|
Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 1) by Guizot Fran Ois
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 641 lines and 122933 words, and 13 pagesM?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS PARIS--IMPRIM? CHEZ BONAVENTURE ET DECESSOIS. 55, QUAI DES AUGUSTINS. PARIS MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES-?DITEURS RUE VIVIENNE, 2 BIS. M?MOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE MON TEMPS PAR M. GUIZOT TOME PREMIER LA FRANCE AVANT LA RESTAURATION. J'agis autrement que n'ont fait nagu?re plusieurs de mes contemporains; je publie mes M?moires pendant que je suis encore l? pour en r?pondre. Ce n'est point par lassitude du repos, ni pour rouvrir ? d'anciennes luttes une petite ar?ne, ? d?faut de la grande, maintenant ferm?e. J'ai beaucoup lutt? dans ma vie, et avec ardeur. L'?ge et la retraite ont r?pandu, pour moi, leur paix sur le pass?. C'est d'un ciel profond?ment serein que je reporte aujourd'hui mes regards vers cet horizon charg? de tant d'orages. Je sonde attentivement mon ?me, et je n'y d?couvre aucun sentiment qui envenime mes souvenirs. Point de fiel permet beaucoup de franchise. C'est la personnalit? qui alt?re ou d?crie la v?rit?. Voulant parler de mon temps et de ma propre vie j'aime mieux le faire du bord que du fond de la tombe. Pour moi-m?me, j'y trouve plus de dignit?, et pour les autres j'en apporterai, dans mes jugements et dans mes paroles, plus de scrupule. Si des plaintes s'?l?vent, ce que je ne me flatte gu?re d'?viter, on ne dira pas du moins que je n'ai pas voulu les entendre, et que je me suis soustrait au fardeau de mes oeuvres. D'autres raisons encore me d?cident. La plupart des. M?moires sont publi?s ou trop t?t ou trop tard. Trop t?t, ils sont indiscrets ou insignifiants; on dit ce qu'il conviendrait encore de taire, ou bien on tait ce qui serait curieux et utile ? dire. Trop tard, les M?moires ont perdu beaucoup de leur opportunit? et de leur int?r?t; les contemporains ne sont plus l? pour mettre ? profit les v?rit?s qui s'y r?v?lent et pour prendre ? leurs r?cits un plaisir presque personnel. Ils n'ont plus qu'une valeur morale ou litt?raire, et n'excitent plus qu'une curiosit? oisive. Quoique je sache combien l'exp?rience s'?vanouit en passant d'une g?n?ration ? l'autre, je ne crois pas qu'il n'en reste absolument rien, ni que la connaissance pr?cise des fautes des p?res et des raisons de leurs ?checs demeure tout ? fait sans fruit pour les enfants. Je voudrais transmettre ? ceux qui viendront apr?s moi, et qui auront aussi leurs ?preuves, un peu de la lumi?re qui s'est faite, pour moi, ? travers les miennes. J'ai d?fendu tour ? tour la libert? contre le pouvoir absolu et l'ordre contre l'esprit r?volutionnaire; deux grandes causes qui, ? bien dire, n'en font qu'une, car c'est leur s?paration qui les perd tour ? tour l'une et l'autre. Tant que la libert? n'aura pas hautement rompu avec l'esprit r?volutionnaire et l'ordre avec le pouvoir absolu, la France sera ballott?e de crise en crise et de m?compte en m?compte. C'est ici vraiment la cause nationale. Je suis attrist?, mais point troubl? de ses revers; je ne renonce ni ? son service ni ? son triomphe. Dans les ?preuves supr?mes, c'est mon naturel, et j'en remercie Dieu comme d'une faveur, de conserver les grands d?sirs, quelque incertaines ou lointaines que soient les esp?rances. Dans les temps anciens et modernes, de grands historiens, les plus grands, Thucydide, X?nophon, Salluste, C?sar, Tacite, Machiavel, Clarendon, ont ?crit et quelques-uns ont eux-m?mes publi? l'histoire de leur temps et des ?v?nements auxquels ils avaient pris part Je n'entreprends point une telle oeuvre; le jour de l'histoire n'est pas venu pour nous, de l'histoire compl?te et libre, sans r?ticence ni sur les faits ni sur les hommes. Mais mon histoire propre et intime, ce que j'ai pens?, senti et voulu dans mon concours aux affaires de mon pays, ce qu'ont pens?, senti et voulu avec moi les amis politiques auxquels j'ai ?t? associ?, la vie de nos ?mes dans nos actions, je puis dire cela librement, et c'est l? surtout ce que j'ai ? coeur de dire, pour ?tre, sinon toujours approuv?, du moins toujours connu et compris. A cette condition, d'autres marqueront un jour avec justice notre place dans l'histoire de notre temps. Je ne suis entr? qu'en 1814 dans la vie publique; je n'avais servi ni la R?volution ni l'Empire. ?tranger par mon ?ge ? la R?volution, je suis rest? ?tranger ? l'Empire par mes id?es. Depuis que j'ai pris quelque part au gouvernement des hommes, j'ai appris ? ?tre juste envers l'empereur Napol?on: g?nie incomparablement actif et puissant, admirable par son horreur du d?sordre, par ses profonds instincts de gouvernement, et par son ?nergique et efficace rapidit? dans la reconstruction de la charpente sociale. Mais g?nie sans mesure et sans frein, qui n'acceptait ni de Dieu, ni des hommes, aucune limite ? ses d?sirs ni ? ses volont?s, et qui par l? demeurait r?volutionnaire en combattant la r?volution; sup?rieur dans l'intelligence des conditions g?n?rales de la soci?t?, mais ne comprenant qu'imparfaitement, dirai-je grossi?rement, les besoins moraux de la nature humaine, et tant?t leur donnant satisfaction avec un bon sens sublime, tant?t les m?connaissant et les offensant avec un orgueil impie. Qui e?t pu croire que le m?me homme qui avait fait le Concordat et rouvert en France les ?glises enl?verait le pape de Rome et le retiendrait prisonnier ? Fontainebleau? C'est trop de maltraiter ?galement les philosophes et les chr?tiens, la raison et la foi. Entre les grands hommes ses pareils, Napol?on a ?t? le plus n?cessaire ? son temps, car nul n'a fait si promptement ni avec tant d'?clat succ?der l'ordre ? l'anarchie, mais aussi le plus chim?rique en vue de l'avenir, car apr?s avoir poss?d? la France et l'Europe, il a vu l'Europe le chasser, m?me de la France, et son nom demeurera plus grand que ses oeuvres, dont les plus brillantes, ses conqu?tes, ont tout ? coup et enti?rement disparu avec lui. En rendant hommage ? sa grandeur, je ne regrette pas de ne l'avoir appr?ci?e que tard et quand il n'?tait plus; il y avait pour moi, sous l'Empire, trop d'arrogance dans la force et trop de d?dain du droit, trop de r?volution et trop peu de libert?. Je ne renonce point ? l'espoir d'aller vous chercher, ni ? vous recevoir dans mon ermitage: les honn?tes gens doivent, surtout ? pr?sent, se r?unir pour se consoler; les id?es g?n?reuses et les sentiments ?lev?s deviennent tous les jours si rares qu'on est trop heureux quand on les retrouve... Agr?ez de nouveau, je vous en prie, l'assurance de ma haute consid?ration, de mon d?vouement sinc?re, et, si vous le permettez, d'une amiti? que nous commen?ons sous les auspices de la franchise et de l'honneur.>> Entre M. de Chateaubriand et moi, la franchise et l'honneur ont persist?, ? coup s?r, ? travers nos luttes politiques; mais l'amiti? n'y a pas surv?cu. Lien trop beau pour ne pas ?tre rare, et dont il ne faut pas prononcer si vite le nom. Les esprits ?lev?s et un peu susceptibles pour le compte de la dignit? humaine avaient bien raison de ne pas go?ter ce r?gime, et de pr?voir qu'il ne fonderait ni le bonheur, ni la grandeur durable de la France; mais il paraissait, ? cette ?poque, si bien ?tabli dans le sentiment g?n?ral du pays, on ?tait si convaincu de sa force, on pensait si peu ? toute autre chance d'avenir, que, m?me dans cette r?gion haute et ?troite o? l'esprit d'opposition dominait, on trouvait parfaitement simple que les jeunes gens entrassent ? son service, seule carri?re publique qui leur f?t ouverte. Une femme d'un esprit tr?s-distingu? et d'un noble coeur, qui me portait quelque amiti?, madame de R?musat se prit du d?sir de me faire nommer auditeur au Conseil d'?tat; son cousin, M. Pasquier, alors pr?fet de police et que je rencontrais quelquefois chez elle, s'y employa de tr?s-bonne gr?ce; et, de l'avis de mes plus intimes amis, je ne repoussai point cette proposition, quoique, au fond de l'?me, elle me caus?t quelque trouble. C'?tait au minist?re des affaires ?trang?res qu'on avait le projet de me faire attacher. M. Pasquier parla de moi au duc de Bassano, alors ministre de ce d?partement, et au comte d'Hauterive, directeur des Archives. Le duc de Bassano me fit appeler. Je vis aussi M. d'Hauterive, esprit f?cond, ing?nieux et bienveillant pour les jeunes gens dispos?s aux fortes ?tudes. Pour m'essayer, ils me charg?rent de r?diger un m?moire sur une question dont l'Empereur ?tait ou voulait para?tre pr?occup?, l'?change des prisonniers fran?ais d?tenus en Angleterre contre les prisonniers anglais retenus en France. De nombreux documents me furent remis ? ce sujet. Je fis le m?moire, et ne doutant pas que l'Empereur ne voul?t s?rieusement l'?change, je mis soigneusement en lumi?re les principes du droit des gens qui le commandaient et les concessions mutuelles qui devaient le faire r?ussir. Je portai mon travail au duc de Bassano. J'ai lieu de pr?sumer que je m'?tais m?pris sur son v?ritable objet, et que l'empereur Napol?on, regardant les prisonniers anglais qu'il avait en France comme plus consid?rables que les Fran?ais d?tenus en Angleterre, et croyant que le nombre de ces derniers ?tait pour le gouvernement anglais une charge incommode, n'avait au fond nulle intention d'accomplir l'?change. Quoi qu'il en soit, je n'entendis plus parler de mon m?moire ni de ma nomination. Je me permets de dire que j'en eus peu de regret. Il faisait acte de clairvoyance et de bon sens autant que d'esprit g?n?reux en renon?ant si vite et de si bonne gr?ce ? l'exigence qu'il m'avait t?moign?e. Pour le ma?tre qu'il servait, l'opposition de la soci?t? o? je vivais n'avait point d'importance pratique ni prochaine; c'?tait une pure opposition de pens?e et de conversation, sans dessein pr?cis, sans passion efficace, grave pour la longue vue du philosophe, mais indiff?rente ? l'action du politique, et dispos?e ? se contenter longtemps de l'ind?pendance des id?es et des paroles dans l'inaction de la vie. Par ses grands instincts, Napol?on ?tait spiritualiste; les hommes de son ordre ont des ?clairs de lumi?re et des ?lans de pens?e qui leur entr'ouvrent la sph?re des hautes v?rit?s. Dans ses bons moments, le spiritualisme renaissant sous son r?gne, et sapant le mat?rialisme du dernier si?cle, lui ?tait sympathique et agr?able. Mais le despote avait de prompts retours qui l'avertissaient qu'on n'?l?ve pas les ?mes sans les affranchir, et la philosophie spiritualiste de M. Royer-Collard l'offusquait alors autant que l'id?ologie sensualiste de M. de Tracy. C'?tait de plus un des traits de g?nie de Napol?on qu'il se souvenait constamment de ces Bourbons si oubli?s, et savait bien que l? ?taient ses seuls concurrents au tr?ne de France. Au plus fort de ses grandeurs, il avait plus d'une fois exprim? cette id?e, et elle lui revenait plus claire et plus pressante quand il sentait approcher le p?ril. A ce titre encore, M. Royer-Collard et ses amis, dont il connaissait bien les sentiments et les relations, lui ?taient profond?ment suspects et importuns. Non que leur opposition, Napol?on le savait bien aussi, f?t active ni puissante; les ?v?nements ne se d?cidaient pas dans ce petit cercle; mais l? ?taient les plus justes pressentiments de l'avenir et les plus sens?s amis du gouvernement futur. Le jour ?tait venu o? la gloire m?me ne r?pare plus les fautes qu'elle couvre encore. La campagne de 1814, ce chef-d'oeuvre continu d'habilet? et d'h?ro?sme du chef comme des soldats, n'en porta pas moins l'empreinte de la fausse pens?e et de la fausse situation de l'Empereur. Il flotta constamment entre la n?cessit? de couvrir Paris et sa passion de reconqu?rir l'Europe, voulant sauver ? la fois son tr?ne et son ambition, et changeant ? chaque instant de tactique, selon que le p?ril fatal ou la chance favorable lui semblait l'emporter. Dieu vengeait la justice et le bon sens en condamnant le g?nie qui les avait tant brav?s ? succomber dans l'h?sitation et le t?tonnement, sous le poids de ses inconciliables d?sirs et de ses impossibles volont?s. Pendant que Napol?on usait dans cette lutte supr?me les restes de sa fortune et de sa puissance, il ne lui vint d'aucun point de la France, ni de Paris, ni des d?partements, et pas plus de l'opposition que du public, aucune traverse, aucun obstacle. Il n'y avait point d'enthousiasme pour sa d?fense et peu de confiance dans son succ?s; mais personne ne tentait rien contre lui; des conversations malveillantes, quelques avertissements pr?paratoires, quelques all?es et venues ? raison de l'issue qu'on entrevoyait, c'?tait l? tout. L'Empereur agissait en pleine libert? et avec toute la force que comportaient son isolement et l'?puisement moral et mat?riel du pays. On n'a jamais vu une telle inertie publique au milieu de tant d'anxi?t? nationale, ni des m?contents s'abstenant ? ce point de toute action, ni des agents si empress?s ? d?savouer leur ma?tre en restant si dociles ? le servir. C'?tait une nation de spectateurs harass?s, qui avaient perdu toute habitude d'intervenir eux-m?mes dans leur propre sort, et qui ne savaient quel d?no?ment ils devaient d?sirer ou craindre ? ce drame terrible dont ils ?taient l'enjeu. Je me lassai de rester immobile ? ma place devant ce spectacle, et ne pr?voyant pas quand ni comment il finirait, je r?solus, vers le milieu de mars, d'aller ? N?mes passer quelques semaines aupr?s de ma m?re que je n'avais pas vue depuis longtemps. J'ai encore devant les yeux l'aspect de Paris, entre autres de la rue de Rivoli que l'on commen?ait alors ? construire, quand je la traversai le matin de mon d?part: point d'ouvriers, point de mouvement, des mat?riaux entass?s sans emploi, des ?chafaudages d?serts, des constructions abandonn?es faute d'argent, de bras et de confiance, des ruines neuves. Partout, dans la population, un air de malaise et d'oisivet? inqui?te, comme de gens ? qui manquent ?galement le travail et le repos. Pendant mon voyage, sur les routes, dans les villes et dans les campagnes, m?me apparence d'inaction et d'agitation, m?me appauvrissement visible du pays; beaucoup plus de femmes et d'enfants que d'hommes; de jeunes conscrits tristement en marche pour leur corps; des malades et des bless?s refluant ? l'int?rieur; une nation mutil?e et ext?nu?e. Et ? c?t? de cette d?tresse mat?rielle, une grande perplexit? morale, le trouble de sentiments contraires, le d?sir ardent de la paix et la haine violente de l'?tranger; des alternatives, envers Napol?on, d'irritation et de sympathie, tant?t maudit comme l'auteur de tant de souffrances, tant?t c?l?br? comme le d?fenseur de la patrie et le vengeur de ses injures. Et ce qui me frappait comme un mal bien grave, quoique je fusse loin d'en mesurer d?s lors toute la port?e, c'?tait la profonde in?galit? de ces sentiments divers dans les diverses classes de la population. Au sein des classes ais?es et ?clair?es, le d?sir de la paix, le d?go?t des exigences et des aventures du despotisme imp?rial, la pr?voyance raisonn?e de sa chute et les perspectives d'un autre r?gime politique dominaient ?videmment. Le peuple, au contraire, ne sortait par moments de sa lassitude que pour se livrer ? ses col?res patriotiques et ? ses souvenirs r?volutionnaires; le r?gime imp?rial l'avait disciplin? sans le r?former; les apparences ?taient calmes, mais au fond on e?t pu dire des masses populaires, comme des ?migr?s, qu'elles n'avaient rien oubli? ni rien appris. Point d'unit? morale dans le pays; point de pens?e ni de passion commune, malgr? l'exp?rience et le malheur communs. La nation ?tait presque aussi aveugl?ment et aussi profond?ment divis?e dans sa langueur qu'elle l'avait ?t? nagu?re dans ses emportements. J'entrevoyais ces mauvais sympt?mes; mais j'?tais jeune et bien plus pr?occup? des esp?rances de l'avenir que de ses p?rils. J'appris bient?t ? N?mes les ?v?nements accomplis ? Paris; M. Royer-Collard m'?crivit pour me presser de revenir; je partis sur-le-champ, et peu de jours apr?s mon arriv?e, je fus nomm? secr?taire g?n?ral du minist?re de l'int?rieur, que le Roi venait de confier ? l'abb? de Montesquiou. LA RESTAURATION. Les ?trangers! leur souvenir a ?t? la plaie de la Restauration et le cauchemar de la France sous son empire. Sentiment bien l?gitime en soi! La passion jalouse de l'ind?pendance et de la gloire nationales double la force des peuples dans les jours prosp?res et sauve leur dignit? dans les revers. S'il avait plu ? Dieu de me jeter dans les rangs des soldats de Napol?on, peut-?tre cette passion aurait, seule aussi, domin? mon ?me. Plac? dans la vie civile, d'autres id?es, d'autres instincts m'ont fait chercher ailleurs que dans la pr?potence par la guerre la grandeur et la force de mon pays. J'ai aim? et j'aime surtout la politique juste et la libert? sous la loi. J'en d?sesp?rais avec l'Empire; je les esp?rai de la Restauration. On m'a quelquefois reproch? de ne pas m'associer assez vivement aux impressions publiques. Partout o? je les rencontre sinc?res et fortes, je les respecte et j'en tiens grand compte; mais je ne me crois point tenu d'abdiquer ma raison pour les partager, ni de d?serter, pour leur plaire, l'int?r?t r?el et permanent du pays. C'?tait vraiment une absurde injustice de s'en prendre ? la Restauration de la pr?sence de ces ?trangers que l'ambition insens?e de Napol?on avait seule amen?s sur notre sol et que les Bourbons pouvaient seuls en ?loigner par une prompte et s?re paix. Les ennemis de la Restauration se sont jet?s, pour la condamner d?s son premier jour, dans des contradictions ?tranges: ? les en croire, tant?t elle a ?t? impos?e ? la France par les ba?onnettes ennemies; tant?t personne, en 1814, ne se souciait d'elle, pas plus l'Europe que la France; quelques vieilles fid?lit?s, quelques d?fections soudaines, quelques intrigues ?go?stes la firent seules pr?valoir. Pu?ril aveuglement de l'esprit de parti! Plus on prouvera qu'aucune volont? g?n?rale, aucune grande force, int?rieure ou ext?rieure, n'appelait et n'a fait la Restauration, plus on mettra en lumi?re sa force propre et intime et cette n?cessit? sup?rieure qui d?termina l'?v?nement. Je m'?tonne toujours que des esprits libres et distingu?s s'emprisonnent ainsi dans les subtilit?s ou les cr?dulit?s de la passion, et n'?prouvent pas le besoin de regarder les choses en face et de les voir telles qu'elles sont r?ellement. Dans la redoutable crise de 1814, le r?tablissement de la maison de Bourbon ?tait la seule solution naturelle et s?rieuse, la seule qui se rattach?t ? des principes ind?pendants des coups de la force comme des caprices de la volont? humaine. On pouvait en concevoir des alarmes pour les int?r?ts nouveaux de la soci?t? fran?aise; mais, sous l'?gide d'institutions mutuellement accept?es, on pouvait aussi en attendre les deux biens dont la France avait le plus pressant besoin et qui lui manquaient le plus depuis vingt-cinq ans, la paix et la libert?. Gr?ce ? ce double espoir, non-seulement la Restauration s'accomplit sans effort; mais, en d?pit des souvenirs r?volutionnaires, elle fut promptement et facilement accueillie de la France. Et la France eut raison, car la Restauration lui donna en effet la paix et la libert?. Jamais on n'avait plus parl? de paix en France que depuis vingt-cinq ans; l'Assembl?e constituante avait proclam?: < Il en ?tait de la libert? comme de la paix: c?l?br?e et promise d'abord avec enthousiasme, elle avait promptement disparu devant la discorde civile, sans qu'on cess?t de la c?l?brer et de la promettre; puis, pour mettre fin ? la discorde, on avait mis fin aussi ? la libert?. Tant?t on s'?tait enivr? du mot sans se soucier de la r?alit? du fait; tant?t, pour ?chapper ? une fatale ivresse, le fait et le mot avaient ?t? presque ?galement proscrits et oubli?s. La paix et la libert? r?elles revenaient avec la Restauration. La guerre n'?tait, pour les Bourbons, ni une n?cessit?, ni une passion; ils pouvaient r?gner sans recourir chaque jour ? quelque nouveau d?ploiement de forces, ? quelque nouvel ?branlement de l'imagination des peuples. Avec eux, les gouvernements ?trangers pouvaient croire et croyaient en effet ? la paix sinc?re et durable. De m?me la libert? que la France recouvrait en 1814 n'?tait le triomphe ni d'une ?cole philosophique, ni d'un parti politique; les passions turbulentes, les ent?tements th?oriques, les imaginations ? la fois ardentes et oisives n'y trouvaient point la satisfaction de leurs app?tits sans r?gle et sans frein; c'?tait vraiment la libert? sociale, c'est-?-dire la jouissance pratique et l?gale des droits essentiels ? la vie active des citoyens comme ? la dignit? morale de la nation. La Charte se ressentit de cette impolitique conduite; obstin?e et timide ? son tour, et voulant couvrir la retraite de la royaut? comme la r?volution avait voulu couvrir la sienne, elle r?pondit aux pr?tentions du r?gime r?volutionnaire par les pr?tentions de l'ancien r?gime, et se pr?senta comme une pure concession royale, au lieu de se proclamer ce qu'elle ?tait r?ellement, un trait? de paix apr?s une longue guerre, une s?rie d'articles nouveaux ajout?s, d'un commun accord, au pacte d'ancienne union entre la nation et le roi. Ce fut l? contre la Charte, d?s qu'elle parut, le grief des lib?raux de la R?volution: leurs adversaires, les hommes de l'ancien r?gime, lui adressaient d'autres reproches; les plus fougueux, comme les disciples de M. de Maistre, ne lui pardonnaient pas son existence m?me; selon eux, le pouvoir absolu, seul l?gitime en soi, convenait seul ? la France; les mod?r?s, comme M. de Vill?le dans l'?crit qu'il publia ? Toulouse contre la d?claration de Saint-Ouen, accusaient ce plan de constitution, qui devint la Charte, d'?tre une machine d'importation anglaise, ?trang?re ? l'histoire, aux id?es, aux moeurs de la France, < Je ne songe pas ? entrer ici, avec les ap?tres du pouvoir absolu, dans une discussion de principes; en ce qui touche la France et notre temps, l'exp?rience, une exp?rience foudroyante leur a r?pondu. Le pouvoir absolu ne peut appartenir, parmi nous, qu'? la r?volution et ? ses descendants, car eux seuls peuvent, je ne sais pour combien d'ann?es, rassurer les masses sur leurs int?r?ts en leur refusant les garanties de la libert?. Pour la maison de Bourbon et ses partisans, le pouvoir absolu est impossible; avec eux, la France a besoin d'?tre libre; elle n'accepte leur gouvernement qu'en y portant elle-m?me l'oeil et la main. Les objections des mod?r?s ?taient plus sp?cieuses. Le gouvernement ?tabli par la Charte avait, dans ses formes du moins, une physionomie un peu ?trang?re. Peut-?tre aussi pouvait-on dire qu'il supposait dans le pays un ?l?ment aristocratique plus fort et un esprit politique plus exerc? qu'on n'en devait pr?sumer en France. Une autre difficult? plus cach?e, mais r?elle, l'attendait; la Charte n'?tait pas seulement le triomphe de 1789 sur l'ancien r?gime; c'?tait la victoire de l'un des partis lib?raux de 1789 sur ses rivaux comme sur ses ennemis, la victoire des partisans d'une constitution analogue ? la Constitution anglaise sur les auteurs de la Constitution de 1791 et sur les r?publicains aussi bien que sur les d?fenseurs de l'ancienne monarchie. Source f?conde en hostilit?s d'amour-propre; base un peu ?troite pour un ?tablissement nouveau dans un grand et vieil ?tat. Prise en elle-m?me, et en d?pit de ses imperfections propres comme des objections de ses adversaires, la Charte ?tait une machine politique tr?s-praticable; le pouvoir et la libert? y trouvaient de quoi s'exercer ou se d?fendre efficacement, et les ouvriers ont bien plus manqu? ? l'instrument que l'instrument aux ouvriers. Je ne dis que ce que je pense; mais je ne me tiens point pour oblig? de dire, sur les hommes que je rencontre en passant, tout ce que je pense. Je ne dois rien ? M. de Talleyrand; dans ma vie publique, il m'a m?me plut?t desservi que second?; mais quand on a beaucoup connu un homme consid?rable et accept? longtemps avec lui de bons rapports, on se doit ? soi-m?me, sur son compte, quelque r?serve. M. de Talleyrand venait de d?ployer dans la crise de la Restauration une sagacit? hardie et de sang-froid, un grand art de pr?pond?rance, et il devait bient?t d?ployer ? Vienne, dans les affaires de la maison de Bourbon et de la France en Europe, les m?mes qualit?s et d'autres encore aussi peu communes et aussi efficaces. Mais hors d'une crise ou d'un congr?s, il n'?tait ni habile, ni puissant. Homme de cour et de diplomatie, non de gouvernement, et moins de gouvernement libre que de tout autre, il excellait ? traiter par la conversation, par l'agr?ment et l'habile emploi des relations sociales, avec les individus isol?s; mais l'autorit? du caract?re, la f?condit? de l'esprit, la promptitude de r?solution, la puissance de la parole, l'intelligence sympathique des id?es g?n?rales et des passions publiques, tous ces grands moyens d'action sur les hommes r?unis lui manquaient absolument. Il n'avait pas davantage le go?t ni l'habitude du travail r?gulier et soutenu, autre condition du gouvernement int?rieur. Ambitieux et indolent, flatteur et d?daigneux, c'?tait un courtisan consomm? dans l'art de plaire et de servir sans servilit?, pr?t ? tout et capable de toutes les souplesses utiles ? sa fortune en conservant toujours des airs et reprenant au besoin des allures d'ind?pendance; politique sans scrupules, indiff?rent aux moyens et presque aussi au but pourvu qu'il y trouv?t son succ?s personnel, plus hardi que profond dans ses vues, froidement courageux dans le p?ril, propre aux grandes affaires du gouvernement absolu, mais ? qui le grand air et le grand jour de la libert? ne convenaient point; il s'y sentait d?pays? et n'y savait pas agir. Il se h?ta de sortir des Chambres et de France pour aller retrouver ? Vienne sa soci?t? et sa sph?re. Homme de cour autant que M. de Talleyrand et d'ancien r?gime bien plus purement que lui, l'abb? de Montesquiou ?tait plus capable de tenir sa place dans le r?gime constitutionnel. Pour le pratiquer ? cette ?poque d'incertitude, il ?tait en meilleure position. Aupr?s du Roi et des royalistes, il se sentait fort; il avait ?t? in?branlablement fid?le ? sa cause, ? sa classe, ? ses amis, ? son ma?tre; il ne craignait pas qu'on le tax?t de r?volutionnaire, ni qu'on lui jet?t ? la t?te de f?cheux souvenirs. Par son d?sint?ressement bien connu et la simplicit? de sa vie, il avait la confiance des honn?tes gens. Il ?tait d'un caract?re ouvert, d'un esprit agr?able et abondant, prompt ? la conversation, sans se montrer difficile en interlocuteurs. Il savait traiter avec les hommes de condition moyenne, quoiqu'un fond de hauteur et quelquefois m?me d'impertinence aristocratique per??t dans ses mani?res et dans ses paroles; mais les esprits fins s'en apercevaient seuls; la plupart le trouvaient bon homme et sans pr?tentions. Dans les Chambres, il parlait sinon ?loquemment, du moins facilement, spirituellement, et souvent avec une verve agr?able. Il aurait pu bien servir le gouvernement constitutionnel s'il y avait cru et s'il l'avait aim?; mais il l'acceptait sans foi et sans go?t, comme une n?cessit? qu'il fallait ?luder et amoindrir de son mieux en la subissant. Par habitude, par d?f?rence pour son parti, ou plut?t pour sa propre coterie, il revenait sans cesse aux traditions et aux tendances de l'ancien r?gime, et il essayait d'y ramener ses auditeurs par des habilet?s superficielles ou par d'assez mauvaises raisons dont il se payait quelquefois lui-m?me. Un peu en plaisantant, un peu s?rieusement, il offrit un jour ? M. Royer-Collard de lui faire donner par le Roi le titre de comte: < M. de Blacas n'avait point de perplexit? semblable. Non que ce f?t un homme violent, ni un partisan d?cid? de la r?action contre-r?volutionnaire; il ?tait mod?r? par froideur d'esprit et par crainte de compromettre le Roi, auquel il ?tait sinc?rement d?vou?, plut?t que par clairvoyance; mais ni sa mod?ration ni son d?vouement ne lui donnaient aucune intelligence du v?ritable ?tat du pays, ni presque aucun d?sir de s'en pr?occuper. Il resta aux Tuileries ce qu'il ?tait ? Hartwell, un gentilhomme de province, un ?migr?, un courtisan et un favori, fid?le, courageux, ne manquant point de dignit? personnelle ni de savoir-faire domestique, mais sans esprit politique, sans ambition ni activit? d'homme d'?tat, ? peu pr?s aussi ?tranger ? la France qu'il l'?tait avant d'y rentrer. Il faisait obstacle au gouvernement plus qu'il ne pr?tendait ? gouverner lui-m?me, prenait plus de part aux querelles ou aux intrigues du palais qu'aux d?lib?rations du Conseil, et nuisait bien plus aux affaires publiques en n'en tenant nul compte qu'en s'en m?lant. Dans mon inexp?rience et ? mon poste secondaire dans un d?partement sp?cial, j'?tais loin de sentir tout le vice de cette absence d'unit? et de direction efficace dans le gouvernement. L'abb? de Montesquiou m'en parlait quelquefois avec impatience et chagrin; il ?tait de ceux qui ont assez d'esprit et de probit? pour ne pas se faire illusion sur leurs propres fautes. Il avait pris grande confiance en moi: non qu'il ne se f?t fait autour de lui, et jusque dans sa coterie intime, des efforts pour l'en emp?cher; mais avec une ironie lib?rale, il r?pondait ? ceux qui lui reprochaient ma qualit? de protestant: < La Charte promulgu?e et le gouvernement ?tabli, je demandai ? l'abb? de Montesquiou s'il ne serait pas bon que le Roi f?t mettre sous les yeux des Chambres un expos? de la situation dans laquelle, ? l'int?rieur, il avait trouv? la France, constatant ainsi les r?sultats du r?gime qui l'avait pr?c?d?, et faisant pressentir l'esprit de celui qu'il voulait fonder. L'id?e plut au ministre; le Roi l'agr?a; je me mis aussit?t ? l'oeuvre; l'abb? de Montesquiou travailla de son c?t?, car il ?crivait bien et y prenait plaisir; et le 12 juillet, l'Expos? fut pr?sent? aux deux Chambres qui en remerci?rent le roi par des adresses. C'?tait, sans violence comme sans m?nagement, le tableau des souffrances que la guerre illimit?e et continue avait inflig?es ? la France, et des plaies mat?rielles et morales qu'elle laissait ? gu?rir. ?trange tableau ? mettre en regard de ceux que Napol?on, sous le Consulat et l'Empire naissant, avait fait publier aussi, et qui c?l?braient, ? bon droit alors, l'ordre r?tabli, l'administration cr??e, la prosp?rit? ranim?e, tous les excellents effets d'un pouvoir fort, capable et encore sens?. Les deux tableaux ?taient parfaitement vrais l'un et l'autre quoique immens?ment contraires, et c'?tait pr?cis?ment dans leur contraste que r?sidait l'?clatante moralit? ? laquelle l'histoire du despotisme imp?rial venait d'aboutir. L'abb? de Montesquiou aurait d? placer les glorieuses constructions du Consulat ? c?t? des ruines m?rit?es de l'Empire; loin d'y rien perdre, l'impression que son travail ?tait destin? ? produire y aurait gagn?; mais les hommes ne se d?cident gu?re ? louer leurs ennemis, m?me pour leur nuire: en ne retra?ant que les d?sastres de Napol?on, l'Expos? de l'?tat du royaume en 1814 manquait de grandeur et semblait manquer d'?quit?. Par o? cet Expos? faisait honneur au pouvoir qui le pr?sentait, c'?tait par le sentiment moral, l'esprit lib?ral et l'absence de toute charlatanerie qui s'y faisaient remarquer: m?rites dont les gens de bien et de sens ?taient touch?s, mais qui ne frappaient gu?re un public accoutum? au fracas ?blouissant du pouvoir qui venait de tomber. Un autre Expos?, plus sp?cial mais d'un int?r?t plus pressant, fut pr?sent?, peu de jours apr?s, par le ministre des finances ? la Chambre des d?put?s: c'?tait l'?tat des dettes que l'Empire l?guait ? la Restauration, et le plan du ministre pour faire face soit ? cet arri?r?, soit au service des ann?es 1814 et 1815. De tous les hommes de gouvernement de mon temps, je n'en ai connu aucun qui f?t plus v?ritablement que le baron Louis un homme public, passionn? pour l'int?r?t public, ferme ? ?carter toute autre consid?ration et ? s'imposer ? lui-m?me tous les risques comme tous les efforts pour faire r?ussir ce que l'int?r?t public commandait. Et ce n'?tait pas seulement le succ?s de ses mesures financi?res qu'il poursuivait avec ardeur; c'?tait celui de la politique g?n?rale dont elles faisaient partie et ? laquelle il savait les subordonner. En 1830, au milieu de la perturbation qu'avait caus?e la R?volution de juillet, je vins un jour, comme ministre de l'int?rieur, demander au Conseil, o? le baron Louis si?geait aussi comme ministre des finances, de fortes allocations; quelques-uns de nos coll?gues faisaient des objections ? cause des embarras du tr?sor: < Il n'en fut pas de m?me d'une autre mesure ? laquelle je pris une part plus active, le projet de loi sur la presse pr?sent? le 5 juillet 1814 ? la Chambre des d?put?s par l'abb? de Montesquiou, et converti en loi le 21 octobre suivant, apr?s avoir subi, dans l'une et l'autre Chambres, de vifs d?bats et d'importants amendements. Dans sa pens?e premi?re et fondamentale, ce projet ?tait sens? et sinc?re; il avait pour but de consacrer l?gislativement la libert? de la presse comme droit g?n?ral et permanent du pays, et en m?me temps de lui imposer, au lendemain d'une grande r?volution et d'un long despotisme et au d?but du gouvernement libre, quelques restrictions limit?es et temporaires. Les deux personnes qui avaient pris le plus de part ? la r?daction du projet, M. Royer-Collard et moi, nous avions ce double but, rien de moins, rien de plus. On peut se reporter ? un court ?crit que je publiai alors, peu avant la pr?sentation du projet; c'est l? l'esprit et le dessein qu'on y trouvera hautement Proclam?s. Mon bon sens et un peu de fiert? naturelle r?pugnaient invinciblement ? un tel joug. Je n'avais jamais imagin? que le plus excellent syst?me d'institutions d?t ?tre impos? tout ? coup et tout entier ? un pays, sans aucun souci ni des ?v?nements r?cents et des faits actuels, ni des dispositions d'une grande partie du pays lui-m?me et de ses gouvernants n?cessaires. Je voyais non-seulement le Roi, sa famille et la plupart des anciens royalistes, mais aussi dans la France nouvelle une foule de bons citoyens, d'esprits ?clair?s, probablement la majorit? des hommes de sens et de bien, tr?s-inquiets de l'enti?re libert? de la presse et des p?rils qu'elle pouvait faire courir ? la paix publique, ? l'ordre politique, ? l'ordre moral. Sans partager au m?me degr? leurs inqui?tudes, j'?tais moi-m?me frapp? des exc?s o? tombait d?j? la presse, de ce d?luge de r?criminations, d'accusations, de suppositions, de pr?dictions, d'invectives ardentes ou de sarcasmes frivoles qui mena?aient de remettre aux prises tous les partis avec toutes leurs erreurs et tous leurs mensonges, toutes leurs alarmes et toutes leurs haines. En pr?sence de tels sentiments et de tels faits, je me serais pris pour un insens? de n'y avoir aucun ?gard, et je n'h?sitai pas ? penser qu'une limitation temporaire de la libert?, pour les journaux et les pamphlets seulement, n'?tait pas un trop grand sacrifice pour ?carter de tels dangers ou de telles craintes, pour donner du moins au pays le temps de les surmonter lui-m?me en s'y accoutumant. Mais pour le succ?s du bon sens une franchise hardie est indispensable; il fallait que, soit dans le projet, soit dans le d?bat, le gouvernement proclam?t lui-m?me d'abord le droit g?n?ral, puis les limites comme les motifs de la restriction partielle qu'il y proposait; il ne fallait ?luder ni le principe de la libert?, ni le caract?re de la loi d'exception. Il n'en fut point ainsi: ni le Roi ni ses conseillers ne formaient, contre la libert? de la presse, aucun dessein arr?t?; mais il leur en co?tait de la reconna?tre en droit, bien plus que de la subir en fait, et ils auraient souhait? que la loi nouvelle, au lieu de donner au principe ?crit dans la Charte une nouvelle sanction, le laiss?t dans un ?tat un peu vague qui perm?t encore le doute et l'h?sitation. On ne marqua point, en pr?sentant le projet, son vrai sens ni sa juste port?e. Faible lui-m?me et c?dant encore plus aux faiblesses d'autrui, l'abb? de Montesquiou essaya de donner ? la discussion un tour plus moral et litt?raire que politique; ? l'en croire, c'?tait de la protection des lettres et des sciences, du bon go?t et des bonnes moeurs, non de l'exercice et de la garantie d'un droit public qu'il s'agissait. Il fallut un amendement de la Chambre des pairs pour donner ? la mesure le caract?re politique et temporaire qu'elle aurait d? porter d?s l'origine, et qui seul la ramenait ? ses motifs s?rieux comme dans ses limites l?gitimes. Le gouvernement accepta sans h?siter l'amendement; mais son attitude avait ?t? embarrass?e; la m?fiance est, de toutes les passions, la plus cr?dule; elle se r?pandit rapidement parmi les lib?raux; ceux-l? m?me qui n'?taient point ennemis de la Restauration avaient, comme elle, leurs faiblesses; le go?t de la popularit? leur venait et ils n'avaient pas encore appris la pr?voyance; ils saisirent volontiers cette occasion de se faire avec quelque ?clat les d?fenseurs d'un principe constitutionnel et d'un droit public qui, en fait, ne couraient aucun p?ril, mais que le pouvoir avait l'air de m?conna?tre ou d'?luder. Trois des cinq honorables membres qui avaient, les premiers, tent? de contenir le despotisme imp?rial, MM. Raynouard, Gallois et Flaugergues, furent les adversaires d?clar?s du projet de loi; et faute d'avoir ?t?, d?s le premier moment, hardiment pr?sent?e sous son aspect s?rieux et l?gitime, la mesure causa au gouvernement plus de discr?dit qu'elle ne lui valut de s?curit?. La libert? de la presse, cette orageuse garantie de la civilisation moderne, a d?j? ?t?, est et sera la plus rude ?preuve des gouvernements libres, et par cons?quent des peuples libres eux-m?mes qui sont grandement compromis dans les ?preuves de leur gouvernement, puisqu'elles ont pour conclusion derni?re, s'ils y succombent, l'anarchie ou la tyrannie. Gouvernements et peuples libres n'ont qu'une fa?on honorable et efficace de vivre avec la libert? de la presse; c'est de l'accepter franchement sans la traiter complaisamment. Qu'ils n'en fassent ni un martyr, ni une idole; qu'ils lui laissent sa place sans l'?lever au-dessus de son rang. La libert? de la presse n'est ni un pouvoir dans l'?tat, ni le repr?sentant de la raison publique, ni le juge supr?me des pouvoirs de l'?tat; c'est simplement le droit, pour les citoyens, de dire leur avis sur les affaires de l'?tat et sur la conduite du gouvernement: droit puissant et respectable, mais naturellement arrogant et qui a besoin, pour rester salutaire, que les pouvoirs publics ne s'abaissent point devant lui, et qu'ils lui imposent cette s?rieuse et constante responsabilit? qui doit peser sur tous les droits pour qu'ils ne deviennent pas d'abord s?ditieux, puis tyranniques. Je me fais un devoir d'exprimer ici un regret n? d'une faute que j'aurais d?, pour ma part, m'appliquer plus vivement ? pr?venir: on ne tint pas, dans cette r?forme, assez de compte de l'avis et de la situation de M. de Fontanes. Comme grand ma?tre de l'Universit? imp?riale, il avait rendu ? l'instruction publique trop et de trop ?minents services pour que le titre de grand officier de la L?gion d'honneur f?t une compensation suffisante ? la retraite dont le nouveau syst?me faisait, pour lui, une convenance et presque une n?cessit?. Mais ni la r?forme de l'instruction publique, ni aucune autre r?forme n'inspiraient alors grand int?r?t ? la France; elle ?tait en proie ? de bien autres pr?occupations. A peine entr?e dans son nouveau r?gime, une impression soudaine d'alarme et de m?fiance l'avait saisie et s'aggravait de jour en jour. Ce r?gime, c'?tait la libert? avec ses incertitudes, ses luttes et ses p?rils. Personne n'?tait accoutum? ? la libert?, et elle ne contentait personne. De la Restauration, les hommes de l'ancienne France s'?taient promis la victoire; de la Charte, la France nouvelle attendait la s?curit?; ni les uns ni les autres n'obtenaient satisfaction; ils se retrouvaient au contraire en pr?sence, avec leurs pr?tentions et leurs passions mutuelles. Triste m?compte pour les royalistes de voir le Roi vainqueur sans l'?tre eux-m?mes; dure n?cessit? pour les hommes de la R?volution d'avoir ? se d?fendre, eux qui dominaient depuis si longtemps. Les uns et les autres ?taient ?tonn?s et irrit?s de cette situation, comme d'une offense ? leur dignit? et d'une atteinte ? leurs droits. Dans leur irritation, les uns et les autres se livraient, en projet et en paroles, ? toutes les fantaisies, ? tous les emportements de leurs d?sirs ou de leurs alarmes. Parmi les puissants et les riches de l'ancien r?gime, beaucoup ne se refusaient, envers les riches et les puissants nouveaux, ni impertinences, ni menaces. A la cour, dans les salons de Paris, et bien plus encore au fond des d?partements, par les journaux, par les pamphlets, par les conversations, par les incidents journaliers de la vie priv?e, les nobles et les bourgeois, les eccl?siastiques et les la?ques, les ?migr?s et les acqu?reurs de biens nationaux laissaient percer ou ?clater leurs rivalit?s, leurs humeurs, leurs r?ves d'esp?rance ou de crainte. Ce n'?tait l? que la cons?quence naturelle et in?vitable de l'?tat tr?s-nouveau que la Charte mise en pratique inaugurait brusquement en France: pendant la R?volution, on se battait; sous l'Empire, on se taisait; la Restauration avait jet? la libert? au sein de la paix. Dans l'inexp?rience et la susceptibilit? g?n?rales, le mouvement et le bruit de la libert?, c'?tait la guerre civile pr?s de recommencer. Sous l'influence prolong?e de cette libert?, un tel gouvernement, sans passions obstin?es et docile au voeu public quand l'expression en devenait claire, e?t pu se redresser en s'affermissant et suffire mieux ? sa t?che. Mais il lui fallait du temps et le concours du pays. Le pays m?content et inquiet ne sut ni attendre, ni aider. De toutes les sagesses n?cessaires aux peuples libres, la plus difficile est de savoir supporter ce qui leur d?pla?t pour conserver les biens qu'ils poss?dent et acqu?rir ceux qu'ils d?sirent. On a beaucoup agit? la question de savoir quels complots et quels conspirateurs avaient, le 20 mars 1815, renvers? les Bourbons et ramen? Napol?on. D?bat subalterne et qui n'a qu'un int?r?t de curiosit? historique. A coup s?r, il y eut de 1814 ? 1815, et dans l'arm?e et dans la R?volution, parmi les g?n?raux et parmi les conventionnels, bien des plans et bien des men?es contre la Restauration et pour un gouvernement nouveau, l'Empire, la R?gence, le duc d'Orl?ans, la R?publique. Le mar?chal Davoust promettait au parti imp?rial son concours et Fouch? offrait ? tous le sien. Mais si Napol?on f?t rest? immobile ? l'?le d'Elbe, tous ces projets de r?volution auraient probablement avort? ou ?chou? bien des fois, comme ?choua celui des g?n?raux d'Erlon, Lallemand et Lef?vre Desnouettes, ? l'entr?e m?me du mois de mars. La fatuit? des faiseurs de conspirations est infinie, et quand l'?v?nement semble leur avoir donn? raison, ils s'attribuent ? eux-m?mes ce qui a ?t? le r?sultat de causes bien plus grandes et bien plus complexes que leurs machinations. Ce fut Napol?on seul qui renversa en 1815 les Bourbons en ?voquant, de sa personne, le d?vouement fanatique de l'arm?e et les instincts r?volutionnaires des masses populaires. Quelque chancelante que f?t la monarchie nagu?re restaur?e, il fallait ce grand homme et ces grandes forces sociales pour l'abattre. Stup?faite, la France laissa, sans r?sistance comme sans confiance, l'?v?nement s'accomplir. Napol?on en jugea lui-m?me ainsi avec un bon sens admirable: < LES CENT-JOURS. Le Roi parti et l'Empereur rentr? ? Paris, je retournai ? la Facult? des lettres, d?cid? ? rester en dehors de toute men?e secr?te, de toute agitation vaine, et ? reprendre mes travaux historiques et mon cours, non sans un vif regret de la vie politique ? peine ouverte pour moi et tout ? coup ferm?e. A vrai dire, je ne la croyais pas ferm?e sans retour. Non que le prodigieux succ?s de Napol?on ne m'e?t r?v?l? en lui une puissance ? laquelle, depuis que j'avais assist? ? sa chute, j'?tais loin de croire. Jamais la grandeur personnelle d'un homme ne s'?tait d?ploy?e avec un plus foudroyant ?clat; jamais acte plus audacieux et mieux calcul? dans son audace n'avait frapp? l'imagination des peuples. Et les forces ext?rieures ne manquaient pas ? l'homme qui en trouvait tant en lui-m?me et en lui seul. L'arm?e lui appartenait avec un d?vouement ardent et aveugle. Dans les masses populaires, l'esprit r?volutionnaire et l'esprit guerrier, la haine de l'ancien r?gime et l'orgueil national s'?taient soulev?s ? son aspect et se pr?cipitaient ? son service. Il remontait avec un cort?ge passionn? sur un tr?ne d?laiss? ? son approche. On a souvent reproch? aux classes ?lev?es, surtout aux classes moyennes, leur indiff?rence et leur ?go?sme; elles ne consultent, dit-on, que leur int?r?t personnel et sont incapables de d?vouement et de sacrifice. Je suis de ceux qui pensent que les nations, et toutes les classes au sein des nations, et surtout les nations qui veulent ?tre libres, ne peuvent vivre avec s?ret? comme avec honneur qu'? des conditions d'?nergie et de pers?v?rance morale, en sachant faire acte de d?vouement ? leur cause et opposer aux p?rils le courage et les sacrifices. Mais le d?vouement n'exclut pas le bon sens, ni le courage l'intelligence. Il serait trop commode pour les ambitieux et les charlatans d'avoir toujours ? leur disposition des d?vouements hardis et aveugles. C'est trop souvent la condition des passions populaires; ignorante, irr?fl?chie et impr?voyante, la multitude, peuple ou arm?e, devient trop souvent, dans ses g?n?reux instincts, l'instrument et la dupe d'?go?smes bien plus pervers et bien plus indiff?rents ? son sort que celui dont on accuse les classes riches et ?clair?es. Napol?on est peut-?tre, de tous les grands hommes de sa sorte, celui qui a mis le d?vouement, civil et militaire, aux plus rudes ?preuves; et lorsque le 21 juin 1815, envoy? par lui ? la Chambre des repr?sentants, son fr?re Lucien reprochait ? la France de ne pas le soutenir avec assez d'ardeur et de constance, M. de La Fayette avait raison de s'?crier: < Solennel exemple des justices implacables que, Dieu et le temps aidant, les grandes fautes attirent sur leurs auteurs! Les partisans de Napol?on pouvaient contester l'opinion des alli?s sur le voeu de la France; ils pouvaient croire que, pour l'honneur de son ind?pendance, elle lui devait son appui; mais ils ne pouvaient pr?tendre que les nations ?trang?res n'eussent pas aussi leur propre ind?pendance ? coeur, ni leur persuader qu'avec Napol?on ma?tre de la France elles seraient en s?ret?. Nulles promesses, nuls trait?s, nuls embarras, nuls revers ne donnaient confiance dans sa mod?ration future; son caract?re et son histoire enlevaient tout cr?dit ? ses paroles. Et ce n'?taient pas les gouvernements seuls, les rois et leurs conseillers qui se montraient ainsi pr?venus et ali?n?s sans retour; les peuples ?taient bien plus m?fiants et plus ardents contre Napol?on. Il ne les avait pas seulement accabl?s de guerres, de taxes, d'invasions, de d?membrements; il les avait offens?s autant qu'opprim?s. Les Allemands surtout lui portaient une haine violente; ils voulaient venger la reine de Prusse de ses insultes et la nation allemande de ses d?dains. Les paroles dures et blessantes qu'il avait souvent laiss? ?chapper sur leur compte ?taient partout r?p?t?es, r?pandues, comment?es, probablement avec une cr?dule exag?ration. Apr?s la campagne de Russie, l'Empereur causant un jour avec quelques personnes des pertes de l'arm?e fran?aise dans cette terrible ?preuve, l'un des assistants, le duc de Vicence, les estimait ? plus de 200,000 hommes.--< On a pr?tendu, quelques-uns m?me de ses plus chauds admirateurs, qu'? cette ?poque le g?nie et l'?nergie de Napol?on avaient baiss?; on a cherch? dans son embonpoint, dans ses acc?s de langueur, dans ses longs sommeils, l'explication de son insucc?s. Je crois le reproche injuste et la plainte frivole; je n'aper?ois, dans l'esprit et la conduite de Napol?on, durant les Cent-Jours, aucun sympt?me d'affaiblissement; je lui trouve, et dans le jugement et dans l'action, ses qualit?s accoutum?es. Les causes de son mauvais sort sont plus hautes. Il n'?tait plus alors, comme il l'avait ?t? longtemps, port? et soutenu par le sentiment g?n?ral et le besoin d'ordre et de s?curit? d'un grand peuple; il tentait au contraire une mauvaise oeuvre, une oeuvre inspir?e par ses seules passions et ses seules n?cessit?s personnelles, r?prouv?e par le sens moral et le bon sens comme par le v?ritable int?r?t de la France. Et il tentait cette oeuvre profond?ment ?go?ste avec des moyens contradictoires et dans une situation impossible. De l? est venu le revers qu'il a subi comme le mal qu'il a fait. Il avait voulu donner au parti r?volutionnaire plus d'un gage: avant d'en recevoir les bataillons dans la cour de son palais, il en avait appel? dans son conseil les plus anciens et plus c?l?bres chefs. Je doute qu'il attend?t de leur part un tr?s-utile concours. Carnot, habile officier, r?publicain sinc?re et honn?te homme, autant que peut l'?tre un fanatique badaud, devait ?tre un mauvais ministre de l'int?rieur, car il ne poss?dait ni l'une ni l'autre des deux qualit?s essentielles dans ce grand poste, ni la connaissance et le discernement des hommes, ni l'art de les inspirer et de les diriger autrement que par des maximes g?n?rales et d'uniformes circulaires. Napol?on savait mieux que personne comment Fouch? faisait la police: pour lui-m?me d'abord et pour son propre pouvoir, puis pour le pouvoir qui l'employait, et tant qu'il trouvait plus de s?ret? ou d'avantage ? le servir qu'? le trahir. Je n'ai vu le duc d'Otrante que deux fois et dans de courtes conversations; nul homme ne m'a plus compl?tement donn? l'id?e d'une indiff?rence hardie, ironique, cynique, d'un sang-froid imperturbable dans un besoin immod?r? de mouvement et d'importance, et d'un parti-pris de tout faire pour r?ussir, non dans un dessein d?termin?, mais dans le dessein et selon la chance du moment. Il avait conserv?, de sa vie de proconsul jacobin, une certaine ind?pendance audacieuse, et restait un rou? de r?volution, bien qu'il f?t devenu aussi un rou? de gouvernement et de cour. Napol?on, ? coup s?r, ne comptait pas sur un tel homme, et savait bien qu'en le prenant pour ministre, il aurait ? le surveiller plus qu'? s'en servir. Mais il avait besoin que, par les noms propres, le drapeau de la R?volution flott?t clairement sur l'Empire, et il aimait mieux subir Carnot et Fouch? dans son gouvernement que les laisser en dehors, murmurant ou conspirant avec tels ou tels de ses ennemis. Au moment de son retour et dans les premi?res semaines de l'Empire ressuscit?, il retira probablement de ces deux choix l'avantage qu'il s'en ?tait promis; mais quand les p?rils et les difficult?s de sa situation eurent ?clat?, quand il fut aux prises, au dedans avec les lib?raux m?fiants, au dehors avec l'Europe, Carnot et Fouch? devinrent aussi pour lui des difficult?s et des p?rils. Carnot, sans le trahir, le servait gauchement et froidement, car, dans la plupart des circonstances et des questions, il ?tait bien plut?t du bord de l'opposition que de celui de l'Empereur; et Fouch? le trahissait ind?finiment, causant et traitant ? voix basse de sa fin prochaine avec tous ses h?ritiers possibles, comme un m?decin indiff?rent au lit d'un malade d?sesp?r?. M?me chez ses plus intimes et plus d?vou?s serviteurs, Napol?on ne rencontrait plus, comme jadis, une foi implicite, une disposition facile et prompte ? penser et ? agir comme il voulait et quand il voulait. L'ind?pendance d'esprit et le sentiment de la responsabilit? personnelle avaient repris, autour de lui, leurs scrupules et leur empire. Quinze jours apr?s son arriv?e ? Paris, il fit appeler son grand mar?chal, le g?n?ral Bertrand, et lui pr?senta ? contre-signer le d?cret, dat? de Lyon, par lequel il ordonnait la mise en jugement et le s?questre des biens du prince de Talleyrand, du due de Raguse, de l'abb? de Montesquiou, de M. Bellard et de neuf autres personnes qui, en 1814 et avant son abdication, avaient concouru ? sa chute. Le g?n?ral Bertrand s'y refusa: < Je doute qu'il appr?ci?t ? sa juste valeur une des causes, une cause cach?e mais puissante, de sa faiblesse au lendemain d'un si prodigieux succ?s. Malgr? l'humeur, les inqui?tudes, les m?fiances, les col?res qu'avait excit?es le gouvernement de la Restauration, ce fut bient?t, au fond des coeurs, le sentiment g?n?ral qu'il n'y avait pas l? de quoi justifier une r?volution semblable, de tels attentats de la force arm?e contre le pouvoir l?gal, et de tels risques pour la patrie. L'arm?e avait ?t? entra?n?e vers son ancien chef par un mouvement d'affection et de d?vouement g?n?reux encore plus que par des int?r?ts personnels; elle ?tait nationale et populaire: pourtant rien ne pouvait changer la nature des actes ni le sens des mots; la violation des serments, la d?fection sous les armes, le passage subit d'un camp dans le camp contraire ont toujours ?t? condamn?s par l'honneur comme par le devoir, militaire ou civil, et qualifi?s de trahison. Individus, peuples ou arm?es, les hommes en proie ? une passion violente d?daignent souvent, ou m?me ne ressentent pas du tout, au premier moment, l'impression morale qui s'attache naturellement ? leurs actes; mais elle ne tarde gu?re ? repara?tre, et quand elle est second?e par les conseils de la prudence ou par les coups du malheur, elle reprend bient?t son empire. Ce fut le triste destin du gouvernement des Cent-Jours, que l'autorit? du sens moral se range?t du bord des royalistes ses adversaires et que la conscience publique, clairement ou confus?ment, volontiers ou ? contre-coeur, donn?t raison aux jugements s?v?res dont son origine ?tait l'objet. Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2025 All Rights reserved.