne put y parvenir; et il s'exasp?rait de plus en plus. Quand dix heures sonn?rent, il prit sa canne, un formidable b?ton de ch?ne dont il se servait toujours en ses courses nocturnes, quand il allait voir quelque malade. Et il regarda en souriant l'?norme gourdin qu'il faisait tourner, dans sa poigne solide de campagnard, en des moulinets mena?ants. Puis, soudain, il le leva et, grin?ant des dents, l'abattit sur une chaise dont le dossier fendu tomba sur le plancher.

Et il ouvrit sa porte pour sortir; mais il s'arr?ta sur le seuil, surpris par une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait presque jamais.

Et comme il ?tait dou? d'un esprit exalt?, un de ces esprits que devaient avoir les P?res de l'?glise, ces po?tes r?veurs, il se sentit soudain distrait, ?mu par la grandiose et sereine beaut? de la nuit p?le.

Dans son petit, jardin, tout baign? de douce lumi?re, ses arbres fruitiers, rang?s en ligne, dessinaient en ombre sur l'all?e leurs gr?les membres de bois ? peine v?tus de verdure; tandis que le ch?vrefeuille g?ant, grimp? sur le mur de sa maison, exhalait des souffles d?licieux et comme sucr?s, faisait flotter dans le soir ti?de et clair une esp?ce d'?me parfum?e.

Il se mit ? respirer longuement, buvant de l'air comme les ivrognes boivent du vin, et il allait ? pas lents, ravi, ?merveille, oubliant presque sa ni?ce.

D?s qu'il fut dans la campagne, il s'arr?ta pour contempler toute la plaine inond?e de cette lueur caressante, noy?e dans ce charme tendre et languissant des nuits sereines. Les crapauds ? tout instant jetaient par l'espace leur note courte et m?tallique, et des rossignols lointains m?laient leur musique ?gren?e qui fait r?ver sans faire penser, leur musique l?g?re et vibrante, faite pour les baisers, ? la s?duction du clair de lune.

L'abb? se remit ? marcher, le coeur d?faillant, sans qu'il s?t pourquoi. Il se sentait comme affaibli, ?puis? tout ? coup; il avait une envie de s'asseoir, de rester l?, de contempler, d'admirer Dieu dans son oeuvre.

L?-bas, suivant les ondulations de la petite rivi?re, une grande ligne de peupliers serpentait. Une bu?e fine, une vapeur blanche que les rayons de lune traversaient, argentaient, rendaient luisante, restait suspendue autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours tortueux de l'eau d'une sorte de ouate l?g?re et transparente.

Le pr?tre encore une fois s'arr?ta, p?n?tr? jusqu'au fond de l'?me par un attendrissement grandissant, irr?sistible.

Et un doute, une inqui?tude vague l'envahissait; il sentait na?tre en lui une de ces interrogations qu'il se posait parfois. Pourquoi Dieu avait-il fait cela? Puisque la nuit est destin?e au sommeil, ? l'inconscience, au repos, ? l'oubli de tout, pourquoi la rendre plus charmante que le jour, plus douce que les aurores et que les soirs, et pourquoi cet astre lent et s?duisant, plus po?tique que le soleil et qui semble destin?, tant il est discret, ? ?clairer des choses trop d?licates et myst?rieuses pour la grande lumi?re, s'en venait-il faire si transparentes les t?n?bres?

Pourquoi le plus habile des oiseaux chanteurs ne se reposait-il pas comme les autres et se mettait-il ? vocaliser dans l'ombre troublante?

Pourquoi ce demi-voile jet? sur le monde? Pourquoi ces frissons de coeur, cette ?motion de l'?me, cet alanguissement de la chair?

Pourquoi ce d?ploiement de s?ductions que les hommes ne voyaient point, puisqu'ils ?taient couch?s en leurs lits? A qui ?taient destin?s ce spectacle sublime, cette abondance de po?sie jet?e du ciel sur la terre?

Et l'abb? ne comprenait point.

Mais voil? que l?-bas, sur le bord de la prairie, sous la vo?te des arbres tremp?s de brume luisante, deux ombres apparurent qui marchaient c?te ? c?te.

L'homme ?tait plus grand et tenait par le cou son amie, et, de temps en temps, l'embrassait sur le front. Ils anim?rent tout ? coup ce paysage immobile qui les enveloppait comme un cadre divin fait pour eux. Ils semblaient, tous deux, un seul ?tre, l'?tre ? qui ?tait destin?e cette nuit calme et silencieuse; et ils s'en venaient vers le pr?tre comme une r?ponse vivante, la r?ponse que son Ma?tre jetait ? son interrogation.

Il restait debout, le coeur battant, boulevers?, et il croyait voir quelque chose de biblique, comme les amours de Ruth et de Booz, l'accomplissement d'une volont? du Seigneur dans un de ces grands d?cors dont parlent les livres saints. En sa t?te se mirent ? bourdonner les versets du Cantique des Cantiques, les cris d'ardeur, les appels des corps, toute la chaude po?sie de ce po?me br?lant de tendresse.

Et il se dit: <>

Et il reculait devant le couple embrass? qui marchait toujours. C'?tait sa ni?ce pourtant; mais il se demandait maintenant s'il n'allait pas d?sob?ir ? Dieu. Et Dieu ne permet-il point l'amour, puisqu'il l'entoure visiblement d'une splendeur pareille?

Et il s'enfuit, ?perdu, presque honteux, comme s'il e?t p?n?tr? dans un temple o? il n'avait pas le droit d'entrer.

UN COUP D'?TAT

Paris venait d'apprendre le d?sastre de Sedan. La R?publique ?tait proclam?e. La France enti?re haletait au d?but de cette d?mence qui dura jusqu'apr?s la Commune. On jouait au soldat d'un bout ? l'autre du pays.

Des bonnetiers ?taient colonels faisant fonctions de g?n?raux; des revolvers et des poignards s'?talaient autour de gros ventres pacifiques envelopp?s de ceintures rouges; des petits bourgeois devenus guerriers d'occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance.

Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils ? syst?mes affolait ces gens qui n'avaient jusqu'ici mani? que des balances, et les rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. On ex?cutait des innocents pour prouver qu'on savait tuer; on fusillait, en r?dant par les campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens errants, les vaches ruminant en paix, les chevaux malades p?turant dans les herbages.

Chacun se croyait appel? ? jouer un grand r?le militaire. Les caf?s des moindres villages, pleins de commer?ants en uniforme, ressemblaient ? des casernes ou ? des ambulances.

Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de l'arm?e et de la capitale; mais une extr?me agitation le remuait depuis un mois, les partis adverses se trouvant face ? face.

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