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Munafa ebook

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Read Ebook: Journal d'un sous-officier 1870 by Delorme Am D E

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Ebook has 507 lines and 50448 words, and 11 pages

JOURNAL D'UN SOUS-OFFICIER

AM?D?E DELORME

?CHOS DES PREMIERS REVERS

Le malheur aigrit. De l? les r?criminations qui se sont entre-crois?es, violentes, acerbes, au lendemain de nos d?sastres. Nul n'a voulu de bonne foi accepter sa part de responsabilit?. Chacun, au lieu de sonder sa conscience, a regard? autour de soi, au-dessus ou au-dessous, selon sa situation, et il lui a ?t? facile de d?couvrir des griefs chez autrui, car il n'est personne qui n'ait eu quelque reproche ? s'adresser. Notre faiblesse ?tait notoire, et le gouvernement imp?rial fut inexcusable de lancer la France dans une folle aventure. Mais a-t-on oubli? comment le peuple fran?ais avait accueilli les premi?res tentatives de cr?ation de la garde nationale mobile? Malgr? leur fiert? de compter le mar?chal Niel parmi leurs compatriotes, les riverains de la Garonne re?urent mal ses d?crets. Ils y r?pondirent en brisant les r?verb?res de Toulouse. Le sort des armes n'e?t-il pas chang?, cependant, si, ? la fin de juillet, quatre-vingts l?gions, organis?es de longue main, avaient pu seconder les efforts de la vaillante arm?e du Rhin?

A vrai dire, les reproches amers ?clat?rent plus tard. Ce fut d'abord de la stupeur ? la nouvelle des d?sastres de Wissembourg, de Froeschwiller et de Forbach. Pr?cieux patrimoine, l'honneur national s'appr?cie ? sa valeur, comme la sant?, quand il a subi une atteinte. La vie sembla s'arr?ter ? Toulouse. Industrie, commerce, tout fut suspendu. Les boutiques restaient ? demi closes, les usines ch?maient. D?s le matin, toute la population se portait sur la place du Capitole. Bourgeois modestes, ouvriers en blouse, aristocrates ? la mise ?l?gante, ?tudiants un peu d?braill?s, tous, confondus en une foule inqui?te, venaient chercher vainement sur les murs de l'H?tel de Ville l'annonce d'un retour de la fortune.

Ces hommes demeuraient mornes, silencieux, comme implant?s dans le sol de la place. Ils s'en arrachaient parfois, d'attente lasse, pour aller inutilement demander si les nouvelles n'?taient pas retenues ? la pr?fecture. Dans ce va-et-vient, personne n'osait marcher t?te haute. Les amis s'accostaient tristement, avec de longs serrements de main et des hochements de t?te d?courag?s, comme pour s'annoncer mutuellement l'agonie d'un ?tre cher. Les rares officiers laiss?s dans les d?p?ts circulaient ? peine, ne se montrant plus au caf?. Par piti? pour eux, on les ?vitait. Du reste, la honte de la d?faite appesantissait le front de tous les Fran?ais, indistinctement, et ils n'osaient plus se regarder en face.

?nervantes journ?es que ces journ?es d'attente du mois d'ao?t, pendant lesquelles on voulait douter, on voulait esp?rer encore. Il fallut se r?signer. Les premiers revers furent confirm?s, avec l'aggravation des plus navrants d?tails. Pourtant le mar?chal de Mac-Mahon ralliait ? Ch?lons les d?bris h?ro?ques de Froeschwiller; Bazaine massait autour de Metz l'arm?e du Rhin, que Forbach avait ? peine entam?e. La victoire, si longtemps attach?e ? nos armes, nous reviendrait peut-?tre. Mais il n'y a pas de douleur si cruelle qu'il ne faille s'en distraire, parce que s'impose l'obligation de vivre. Le marchand forc?ment revint ? son comptoir, l'ouvrier reprit ses outils, en proie ? une sourde rancoeur. Seuls, dans un si grave p?ril, les oisifs durent continuer ? subir le sentiment de leur inutilit?.

Pour moi, j'allais avoir vingt ans. Jamais je n'avais r?v? batailles, et, ? mon grand regret, je ne comptais pas des lieutenants g?n?raux, ni le moindre mareschal de camp dans mes ascendants. Mon p?re ?tait un actif industriel; il avait le d?sir d'?tendre le cercle de ses op?rations ? mesure que chacun de ses quatre fils serait en ?ge de le seconder. Je commen?ais ? m'initier aux affaires, quand la guerre ?clata. Rien ne m'avait donc pr?par? ? l'id?e d'?tre soldat un jour; mais le malheur suscite des vocations soudaines, et il y a des gr?ces d'?tat.

Partout, dans les casernes, dans les ?tablissements priv?s, des ?coles s'?taient ouvertes spontan?ment, d?s la d?claration de guerre, pour l'instruction des cadres de la garde nationale mobile. Je m'?tais fait inscrire au gymnase L?otard, et j'avais d'abord suivi les cours sans plan d?termin?, par imitation de mes camarades qui aimaient mieux devenir officiers que simples gardes. Mais je ne tardai pas ? me passionner pour le maniement du fusil, pour l'?cole de peloton et de compagnie, pour l'escrime ? la ba?onnette. La nuit venue, j'allais, accompagn? d'un de mes jeunes fr?res, faire de longues courses au pas gymnastique, pour m'assouplir et m'entra?ner. Nous rentrions rouges, haletants, ?puis?s; mais ces efforts avaient d?j? leur r?compense. Ils m'?pargnaient les insomnies durant lesquelles je ne cessais de repasser tous les d?tails d?sesp?rants apport?s par le t?l?graphe. Apr?s un bon somme, l'id?e fixe des progr?s ? faire pour h?ter le d?part me reprenait au r?veil, et je retournais de bonne heure au gymnase.

Avant de d?crocher les fusils du r?telier, nous nous pressions autour des moniteurs, pour avoir des nouvelles du ma?tre de la maison. L?otard, le c?l?bre acrobate, ?tait atteint de la petite v?role. Chez cet athl?te, alors dans la force de l'?ge, la maladie avait pris tout d'un coup une violence extr?me. Il d?lirait sans repos, et, ce qui nous attachait le plus ? lui, c'est que son d?lire se changeait en fureur patriotique. Il ne voyait que des Prussiens autour de lui, dans ses hallucinations. Malgr? l'affaiblissement de la fi?vre, les restes de sa vigueur le rendaient encore redoutable; il ne fallait pas moins de deux hommes robustes pour le veiller sans cesse, et, presque d'heure en heure, ils avaient ? lutter corps ? corps avec lui, afin de le maintenir dans le lit d'o? il voulait s'?lancer pour courir sus aux ennemis de la France. Il mourut un matin dans un de ces terribles acc?s.

Cependant, la l?gion des mobiles de la Haute-Garonne s'organisa et mes camarades du gymnase y obtinrent tous des grades. J'estimai d?s lors qu'il n'?tait pas trop ambitieux de ma part de pr?tendre faire ma partie comme simple soldat. Le soir, ? la table de famille, j'annon?ai mon intention de m'engager.

Cette d?claration ?clata comme un obus. A l'exception du compagnon de mes courses nocturnes, personne n'y ?tait pr?par?. Pour les parents, un fils est toujours un enfant: la premi?re manifestation virile ?tonne de sa part, inqui?te un peu, lors m?me qu'il ne s'ensuivrait pas un danger imm?diat. D?s qu'il revendique l'entier usage de son libre arbitre, le jeune homme ?chappe aux siens, en supprimant l'action d'une sollicitude tendre et avis?e. A l'heure critique o? nous ?tions, le p?ril ?tait certain et tout proche. La pens?e en fit venir ? ma m?re deux grosses larmes, qui un instant voil?rent ses yeux bleus, puis roul?rent silencieusement sur son doux visage r?sign?. Mon p?re, mal remis de sa surprise, se contenta de me faire une r?ponse ?vasive.

Ma nuit fut mauvaise. J'?tais partag? entre le regret d'avoir chagrin? ma m?re, la conviction que je ne lui ?pargnerais pas cette ?preuve, et le d?pit de n'avoir pas brusqu? le d?nouement in?luctable. Le lendemain, au d?jeuner, je remis donc la question sur le tapis, non sans un tremblement dans la voix. Mon p?re, voyant de nouveau le front de ma m?re s'assombrir, m'arr?ta net cette fois. Homme de d?cision et coeur-droit, il n'admettait pas les voies d?tourn?es.

<

--Qu'? cela ne tienne, r?pondis-je; j'attendais votre consentement.>>

Et, fort d'une autorisation ainsi surprise, je me rendis, en sortant de table, au commissariat de police.

Mon coeur battait la chamade pendant que, n?gligemment, comme s'accomplit toute besogne coutumi?re, le magistrat remplissait, en me posant les questions n?cessaires, l'imprim? sur lequel grin?ait sa plume agile.

<>

La plume en l'air, le menton appuy? sur sa main gauche, il me d?visageait avec le regard scrutateur et s?v?re d'un juge. Pour conclure, il m'invita ? aller chercher mon p?re. Vainement j'insistai, lui affirmant que j'avais l'assentiment paternel, qu'il pouvait me confier le certificat, et que je le lui rapporterais sur l'heure d?ment sign?. Il d?posa sa plume et me cong?dia poliment.

Ce contretemps me vexa d'abord, parce que tout d?lai irrite une passion sinc?re, et aussi parce que le commissaire semblait douter de ma parole; mais, apr?s tout, ce n'?tait qu'un retard d'une heure. A la r?flexion, je me r?jouissais que la signature de mon p?re sanctionn?t le premier acte solennel de ma vie.

Quant ? lui, mon engagement avait ?t? jusque-l? si loin de sa pens?e, qu'il n'avait pas song? ? v?rifier l'?tendue de ses droits. N?anmoins il ?prouva quelque satisfaction d'apprendre que son autorit? pouvait pr?valoir sur ma r?solution. Il ne se d?dit point toutefois, et se disposa ? m'accompagner sur-le-champ.

Or nous rencontr?mes ? notre porte un de mes camarades qui, peu de jours auparavant, m'avait pr?cis?ment expos? de belles th?ories sur l'imp?t direct du sang. Mon p?re lui ayant dit le but de notre course, quelle ne fut pas ma surprise en le voyant s'exclamer: Henri Roland d?veloppa, pour me d?tourner de mon projet, tous les sophismes que l'ing?nieux int?r?t personnel sait invoquer. <>

A quoi bon discuter? J'entendais sans ?couter, en quelque sorte malgr? moi. Quelle raison e?t pu me vaincre, quand les pleurs de ma m?re ne m'avaient pas ?branl?? Mon p?re aussi gardait le silence; mais il ?coutait, lui, pensif, soucieux. En d?pit de longues pauses tous les dix m?tres, je dirigeais insensiblement la marche vers le commissariat, et, remerciant mon ami, je c?dai le pas ? mon p?re. Il connaissait un peu le commissaire. S'asseyant ? la table o? mon certificat ?tait rest? inachev?, il prit la plume et la plongea dans l'encre. Anxieux, j'attendais le petit grincement que j'avais remarqu? nagu?re.

<>

Les discours de mon ami avaient ?t? trop cruels pour son coeur. Mon affection filiale lui tient compte aujourd'hui de cette h?sitation, mais je fus moins r?sign? jadis. Au surplus, l'heure de ma vingti?me ann?e ?tait proche. Il fallait patienter quelques jours seulement.... Seulement. Mais ces jours me semblaient aussi longs que des semaines, et j'?tais agit?, troubl?, comme par un remords.

Quelque ?loign? que f?t le th??tre des hostilit?s, Toulouse en recevait constamment des ?chos et tout y parlait de la guerre. L'arsenal, la poudrerie activaient leurs travaux, multipliaient leurs envois. Les r?serves rejoignaient les d?p?ts, et ceux-ci dirigeaient chaque jour des d?tachements sur l'arm?e pour combler les vides ou concourir ? la formation des premiers r?giments de marche. Les moblots foisonnaient, luttant entre eux de cr?nerie et d'?l?gance, avec le pantalon bleu ? bande rouge et la vareuse fonc?e propice aux coupes de fantaisie.

Pour rappeler toutefois que l'heure ?tait grave, et que la coquetterie militaire ?tait la parure juv?nile de prochains sacrifices, le cur? de notre paroisse, septuag?naire au coeur chaud, organisa le premier un service fun?bre en m?moire des victimes des batailles perdues. Au milieu de l'?glise froide et nue, dont la richesse est concentr?e dans une des chapelles du transept o? se trouve une Vierge Noire, un catafalque ?levait haut ses draperies. Les trois couleurs apparaissaient aux angles, obscurcies, comme dans le combat, par la fum?e des cierges dont les flammes tremblantes faisaient scintiller l'acier des faisceaux d'armes. Entour?e d'un semis de larmes symboliques, dans un cartouche ? demi cach? sous une palme verte, cette seule inscription:

AUX BRAVES, MORTS POUR LA PATRIE.

La vaste nef et les bas-c?t?s ?taient trop ?troits pour contenir la foule. Malgr? ce concours empress?, un silence saisissant planait au-dessus de ces mille fronts pench?s comme sous la pens?e d'un deuil personnel. Des larmes m?me coulaient; mais, dans la sinc?rit? de mon ?me, je ne plaignais pas, moi, ceux que l'on pleurait. Leur sort me semblait enviable. Tomb?s, ils restaient glorieux, tandis que la honte atteignait les survivants inactifs.

Aussi, au sortir de l'?glise, je me sentis ?trangement remu?, en entendant l'alerte sonnerie des clairons des chasseurs. Le pantalon dans les gu?tres, la tente sur le sac, marmites neuves, grands bidons reluisants, en tenue de campagne, ils partaient, vifs, gais, comme ? la parade. Insoucieux des dangers prochains, ils allaient cr?nement, d'un pas rapide. La certitude de la revanche ne leur e?t pas donn? plus d'entrain, et je fus pris d'?mulation. Un instant, je les suivis; mais presque aussit?t je m'arr?tai court, comme saisi de honte, car, ? la gare, il faudrait les quitter, leur dire adieu. Non, je n'avais pas le droit de les accompagner, n'ayant pas le pouvoir de les suivre jusqu'au bout.

H?las! la nouvelle de la capitulation de Sedan me fut apport?e le lendemain matin au quartier du 72e de ligne, par un officier de mobiles. Le d?sastre surpassait tous les pr?c?dents. La honte nous semblait monter d?mesur?ment, comme les eaux du d?luge. Il s'y m?la chez moi une pr?occupation enfantine: je me demandais avec inqui?tude si la guerre n'allait pas ?tre fatalement termin?e. Aussi, sans peser les chances favorables et les chances contraires, j'applaudis aux r?solutions du gouvernement de la D?fense nationale qui r?pondaient ? mes aspirations et aux sentiments g?n?reux du pays.

Mon r?ve ne se r?alisa pas sit?t que je l'avais esp?r?. Je m'imaginais que, trois ou quatre jours apr?s mon engagement, je serais habill?, ?quip?, arm? et dirig? vers l'arm?e. Il me fallut plus de patience. La plupart de mes chefs, peut-?tre inconsciemment, pratiquaient la calme philosophie de Henri Roland. Pour eux, je n'?tais qu'un num?ro matricule qui prenait sa place entre deux autres et marcherait quand son rang serait appel?.

Or les jours et les jours passaient et rien ne faisait pr?voir que cet appel aurait lieu. Il r?gnait ? la caserne un d?sordre inexprimable. Dans la h?te de former et d'organiser l'arm?e du Rhin, aucune mesure n'avait ?t? prise pour encadrer les r?serves au fur et ? mesure de leur arriv?e. Il n'y avait au d?p?t du 72e qu'une seule compagnie, qui comptait 1400 ou 1500 hommes. Si actifs que fussent le sergent-major et son fourrier, ils ne pouvaient, malgr? un travail forcen? et des veilles prolong?es, y voir clair dans leur comptabilit?. Un dimanche, le chef de bataillon commandant le d?p?t voulut proc?der lui-m?me ? une revue s?rieuse.

Tout le troupeau, car le nom de troupe ne pouvait s'appliquer ? cette cohue, se trouva d?s six heures du matin dans la cour du quartier, et l'appel commen?a:

<>

Le mot ?tait lanc? sur des tons tr?s diff?rents, tant?t en fausset, tant?t en faux-bourdon, ? intervalles in?gaux. Parfois l'appel? ?tait tout proche, plus souvent il ?tait perdu dans la foule ou ? l'autre extr?mit? de la cour. Les noms, peu familiers aux officiers, n'?taient pas toujours intelligiblement prononc?s et plus d'un avait besoin d'?tre r?p?t? pour parvenir ? son adresse. Il fallait perdre plusieurs minutes pour ajouter un rang ? la double file qui, ? la longue, s'allongeait cependant, s'allongeait comme un ver annel?. Mais le groupe compact des non-appel?s paraissait ? peine entam?, et midi approchait. La lassitude ?tait g?n?rale, pour un r?sultat illusoire. Quel avantage de d?nombrer cette foule, puisqu'il ?tait impossible de la sectionner, faute de savoir ? qui confier la surveillance et la direction de chaque peloton!

Le commandant perdit patience et courage. Il fit sonner la soupe, bien avant d'avoir achev? la lecture du contr?le g?n?ral. Cette tentative avort?e tourna contre la discipline. Ceux qui redoutaient encore une surveillance relative s'estim?rent d?s lors s?rs de l'impunit?, et beaucoup en profit?rent pour d?serter ? peu pr?s compl?tement la caserne.

Inutile de dire que je n'?tais pas du nombre. Avec le m?me s?rieux qu'un bambin montant la garde arm? d'un fusil de bois, j'?tais d'une exactitude scrupuleuse ? remplir des devoirs fort mal d?finis. A l'heure o? le quartier ?tait r?guli?rement ouvert, j'allais voir un instant ma famille; mais, pour rien au monde, je n'eusse d?couch?, et ce n'?tait pas la bont? du lit qui m'attirait: pour mieux dire, je n'en avais ni de bon ni de mauvais. Notre caserne ressemblait ? une halle ouverte la nuit aux vagabonds. L'espace ne nous manquait pas. Nous avions la libre disposition de toutes les chambr?es laiss?es vides par le r?giment; mais deux cents ou trois cents fournitures de lit y ?taient clairsem?es: il nous en manquait donc plus de mille. De distance en distance, le long des murs, matelas et paillasses avaient ?t? juxtapos?s par terre, afin d'accro?tre la surface de couchage. Quand, la retraite battue, on rejoignait ? t?tons le coin dont on avait pris possession la veille, il n'?tait pas rare de le trouver occup? par un ronfleur inconnu, d?guenill? et malpropre. Heureux celui qui pouvait alors d?couvrir une planche ou un banc pour y dormir en ?quilibre, plut?t que d'aller s'?tendre sur la brique nue.

Tout a une fin, m?me le d?sordre. L'attention de nos chefs ?tait concentr?e d'ailleurs sur la pr?paration d'un d?tachement de deux cents hommes, au nombre desquels je sollicitai vainement d'?tre compt?. Leur d?part effectu?, la compagnie de d?p?t fut d?doubl?e; d'anciens soldats rengag?s constitu?rent les cadres, et tout prit alors une allure militaire. Les hommes une fois recens?s, il fut assign? ? chacun une place dans les chambr?es: qu'il y e?t des lits ou non, il fallait s'y trouver. Appels r?guliers matin et soir, punitions s?v?res au moindre manquement, et, chaque jour, un nouveau groupe allait troquer des v?tements d?pareill?s ou sordides contre l'uniforme en drap neuf, raide et lustr?.

Fier, je l'?tais, mais non pas ?l?gant. Mon pantalon rouge semblait ?tre n? de l'union de deux sacs; ma veste, en drap gros bleu, e?t pu servir de corsage ? une plantureuse nourrice--pardonnez ? un troupier cette comparaison--et la visi?re de mon k?pi ?tait si longue, que l'ombre en ?tait projet?e sur toute ma figure. Je ne la redressais pas, ? dire vrai, comme c'?tait la mode alors. Au contraire, je m'effor?ais de la rabattre, selon le type d'aujourd'hui, car je tenais ? n'?tre pas confondu avec les nombreux infirmiers que distinguait un beau num?ro blanc.

Il me semblait, en traversant la ville pour me rendre de la caserne ? la maison paternelle, que mon nouvel accoutrement d?t me valoir l'attention g?n?rale, presque des ?gards universels. Loin de l?, personne ne me regardait. Des amis, que j'arr?tai, s'y prirent ? deux fois pour me reconna?tre sous mon banal d?guisement. Apr?s quoi, ils s'esclaff?rent, en me regardant de face, de profil et de dos.

Ce ne fut point le ridicule de ma nouvelle tenue qui frappa ma m?re. Elle aussi pensa qu'? pr?sent j'avais un premier point de ressemblance avec ceux qui, ? l'autre bout de la France, versaient leur sang. Sa tristesse et la gravit? de mon p?re, quand il me consid?ra longuement, t?moign?rent qu'ils pressentaient et redoutaient tous deux une s?paration prochaine. Elle l'?tait en effet. Mais mon ardeur batailleuse devait ?tre longtemps contrari?e, car ce n'?tait pas vers le Nord que j'allais ?tre emmen? loin d'eux.

Le gouvernement de la D?fense nationale avait assum? une lourde t?che. Pour tout r?organiser en face de l'envahisseur, il n'avait pas le loisir d'aller cueillir les violettes cach?es. Il dut accepter les concours qui s'offraient bruyamment, sans trop se pr?occuper des aptitudes. Armand Duportal, ancien d?port? il est vrai, r?dacteur en chef du journal le plus avanc? de Toulouse, fut de la sorte bombard? pr?fet de la Haute-Garonne.

Sur je ne sais quelle plainte de quelques mauvais soldats, le nouveau pr?fet admonesta vertement notre commandant, lequel prit mal la chose. Pour couper court au diff?rend, le ministre de la guerre ordonna par le t?l?graphe notre d?part imm?diat ? destination de Perpignan.

D?m?nager un d?p?t, ce n'est pas une petite affaire. En quarante-huit heures, le stock des magasins fut ? moiti? r?parti entre nous. Chaque objet nous causait une surprise et un embarras nouveaux, et il nous fallut b?cler en un jour ce que les jeunes soldats apprennent d'habitude ? faire en six mois. Pour loger, dans l'armoire minuscule que constitue le havresac, toute sa garde-robe--linge, chaussures, brosses,--et y r?server la place d'honneur aux cartouches, il n'y a pas ? perdre l'?paisseur d'une ?pingle. Tout bien am?nag? en dedans, il reste ? ?difier l'ext?rieur, ce qui n'est pas moins difficile. Tente et couverture doivent ?tre roul?es ensemble, dans des proportions fixes. Piquets, outils, ustensiles de campement, exigent une r?partition ?gale et sym?trique, de peur qu'une ?paule ne devienne jalouse de l'autre. Sur le tout, enfin, il faut, par un miracle d'?quilibre, fixer la gamelle qui, ? l'occasion, servira de garde-manger, et qui semblera ?lever au-dessus du k?pi comme un casque de fer-blanc. Que notre paquetage f?t cette fois ex?cut? selon les meilleures r?gles, je n'oserais l'affirmer. Toujours est-il qu'il nous avait occup?s fort, et qu'il parut abr?ger encore le court d?lai qui nous avait ?t? accord?.

Le d?part devant avoir lieu ? l'aurore, j'avais demand? une permission de minuit pour passer en famille ma derni?re soir?e. Le rendez-vous ?tait chez ma soeur, mari?e depuis quelques ann?es. Par une d?licate attention, elle avait r?uni autour de nos parents ceux de ses amis qu'elle savait m'?tre le plus chers. Elle habitait, je m'en souviens, en face du quartier g?n?ral. De ses fen?tres, nous avions aper?u le g?n?ral de Lorencez faire, nagu?re, son repas d'adieu. Il ?tait seul, vis-?-vis de la g?n?rale, entre leurs enfants. Ce soir-l?, le tic nerveux de sa physionomie toujours grave paraissait s'accentuer. Le hardi soldat de Puebla, peut-?tre disgraci? ? tort, ?tait fond? ? pr?voir la funeste issue d'une guerre imprudente. Cela seul e?t justifi? sa noble tristesse,--? moins que son ambition ne souffr?t d'avoir ? jouer un r?le effac? aupr?s de celui de commandant en chef qui allait malheureusement ?choir ? l'autre h?ros du Mexique?

Pour moi, une situation infime et de modestes devoirs facilement remplis, tout cela me laissait une conscience l?g?re. Tous mes pr?paratifs ?tant termin?s, j'?tais ? l'une de ces heures o?, apr?s une l?g?re fatigue du corps, le repos qui le soulage donne en m?me temps ? l'esprit toute sa pl?nitude et lui rend son enti?re libert?. Heureux de me trouver dans cette r?union amie, je ne songeais pas ? remonter ? sa cause: mon coeur se compl?tait par la sympathie g?n?rale qui semblait rayonner vers moi comme une bienfaisante chaleur. Ma gaiet? ?tait pleine, franche, quoique sans ?clat. Quel instant dans ma vie!

D?s le commencement du repas, la conversation s'anima gr?ce aux efforts de chacun pour para?tre gai. On plaisante et l'on rit; puis on choque le verre, pour boire aux exploits du troupier et ? son heureux retour. L'un de mes fr?res, collectionneur enrag?, me fait promettre de lui rapporter un souvenir prussien, et l'on me souhaite encore de revenir sain et sauf. Pourtant mon beau-fr?re semble proph?tiser: <>. A quoi je r?ponds, ? la toulousaine: <>, pour courir la chance d'une riposte heureuse.

Le repas fut long. Pass?s au salon, nous achevions ? peine de prendre le caf?, que la pendule sonna onze fois. La caserne ?tait assez ?loign?e, et je n'avais que la permission de minuit. Aussit?t rappel? au sentiment de l'exactitude militaire: <>

Que se passa-t-il soudain en moi? Je me penchai vers elle, et, comme si une main d'acier m'e?t ?treint la gorge, je fus un instant sans voix. Un torrent de larmes s'?chappa brusquement de mes yeux. Je sanglotai.... Je n'eus pas conscience du temps qui s'?coula, pendant que, la tenant press?e sur mon coeur, je balbutiais des paroles entrecoup?es, lui promettant que je reviendrais et que nous nous reverrions.

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