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Munafa ebook

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Read Ebook: Journal d'un sous-officier 1870 by Delorme Am D E

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Ebook has 507 lines and 50448 words, and 11 pages

Que se passa-t-il soudain en moi? Je me penchai vers elle, et, comme si une main d'acier m'e?t ?treint la gorge, je fus un instant sans voix. Un torrent de larmes s'?chappa brusquement de mes yeux. Je sanglotai.... Je n'eus pas conscience du temps qui s'?coula, pendant que, la tenant press?e sur mon coeur, je balbutiais des paroles entrecoup?es, lui promettant que je reviendrais et que nous nous reverrions.

Elle avait le calme d'une sainte et contenait son immense douleur. Durant toute la soir?e elle avait ?t? souriante, h?ro?que; parlant peu, mais m'enveloppant sans cesse des caresses de son regard limpide; retenant ses larmes, parce qu'elle savait que je n'aurais pas ?t? joyeux si je l'avais vue triste; courageuse parce que j'avais besoin de courage, car, m'ayant donn? la vie, elle tenait ? m'inspirer aussi les vertus qui l'honorent: <>

Mais l'enfant s'?tait retrouv? en moi, et ma tendresse filiale continuait de se r?pandre en un flot irr?sistible, in?puisable.

Quand je me reconnus, j'?tais ? ses pieds. Nous ?tions seuls. Reprenant enfin courage, je me levai et m'?loignai avec effort. Mais, ? la porte, une id?e me heurta: cet obstacle inerte allait la d?rober pour toujours peut-?tre ? ma vue, placer entre elle et moi l'inconnu, la mort, qui sait? Alors je revins vers elle; je m'?lan?ai dans ses bras de nouveau et la contemplai longuement.

Vingt ann?es d'?tat maladif, six maternit?s et la mort d'un enfant l'avaient amaigrie, affaiblie, sans pouvoir alt?rer sa beaut? modeste et sereine. Cette douce figure encadr?e de bandeaux noirs abondants, ce profil si pur, ne les verrais-je donc plus? Ces beaux yeux bleus au regard indulgent et tendre, ne se l?veraient-ils plus sur moi? Ces l?vres un peu fortes, d'o? jamais, jamais, aucune m?disance ne s'?tait ?chapp?e, ne murmureraient-elles plus pour moi de consolantes paroles?--Pourquoi, cependant? Parce que la patrie l'exigeait. La patrie, abstraction tyrannique, valait-elle un tel sacrifice?

Il faut le croire, car mon affection filiale ?tait vive, profonde, et pourtant, quand, apr?s avoir fr?n?tiquement embrass? ma m?re, je me pr?cipitai hors du salon, n'y voyant plus, ne pouvant plus parler, mon coeur ?tait navr?, d?chir?, mais il ne ressentait l'aigreur d'aucun regret, d'aucun remords. Ma douleur ?tait saine et en quelque sorte fortifiante.

Le lendemain, malgr? l'heure matinale, mon p?re et mes fr?res ?taient ? la gare, accompagn?s de plusieurs amis. Devant tant de t?moignages affectueux, je sentis pr?t ? se renouveler l'acc?s de sensibilit? de la veille; je me h?tai de me d?rober aux regards de la foule indiscr?te. Bient?t le cri de la locomotive annon?a le d?part: le train s'?branla. Quand la gare eut disparu, j'aper?us longtemps le clocher de la basilique de Saint-Sernin dressant son c?ne de briques tout rose sur le champ d'azur du ciel. Il reparaissait encore, puis enfin ne se montra plus.

Pourtant je distinguais toujours le vert feuillage des grands platanes de l'all?e Sainte-Anne, ? l'ombre desquels j'avais si souvent jou? avec mes condisciples dans nos promenades du jeudi; ? son tour il se perdit dans le lointain, et je me demandai s'il me serait donn? de le revoir un jour.

La vie militaire exige une abn?gation compl?te, un entier oubli de soi-m?me. Aussi faut-il, non pas entrer, mais se pr?cipiter dans cette existence. On n'est vraiment soldat qu'apr?s s'?tre ?loign? de sa famille; je commen?ai ? m'en rendre compte, en constatant mon isolement parmi mes compagnons de route, que semblait unir une r?elle fraternit?.

Certaine liaison existait bien entre eux et moi; je leur avais fait les honneurs de Toulouse, o? ils ?taient ?trangers; mais j'avais par l? ob?i ? un sentiment de courtoisie, plut?t qu'au double besoin de me distraire et de me livrer, car, pour satisfaire inconsciemment mon coeur, j'avais tous les jours une heure ou deux ? passer au milieu des miens. La Rochefoucauld l'a dit sans l'avoir invent?: les affections naissent, se d?veloppent et se maintiennent sous l'influence de mutuels int?r?ts. L'expansion de mes camarades ?tablissait entre eux une communion inspir?e par le d?sir d'oublier tout souci personnel, tout regret intime, autant que par l'envie d'amuser les autres et de leur plaire. Ce na?f ?go?sme, ?tant g?n?ral, ne choquait personne. Il ?tablissait au contraire une ?galit? d'humeur parfaite et nivelait des esprits d'origine et d'?ducation bien diverses.

Gabriel Toubet, ? la physionomie intelligente rendue ?trange par des yeux tigr?s, au corps si grand, si maigre, que la capote bleue paraissait flotter dessus comme autour d'une perche, avait abandonn? l'?tude du code pour le maniement du chassepot.

N? d'une Espagnole qu'il n'avait jamais connue, Louis Nareval avait d?s les premi?res hostilit?s quitt? ? Lisbonne son p?re qui l'avait emmen? ? bord d'un vaisseau o? il ?tait m?canicien. Nareval avait h?rit? de sa m?re un coeur ardent. Jaloux aussi, et vindicatif, il s'?tait engag? sous l'impulsion du patriotisme et en m?me temps avec l'?pre d?sir de gagner l'?paulette. Il offrait en un mot un m?lange de nobles ?lans et de petites passions. D'un esprit, vif, mal, cultiv?, il avait rapport? de ses voyages quelques souvenirs int?ressants, quoiqu'il les g?t?t par trop de pr?tention ? ?blouir tout le monde.

Il trouvait ? qui parler dans la toute jeune personne d'un Parisien de dix-sept ans. Le petit Royle ?tait ainsi qualifi? ? cause de son ?ge, bien qu'il f?t long comme une asperge. Il s'?tait gaillardement ?vad? d'une imprimerie pour courir ? la fronti?re, mais non pas ? la fronti?re espagnole. Sa d?convenue avait exalt? le sentiment d'irrespectueuse ind?pendance ancr? au coeur de tout Parisien. Outre que par son bagou faubourien il submergeait ais?ment la science factice de son partenaire, il le froissait dans sa conscience d'autoritaire, car Nareval pr?tendait que l'on respect?t les galons auxquels il aspirait.

Ces discussions entre deux natures violentes eussent ? tout moment mal tourn?, sans la bienfaisante influence du doyen de notre compartiment. Bacannes, arrach? ? un cong? de semestre, avait rendoss? la tunique encore orn?e des insignes du caporalat, et qu'il ne pouvait plus boutonner. L?g?rement gr?l?, le nez en trompette, l'oeil vif et mobile, les l?vres assez ?paisses toujours souriantes, il donnait envie de rire en se montrant, et comme il avait une verve intarissable, un esprit facile, p?tillant, bouffon, force ?tait d'?clater quand il parlait. Or il ne se taisait gu?re. Il ?tait bien second? par Linemer, un compatriote de Toubet, ? l'esprit fin et railleur, un pince-sans-rire.

Le public ?tait repr?sent? par un brave gar?on, paysan ? demi d?grossi, ? face large, ?panouie, respirant la franchise et la bont?. Sans aucune pr?tention personnelle, Dari?s ?coutait et riait tout le temps de bon coeur, encourageant ainsi na?vement la verve des autres comp?res.

La jovialit? de ces bons vivants me gagna d'autant plus vite qu'ils ne s'impos?rent point. S'?tant bien aper?us, au d?part, que j'avais le coeur gros, ils avaient respect? mon silence sans y para?tre prendre garde. Comment ne pas leur en savoir gr?? Comment d'ailleurs entendre Bacannes pendant une heure sans se d?rider?

Pourtant un de nos camarades demeura tout le jour inaccessible ? la gaiet? g?n?rale. Nous le connaissions ? peine. Il ?tait de Toulouse et s'appelait Murette, voil? tout. L'uniforme a le grand avantage d'?tablir une ?galit? parfaite entre tous les conscrits, du jour au lendemain. Pour distinguer le noble du rustre, il n'y a plus aucune particularit? ?trang?re aux ?tres eux-m?mes. Les grossiers v?tements de soldat, aux couleurs voyantes, enl?vent m?me aux physionomies leur aspect ordinaire. Un observateur sagace d?couvre les secrets de l'?me dans les traits du visage; mais, ? vingt ans, chacun est trop d?bordant de soi-m?me pour s'adonner aux patientes ?tudes de l'observation. Pour juger ses camarades, on s'en tient aux r?v?lations qui t?t ou tard jaillissent de leur humeur.

Murette avait une jolie t?te brune; le rapprochement excessif des yeux lui donnait toutefois une expression tr?s dure, presque de cruaut?. Tr?s soigneux, il s'?tait install? des premiers dans un coin, et, au lieu de glisser, comme nous tous, son sac sous les banquettes, il l'avait plac? sur ses genoux, le maintenant debout comme une m?re e?t fait de son enfant. Quand, ? peine le train en marche, tous offrirent ? la ronde les provisions de bouche dont parents ou amis nous avaient combl?s, Murette refusa bri?vement. En le voyant s'obstiner dans son mutisme, tandis que moi-m?me je faisais contre tristesse bon coeur et trinquais comme les autres, plusieurs furent tent?s de le plaindre. Plus d'un regard s?v?re se leva sur l'impitoyable Royle, qui, tout en d?chirant ? belles dents une rondelle de saucisson, murmura:

Monsieur vit de r?gime, et il mange ? sept heures.

Notre faim plus ou moins bien apais?e, notre soif ? peine allum?e, avec quel ?tonnement, m?l? d'un l?ger m?pris, ne v?mes-nous point Murette tirer de sa musette une collation choisie, abondante n?anmoins! Tandis qu'il s'en r?galait ?go?stement, le petit Parisien le nargua, sans d'ailleurs l'?mouvoir:

<>

Apr?s une courte halte ? Narbonne, vers le milieu du jour, il y eut comme une agr?able surprise ? se trouver debout, les mouvements libres, sur le quai de la gare de Perpignan. La ville est ? deux kilom?tres. Dans le demi-jour cr?pusculaire, elle nous apparut, group?e autour de sa citadelle, comme une modeste tortue endormie au pied du monstre que figurait le sombre Canigou, dont la cr?te seule resplendissait encore sous les derniers feux du soleil d?j? invisible dans la plaine.

Le r?giment s'achemina vers la ville, nos rangs form?s tant bien que mal. En somme, c'?tait notre premi?re prise d'armes. L'?quipement ?tait loin d'?tre au complet. Pour ma part, je n'avais pas de ceinturon; mon sabre-ba?onnette pendait pi?trement ? la patte de ma capote, tournant ? chaque pas sur ma hanche. Notre allure manquait peut-?tre d'ensemble, ou, du moins, il nous le semblait, et ce m?contentement de nous-m?mes nous indisposa contre notre nouvelle garnison. Quelques-uns d'ailleurs ?taient d?j? mal pr?par?s, les distractions de Perpignan ne leur paraissant pas pouvoir lutter avec celles de Toulouse. D'autres, les bons soldats, regrettaient un d?placement qui avait entrav? et retard? l'organisation des compagnies de marche: ils en voulaient ? l'autorit? civile, cause de tout le mal, et ils crurent voir dans les regards curieux de la population perpignanaise la manifestation de sentiments peu sympathiques.

Tout cela contribuait ? nous montrer sous un jour d?favorable la capitale du Roussillon. Toujours plein du souvenir de Paris, Royle n'avait pas assez de railleries pour les rues courtes, ?troites et tortueuses, o? notre colonne serpentait. Il ne revenait pas de l'aspect de certaines maisons ? un seul ?tage, surplombant le rez-de-chauss?e: comiquement, il se baissait dans la crainte de les voir s'effondrer. Au tournant de la ruelle, ? mont?e rapide, qui aboutit ? un premier pont-levis, il s'?cria, en jurant, que jamais il n'e?t cru possible de trouver un pavage plus douloureux aux pieds que celui de Toulouse.

La citadelle, de loin, appara?t comme un monticule inoffensif. De pr?s, elle semble inexpugnable. Au lieu d'admirer comme moi, Royle haussa les ?paules, peut-?tre pour secouer, sans en avoir l'air, le sac qu'il commen?ait ? trouver lourd. Le Mont-Val?rien, dit-il, a une autre tournure, et comme le spectacle majestueux de la double enceinte, la vue des cha?nes des portes m'imposait, il ajouta qu'il se moquait pas mal de sa nouvelle prison. Les murs de pierre qui supportent la terre du rempart suintaient comme un caveau; le vent s'engouffrait avec nous en sifflant lugubrement, et je me souvins plus tard de l'impression rapide, mais p?nible, que me fit, ? cet instant pr?cis, dans la nuit tombante, la voix cynique du gavroche d?guis? en soldat.

La cour d'honneur, assez vaste parall?logramme, est form?e par de hauts b?timents qui peuvent abriter environ 3 000 hommes. Le d?p?t du 22e de ligne en occupait une partie au midi, pr?s du donjon, qui date de six si?cles. Nous f?mes distribu?s dans le principal corps de logis qui r?gne ? l'est. Le lendemain matin, des fen?tres du second ?tage, nous d?couvr?mes toute une plaine verdoyante bord?e par une ligne d'un bleu vif que piquaient de tout petits points blancs. C'?tait la M?diterran?e.

A partir de ce jour, je connus pleinement la vie de caserne, dont la monotonie ?tait rompue par la vari?t? des corv?es. Il fallut d'abord s'approvisionner pour la nuit au magasin des lits militaires, et chacun s'en revint avec sa paillasse sur la t?te ? un premier voyage, avec un matelas au second. Corv?e de pain, corv?e de bois. Et jusqu'? la grande peinture ? fresque avec le gros pinceau que tout le monde doit manier sans ?tudes pr?alables!

Le plus p?nible, c'?tait la lutte pour la vie. Comme il n'y avait pour tout le r?giment que deux ordinaires, le repas d'environ six cents hommes se pr?parait dans une seule cuisine; il ?tait r?parti au petit bonheur dans les gamelles align?es sur plusieurs tables apr?s un lavage tr?s sommaire. Il n'?tait pas question de retrouver la sienne; mais, pour en obtenir une quelconque, il se livrait chaque jour, sous l'oeil indiff?rent ou goguenard des cuisiniers aux tabliers sordides, de v?ritables pugilats. Ces combats ? l'eau graisseuse me faisaient reculer. D?jeunant d'une botte de radis, j'allais, pour quelques sous, d?ner le soir avec un de mes camarades dans un modeste cabaret de la ville. Apr?s la retraite, la chambr?e retrouvait, r?unis, les dix compagnons de route.

Il nous manquait les glorieux r?cits de la veill?e, tous les v?t?rans ayant disparu ? Sedan. Mais Bacannes se chargeait toujours d'?gayer les heures o? le sommeil nous fuyait. Ayant vite saisi les travers de Nareval, il les exploitait, de complicit? avec Linemer, au profit de la gaiet? g?n?rale. Chaque soir, ils l'amenaient ? faire le complaisant ?talage de sa petite science. Ils se faisaient ignorants et na?fs jusqu'? la b?tise, et lui se perdait en des d?finitions minutieuses, en des d?tails oiseux, en des descriptions enfantines. Toujours de sang-froid, les interlocuteurs accompagnaient leurs questions de pantomimes folles, ex?cut?es sur la table, en bonnet de coton et en cale?on, ? la lueur vacillante d'une chandelle fumeuse, qui projetait sur les murs et au plafond des ombres mouvantes, grotesques. Aveugl? par l'amour-propre, Nareval s'ex?cutait ind?finiment, en toute conscience. Il se persuadait que nous avions recours ? lui parce qu'il ?tait naturellement d?sign? pour nous primer, nous diriger, pour devenir enfin notre chef.

Cette farce e?t pu se renouveler longtemps; mais, un soir, Royle, ayant d?n? en ville, rentra maussade; le gros vin bleu du Roussillon l'avait peut-?tre alourdi, et il ?prouvait le besoin de dormir. Il d?cha?na le fou rire que nous ?touffions sous nos couvertures, en sabrant la plus belle p?riode de Nareval d'un impitoyable: <>

Nareval se le tint pour dit: Il garda sans doute quelque fiel au fond du coeur, mais il n'osa pas se f?cher, dans la crainte d'augmenter le ridicule. Une sc?ne d'un comique plus sombre, et qui faillit tourner au drame, vint d'ailleurs faire diversion le lendemain.

Murette ?tait rest? dans notre groupe sans devenir plus expansif. Ses yeux semblaient jeter sans cesse un feu plus vif; ses traits r?guliers paraissaient s'affiner. Sa r?serve, ne se d?mentant jamais, ressemblait ? de la fiert?; elle finissait par imposer. Malgr? le souvenir du trait d'?go?sme qui l'avait signal? dans le wagon, il commen?ait ? conqu?rir par son silence une sorte de prestige, lorsqu'un futile incident nous le r?v?la tout entier.

Chacun, l'appel termin?, faisait son petit m?nage, quand sa voix presque inconnue s'?leva, sonore et vibrante. Devant son havresac, qu'il avait vid? sur son lit, il hurlait, se d?clarant vol?. Il lui manquait, je crois, une paire de chaussures qu'il poss?dait en sus de l'ordonnance et que pour ce motif il dissimulait sous son linge. Mais la passion bless?e ne conna?t ni frein ni r?glement. Jamais tr?sor ne fut regrett? comme ces malheureux godillots. Impossible de rendre l'intensit? de la fureur de leur ci-devant propri?taire.

Leur disparition bien constat?e, il courut chez le sergent-major. Un brave homme, qui vint inviter le mauvais plaisant, s'il y en avait un, ? ne pas pousser le jeu plus avant. Tout le monde se d?clara innocent; mais je ne sais qui proposa de fouiller les paillasses.

Pendant la perquisition, Murette multipliait ses impr?cations ? mesure que l'espoir lui ?chappait. Il en vint m?me aux menaces, et il tira son sabre, jurant d'?ventrer le voleur. Toutes les recherches rest?rent infructueuses, heureusement. Alors le sergent-major se f?cha contre le r?clamant. Peine perdue. Murette, insensible aux reproches, ne songeait qu'? la perte subie, et il se roula sur son lit, mordant de rage ses draps et son matelas, pleurant de d?sespoir.

Royle ?tait son voisin. <>

Murette, qui avait beaucoup moins de litt?rature, rugit cependant sous l'injure, heureux qu'une victime s'offr?t ? sa col?re. Quoique fluet, Royle ?tait nerveux: il arr?ta son agresseur, le dompta, en continuant ? l'invectiver en son parler faubourien. <>

Et, en effet, dans les feuilles s?ches de ma?s, les bienheureux souliers chamois, ? semis de clous d'acier, ?taient cach?s. Murette eut un ?clair de joie d'abord, ? la vue de son bien retrouv?. Puis, soup?onnant Royle de l'avoir jou?, il darda sur lui un regard charg? de haine. Mais-il dut mesurer la profondeur du d?go?t qu'il nous inspirait. D?s cet instant, la quarantaine s'?tablit; il se creusa comme un foss? autour de lui. Du reste, sa peau, comme toute sa pacotille, lui appartenant, lui ?tait ch?re: il sollicita et obtint la place de brosseur aupr?s d'un officier que ses fonctions fixaient au d?p?t. Il n'irait pas au feu, et ajoutait cinq francs par mois ? l'argent de son pr?t.

Par le spectacle de passions pouss?es au point de d?s?quilibrer ainsi un homme, les natures simples s'appr?cient mieux. En s'?loignant de Murette, les autres camarades de la chambr?e se rapproch?rent d'autant. Pourtant avec son esprit indisciplin? et frondeur ? l'exc?s, le petit Royle nous choquait aussi. De son plein gr?, il faisait bande ? part; il ?tendait ses relations ext?rieures, qui d'une part lui procuraient quelques bons d?ners, et lui fournissaient d'autre part l'occasion de s'exalter en compagnie de gardes nationaux farouches.

Nareval, de son c?t?, s'?tait repli? en lui-m?me, depuis qu'il s'?tait reconnu mystifi?. Son ambition le rendait d'ailleurs tr?s assidu aupr?s du sergent-major, lequel cherchait ? retenir tous ceux qui savaient tenir une plume. Mais, dans une compagnie de 5 ? 600 hommes, les scribes ne manquaient pas. Le trac? perp?tuel d'interminables ?tats ne nous paraissait pas avancer la lib?ration du territoire. Fr?quemment, Bacannes, Toubet et moi, peu jaloux d'?taler un z?le superflu, nous nous ?chappions, et, le poste de police pass?, les ponts de la citadelle franchis, nous ?prouvions la joie espi?gle de gamins en rupture d'?cole.

Tout au rebours de Royle, nous ?vitions la fr?quentation des civils. C'?tait moins ais? que dans un grand centre. Au caf?, parfois, ? l'auberge, les conversations engag?es avec le patron, ou avec des clients indig?nes, nous avaient ?difi?s sur les tendances radicales de la population. Comme s'il ?tait vrai que l'uniforme a quelque vertu comparable ? la puissance de la tunique de Nessus, nous ?tions d?j? imbus de l'esprit militaire, au point de ne pouvoir admettre que les p?kins osassent formuler sur les officiers des critiques dont l'id?e nous ?tait venue. Nous ne songions ? mettre ? profit nos escapades que pour nous promener.

Par cette porte on se rend ? une belle all?e de platanes, pr?s de laquelle s'?tend la p?pini?re d?partementale. Sans borner nos promenades ? ces endroits fr?quent?s, nous parcourions tous les recoins du paysage que commande le canon de la place. Les innocentes joies du soldat d?soeuvr? me furent alors r?v?l?es. Combien de fois ne nous attard?mes-nous pas ? choisir, tailler et ?plucher des gaules dans les saussaies, pour les jeter une heure apr?s? Quel int?r?t ? voir courir au fil de l'eau d'un ruisseau des brindilles de paille jet?es en amont d'un petit pont et guett?es ? l'aval?

Malgr? la saison avanc?e, le Roussillon ?tait encore couvert d'une v?g?tation puissante, o? apparaissaient ? peine quelques taches de rouille automnale. Nous allions ? travers champs, escaladant des coteaux avant-coureurs des Pyr?n?es, et, de l?, nous nous plaisions ? regarder scintiller au loin la mer sous les rayons du soleil. Puis, allong?s ? l'ombre du gr?le feuillage de quelque olivier, les bras repli?s en oreiller sous notre t?te, nous nous laissions bercer par la brise au parfum salin, contemplant la dentelle d'un vert p?le qui doucement se mouvait sur le champ d'azur infini.

Tout cela m'engourdissait le coeur, je m'en rendais compte: j'aurais voulu chercher des r?actifs dans des exercices et des devoirs p?nibles. D?jouant un jour la surveillance du sergent-major, qui n'entendait pas que les sergents missent la main sur ses scribes, je parvins ? me faire enr?ler dans le piquet de garde.

Sac au dos, fourniment au complet, le d?tachement se dirige d'un pas cadenc? vers l'int?rieur de la ville. En portant les armes devant le poste de police, en entendant mon pied faire r?sonner le pont-levis, et mon bidon cliqueter contre la poign?e de mon sabre-ba?onnette, j'?prouvais une sorte de b?atitude de conscience, m?l?e de fiert? patriotique: Il en faut peu pour ?tre fier et satisfait, ? vingt ans.

Mon piquet allait relever le poste du Castillet. J'eus donc deux fois le plaisir d'?tre pos? en faction sous la vo?te de la porte Notre-Dame. Pour les passants, la sentinelle en armes est la garniture oblig?e de la gu?rite. Jamais je n'avais fait grande attention ? cet ornement anim?. Or, devenu ? mon tour mannequin, je croyais remplir un sacerdoce: mon fusil bien en main, ba?onnette au canon, je me sentais la Force, au service de la Loi. Pour un peu, je me fusse attribu? l'honneur de l'ordre dans lequel s'?coulait le petit flot des promeneurs, allant aux Platanes, et de leur calme quand ils en revenaient.

Comme tr?ve ? la banalit?, je dus faire sortir le poste ? la vue, aussi nouvelle pour moi que pour les habitants, d'un peloton de cuirassiers de l'ex-garde imp?riale. Il venait constituer, ? Perpignan, le noyau d'un nouveau r?giment.

Ces hommes superbes, ? la brillante armure, ?tonnaient dans les rues ?troites, o? ils ne pouvaient s'engager plus de deux ? la fois; mais, avant d'atteindre la vo?te un peu sombre ? l'autre extr?mit? de laquelle je me tenais, ils apparaissaient en pleine lumi?re, resplendissant au soleil, sur le fond des arbres prochains, dans la baie ogivale de la porte ext?rieure. Leurs palefrois, ?nerv?s par un long voyage, caracolaient bruyamment sur le tablier du pont-levis: les cimiers des casques effleuraient le cintre. Dans le cadre romantique du Castillet, avec ses deux petits bastions cr?nel?s, ce groupe de ballade figurait assez un retour de croisade en quelque manoir f?odal.

A la v?rit?, il n'?tait pas n?cessaire de remonter si loin pour voir des h?ros dans ces hommes bard?s de fer. Le souvenir r?cent du d?vouement tragique de leurs fr?res d'armes, ? Reichshofen, ? Mouzon, les rajeunissait, sans les rapetisser.

De grands changements s'?taient produits ? la caserne pendant mes vingt-quatre heures de garde. En dehors des deux compagnies provisoires de d?p?t, on en avait cr?? quatre autres, que l'on avait honor?es de l'?pith?te d'actives, et Nareval ne se tenait pas de joie: il avait gravi le premier ?chelon de la hi?rarchie, caporal. Il ?tait caporal ? la 2e, tandis que je demeurais, quant ? moi, simple pousse-cailloux ? la 4e. Toubet, Bacannes ?taient distribu?s dans les deux autres. De ceux qui avaient compos? notre joyeuse chambr?e, Royle et Dari?s, les deux natures les plus dissemblables, restaient seuls avec moi. Le premier ne me recherchait pas, estimant que, si je n'?tais pas encore galonn?, je ne tarderais pas ? l'?tre.

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