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Read Ebook: La Maison Tellier by Maupassant Guy De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1061 lines and 47139 words, and 22 pagesIl y en avait en soie bleue, en soie rose, en soie rouge, en soie violette, en soie mauve, en soie ponceau, avec des boucles de m?tal form?es par deux amours enlac?s et dor?s. Les filles pouss?rent des cris de joie, puis examin?rent les ?chantillons, reprises par la gravit? naturelle ? toute femme qui tripote un objet de toilette. Elles se consultaient de l'oeil ou d'un mot chuchot?, se r?pondaient de m?me, et Madame maniait avec envie une paire de jarreti?res orang?es, plus larges, plus imposantes que les autres: de vraies jarreti?res de patronne. Le monsieur attendait nourrissant une id?e:--< Les deux paysans, fig?s dans l'ahurissement, regardaient de c?t?, d'un seul oeil; et ils ressemblaient si absolument ? des poulets que l'homme aux favoris blonds, en se relevant, leur fit dans le nez < Les vieux descendirent ? Motteville, avec leur panier, leurs canards et leur parapluie: et l'on entendit la femme dire ? son homme en s'?loignant:--< Le plaisant commis porte-balle descendit lui-m?me ? Rouen, apr?s s'?tre montr? si grossier que Madame se vit oblig?e de le remettre vertement ? sa place. Elle ajouta, comme morale:--<> ? Oissel, elles chang?rent de train, et trouv?rent ? une gare suivante M. Joseph Rivet qui les attendait avec une grande charrette pleine de chaises et attel?e d'un cheval blanc. Le menuisier embrassa poliment toutes ces dames et les aida ? monter dans sa carriole. Trois s'assirent sur trois chaises au fond; Rapha?le, Madame et son fr?re, sur les trois chaises de devant, et Rosa, n'ayant point de si?ge, se pla?a tant bien que mal sur les genoux de la grande Fernande; puis l'?quipage se mit en route. Mais, aussit?t, le trot saccad? du bidet secoua si terriblement la voiture que les chaises commenc?rent ? danser, jetant les voyageuses en l'air, ? droite, ? gauche, avec des mouvements de pantins, des grimaces effar?es, des cris d'effroi, coup?s soudain par une secousse plus forte. Elles se cramponnaient aux c?t?s du v?hicule; les chapeaux tombaient dans le dos, sur le nez ou vers l'?paule; et le cheval blanc allait toujours, allongeant la t?te, et la queue droite, une petite queue de rat sans poil dont il se battait les fesses de temps en temps. Joseph Rivet, un pied tendu sur le brancard, l'autre jambe repli?e sous lui, les coudes tr?s ?lev?s, tenait les r?nes, et de sa gorge s'?chappait ? tout instant une sorte de gloussement qui, faisant dresser les oreilles au bidet, acc?l?rait son allure. Des deux c?t?s de la route la campagne verte se d?roulait. Les colzas en fleur mettaient de place en place une grande nappe jaune ondulante d'o? s'?levait une saine et puissante odeur, une odeur p?n?trante et douce, port?e tr?s loin par le vent. Dans les seigles d?j? grands des bluets montraient leurs petites t?tes azur?es que les femmes voulaient cueillir, mais M. Rivet refusa d'arr?ter. Puis parfois, un champ tout entier semblait arros? de sang tant les coquelicots l'avaient envahi. Et au milieu de ces plaines color?es ainsi par les fleurs de la terre, la carriole, qui paraissait porter elle-m?me un bouquet de fleurs aux teintes plus ardentes, passait au trot du cheval blanc, disparaissait derri?re les grands arbres d'une ferme, pour repara?tre au bout du feuillage et promener de nouveau ? travers les r?coltes jaunes et vertes, piqu?es de rouge ou de bleu, cette ?clatante charret?e de femmes qui fuyait sous le soleil. Une heure sonnait quand on arriva devant la porte du menuisier. Elles ?taient bris?es de fatigue et p?les de faim, n'ayant rien pris depuis le d?part. Mme Rivet se pr?cipita, les fit descendre l'une apr?s l'autre, les embrassant aussit?t qu'elles touchaient terre; et elle ne se lassait point de b?coter sa belle-soeur, qu'elle d?sirait accaparer. On mangea dans l'atelier d?barrass? des ?tablis pour le d?ner du lendemain. Une bonne omelette que suivit une andouille grill?e, arros?e de bon cidre piquant, rendit la gaiet? ? tout le monde. Rivet, pour trinquer, avait pris un verre, et sa femme servait, faisait la cuisine, apportait les plats, les enlevait, murmurant ? l'oreille de chacune:--< On r?clama la petite, mais elle ?tait ? l'?glise, ne devant rentrer que le soir. La compagnie alors sortit pour faire un tour dans le pays. C'?tait un tout petit village que traversait une grand'route. Une dizaine de maisons rang?es le long de cette voie unique abritaient les commer?ants de l'endroit, le boucher, l'?picier, le menuisier, le cafetier, le savetier et le boulanger. L'?glise, au bout de cette sorte de rue, ?tait entour?e d'un ?troit cimeti?re; et quatre tilleuls d?mesur?s, plant?s devant son portail, l'ombrageaient tout enti?re. Elle ?tait b?tie en silex taill?, sans style aucun, et coiff?e d'un clocher d'ardoises. Apr?s elle la campagne recommen?ait, coup?e ?a et l? de bouquets d'arbres cachant les fermes. Rivet, par c?r?monie, et bien qu'en v?tements d'ouvrier, avait pris le bras de sa soeur qu'il promenait avec majest?. Sa femme, tout ?mue par la robe ? filets d'or de Rapha?le, s'?tait plac?e entre elle et Fernande. La boulotte Rosa trottait derri?re avec Louise Cocote et Flora Balan?oire, qui boitaillait, ext?nu?e. Les habitants venaient aux portes, les enfants arr?taient leurs jeux, un rideau soulev? laissait entrevoir une t?te coiff?e d'un bonnet d'indienne; une vieille ? b?quille et presque aveugle se signa comme devant une procession; et chacun suivait longtemps du regard toutes les belles dames de la ville qui ?taient venues de si loin pour la premi?re communion de la petite ? Joseph Rivet. Une immense consid?ration rejaillissait sur le menuisier. En passant devant l'?glise, elles entendirent des chants d'enfants: un cantique cri? vers le ciel par des petites voix aigu?s; mais Madame emp?cha qu'on entr?t, pour ne point troubler ces ch?rubins. Apr?s un tour dans la campagne, et l'?num?ration des principales propri?t?s, du rendement de la terre et de la production du b?tail, Joseph Rivet ramena son troupeau de femmes et l'installa dans son logis. La place ?tant fort restreinte, on les avait r?parties deux par deux dans les pi?ces. Rivet, pour cette fois, dormirait dans l'atelier, sur les copeaux; sa femme partagerait son lit avec sa belle-soeur, et, dans la chambre ? c?t?, Fernande et Rapha?le reposeraient ensemble. Louise et Flora se trouvaient install?es dans la cuisine sur un matelas jet? par terre; et Rosa occupait seule un petit cabinet noir au-dessus de l'escalier, contre l'entr?e d'une soupente ?troite o? coucherait, cette nuit-l?, la communiante. Lorsque rentra la petite fille, ce fut sur elle une pluie de baisers; toutes les femmes la voulaient caresser, avec ce besoin d'expansion tendre, cette habitude professionnelle de chatteries, qui, dans le wagon, les avait fait toutes embrasser les canards. Chacune l'assit sur ses genoux, mania ses fins cheveux blonds, la serra dans ses bras en des ?lans d'affection v?h?mente et spontan?e. L'enfant bien sage, toute p?n?tr?e de pi?t?, comme ferm?e par l'absolution, se laissait faire, patiente et recueillie. La journ?e ayant ?t? p?nible pour tout le monde, on se coucha bien vite apr?s d?ner. Ce silence illimit? des champs qui semble presque religieux enveloppait le petit village, un silence tranquille, p?n?trant, et large jusqu'aux astres. Les filles, accoutum?es aux soir?es tumultueuses du logis public, se sentaient ?mues par ce muet repos de la campagne endormie. Elles avaient des frissons sur la peau, non de froid, mais des frissons de solitude venus du coeur inquiet et troubl?. Sit?t qu'elles furent en leur lit, deux par deux, elles s'?treignirent comme pour se d?fendre contre cet envahissement du calme et profond sommeil de la terre. Mais Rosa la Rosse, seule en son cabinet noir, et peu habitu?e ? dormir les bras vides, se sentit saisie par une ?motion vague et p?nible. Elle se retournait sur sa couche, ne pouvant obtenir le sommeil, quand elle entendit, derri?re la cloison de bois contre sa t?te, de faibles sanglots comme ceux d'un enfant qui pleure. Effray?e, elle appela faiblement, et une petite voix entrecoup?e lui r?pondit. C'?tait la fillette qui, couchant toujours dans la chambre de sa m?re, avait peur en sa soupente ?troite. Rosa, ravie, se leva, et doucement, pour ne r?veiller personne, alla chercher l'enfant. Elle l'amena dans son lit bien chaud, la pressa contre sa poitrine en l'embrassant, la dorlota, l'enveloppa de sa tendresse aux manifestations exag?r?es, puis, calm?e elle-m?me, s'endormit. Et jusqu'au jour la communiante reposa son front sur le sein nu de la prostitu?e. Des carrioles arrivaient des communes voisines, d?chargeant au seuil des portes les hautes Normandes en robes sombres, au fichu crois? sur la poitrine et retenu par un bijou d'argent s?culaire. Les hommes avaient pass? la blouse bleue sur la redingote neuve ou sur le vieil habit de drap vert dont les deux basques passaient. Quand les chevaux furent ? l'?curie, il y eut ainsi tout le long de la grande route une double ligne de guimbardes rustiques, charrettes, cabriolets, tilburys, chars ? bancs, voitures de toute forme et de tout ?ge, pench?es sur le nez ou bien cul par terre et les brancards au ciel. La maison du menuisier ?tait pleine d'une activit? de ruche. Ces dames, en caraco et en jupon, les cheveux r?pandus sur le dos, des cheveux maigres et courts qu'on aurait dits ternis et rong?s par l'usage, s'occupaient ? habiller l'enfant. La petite, debout sur une table, ne remuait pas, tandis que Mme Tellier dirigeait les mouvements de son bataillon volant. On la d?barbouilla, on la peigna, on la coiffa, on la v?tit, et, ? l'aide d'une multitude d'?pingles, on disposa les plis de la robe, on pin?a la taille trop large, on organisa l'?l?gance de la toilette. Puis, quand ce fut termin?, on fit asseoir la patiente en lui recommandant de ne plus bouger; et la troupe agit?e des femmes courut se parer ? son tour. La petite ?glise recommen?ait ? sonner. Son tintement fr?le de cloche pauvre montait se perdre ? travers le ciel, comme une voix trop faible, vite noy?e dans l'immensit? bleue. Les communiants sortaient des portes, allaient vers le b?timent communal qui contenait les deux ?coles et la mairie, et situ? tout au bout du pays, tandis que la < Les parents, en tenue de f?te, avec une physionomie gauche et ces mouvements inhabiles des corps toujours courb?s sur le travail, suivaient leurs mioches. Les petites filles disparaissaient dans un nuage de tulle neigeux semblable ? de la cr?me fouett?e, tandis que les petits hommes, pareils ? des embryons de gar?ons de caf?, la t?te encoll?e de pommade, marchaient les jambes ?cart?es, pour ne point tacher leur culotte noire. C'?tait une gloire pour une famille quand un grand nombre des parents, venus de loin, entouraient l'enfant: aussi le triomphe du menuisier fut-il complet. Le r?giment Tellier, patronne en t?te, suivait Constance; et le p?re donnant le bras ? sa soeur, la m?re marchant ? c?t? de Rapha?le, Fernande avec Rosa, et les deux Pompes ensemble, la troupe se d?ployait majestueusement comme un ?tat-major en grand uniforme. L'effet dans le village fut foudroyant. ? l'?cole, les filles se rang?rent sous la cornette de la bonne soeur, les gar?ons sous le chapeau de l'instituteur, un bel homme qui repr?sentait; et l'on partit en attaquant un cantique. Les enfants m?les en t?te allongeaient leurs deux files entre les deux rangs de voitures d?tel?es, les filles suivaient dans le m?me ordre; et tous les habitants ayant c?d? le pas aux dames de la ville par consid?ration, elles arrivaient imm?diatement apr?s les petites, prolongeant encore la double ligne de la procession; trois ? gauche et trois ? droite, avec leurs toilettes ?clatantes comme un bouquet de feu d'artifice. Leur entr?e dans l'?glise affola la population. On se pressait, on se retournait, on se poussait pour les voir. Et des d?votes parlaient presque haut, stup?faites par le spectacle de ces dames plus chamarr?es que les chasubles des chantres. Le maire offrit son banc, le premier banc ? droite aupr?s du choeur, et Mme Tellier y prit place avec sa belle-soeur, Fernande et Rapha?le. Rosa la Rosse et les deux Pompes occup?rent le second banc en compagnie du menuisier. Le choeur de l'?glise ?tait plein d'enfants ? genoux, filles d'un c?t?, gar?ons de l'autre, et les longs cierges qu'ils tenaient en main semblaient des lances inclin?es en tous sens. Puis un silence se fit. Toute l'assistance, d'un seul mouvement, se mit ? genoux, et l'officiant parut, vieux, v?n?rable, avec des cheveux blancs, inclin? sur le calice qu'il portait de sa main gauche. Devant lui marchaient les deux servants en robe rouge, et, derri?re, apparut une foule de chantres ? gros souliers qui s'align?rent des deux c?t?s du choeur. Une petite clochette tinta au milieu du grand silence. L'office divin commen?ait. Le pr?tre circulait lentement devant le tabernacle d'or, faisait des g?nuflexions, psalmodiait de sa voix cass?e, chevrotante de vieillesse, les pri?res pr?paratoires. Aussit?t qu'il s'?tait tu, tous les chantres et le serpent ?clataient d'un seul coup, et des hommes aussi chantaient dans l'?glise, d'une voix moins forte, plus humble, comme doivent chanter les assistants. Le pr?tre, qui s'?tait assis quelque temps, remonta vers l'autel, et, t?te nue, couvert de ses cheveux d'argent, avec des gestes tremblants, il approchait de l'acte surnaturel. C'est alors que Rosa, le front dans ses mains, se rappela tout ? coup sa m?re, l'?glise de son village, sa premi?re communion. Elle se crut revenue ? ce jour-l?, quand elle ?tait si petite, toute noy?e en sa robe blanche, et elle se mit ? pleurer. Elle pleura doucement d'abord: les larmes lentes sortaient de ses paupi?res, puis, avec ses souvenirs, son ?motion grandit, et, le cou gonfl?, la poitrine battante, elle sanglota. Elle avait tir? son mouchoir, s'essuyait les yeux, se tamponnait le nez et la bouche pour ne point crier: ce fut en vain; une esp?ce de r?le sortit de sa gorge, et deux autres soupirs profonds, d?chirants, lui r?pondirent; car ses deux voisines, abattues pr?s d'elle, Louise et Flora, ?treintes des m?mes souvenances lointaines, g?missaient aussi avec des torrents de larmes. Mais comme les larmes sont contagieuses, Madame, ? son tour, sentit bient?t ses paupi?res humides, et, se tournant vers sa belle-soeur, elle vit que tout son banc pleurait aussi. Le pr?tre engendrait le corps de Dieu. Les enfants n'avaient plus de pens?e, jet?s sur les dalles par une esp?ce de peur d?vote; et, dans l'?glise, de place en place, une femme, une m?re, une soeur, saisie par l'?trange sympathie des ?motions poignantes, boulevers?e aussi par ces belles dames ? genoux que secouaient des frissons et des hoquets, trempait son mouchoir d'indienne ? carreaux et, de la main gauche, pressait violemment son coeur bondissant. Comme la flamm?che qui jette le feu ? travers un champ m?r, les larmes de Rosa et de ses compagnes gagn?rent en un instant toute la foule. Hommes, femmes, vieillards, jeunes gars en blouse neuve, tous bient?t sanglot?rent, et sur leur t?te semblait planer quelque chose de surhumain, une ?me ?pandue, le souffle prodigieux d'un ?tre invisible et tout-puissant. Alors, dans le choeur de l'?glise, un petit coup sec retentit: la bonne soeur, en frappant sur son livre, donnait le signal de la communion; et les enfants, grelottant d'une fi?vre divine, s'approch?rent de la table sainte. Toute une file s'agenouillait. Le vieux cur?, tenant en main le ciboire d'argent dor?, passait devant eux, leur offrant, entre deux doigts, l'hostie sacr?e, le corps du Christ, la r?demption du monde. Ils ouvraient la bouche avec des spasmes, des grimaces nerveuses, les yeux ferm?s, la face toute p?le; et la longue nappe ?tendue sous leurs mentons fr?missait comme de l'eau qui coule. Soudain dans l'?glise une sorte de folie courut, une rumeur de foule en d?lire, une temp?te de sanglots avec des cris ?touff?s. Cela passa comme ces coups de vent qui courbent les for?ts; et le pr?tre restait debout, immobile, une hostie ? la main, paralys? par l'?motion, se disant: < Il acheva de donner la communion avec une telle surexcitation de foi que ses jambes d?faillaient sous lui, et quand lui-m?me eut bu le sang de son Seigneur, il s'ab?ma dans un acte de remerciement ?perdu. Derri?re lui le peuple peu ? peu se calmait. Les chantres, relev?s dans la dignit? du surplis blanc, repartaient d'une voix moins s?re, encore mouill?e; et le serpent aussi semblait enrou? comme si l'instrument lui-m?me e?t pleur?. Alors, le pr?tre, levant les mains, leur fit signe de se taire, et passant entre les deux haies de communiants perdus en des extases de bonheur, il s'approcha jusqu'? la grille du choeur. L'assembl?e s'?tait assise au milieu d'un bruit de chaises, et tout le monde ? pr?sent se mouchait avec force. D?s qu'on aper?ut le cur?, on fit silence, et il commen?a ? parler d'un ton tr?s bas, h?sitant, voil?.--< Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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