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Read Ebook: La Maison Tellier by Maupassant Guy De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1061 lines and 47139 words, and 22 pagesGUY DE MAUPASSANT Maison Tellier IVAN TOURGUENEFF GUY DE MAUPASSANT. LA MAISON TELLIER On allait l?, chaque soir, vers onze heures, comme au caf?, simplement. Puis on rentrait se coucher avant minuit. Les jeunes gens quelquefois restaient. La maison ?tait familiale, toute petite, peinte en jaune, ? l'encoignure d'une rue derri?re l'?glise Saint-?tienne; et, par les fen?tres, on apercevait le bassin plein de navires qu'on d?chargeait, le grand marais salant appel? < C'?taient de braves gens qui se firent aimer tout de suite de leur personnel et des voisins. Monsieur mourut d'un coup de sang deux ans plus tard. Sa nouvelle profession l'entretenant dans la mollesse et l'immobilit?, il ?tait devenu tr?s gros, et la sant? l'avait ?touff?. Madame, depuis son veuvage, ?tait vainement d?sir?e par tous les habitu?s de l'?tablissement; mais on la disait absolument sage, et ses pensionnaires elles-m?mes n'?taient parvenues ? rien d?couvrir. Elle ?tait grande, charnue, avenante. Son teint, p?li dans l'obscurit? de ce logis toujours clos, luisait comme sous un vernis gras. Une mince garniture de cheveux follets, faux et fris?s, entourait son front, et lui donnait un aspect juv?nile qui jurait avec la maturit? de ses formes. Invariablement gaie et la figure ouverte, elle plaisantait volontiers, avec une nuance de retenue que ses occupations nouvelles n'avaient pas encore pu lui faire perdre. Les gros mots la choquaient toujours un peu; et quand un gar?on mal ?lev? appelait de son nom propre l'?tablissement qu'elle dirigeait, elle se f?chait, r?volt?e. Enfin elle avait l'?me d?licate, et bien que traitant ses femmes en amies, elle r?p?tait volontiers qu'elles < Parfois, durant la semaine, elle partait en voiture de louage avec une fraction de sa troupe; et l'on allait fol?trer sur l'herbe au bord de la petite rivi?re qui coule dans les fonds de Valmont. C'?taient alors des parties de pensionnaires ?chapp?es, des courses folles, des jeux enfantins, toute une joie de recluses gris?es par le grand air. On mangeait de la charcuterie sur le gazon en buvant du cidre, et l'on rentrait ? la nuit tombante avec une fatigue d?licieuse, un attendrissement doux; et dans la voiture on embrassait Madame comme une m?re tr?s bonne, pleine de mansu?tude et de complaisance. La maison avait deux entr?es. ? l'encoignure, une sorte de caf? borgne s'ouvrait, le soir, aux gens du peuple et aux matelots. Deux des personnes charg?es du commerce sp?cial du lieu ?taient particuli?rement destin?es aux besoins de cette partie de la client?le. Elles servaient, avec l'aide du gar?on, nomm? Fr?d?ric, un petit blond imberbe et fort comme un boeuf, les chopines de vin et les canettes sur les tables de marbre branlantes, et, les bras jet?s au cou des buveurs, assises en travers de leurs jambes, elles poussaient ? la consommation. Les trois autres dames formaient une sorte d'aristocratie, et demeuraient r?serv?es ? la compagnie du premier, ? moins pourtant qu'on n'e?t besoin d'elles en bas et que le premier f?t vide. Le salon de Jupiter, o? se r?unissaient les bourgeois de l'endroit, ?tait tapiss? de papier bleu et agr?ment? d'un grand dessin repr?sentant L?da ?tendue sous un cygne. On parvenait dans ce lieu au moyen d'un escalier tournant termin? par une porte ?troite, humble d'apparence, donnant sur la rue, et au-dessus de laquelle brillait toute la nuit, derri?re un treillage, une petite lanterne comme celles qu'on allume encore en certaines villes aux pieds des madones encastr?es dans les murs. Le b?timent, humide et vieux, sentait l?g?rement le moisi. Par moments, un souffle d'eau de Cologne passait dans les couloirs, ou bien une porte entr'ouverte en bas faisait ?clater dans toute la demeure, comme une explosion de tonnerre, les cris populaciers des hommes attabl?s au rez-de-chauss?e, et mettait sur la figure des messieurs du premier une moue inqui?te et d?go?t?e. Les trois dames du premier s'appelaient Fernande, Rapha?le et Rosa la Rosse. Le personnel ?tant restreint, on avait t?ch? que chacune d'elles f?t comme un ?chantillon, un r?sum? de type f?minin, afin que tout consommateur p?t trouver l?, ? peu pr?s du moins, la r?alisation de son id?al. Rosa la Rosse, une petite boule de chair tout en ventre avec des jambes minuscules, chantait du matin au soir, d'une voix ?raill?e, des couplets alternativement grivois ou sentimentaux, racontait des histoires interminables et insignifiantes, ne cessait de parler que pour manger et de manger que pour parler, remuait toujours, souple comme un ?cureuil malgr? sa graisse et l'exigu?t? de ses pattes; et son rire, une cascade de cris aigus, ?clatait sans cesse, de-ci, de-l?, dans une chambre, au grenier, dans le caf?, partout, ? propos de rien. Une paix jalouse, mais rarement troubl?e, r?gnait entre ces cinq femmes, gr?ce ? la sagesse conciliante de Madame et ? son intarissable bonne humeur. L'?tablissement, unique dans la petite ville, ?tait assid?ment fr?quent?. Madame avait su lui donner une tenue si comme il faut; elle se montrait si aimable, si pr?venante envers tout le monde; son bon coeur ?tait si connu, qu'une sorte de consid?ration l'entourait. Les habitu?s faisaient des frais pour elle, triomphaient quand elle leur t?moignait une amiti? plus marqu?e; et lorsqu'ils se rencontraient dans le jour pour leurs affaires, ils se disaient: < ce soir, o? vous savez>>, comme on se dit: < Enfin la maison Tellier ?tait une ressource, et rarement quelqu'un manquait au rendez-vous quotidien. Or, un soir, vers la fin du mois de mai, le premier arriv?, M. Poulin, marchand de bois et ancien maire, trouva la porte close. La petite lanterne, derri?re son treillage, ne brillait point; aucun bruit ne sortait du logis, qui semblait mort. Il frappa, doucement d'abord, avec plus de force ensuite; personne ne r?pondit. Alors il remonta la rue ? petits pas, et, comme il arrivait sur la place du March?, il rencontra M. Duvert, l'armateur, qui se rendait au m?me endroit. Ils y retourn?rent ensemble sans plus de succ?s. Mais un grand bruit ?clata soudain tout pr?s d'eux, et, ayant tourn? la maison, ils aper?urent un rassemblement de matelots anglais et fran?ais qui heurtaient ? coups de poing les volets ferm?s du caf?. Les trois hommes firent un grand crochet jusqu'au quai, trouv?rent en route le jeune M. Philippe, fils du banquier, un habitu?, et M. Pimpesse, le percepteur. Tous ensemble revinrent alors par la rue < Ils rencontr?rent encore M. Dupuis, l'agent d'assurances, puis M. Vasse, le juge au tribunal de commerce; et une longue promenade commen?a qui les conduisit ? la jet?e d'abord. Ils s'assirent en ligne sur le parapet de granit et regard?rent moutonner les flots. L'?cume, sur la cr?te des vagues, faisait dans l'ombre des blancheurs lumineuses, ?teintes presque aussit?t qu'apparues, et le bruit monotone de la mer brisant contre les rochers se prolongeait dans la nuit tout le long de la falaise. Lorsque les tristes promeneurs furent rest?s l? quelque temps, M. Tournevau d?clara:--<>--< Apr?s avoir long? la rue que domine la c?te et qu'on appelle: < Les esprits ?tant aigris par l'ennui, on en serait peut-?tre venu aux voies de fait si les autres ne s'?taient interpos?s. M. Pimpesse, furieux, se retira; et aussit?t une nouvelle altercation s'?leva entre l'ancien maire, M. Poulin, et l'agent d'assurances, M. Dupuis, au sujet des appointements du percepteur et des b?n?fices qu'il pouvait se cr?er. Les propos injurieux pleuvaient des deux c?t?s, quand une temp?te de cris formidables se d?cha?na, et la troupe des matelots, fatigu?s d'attendre en vain devant une maison ferm?e, d?boucha sur la place. Ils se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession, et ils vocif?raient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de l'abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur diminuant comme un orage qui s'?loigne; et le silence se r?tablit. M. Poulin et M. Dupuis, enrag?s l'un contre l'autre, partirent, chacun de son c?t?, sans se saluer. Les quatre autres se remirent en marche, et redescendirent instinctivement vers l'?tablissement Tellier. Il ?tait toujours clos, muet, imp?n?trable. Un ivrogne, tranquille et obstin?, tapait des petits coups dans la devanture du caf?, puis s'arr?tait pour appeler ? mi-voix le gar?on Fr?d?ric. Voyant qu'on ne lui r?pondait point, il prit le parti de s'asseoir sur la marche de la porte, et d'attendre les ?v?nements. L'ivrogne, qui ?tait rest? devant la porte, pleurait maintenant comme pleurent les pochards ou les enfants contrari?s. Les bourgeois, enfin, se dispers?rent. Peu ? peu le calme revint sur la cit? troubl?e. De place en place, encore par instants, un bruit de voix s'?levait, puis s'?teignait dans le lointain. Seul, un homme errait toujours, M. Tournevau, le saleur, d?sol? d'attendre au prochain samedi; et il esp?rait on ne sait quel hasard, ne comprenant pas, s'exasp?rant que la police laiss?t fermer ainsi un ?tablissement d'utilit? publique qu'elle surveille et tient sous sa garde. Alors il s'?loigna, comprenant bien que c'?tait fini. L'ivrogne maintenant dormait, ?tendu tout de son long en travers de la porte inhospitali?re. C'est que Madame avait un fr?re ?tabli menuisier en leur pays natal, Virville, dans l'Eure. Du temps que Madame ?tait encore aubergiste ? Yvetot, elle avait tenu sur les fonts baptismaux la fille de ce fr?re qu'elle nomma Constance, Constance Rivet; ?tant elle-m?me une Rivet par son p?re. Le menuisier, qui savait sa soeur en bonne position, ne la perdait pas de vue, bien qu'ils ne se rencontrassent pas souvent, retenus tous les deux par leurs occupations et habitant du reste loin l'un de l'autre. Mais comme la fillette allait avoir douze ans, et faisait, cette ann?e-l?, sa premi?re communion, il saisit cette occasion d'un rapprochement, et il ?crivit ? sa soeur qu'il comptait sur elle pour, la c?r?monie. Les vieux parents ?taient morts, elle ne pouvait refuser ? sa filleule; elle accepta. Son fr?re, qui s'appelait Joseph, esp?rait qu'? force de pr?venances il arriverait peut-?tre ? obtenir qu'on f?t un testament en faveur de la petite, Madame ?tant sans enfants. La profession de sa soeur ne g?nait nullement ses scrupules, et, du reste, personne dans le pays ne savait rien. On disait seulement en parlant d'elle: < Mais, l'?poque de la communion approchant, Madame ?prouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-ma?tresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, m?me pendant un jour. Toutes les rivalit?s entre les dames d'en haut et celles d'en bas ?clateraient infailliblement; puis Fr?d?ric se griserait sans doute, et quand il ?tait gris, il assommait les gens pour un oui ou pour un non. Enfin elle se d?cida ? emmener tout son monde, sauf le gar?on ? qui elle donna sa libert? jusqu'au surlendemain. Le fr?re consult? ne fit aucune opposition, et se chargea de loger la compagnie enti?re pour une nuit. Donc, le samedi matin, le train express de huit heures emportait Madame et ses compagnes dans un wagon de seconde classe. Jusqu'? Beuzeville elles furent seules et jacass?rent comme des pies. Mais ? cette gare un couple monta. L'homme, vieux paysan v?tu d'une blouse bleue, avec un col pliss?, des manches larges serr?es aux poignets et orn?es d'une petite broderie branche, couvert d'un antique chapeau de forme haute dont le poil roussi semblait h?riss?, tenait d'une main un immense parapluie vert, et de l'autre un vaste panier qui laissait passer les t?tes effar?es de trois canards. La femme, raide en sa toilette rustique, avait une physionomie de poule avec un nez pointu comme un bec. Elle s'assit en face de son homme et demeura sans bouger, saisie de se trouver au milieu d'une aussi belle soci?t?. Et c'?tait, en effet, dans le wagon un ?blouissement de couleurs ?clatantes. Madame, tout en bleu, en soie bleue des pieds ? la t?te, portait l?-dessus un ch?le de faux cachemire fran?ais, rouge, aveuglant, fulgurant. Fernande soufflait dans une robe ?cossaise dont le corsage, lac? ? toute force par ses compagnes, soulevait sa croulante poitrine en un double d?me toujours agit? qui semblait liquide sous l'?toffe. Rapha?le, avec une coiffure emplum?e simulant un nid plein d'oiseaux, portait une toilette lilas, paillet?e d'or, quelque chose d'oriental qui seyait ? sa physionomie de Juive. Rosa la Rosse, en jupe rose ? larges volants, avait l'air d'une enfant trop grasse, d'une naine ob?se; et les deux Pompes semblaient s'?tre taill? des accoutrements ?tranges au milieu de vieux rideaux de fen?tre, ces vieux rideaux ? ramages datant de la Restauration. Sit?t qu'elles ne furent plus seules dans le compartiment, ces dames prirent une contenance grave, et se mirent ? parler de choses relev?es pour donner bonne opinion d'elles. Mais ? Bolbec apparut un monsieur ? favoris blonds, avec des bagues et une cha?ne en or, qui mit dans le filet sur sa t?te plusieurs paquets envelopp?s de toile cir?e. Il avait un air farceur et bon enfant. Il salua, sourit et demanda avec aisance:--< Alors le monsieur, qui se trouvait assis entre Rosa la Rosse et le vieux paysan, se mit ? cligner de l'oeil aux trois canards dont les t?tes sortaient du grand panier; puis, quand il sentit qu'il captivait d?j? son public, il commen?a ? chatouiller ces animaux sous le bec, en leur tenant des discours dr?les pour d?rider la soci?t?:--< Rosa s'en m?la, et, se penchant par-dessus les jambes de son voisin, elle embrassa les trois b?tes sur le nez. Aussit?t chaque femme voulut les baiser ? son tour; et le monsieur asseyait ces dames sur ses genoux, les faisait sauter, les pin?ait; tout ? coup il les tutoya. Les deux paysans, plus affol?s encore que leurs volailles, roulaient des yeux de poss?d?s sans oser faire un mouvement, et leurs vieilles figures pliss?es n'avaient pas un sourire, pas un tressaillement. Alors le monsieur, qui ?tait commis voyageur, offrit par farce des bretelles ? ces dames, et, s'emparant d'un de ses paquets, il l'ouvrit. C'?tait une ruse, le paquet contenait des jarreti?res. Il y en avait en soie bleue, en soie rose, en soie rouge, en soie violette, en soie mauve, en soie ponceau, avec des boucles de m?tal form?es par deux amours enlac?s et dor?s. Les filles pouss?rent des cris de joie, puis examin?rent les ?chantillons, reprises par la gravit? naturelle ? toute femme qui tripote un objet de toilette. Elles se consultaient de l'oeil ou d'un mot chuchot?, se r?pondaient de m?me, et Madame maniait avec envie une paire de jarreti?res orang?es, plus larges, plus imposantes que les autres: de vraies jarreti?res de patronne. Add to tbrJar First Page Next Page |
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