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Read Ebook: La Main Gauche by Maupassant Guy De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1344 lines and 35862 words, and 27 pagesJe le for?ais ? parler fran?ais et ? me donner des le?ons d'arabe, ce qui produisait souvent une langue interm?diaire des plus incoh?rentes. Je repris: --Alors, pourquoi y a-t-il une femme chez toi. Il murmura: --Il est du Sud. --Ah! elle est du Sud. Cela ne m'explique pas comment elle se trouve sous ta tente. Sans r?pondre ? ma question, il reprit: --Il est tr?s joli. --Ah! vraiment. Eh bien, une autre fois, quand tu recevras comme ?a une tr?s jolie femme du Sud, tu auras soin de la faire entrer dans mon gourbi et non dans le tien. Tu entends, Mohammed? Il r?pondit avec un grand s?rieux: --Oui, moussi?. J'avoue que pendant toute la journ?e je demeurai sous l'?motion agressive du souvenir de cette fille arabe ?tendue sur un tapis rouge; et, en rentrant, ? l'heure du d?ner, j'eus une forte envie de traverser de nouveau la tente de Mohammed. Durant la soir?e, il fit son service comme toujours, tournant autour de moi avec sa figure impassible, et je faillis plusieurs fois lui demander s'il allait garder longtemps sous son toit de poil de chameau cette demoiselle du Sud, qui ?tait tr?s jolie. Vers neuf heures, toujours hant? par ce go?t de la femme, qui est tenace comme l'instinct de chasse chez les chiens, je sortis pour prendre l'air et pour r?der un peu dans les environs du c?ne de toile brune ? travers laquelle j'apercevais le point brillant d'une lumi?re. Puis je m'?loignai, pour n'?tre pas surpris par Mohammed dans les environs de son logis. En rentrant, une heure plus tard, je vis nettement son profil ? lui, sous sa tente. Puis ayant tir? ma clef de ma poche, je p?n?trai dans le bordj o? couchaient, comme moi, mon intendant, deux laboureurs de France et une vieille cuisini?re cueillie ? Alger. Je montai mon escalier et je fus surpris en remarquant un filet de clart? sous ma porte. Je l'ouvris, et j'aper?us en face de moi, assise sur une chaise de paille ? c?t? de la table o? br?lait une bougie, une fille au visage d'idole, qui semblait m'attendre avec tranquillit?, par?e de tous les bibelots d'argent que les femmes du Sud portent aux jambes, aux bras, sur la gorge et jusque sur le ventre. Ses yeux agrandis par le khol jetaient sur moi un large regard; et quatre petits signes bleus finement tatou?s sur la chair ?toilaient son front, ses joues et son menton. Ses bras, charg?s d'anneaux, reposaient sur ses cuisses que recouvrait, tombant des ?paules, une sorte de gebba de soie rouge dont elle ?tait v?tue. En me voyant entrer, elle se leva et resta devant moi, debout, couverte de ses bijoux sauvages, dans une attitude de fi?re soumission. --Que fais-tu ici, lui dis-je en arabe. --J'y suis parce qu'on m'a ordonn? de venir. --Qui te l'a ordonn?? --Mohammed. --C'est bon. Assieds-toi. Elle s'assit, baissa les yeux, et je demeurai devant elle, l'examinant. La figure ?tait ?trange, r?guli?re, fine et un peu bestiale, mais mystique comme celle d'un Boudha. Les l?vres, fortes et color?es d'une sorte de floraison rouge qu'on retrouvait ailleurs sur son corps, indiquaient un l?ger m?lange de sang noir, bien que les mains et les bras fussent d'une blancheur irr?prochable. J'h?sitais sur ce que je devais faire, troubl?, tent? et confus. Pour gagner du temps et me donner le loisir de la r?flexion, je lui posai d'autres questions, sur son origine, son arriv?e dans ce pays et ses rapports avec Mohammed. Mais elle ne r?pondit qu'? celles qui m'int?ressaient le moins et il me fut impossible de savoir pourquoi elle ?tait venue, dans quelle intention, sur quel ordre, depuis quand, ni ce qui s'?tait pass? entre elle et mon serviteur. Comme j'allais lui dire: < Ses yeux, allum?s par le d?sir de s?duire, par ce besoin de vaincre l'homme qui rend fascinant comme celui des f?lins le regard impur des femmes, m'appelaient, m'encha?naient, m'?taient toute force de r?sistance, me soulevaient d'une ardeur imp?tueuse. Ce fut une lutte courte, sans paroles, violente, entre les prunelles seules, l'?ternelle lutte entre les deux brutes humaines, le m?le et la femelle, o? le m?le est toujours vaincu. Ses mains, derri?re ma t?te m'attiraient d'une pression lente, grandissante, irr?sistible comme une force m?canique, vers le sourire animal de ses l?vres rouges o? je collai soudain les miennes en enla?ant ce corps presque nu et charg? d'anneaux d'argent qui tint?rent, de la gorge aux pieds, sous mon ?treinte. Elle ?tait nerveuse, souple et saine comme une b?te, avec des airs, des mouvements, des gr?ces et une sorte d'odeur de gazelle, qui me firent trouver ? ses baisers une rare saveur inconnue, ?trang?re ? mes sens comme un go?t de fruit des tropiques. Bient?t... je dis bient?t, ce fut peut-?tre aux approches du matin, je la voulus renvoyer, pensant qu'elle s'en irait ainsi qu'elle ?tait venue, et ne me demandant pas encore ce que je ferais d'elle; ou ce qu'elle ferait de moi. Mais d?s qu'elle eut compris mon intention, elle murmura: --Si tu me chasses, o? veux-tu que j'aille maintenant? I1 faudra que je dorme sur la terre, dans la nuit. Laisse-moi me coucher sur le tapis, au pied de ton lit. Que pouvais-je r?pondre? Que pouvais-je faire? Je pensai que Mohammed, sans doute, regardait ? son tour la fen?tre ?clair?e de ma chambre; et des questions de toute nature, que je ne m'?tais point pos?es dans le trouble des premiers instants, se formul?rent nettement. --Reste ici, dis-je, nous allons causer. Ma r?solution fut prise en une seconde. Puisque cette fille avait ?t? jet?e ainsi dans mes bras, je la garderais, j'en ferais une sorte de ma?tresse esclave, cach?e dans le fond de ma maison, ? la fa?on des femmes des harems. Le jour o? elle ne me plairait plus, il serait toujours facile de m'en d?faire d'une fa?on quelconque, car ces cr?atures-l?, sur le sol africain, nous appartenaient presque corps et ?me. Je lui dis: --Je veux bien ?tre bon pour toi. Je te traiterai de fa?on ? ce que tu ne sois pas malheureuse, mais je veux savoir ce que tu es, et d'o? tu viens. Elle comprit qu'il fallait parler et me conta son histoire, ou plut?t une histoire, car elle dut mentir d'un bout ? l'autre, comme mentent tous les Arabes, toujours, avec ou sans motifs. C'est l? un des signes les plus surprenants et les plus incompr?hensibles du caract?re indig?ne: le mensonge. Ces hommes en qui l'islamisme s'est incarn? jusqu'? faire partie d'eux, jusqu'? modeler leurs instincts, jusqu'? modifier la race enti?re et ? la diff?rencier des autres au moral autant que la couleur de la peau diff?rencie le n?gre du blanc, sont menteurs dans les moelles au point que jamais on ne peut se fier ? leurs dires. Est-ce ? leur religion qu'ils doivent cela? Je l'ignore. Il faut avoir v?cu parmi eux pour savoir combien le mensonge fait partie de leur ?tre, de leur coeur, de leur ?me, est devenu chez eux une sorte de seconde nature, une n?cessit? de la vie. Elle me raconta donc qu'elle ?tait fille d'un ca?d des Ouled Sidi Cheik et d'une femme enlev?e par lui dans une razzia sur les Touaregs. Cette femme devait ?tre une esclave noire, ou du moins provenir d'un premier croisement de sang arabe et de sang n?gre. Les n?gresses, on le sait, sont fort pris?es dans les harems o? elles jouent le r?le d'aphrodisiaques. Rien de cette origine d'ailleurs n'apparaissait hors cette couleur empourpr?e des l?vres et les fraises sombres de ses seins allong?s, pointus et souples comme si des ressorts les eussent dress?s. A cela, un regard attentif ne se pouvait tromper. Mais tout le reste appartenait ? la belle race du Sud, blanche, svelte, dont la figure fine est faite de lignes droites et simples comme une t?te d'image indienne. Les yeux tr?s ?cart?s augmentaient encore l'air un peu divin de cette r?deuse du d?sert. De son existence v?ritable, je ne sus rien de pr?cis. Elle me la conta par d?tails incoh?rents qui semblaient surgir au hasard dans une m?moire en d?sordre; et elle y m?lait des observations d?licieusement pu?riles, toute une vision du monde nomade n?e dans une cervelle d'?cureuil qui a saut? de tente en tente, de campement en campement, de tribu en tribu. Et cela ?tait d?bit? avec l'air s?v?re que garde toujours ce peuple drap?, avec des mines d'idole qui potine et une gravit? un peu comique. Quand elle eut fini, je m'aper?us que je n'avais rien retenu de cette longue histoire pleine d'?v?nements insignifiants, emmagasin?s en sa l?g?re cervelle, et je me demandai si elle ne m'avait pas bern? tr?s simplement par ce bavardage vide et s?rieux qui ne m'apprenait rien sur elle ou sur aucun fait de sa vie. Et je pensais ? ce peuple vaincu au milieu duquel nous campons ou plut?t qui campe au milieu de nous, dont nous commen?ons ? parler la langue, que nous voyons vivre chaque jour sous la toile transparente de ses tentes, ? qui nous imposons nos lois, nos r?glements et nos coutumes, et dont nous ignorons tout, mais tout, entendez-vous, comme si nous n'?tions pas l?, uniquement occup?s ? le regarder depuis bient?t soixante ans. Nous ne savons pas davantage ce qui se passe sous cette hutte de branches et sous ce petit c?ne d'?toffe clou? sur la terre avec des pieux, ? vingt m?tres de nos portes, que nous ne savons encore ce que font, ce que pensent, ce que sont les Arabes dits civilis?s des maisons mauresques d'Alger. Derri?re le mur peint ? la chaux de leur demeure des villes, derri?re la cloison de branches de leur gourbi, ou derri?re ce mince rideau brun de poil de chameau que secoue le vent, ils vivent pr?s de nous, inconnus, myst?rieux, menteurs, sournois, soumis, souriants, imp?n?trables. Si je vous disais qu'en regardant de loin, avec ma jumelle, le campement voisin, je devine qu'ils ont des superstitions, des c?r?monies, mille usages encore ignor?s de nous, pas m?me soup?onn?s! Jamais peut-?tre un peuple conquis par la force n'a su ?chapper aussi compl?tement ? la domination r?elle, ? l'influence morale, et ? l'investigation acharn?e, mais inutile du vainqueur. Or, cette infranchissable et secr?te barri?re que la nature incompr?hensible a verrouill?e entre les races, je la sentais soudain, comme je ne l'avais jamais sentie, dress?e entre cette fille arabe et moi, entre cette femme qui venait de se donner, de se livrer, d'offrir son corps ? ma caresse et moi qui l'avait poss?d?e. Je lui demandai y songeant pour la premi?re fois: --Comment t'appelles-tu? Elle ?tait demeur?e quelques instants sans parler et je la vis tressaillir comme si elle venait d'oublier que j'?tais l?, tout contre elle. Alors, dans ses yeux lev?s sur moi, je devinai que cette minute avait suffi pour que le sommeil tomb?t sur elle, un sommeil irr?sistible et brusque, presque foudroyant, comme tout ce qui s'empare des sens mobiles des femmes. Elle r?pondit nonchalamment avec un b?illement arr?t? dans la bouche: --Allouma. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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