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Munafa ebook

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Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 1) by Guizot Fran Ois

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Ebook has 641 lines and 122933 words, and 13 pages

Je doute qu'il appr?ci?t ? sa juste valeur une des causes, une cause cach?e mais puissante, de sa faiblesse au lendemain d'un si prodigieux succ?s. Malgr? l'humeur, les inqui?tudes, les m?fiances, les col?res qu'avait excit?es le gouvernement de la Restauration, ce fut bient?t, au fond des coeurs, le sentiment g?n?ral qu'il n'y avait pas l? de quoi justifier une r?volution semblable, de tels attentats de la force arm?e contre le pouvoir l?gal, et de tels risques pour la patrie. L'arm?e avait ?t? entra?n?e vers son ancien chef par un mouvement d'affection et de d?vouement g?n?reux encore plus que par des int?r?ts personnels; elle ?tait nationale et populaire: pourtant rien ne pouvait changer la nature des actes ni le sens des mots; la violation des serments, la d?fection sous les armes, le passage subit d'un camp dans le camp contraire ont toujours ?t? condamn?s par l'honneur comme par le devoir, militaire ou civil, et qualifi?s de trahison. Individus, peuples ou arm?es, les hommes en proie ? une passion violente d?daignent souvent, ou m?me ne ressentent pas du tout, au premier moment, l'impression morale qui s'attache naturellement ? leurs actes; mais elle ne tarde gu?re ? repara?tre, et quand elle est second?e par les conseils de la prudence ou par les coups du malheur, elle reprend bient?t son empire. Ce fut le triste destin du gouvernement des Cent-Jours, que l'autorit? du sens moral se range?t du bord des royalistes ses adversaires et que la conscience publique, clairement ou confus?ment, volontiers ou ? contre-coeur, donn?t raison aux jugements s?v?res dont son origine ?tait l'objet.

Ce que nous apprenions de Gand nous inqui?tait beaucoup: transactions ou institutions, tous les probl?mes de principe ou de circonstance qu'on se flattait d'avoir r?solus en 1814 ?taient l? remis en question; la lutte ?tait rengag?e entre les royalistes constitutionnels et les absolutistes de r?action ou de cour, entre la Charte et l'ancien r?gime. On s'est souvent complu ? sourire et ? faire sourire en racontant les dissensions, les rivalit?s, les projets, les esp?rances et les craintes qui se d?battaient parmi cette poign?e d'exil?s, autour de ce roi impotent et impuissant. C'est l? un plaisir peu intelligent et peu digne. Qu'importe que le th??tre soit grand ou petit, que les acteurs y paraissent dans la haute ou dans la mauvaise fortune, et que les mis?res de la nature humaine s'y d?ploient sous de brillantes ou de mesquines formes? La grandeur est dans les questions qui s'agitent et les destin?es qui se pr?parent. On traitait ? Gand la question de savoir comment la France serait gouvern?e quand ce vieux roi sans ?tats et sans soldats serait appel? une seconde fois ? s'interposer entre elle et l'Europe. Le probl?me et l'?v?nement en perspective ?taient assez grands pour pr?occuper dignement les hommes s?rieux et les bons citoyens.

T?moin de ces doutes inquiets des ?trangers sur l'avenir qu'ils pr?paraient eux-m?mes, M. de Talleyrand, ? Vienne, avait aussi les siens. ? travers toutes les transformations de sa politique et de sa vie, et quoique la derni?re e?t fait de lui le repr?sentant de l'ancienne royaut?, il ne voulait pas et n'a jamais voulu se s?parer de la R?volution; il y tenait par des actes trop d?cisifs, il l'avait accept?e et servie sous trop de formes diverses pour ne pas se trouver lui-m?me vaincu si elle ?tait vaincue; point r?volutionnaire par nature, ni par go?t, c'?tait dans le camp de la r?volution qu'il avait grandi et fait sa fortune; il n'en pouvait sortir avec s?ret?; il y a des d?fections que l'?go?sme habile ne se permet pas. Mais la situation g?n?rale et la sienne propre ne l'en pr?occupaient que plus vivement: que deviendraient la cause et les hommes de la R?volution sous la seconde Restauration pr?s de s'accomplir? Que deviendrait cette seconde Restauration elle-m?me si elle ne savait pas se gouverner et se maintenir mieux que n'avait fait la premi?re? Dans la seconde comme dans la premi?re, M. de Talleyrand jouait un grand r?le et rendait ? la royaut? d'?minents services. Quel en serait, pour lui, le fruit? Ses conseils seraient-ils ?cout?s et son influence accept?e? Aurait-il encore l'abb? de Montesquiou et M. de Blacas pour rivaux? Je ne crois pas qu'il ait h?sit?, ? cette ?poque, sur la cause qu'il lui convenait de servir; mais, sentant sa force et le besoin que la maison de Bourbon avait de lui, il laissait clairement entrevoir son humeur du pass? et ses inqui?tudes pour l'avenir.

J'?tais le plus jeune et le plus disponible de cette petite r?union. On m'engagea ? me charger de cette mission, peu agr?able en soi. Je l'acceptai sans h?siter. Quoique j'eusse encore, ? cette ?poque, peu d'exp?rience des animosit?s politiques et de leurs aveugles fureurs, je ne laissais pas d'entrevoir quel parti des ennemis pourraient un jour tirer contre moi d'une semblable d?marche; mais j'aurais honte de moi-m?me si la crainte de la responsabilit? et les appr?hensions de l'avenir pouvaient m'arr?ter quand les circonstances m'appellent ? faire, dans les limites du devoir et de ma propre pens?e, ce que commande, ? mes yeux, l'int?r?t de mon pays.

Je quittai Paris le 23 mai. Une seule circonstance m?rite d'?tre remarqu?e dans mon voyage, la facilit? que je trouvai ? l'accomplir. Non que beaucoup de mesures de police ne fussent prescrites sur les routes et tout le long de la fronti?re; mais la plupart des agents ne mettaient nul empressement, nulle exactitude ? les ex?cuter; on rencontrait dans les paroles, dans le silence, dans les regards, une sorte de tol?rance sous-entendue et presque de connivence tacite; et plus d'une physionomie administrative semblait dire au voyageur inconnu: <>, comme si l'on e?t craint de se faire une mauvaise note ou de nuire ? une oeuvre utile en l'entravant dans le dessein qu'on lui supposait.

Je priai le duc de Duras de demander pour moi, au Roi, une audience particuli?re. Le Roi me re?ut le lendemain, 1er juin, et me garda plus d'une heure. Je n'ai nul go?t pour l'?talage minutieux et arrang? de semblables entretiens; je ne redirai, de celui-ci et de mes impressions, que ce qui, aujourd'hui encore, vaut la peine d'?tre rappel?.

Je fis une visite ? M. de Blacas. Il avait t?moign?, ? mon sujet, quelque humeur: <> Il connaissait tr?s-bien et ma mission et mes amis. Il ne m'en re?ut pas moins avec une politesse parfaite, et j'ajoute avec une honorable franchise, me demandant ce qu'on disait de lui ? Paris et pourquoi on lui en voulait tant. Il me parla m?me de ses mauvais rapports avec l'abb? de Montesquiou, se plaignant des vivacit?s et des boutades qui les avaient brouill?s, au d?triment du service du Roi. Je lui rendis franchise pour franchise, et son attitude, dans tout le cours de notre entretien, fut digne avec un peu de roideur, marquant plus de surprise que d'irritation. Je trouve, dans quelques notes ?crites en sortant de chez lui, cette phrase: <>

C'?tait au milieu de ces discussions non-seulement de principes et de partis, mais d'amours-propres et de coteries que nous attendions, hors de France et ne sachant que faire de notre temps comme de notre ?me, l'issue de la lutte engag?e entre Napol?on et l'Europe. Situation profond?ment douloureuse, que j'acceptais pour servir la cause que je croyais et n'ai pas cess? de croire bonne, mais dont je ressentais, ? chaque heure du jour, toutes les tristesses. Je ne m'arr?terai pas ? les d?crire; rien ne m'est plus antipathique que d'?taler mon propre coeur, surtout quand je sais que beaucoup de ceux qui m'entendront ne voudront ou ne sauront ni me comprendre ni me croire. Je n'en veux point aux hommes de leurs m?prises ni de leurs invectives; c'est la condition de la vie publique; mais je ne me tiens point pour oblig? d'entrer dans de vaines controverses sur moi-m?me, et je sais attendre la justice sans la demander. La bataille de Waterloo vint mettre un terme ? notre immobile anxi?t?. Le Roi quitta Gand le 22 juin, press? par ses plus s?rs amis et par son propre jugement de ne pas perdre une minute pour aller se placer entre la France perplexe et l'invasion ?trang?re. J'en partis le lendemain avec M. Mounier, et le m?me soir nous rejoign?mes le Roi ? Mons, o? il s'?tait arr?t?.

On pouvait en effet esp?rer et se croire au terme de la grande crise qui avait boulevers? la France comme de la petite crise qui venait d'agiter les entours de la royaut?. De toutes parts les choses semblaient se pr?cipiter vers la m?me issue. Le Roi ?tait en France; une politique mod?r?e et nationale pr?valait dans ses conseils et animait ses paroles; le sentiment royaliste ?clatait partout sur son passage, non-seulement dans son ancien parti, mais dans les masses; toutes les mains s'?levaient vers lui comme vers la planche de salut dans le naufrage. Les peuples s'inqui?tent peu d'?tre cons?quents; j'ai vu, ? cette ?poque, dans les d?partements du Nord, la m?me popularit? entourer le Roi exil? et l'arm?e vaincue. A Paris, Napol?on avait abdiqu?, et malgr? des alternatives peu dignes d'abattement ou d'?lan f?brile, de r?signation ou de bouillonnement, il ?tait ?videmment hors d'?tat de rengager la lutte. La Chambre des repr?sentants qui, d?s son d?but, s'?tait montr?e peu favorable au r?gime imp?rial et ennemie des exc?s r?volutionnaires, semblait surtout pr?occup?e du d?sir de traverser un d?fil? p?rilleux en ?vitant toute violence et tout engagement irr?vocable. Les passions populaires grondaient quelquefois, mais se laissaient ais?ment contenir, ou s'arr?taient d'elles-m?mes, comme d?shabitu?es de l'action et de la domination. L'arm?e, dont les corps errants venaient successivement se rallier autour de Paris, ?tait en proie ? une effervescence patriotique, et se f?t pr?cipit?e, et la France avec elle, dans l'ab?me, pour prouver son d?vouement et venger son injure: mais parmi ses anciens et plus illustres chefs, les uns, comme Gouvion Saint-Cyr, Macdonald et Oudinot, s'?taient refus?s ? servir Napol?on et soutenaient ouvertement la cause du Roi; les autres, comme Ney, Davout, Soult, Mass?na, protestaient avec une rude franchise contre des illusions funestes, donnaient leur vieux courage pour passe-port ? de tristes v?rit?s ou ? de sages conseils, et r?primaient, aux d?pens de leur renom de parti, les entra?nements militaires ou les d?sordres populaires; d'autres enfin, comme Drouot, avec un ascendant que m?ritait leur vertu, maintenaient la discipline dans l'arm?e au milieu des douleurs de la retraite sur la Loire, et d?terminaient son ob?issance aux ordres d'un pouvoir civil d?test?. Il y avait, apr?s tant de fautes et de malheurs, et ? travers toutes les diff?rences de situation et d'opinion, un concert spontan? et un effort g?n?ral pour ?viter ? la France les fautes irr?parables et les malheurs supr?mes.

Non-seulement on ne le fit point, mais on fit ou on laissa faire tout ce qu'il fallait pour que la Restauration par?t l'oeuvre de la force ?trang?re seule, et pour faire subir ? la France, apr?s sa d?faite militaire, une d?faite politique et diplomatique. Ce n'est pas d'ind?pendance envers l'Empire ni de bonnes intentions pour la patrie, c'est d'intelligence et de r?solution que la Chambre des Cent-Jours a manqu?; elle ne se pr?ta ni au despotisme imp?rial, ni aux violences r?volutionnaires; elle ne fut l'instrument d'aucun des partis extr?mes; elle s'appliqua honn?tement ? retenir la France sur le bord des ab?mes o? ils auraient voulu la pousser; mais elle ne sut faire que de la politique n?gative; elle louvoya timidement devant le port au lieu d'y entrer r?solument, fermant les yeux quand elle touchait ? la passe, subissant, non par confiance, mais par faiblesse, les aveuglements et les ent?tements des ennemis, anciens ou nouveaux, du Roi qui s'approchait, et se donnant m?me quelquefois, par faiblesse encore, l'air de vouloir des combinaisons qu'au fond elle s'effor?ait d'?luder, tant?t Napol?on II, tant?t le prince quelconque qu'il plairait au peuple souverain de choisir.

Ce fut ? ces h?sitations, ? ces t?tonnements st?riles du seul pouvoir public alors debout qu'un des hommes les plus tristement c?l?bres des plus mauvais temps de la r?volution, Fouch?, dut son importance et son succ?s ?ph?m?res. Quand les honn?tes gens ne savent pas comprendre et accomplir les desseins de la Providence, les malhonn?tes gens s'en chargent; sous le coup de la n?cessit? et au milieu de l'impuissance g?n?rale, il se rencontre toujours des esprits corrompus, sagaces et hardis, qui d?m?lent ce qui doit arriver, ce qui se peut tenter, et se font les instruments d'un triomphe qui ne leur appartient pas naturellement, mais dont ils r?ussissent ? se donner les airs pour s'en approprier les fruits. Le due d'Otrante fut, dans les Cent-Jours, cet homme-l?: r?volutionnaire devenu grand seigneur, et voulant se faire sacrer, sous ce double caract?re, par l'ancienne royaut? fran?aise, il d?ploya, ? la poursuite de son but, tout le savoir-faire et toute l'audace d'un rou? plus pr?voyant et plus sens? que ses pareils. Peut-?tre aussi, car la justice doit avoir ses scrupules, m?me envers les hommes qui n'en ont point, peut-?tre le d?sir d'?pargner ? son pays des violences et des souffrances inutiles ne fut-il pas ?tranger ? cette s?rie de trahisons et de voltes-faces imperturbables ? l'aide desquelles, trompant et jouant tour ? tour Napol?on, La Fayette et Carnot, l'Empire, la R?publique et la Convention r?gicide, Fouch? gagna le temps dont il avait besoin pour s'ouvrir ? lui-m?me les portes du cabinet du Roi en ouvrant au Roi celles de Paris.

LA CHAMBRE DE 1815.

Chute de M. de Talleyrand et de Fouch?.--Formation du cabinet du duc de Richelieu.--Mes relations comme secr?taire g?n?ral du minist?re de la justice, avec M. de Marbois, garde des sceaux.--Arriv?e et physionomie de la Chambre des d?put?s.--Intentions et attitude de l'ancien parti royaliste.--Formation et composition d'un nouveau parti royaliste.--Lutte des classes sous le manteau des partis.--Lois d'exception.--Loi d'amnistie.--Le centre devient le parti du gouvernement et le c?t? droit l'opposition.--Questions sur les rapports de l'?tat avec l'?glise.--?tat du gouvernement hors des Chambres. --Insuffisance de sa r?sistance ? l'esprit de r?action.--Le duc de Feltre et le g?n?ral Bernard.--Proc?s du mar?chal Ney.--Pol?mique entre M. de Vitrolles et moi.--Cl?ture de la session.--Modifications dans le cabinet.--M. La?n?, ministre de l'int?rieur.--Je quitte le minist?re de la justice et j'entre comme ma?tre des requ?tes au Conseil d'?tat.--Le cabinet s'engage dans la r?sistance au c?t? droit.--M. Decazes. --Attitude de MM. Royer-Collard et de Serre.--Opposition de M. de Chateaubriand.--Le pays s'?l?ve contre la Chambre des d?put?s.--Travail de M. Decazes pour en amener la dissolution.--Le Roi s'y d?cide.--Ordonnance du 5 septembre 1816.

Trois mois ne s'?taient pas encore ?coul?s, et ni Fouch?, ni M. de Talleyrand n'?taient plus ministres. Ils ?taient tomb?s, non sous le coup de quelque ?v?nement nouveau et impr?vu, mais par le vice de leur situation personnelle et par leur inaptitude au r?le qu'ils avaient entrepris de jouer.

M. de Talleyrand avait fait ? Vienne une grande chose; par le trait? d'alliance qu'il avait conclu le 3 janvier 1815 entre la France, l'Angleterre et l'Autriche, il avait mis fin ? la coalition form?e contre nous en 1813, et coup? l'Europe en deux au profit de la France. Mais l'?v?nement du 20 mars avait d?truit son oeuvre; la coalition europ?enne s'?tait reform?e contre Napol?on et contre la France, qui se faisait ou se laissait faire l'instrument de Napol?on. Et il n'y avait plus aucune chance de rompre ce redoutable faisceau; un m?me sentiment d'inqui?tude et de m?fiance ? notre ?gard, un m?me dessein de ferme et durable union animaient les souverains et les peuples. Ils avaient r?gl? en toute h?te ? Vienne les questions qui mena?aient de les diviser; et, dans cette intimit? retremp?e contre nous, l'empereur Alexandre ?tait rentr? particuli?rement irrit? contre la maison de Bourbon et M. de Talleyrand, qui avaient voulu lui enlever ses alli?s. La seconde restauration d'ailleurs n'?tait point, comme la premi?re, son oeuvre et sa gloire personnelle; c'?tait surtout ? l'Angleterre et au duc de Wellington qu'en revenait l'honneur. Par amour-propre comme par politique, l'empereur Alexandre arrivait, le 10 juillet 1815, ? Paris, froid et plein d'humeur envers le Roi et ses conseillers.

La faiblesse de Fouch? ?tait autre et tenait ? d'autres causes. Non que les souverains ?trangers et leurs ministres fussent plus bienveillants pour lui que pour M. de Talleyrand; son entr?e dans le Conseil du Roi avait ?t?, pour l'Europe monarchique, un grand scandale; le duc de Wellington seul persistait encore ? le soutenir; mais personne, parmi les ?trangers, ne l'attaquait et ne se croyait int?ress? ? sa chute. C'?tait au dedans que se formait contre lui l'orage. Avec une pr?somption ?trangement frivole, il s'?tait promis de livrer la R?volution au Roi et le Roi ? la R?volution, se fiant sur sa prestesse et sa hardiesse pour passer et repasser d'un camp dans l'autre, et les dominer l'un par l'autre en les trahissant tour ? tour. Les ?lections qui s'accomplissaient en ce moment dans toute la France donn?rent ? son esp?rance un ?clatant d?menti; il eut beau r?pandre avec profusion les circulaires et les agents, il n'y exer?a pas la moindre influence; les royalistes d?cid?s pr?valurent ? peu pr?s partout, presque sans combat. C'est notre faiblesse et notre malheur que, dans les grandes crises, les vaincus deviennent des morts. La Chambre de 1815 n'apparaissait encore que dans le lointain, et d?j? le duc d'Otrante chancelait, comme frapp? de la foudre, ? c?t? de M. Talleyrand ?branl?.

Dans ce p?ril divers et in?gal, mais pressant pour tous deux, l'attitude et la conduite de ces deux hommes furent tr?s-diff?rentes. M. de Talleyrand se fit le patron de la monarchie constitutionnelle grandement organis?e, comme elle l'?tait en Angleterre. Des modifications conformes aux voeux du parti lib?ral furent, les unes imm?diatement accomplies, les autres promises dans la Charte. Les jeunes gens purent entrer dans la Chambre des d?put?s. Quatorze articles relatifs ? la constitution de cette Chambre furent soumis ? la r?vision de la prochaine l?gislature. La pairie devint h?r?ditaire. La censure, ? laquelle ?taient assujettis les ouvrages au-dessous de vingt feuilles d'impression, fut abolie. Un grand Conseil priv? associa aux d?lib?rations du gouvernement, dans les grandes circonstances, les hommes consid?rables des divers partis. Aucune n?cessit? pratique, aucune forte opinion publique n'imposait ? la royaut? restaur?e ces importantes r?formes; mais le cabinet voulait se montrer favorable au large d?veloppement des institutions libres, et donner satisfaction au parti, je devrais peut-?tre dire ? la coterie des esprits ?clair?s et impatients.

Ni les r?formes lib?rales de M. de Talleyrand, ni les menaces r?volutionnaires du duc d'Otrante ne conjur?rent le p?ril qui les pressait. Malgr? leur rare esprit et leur longue exp?rience, ils m?connaissaient l'un et l'autre la nouvelle face des temps, ne voyant pas, ou ne voulant pas voir combien ils convenaient peu aux luttes que les Cent-Jours devaient ranimer. L'?lection d'une Chambre ardemment royaliste les surprit comme un ph?nom?ne inattendu; ils tomb?rent tous deux ? son approche, ? peu de jours de distance l'un de l'autre, laiss?s pourtant, apr?s leur chute commune, dans des situations tr?s-diverses. M. de Talleyrand resta debout; le Roi et son nouveau cabinet le combl?rent des dons et des honneurs de cour; ses coll?gues dans sa courte administration, MM. de Jaucourt, Pasquier, Louis, Gouvion Saint-Cyr re?urent des marques signal?es de l'estime royale; ils sortaient de l'ar?ne comme destin?s ? y rentrer. Acceptant la petite et lointaine mission de Dresde, Fouch? s'empressa de partir et sortit de Paris sous un d?guisement qu'il ne quitta qu'? la fronti?re, troubl? par la crainte d'?tre vu dans sa patrie qu'il ne devait jamais revoir.

Le nouveau minist?re ? peine install?, la Chambre des d?put?s arriva et s'installa ? son tour, bien plus nouvelle que lui. Elle ?tait presque exclusivement royaliste. A peine quelques hommes des autres partis avaient trouv? place dans ses rangs. Ils y si?geaient p?niblement, isol?s et mal ? l'aise, comme des ?trangers ou des suspects; et quand ils essayaient de se produire et d'exprimer leurs sentiments, ils ?taient brusquement repouss?s dans l'impuissance et le silence. Le 23 octobre 1815, dans le d?bat de la loi pr?sent?e par M. Decazes pour la suspension temporaire de la libert? individuelle, M. d'Argenson parla des bruits qui couraient sur des protestants massacr?s dans le Midi; un violent tumulte s'?leva pour le d?mentir; il s'expliqua avec une r?serve extr?me: <> Non-seulement M. d'Argenson n'obtint pas ce qu'il demandait; non-seulement il ne put continuer ? parler; il fut express?ment rappel? ? l'ordre pour avoir fait allusion ? des faits malheureusement certains, mais qu'on voulait ?touffer en ?touffant sa voix.

Pour la premi?re fois depuis vingt-cinq ans, le parti royaliste se voyait le plus fort; tout en croyant son triomphe l?gitime, il en ?tait un peu surpris et enivr?, et il se livrait aux joies de la puissance avec un m?lange d'arrogance aristocratique et d'ardeur novice, comme peu accoutum? ? vaincre et peu s?r de la force qu'il s'empressait de d?ployer.

Des mobiles tr?s-divers jet?rent la Chambre de 1815 dans la r?action violente qui est rest?e son caract?re historique. D'abord et surtout les passions du parti royaliste, ses bonnes et ses mauvaises passions, ses sentiments moraux et ses ressentiments personnels, l'amour de l'ordre et la soif de la vengeance, l'orgueil du pass? et la peur de l'avenir, l'intention de remettre en honneur le respect des choses saintes, des anciens attachements, de la foi jur?e, et le plaisir d'opprimer ses vainqueurs. A l'emportement des passions se joignait le calcul des int?r?ts: pour la s?ret? du parti, pour la fortune des personnes, les nouveaux dominateurs de la France avaient besoin de prendre partout possession des places et du pouvoir; c'?tait l? le champ ? exploiter, le territoire ? occuper pour recueillir les fruits de la victoire. Venait enfin l'empire des id?es, plus grand qu'on ne le croit commun?ment, et souvent plus puissant, ? leur insu, sur les hommes que leurs passions ou leurs int?r?ts. Apr?s tant d'ann?es de grands spectacles et de grands d?bats, les royalistes avaient, sur toutes les questions politiques et sociales, des vues syst?matiques ? r?aliser, des retours historiques ? poursuivre, des besoins d'esprit ? satisfaire. Ils se h?taient de mettre la main ? l'oeuvre, croyant le jour enfin venu de reprendre dans leur patrie, moralement comme mat?riellement, par la pens?e comme en fait, l'ascendant qui leur avait depuis si longtemps ?chapp?.

Comme il arrive dans les grandes crises des soci?t?s humaines, ces principes divers de la r?action de 1815 avaient chacun, dans les rangs royalistes, leur repr?sentant sp?cial et particuli?rement efficace. Le parti avait son champion agresseur, son politique, et son philosophe. M. de la Bourdonnaye marchait ? la t?te de ses passions, M. de Vill?le de ses int?r?ts, M. de Bonald de ses id?es. Trois hommes tr?s-propres ? leur r?le, car ils excellaient, l'un dans la pol?mique fougueuse, l'autre dans la tactique prudente et patiente, le troisi?me dans l'exposition sp?cieuse et subtile avec ?l?vation. Et tous trois, bien qu'aucune ancienne intimit? ne les un?t, mettaient avec pers?v?rance, au service de la cause commune, leurs talents et leurs proc?d?s si divers.

Quelle ?tait, au fond, cette cause? Quel but se proposaient en r?alit? les chefs de ce parti qui se croyait si pr?s du succ?s? S'ils avaient voulu parler sinc?rement, ils auraient ?t? eux-m?mes bien embarrass?s de r?pondre. On a beaucoup dit, et beaucoup de gens ont cru, et probablement bien des royalistes se figuraient, en 1815, qu'ils travaillaient ? abolir la Charte et ? r?tablir l'ancien r?gime. Lieu commun d'une cr?dulit? pu?rile; cri de guerre des ennemis, habiles ou aveugles, de la Restauration. Il n'y avait, dans la Chambre de 1815, au milieu de ses plus ardentes esp?rances, point de dessein si audacieux ni si arr?t?. Ramen? en vainqueur sur la sc?ne, non par lui-m?me, mais par les fautes de ses adversaires et le cours des ?v?nements europ?ens, l'ancien parti royaliste se promettait que les revers de la R?volution et de l'Empire lui vaudraient de grands avantages, surtout de grandes satisfactions; mais ce que, pour le gouvernement de la France, il ferait de sa victoire quand il serait d?cid?ment en possession du pouvoir, il ne le savait pas; ses vues ?taient aussi incertaines et confuses que ses passions ?taient violentes; c'?tait surtout la victoire qu'il voulait, pour l'orgueilleux plaisir de la victoire m?me, pour l'affermissement d?finitif de la Restauration, pour sa propre domination, au centre de l'?tat par le gouvernement, dans chaque localit? par l'administration.

Mais, dans de telles secousses sociales, les questions sont infiniment plus grandes que ne le savent les acteurs: les Cent-Jours firent ? la France un mal bien plus grave encore que le mal du sang et des tr?sors qu'ils lui co?t?rent; ils rallum?rent la vieille querelle que l'Empire avait ?touff?e et que la Charte voulait ?teindre, la querelle de l'ancienne France et de la France nouvelle, de l'?migration et de la r?volution. Ce ne fut pas seulement entre des partis politiques, mais entre des classes rivales que la lutte recommen?a en 1815, comme elle avait ?clat? en 1789.

Mauvaise situation pour la fondation d'un gouvernement, surtout d'un gouvernement libre. Il y a un certain degr? de fermentation et d'?mulation, entre les citoyens et les partis, qui est la vie m?me du corps social et qui favorise son d?veloppement ?nergique et sain. Mais si la fermentation ne s'arr?te pas aux questions de gouvernement et ? la conduite des affaires publiques, si elle s'attaque aux fondements m?mes de la soci?t?, si au lieu de l'?mulation entre les partis on a l'hostilit? entre les classes, ce n'est plus le mouvement de la sant?, c'est un mal destructeur qui entra?ne les d?sordres les plus douloureux et qui peut aller jusqu'? la dissolution de l'?tat. La domination d'une classe sur les autres classes, qu'elle soit aristocratique ou d?mocratique, c'est la tyrannie. La lutte ardente et continue des classes pour la domination, c'est l'?tat r?volutionnaire, tant?t d?clar?, tant?t imminent. Le monde a vu, par deux grands exemples, les r?sultats profond?ment divers que peut amener ce fait redoutable. La lutte des patriciens et des pl?b?iens tint, pendant des si?cles, Rome dans de cruelles alternatives de tyrannie et de r?volution qui n'avaient de distraction que la guerre. Tant que les uns et les autres eurent des vertus ? d?penser dans cette lutte, la R?publique y trouva, sinon la paix sociale, du moins l? grandeur; mais, lorsque patriciens et pl?b?iens se furent ?puis?s et corrompus dans leurs dissensions sans parvenir ? l'accord dans la libert?, la soci?t? romaine ne put ?chapper ? la ruine qu'en tombant sons le despotisme et dans le long d?clin de l'Empire. L'Angleterre ? offert ? l'Europe moderne un autre spectacle. En Angleterre aussi, les classes aristocratiques et d?mocratiques ont longtemps lutt? pour le pouvoir; mais par un heureux concours de fortune et de sagesse; elles sont parvenues ? s'entendre et ? s'unir pour l'exercer en commun; et l'Angleterre a trouv? dans cette entente politique des classes diverses, dans l'harmonie de leurs droits et de leurs influences mutuelles, la paix int?rieure avec la grandeur, la stabilit? avec la libert?.

J'esp?rais, du gouvernement institu? par la Charte, un r?sultat analogue pour mon pays. On m'a quelquefois accus? de vouloir modeler la France ? l'exemple de l'Angleterre: l'Angleterre, en 1815, ne me pr?occupait nullement; je n'avais fait alors, de ses institutions et de son histoire, aucune ?tude s?rieuse. La France, ses destin?es, sa civilisation, ses lois, sa litt?rature, ses grands hommes avaient seuls rempli ma pens?e; je vivais au milieu d'une soci?t? toute fran?aise, plus fortement impr?gn?e peut-?tre qu'aucune autre des go?ts et de l'esprit fran?ais. J'assistais pr?cis?ment l? ? ce rapprochement, ? ce m?lange, ? cet accord des classes et m?me des partis divers qui me paraissaient la condition de notre nouveau et libre r?gime. Des hommes de toute origine, de toute condition, de toute profession, presque de toute opinion, des grands seigneurs, des magistrats, des avocats, des eccl?siastiques, des lettr?s, des gens du monde et des gens d'affaires, de l'ancien r?gime, de l'Assembl?e constituante, de la Convention, de l'Empire, vivaient dans des rapports faciles et bienveillants, acceptant sans effort leurs diff?rences de situation ou de vues, et dispos?s en apparence ? s'entendre, ais?ment sur les affaires de leur pays. ?trange contraste de nos moeurs! Quand il s'agit uniquement des relations vou?es aux plaisirs de l'esprit ou du monde, il n'y a plus de classes, plus de luttes; les situations se rapprochent, les dissidences s'effacent; nous ne songeons tous qu'? jouir en commun de nos m?rites et de nos agr?ments mutuels. Que les questions politiques et les int?r?ts positifs de la vie reviennent; qu'il s'agisse, non plus de se r?unir pour se plaire ou s'amuser ensemble, mais de prendre chacun sa part dans les droits, les affaires, les honneurs, les avantages et les charges de la condition sociale; ? l'instant, toutes les dissidences reparaissent; toutes les pr?tentions, tous les ent?tements, toutes les susceptibilit?s, toutes les luttes recommencent; et cette soci?t?, qui avait paru si semblable et si unie, se retrouve aussi diverse et aussi divis?e qu'elle l'ait jamais ?t?.

Cette triste incoh?rence de l'?tat apparent et de l'?tat r?el de la soci?t? fran?aise se r?v?la tout ? coup en 1815; la r?action provoqu?e par les Cent-Jours d?truisit en un clin d'oeil le travail de pacification sociale poursuivi en France depuis seize ans, et fit brusquement ?clater toutes les passions, bonnes ou mauvaises, de l'ancien r?gime contre toutes les oeuvres, bonnes ou mauvaises, de la r?volution.

Atteint aussi d'un autre mal, le parti qui dominait, au d?but de la session, dans la Chambre de 1815, tomba dans une autre faute. Les classes aristocratiques en France, bien que g?n?reusement d?vou?es, dans les p?rils publics, au Roi et au pays, ont eu le malheur de ne savoir faire cause commune ni avec la couronne, ni avec le peuple; elles ont frond? et brav? tour ? tour le pouvoir royal et les libert?s publiques. S'isolant dans des privil?ges qui satisfaisaient leur vanit? sans leur valoir une force r?elle dans l'?tat, elles n'avaient pris, depuis trois si?cles, ni aupr?s du prince, ni ? la t?te de la nation, la place qui semblait naturellement leur ?choir. Apr?s tout ce qu'elles avaient perdu et malgr? tout ce qu'elles auraient d? apprendre ? la r?volution, elles se retrouv?rent en 1815, au moment o? le pouvoir leur revenait, dans les m?mes dispositions ind?cises et alternatives. Dans les rapports des grands pouvoirs de l'?tat, dans les d?bats publics, dans l'usage qu'elle fit de ses propres droits, la Chambre de 1815 eut le m?rite de pratiquer ?nergiquement le r?gime constitutionnel ? peine sorti, en 1814, de sa torpeur sous l'Empire; mais elle ne sut garder, dans cette oeuvre nouvelle, ni ?quit?, ni ?-propos, ni mesure; elle voulut dominer ? la fois le Roi et la France. Elle fut ind?pendante et fi?re, quelquefois lib?rale, souvent r?volutionnaire dans ses proc?d?s envers la couronne, en m?me temps qu'elle ?tait violente et contre-r?volutionnaire envers le pays. C'?tait trop entreprendre; il fallait choisir, et ?tre ou monarchique ou populaire. La Chambre de 1815 ne fut ni l'un ni l'autre; elle se montra fortement imbue de l'esprit de l'ancien r?gime envenim? par les id?es ou les exemples de l'esprit de r?volution; mais l'esprit de gouvernement, plus n?cessaire encore dans un r?gime libre que sous le pouvoir absolu, lui manqua compl?tement.

Aussi vit-on se former promptement contre elle, et dans son propre sein, une opposition qui fut bient?t populaire et monarchique ? la fois, car elle d?fendit ? la fois, contre le parti dominant, la Couronne qu'il offensait t?m?rairement et le pays qu'il inqui?tait profond?ment. Et apr?s quelques grandes luttes, soutenues des deux parts avec une ?nergie sinc?re, cette opposition, forte de l'appui de la royaut? et de la sympathie publique, conquit fr?quemment la majorit? et devint le parti du gouvernement.

Je ne si?geais pas alors dans la Chambre des d?put?s. On m'a souvent attribu?, dans le gouvernement de cette ?poque, une part plus grande que celle qui m'a r?ellement appartenu. Je ne m'en suis jamais plaint et je ne m'en plaindrai pas davantage aujourd'hui. J'accepte la responsabilit?, non-seulement de ce que j'ai fait, mais de ce qu'ont fait les amis que j'ai choisis et approuv?s. Le parti monarchique et constitutionnel qui se forma en 1815 devint aussit?t le mien. Je dirai sans h?siter ce que l'exp?rience m'a appris de nos fautes; je m'honore d'avoir constamment march? dans ses rangs.

Ce parti se forma brusquement, spontan?ment, sans but pr?m?dit?, sans combinaisons ant?rieures et personnelles, sous le seul empire de la n?cessit? du moment, pour r?sister ? un mal pressant, non pour faire pr?valoir tel ou tel syst?me, tel ou tel ensemble d'id?es, de r?solutions et de desseins. Soutenir la Restauration en combattant la r?action, ce fut d'abord toute sa politique. R?le ingrat, m?me quand il est le plus salutaire; car on a beau combattre une r?action violente, quand on soutient en m?me temps le pouvoir dont le drapeau sert de manteau ? la r?action, on n'emp?che pas tout le mal qu'on voudrait emp?cher, et on semble accepter celui qu'on ne r?ussit pas ? emp?cher. C'est une de ces injustices auxquelles, dans les jours d'orage, les honn?tes gens qui agissent s?rieusement doivent se r?signer.

Pas plus par sa composition que par ses desseins, le nouveau parti royaliste n'avait un caract?re sp?cial et syst?matique. Il comptait parmi ses chefs naissants, comme dans ses plus modestes rangs, des hommes de toutes les origines, de toutes les situations, venus de tous les points de l'horizon social et politique. M. de Serre ?tait un ?migr?, lieutenant dans l'arm?e de Cond?; MM. Pasquier, Beugnot, Sim?on, Barante, Sainte-Aulaire, des hommes consid?rables du r?gime imp?rial; MM. Royer-Collard et Camille Jordan des opposants ? l'Empire. Un m?me jugement, un m?me sentiment sur les ?v?nements du jour et les chances du lendemain, sur les droits et les int?r?ts l?gitimes du pays et du tr?ne, rapprochaient tout ? coup ces hommes jusque-l? ?trangers les uns aux autres. Ils s'unissaient comme les habitants d'un m?me quartier accourent de toutes parts, et sans se conna?tre, sans s'?tre jamais vus, travaillent ensemble ? ?teindre un grand incendie.

Choisi par la Chambre elle-m?me et par le Roi pour la pr?sider, M. La?n?, en gardant, avec une dignit? ? la fois naturelle et un peu appr?t?e, l'impartialit? qui convenait ? sa situation, partageait pourtant les sentiments de la minorit? mod?r?e, et la soutenait de son influence morale, quelquefois m?me de sa parole. L'?l?vation du caract?re, la gravit? des moeurs, et, dans certains moments, l'effusion passionn?e de l'?me, lui donnaient une autorit? que son esprit et ses lumi?res n'auraient pas suffi ? lui assurer.

La Chambre si?geait ? peine depuis quelques jours, et d?j? par les conversations, par la formation de son bureau, par les projets d'initiative int?rieure qui s'annon?aient, les d?put?s commen?aient ? se reconna?tre et ? se classer, avec doute encore et confusion, comme, dans une troupe inopin?ment appel?e, les soldats se rassemblent en d?sordre, cherchant leurs armes et leur drapeau. Le gouvernement, par ses propositions, amena bient?t les partis au grand jour et ? la lutte. Ce fut, comme on pouvait s'y attendre, par des mesures de circonstance que la session commen?a. Des quatre projets de loi qui portaient ?videmment ce caract?re, deux, la suspension de la libert? individuelle et l'?tablissement des cours pr?v?tales, ?taient pr?sent?s comme des lois d'exception et purement temporaires; les deux autres, pour la r?pression des actes s?ditieux et pour l'amnistie, appartenaient ? la l?gislation d?finitive et permanente.

On a si souvent et si tyranniquement abus?, parmi nous, des mesures de circonstance et des lois d'exception que, sur leur nom seul et leur physionomie, elles sont rest?es suspectes et odieuses; sentiment bien naturel apr?s tant et de si cruelles ?preuves. C'est pourtant l?, surtout dans un r?gime libre, le moyen le moins dangereux, comme le plus efficace, de pourvoir ? des n?cessit?s imp?rieuses et passag?res. Il vaut mieux suspendre, pour un temps limit? et franchement, telle ou telle libert? sp?ciale que pervertir, ? force d'aggravations et de subtilit?s, la l?gislation permanente pour l'adapter aux besoins du jour. L'exp?rience de l'histoire confirme en ceci les pressentiments de la raison. Dans les pays o? la libert? politique s'est enfin ?tablie, comme en Angleterre, c'est pr?cis?ment depuis qu'elle a triomph? avec ?clat que la suspension temporaire de telle ou telle de ses garanties a ?t?, dans les circonstances graves, adopt?e comme moyen de gouvernement. Dans des temps plus rudes et moins intelligents, on rendait ? toujours, sous l'empire des p?rils du moment et pour s'en d?fendre, ces statuts rigoureux et artificieux o? toutes les tyrannies ont trouv? des armes sans avoir ? les forger elles-m?mes, et dont une civilisation plus avanc?e a eu tant de peine ? se d?barrasser.

Il faut, j'en conviens, pour que les lois d'exception atteignent leur but sans trop de danger, qu'en dehors de leurs dispositions et pendant leur dur?e il reste dans le pays assez de libert? g?n?rale et dans le pouvoir assez de responsabilit? r?elle pour que ces mesures soient contenues dans leurs limites et contr?l?es dans leur exercice. Mais en d?pit des col?res et des aveuglements, des partis vaincus, il suffit de lire les d?bats des chambres de 1815 et les ?crits du temps pour se convaincre qu'? cette ?poque la libert? ?tait loin d'avoir p?ri tout enti?re; et l'histoire des ministres qui poss?daient alors le pouvoir d?montre invinciblement qu'ils n'avaient pas cess? de porter le poids d'une efficace responsabilit?.

Des deux lois temporaires pr?sent?es ? la Chambre de 1815, la loi sur les cours pr?v?tales fut la moins contest?e; deux hommes sup?rieurs, MM. Royer-Collard et Cuvier avaient consenti ? en ?tre, en qualit? de commissaires du Roi, les d?fenseurs officiels, et, dans le d?bat, M. Cuvier prit effectivement la parole. Ce d?bat fut court; deux cent quatre-vingt-dix membres vot?rent pour la loi; dix seulement la repouss?rent. On peut s'en ?tonner. C'?tait certainement, en principe, la d?rogation la plus grave au droit commun, et la plus redoutable dans la pratique, car on supprimait, devant ces cours, la plupart des garanties qu'offrent les juridictions ordinaires. Un article de la loi allait jusqu'? retirer au Roi le droit de gr?ce, en ordonnant l'ex?cution imm?diate des condamn?s, ? moins que la cour pr?v?tale ne leur fit gr?ce elle-m?me en les recommandant ? la cl?mence royale. L'un des plus chauds royalistes du c?t? droit, M. Hyde de Neuville, r?clama vivement, mais en vain, contre une disposition si dure et si peu monarchique. Les deux passions les plus intraitables, la col?re et la peur, emportaient la Chambre; elle avait le tr?ne et sa propre cause ? venger et ? d?fendre; elle ne croyait pas pouvoir frapper trop fort ni trop vite, quand elle les voyait attaqu?s.

A cette occasion, comme ? d'autres, on a maltrait? la m?moire de M. Cuvier; on l'a accus? d'ambition servile et de pusillanimit?. C'est bien mal conna?tre la nature humaine et injurier bien l?g?rement un homme de g?nie. J'ai beaucoup v?cu avec M. Cuvier; la fermet? d'?me et de conduite n'?tait pas sa qualit? dominante; mais il n'?tait ni servile, ni domin?, contre sa conscience, par la peur. Il aimait l'ordre, un peu pour sa propre s?curit?, bien plus encore dans l'int?r?t de la justice, de la civilisation, du bien-?tre social, du progr?s intellectuel. Il y avait, dans sa complaisance pour le pouvoir, plus de go?t sinc?re que d'?go?sme: il ?tait de ceux ? qui l'exp?rience n'a pas laiss? grande confiance dans la libert?, et que le souvenir de l'anarchie r?volutionnaire rend ais?ment accessibles ? des alarmes honn?tes et d?sint?ress?es. Dans les temps de perturbation sociale, beaucoup d'hommes de sens et de bien aiment mieux d?river vers la plage que courir le risque d'aller se briser sur les ?cueils o? le courant les emporte.

Dans la discussion de la loi qui suspendait pour un an les garanties de la libert? individuelle, M. Royer-Collard, en appuyant le gouvernement, marqua l'ind?pendance de son caract?re et la m?fiance pr?voyante du moraliste envers le pouvoir m?me que le politique avait ? coeur d'affermir. Il demanda que le droit arbitraire de d?tention ne f?t confi? qu'? un petit nombre de fonctionnaires d'un ordre ?lev?, et que les plus ?lev?s de tous, les ministres, en demeurassent, en tout cas, clairement responsables; mais ces amendements, qui auraient pr?venu beaucoup d'abus sans d?sarmer le pouvoir, furent repouss?s. L'inexp?rience et la pr?cipitation ?taient g?n?rales; le cabinet et ses plus consid?rables partisans dans les Chambres se connaissaient ? peine; ni les uns, ni les autres n'avaient encore appris ? se concerter d'avance, ? se mettre d'accord sur les limites comme sur le fond m?me des mesures, et ? ne marcher qu'avec ensemble au combat.

L'entente cependant, l'entente active et continue du gouvernement avec les royalistes mod?r?s devenait chaque jour plus n?cessaire, car la divergence des partis qui commen?aient ? se former et la gravit? de leurs dissentiments se manifestaient plus fortement chaque jour. En proposant la loi destin?e ? r?primer les actes s?ditieux, M. de Marbois, esprit doux et lib?ral avec aust?rit?, et fort peu au courant des passions qui fermentaient autour de lui, n'avait consid?r? ces actes que comme des d?lits, et les avait renvoy?s devant les tribunaux de police correctionnelle, en n'y attachant que des peines d'emprisonnement. Mieux instruite des dispositions d'une partie de la Chambre, la commission charg?e d'examiner le projet de loi, et dont M. Pasquier fut le rapporteur, essaya de contenir les m?contents en leur donnant une certaine satisfaction; parmi les actes s?ditieux, elle distingua des crimes et des d?lits, renvoya les crimes devant les cours d'assises en leur appliquant la peine de la d?portation, et ajouta, pour les d?lits, l'amende ? l'emprisonnement. C'?tait encore trop peu pour les violents du parti. Ils r?clam?rent la peine de mort, les travaux forc?s, le s?questre des biens. Ces aggravations furent repouss?es, et la Chambre, ? une forte majorit?, adopta le projet de loi amend? par la commission. A coup s?r, bien des membres du c?t? droit, qui n'avaient pas os? combattre les propositions de MM. Piet et de Salaberry, se f?licit?rent de les voir ?chouer, et vot?rent pour la loi. Que de fautes et de maux s'?pargneraient les hommes s'ils avaient le courage d'agir comme ils pensent et de faire hautement ce qu'ils d?sirent!

Quatre membres de la Chambre des d?put?s s'empress?rent d'en prendre l'initiative; trois avec une grande violence, M. de La Bourdonnaye le plus violent des trois. Il avait de la force, de la verve, de l'ind?pendance, du tact politique comme homme de parti, et une duret? franche et passionn?e qui devenait quelquefois ?loquente. Son projet mettait, dit-on, onze cents personnes en jugement. Quoi qu'il en soit de ce calcul, les trois propositions ?taient entach?es de deux vices capitaux. Elles posaient en fait que la catastrophe du 20 mars avait ?t? le fruit d'une grande conspiration dont il fallait punir les auteurs comme ils auraient ?t? punis en temps ordinaire et par le cours r?gulier des lois s'ils avaient ?chou?. Elles attribuaient aux Chambres le droit de d?signer, par cat?gories g?n?rales et sans limite de nombre, les conspirateurs ? punir, quoique le Roi, par son ordonnance du 24 juillet pr?c?dent, ne leur e?t r?serv? que le droit de d?cider, parmi les trente-huit personnes nominativement et seules except?es, lesquelles devraient sortir du royaume et lesquelles seraient traduites devant les tribunaux. Il y avait ainsi ? la fois, dans ces projets, un acte d'accusation sous le nom d'amnistie, et un envahissement des pouvoirs d?j? exerc?s comme des limites d?j? pos?es par la royaut?.

Le gouvernement du Roi ne se m?prit point sur la port?e de semblables r?solutions, et maintint dignement ses droits, ses actes et ses promesses. Il se h?ta de couper court ? l'initiative de la Chambre; le projet de loi que pr?senta le 8 d?cembre 1815 le duc de Richelieu ?tait une v?ritable amnistie, sans autre exception que celle des cinquante-six personnes port?es sur les deux listes de l'ordonnance du 24 juillet et de la famille de l'empereur Napol?on. Une seule disposition, dont ? coup s?r on n'avait pas pr?vu les fatales cons?quences, se rencontrait en outre dans le projet: l'article 5 exceptait de l'amnistie les personnes contre lesquelles des poursuites auraient ?t? dirig?es ou des jugements seraient intervenus avant la promulgation de la loi. D?plorable r?serve, ?galement contraire au principe de la mesure et au but de ses auteurs. C'est le caract?re et le m?rite essentiel d'une amnistie de mettre un terme aux proc?s et aux ch?timents, d'arr?ter l'action judiciaire au nom de l'int?r?t politique, et de r?tablir le calme dans l'esprit public comme la s?curit? dans les existences en faisant cesser les spectacles comme les p?rils sanglants. Le gouvernement du Roi avait d?j? fait, par la premi?re liste de l'ordonnance du 24 juillet, une exception qui lui donnait un lourd fardeau ? porter; il avait renvoy? dix-huit g?n?raux devant les conseils de guerre. Dix-huit grands proc?s politiques apr?s l'amnistie proclam?e! C'e?t ?t? beaucoup pour le pouvoir le plus fort. Le cabinet du duc de Richelieu se donnait de plus, par l'article 5 du projet de loi, la perspective et la charge d'un nombre ind?termin? de proc?s politiques inconnus qui devaient se d?battre pendant un temps ind?fini, on ne savait sur quels points du royaume, ni au milieu de quelles circonstances. Le mal de cette impr?voyance dura, en ?clatant coup sur coup, pendant plus de deux ans. Ce fut l'application prolong?e de cet article qui alt?ra l'efficacit? et presque l'honneur de l'amnistie, et compromit le gouvernement royal dans cette r?action de 1815 qui a laiss? de si tristes souvenirs.

Un membre du c?t? droit, qui en devait ?tre bient?t le chef et qui n'avait pris jusque-l? aucune part ? ce d?bat, M. de Vill?le pressentit seul le danger de l'article 5, et n'h?sita pas ? le combattre: <> Pour le malheur du gouvernement, ce vote du chef de l'opposition demeura sans effet.

Aux dissentiments sur les questions de circonstance s'ajoutaient chaque jour les dissentiments sur les questions de principe. Le gouvernement n'en ?leva pas beaucoup lui-m?me. Un projet de loi ?lectorale pr?sent? par le ministre de l'int?rieur, M. de Vaublanc, fut le seul qui port?t ce caract?re. La discussion en fut longue et anim?e. Les hommes consid?rables des divers c?t?s de la Chambre, MM. de Vill?le, de la Bourdonnaye, de Bonald, Royer-Collard, Pasquier, de Serre, Beugnot, La?n?, s'y engag?rent vivement. Mais le projet minist?riel ?tait mal con?u, fond? sur des bases incoh?rentes, et donnait aux ?lections un caract?re plus administratif que politique. Les principaux orateurs du centre le repouss?rent aussi bien qu'un contre-projet propos? par la commission, et que n'acceptait pas non plus le cabinet. Ce dernier travail pr?valut pourtant, mais tr?s-amend? et contest? jusqu'au bout. La Chambre des d?put?s ne l'adopta qu'? une faible majorit?; la Chambre des pairs le rejeta. Quoique les partis eussent clairement manifest? leurs instincts et leurs voeux quant au syst?me ?lectoral, les id?es ?taient encore obscures et flottantes. La question resta pos?e et ajourn?e. Ce fut au sein de la Chambre m?me que naquirent toutes les autres propositions qui soulevaient des questions de principe; elles ?man?rent toutes du c?t? droit et se rapportaient toutes ? un m?me objet, ? la situation de l'?glise dans l'?tat. M. de Castelbajac proposa que les ?v?ques et les cur?s fussent autoris?s ? recevoir et ? poss?der ? perp?tuit?, sans aucune n?cessit? de l'approbation du gouvernement, toutes donations de biens meubles ou immeubles pour l'entretien du culte ou des ?tablissements eccl?siastiques. M. de Blangy demanda que la condition du clerg? f?t grandement am?lior?e, et que les pr?tres mari?s ne jouissent plus des pensions qu'ils avaient obtenues comme eccl?siastiques. M. de Bonald r?clama l'abolition du divorce. M.. Lach?ze-Murel insista pour que la tenue des registres de l'?tat civil f?t rendue aux ministres de la religion. M. Murard de Saint-Romain attaqua l'Universit? et soutint que la direction de l'instruction publique devait ?tre confi?e au clerg?. C'?tait vers la restauration de la religion et de l'?glise comme pouvoir social que se portait surtout le z?le des nouveaux l?gislateurs.

Au premier moment, les inqui?tudes et l'opposition suscit?es par ces propositions furent moins vives qu'on ne le pr?sumerait aujourd'hui. Des dangers plus pressants pr?occupaient alors les adversaires du gouvernement et le public lui-m?me. Un sentiment g?n?ral favorable ? la religion, comme principe n?cessaire d'ordre, et de moralit?, r?gnait dans le pays; sentiment raviv? m?me par la crise des Cent-Jours, par les plaies morales qu'elle avait r?v?l?es et les p?rils sociaux qu'elle avait fait entrevoir. L'?glise catholique n'avait pas encore ?t? alors l'objet de la r?action qui s'?leva contre elle un peu plus tard. Le clerg? ne prenait aucune part directe ? ces d?bats. L'Universit? avait ?t?, sous l'Empire, en butte aux m?fiances et aux attaques des lib?raux. Le mouvement en faveur des influences religieuses ?tonnait peu ceux-l? m?me ? qui il d?plaisait. Mais au sein m?me de la Chambre o? ce mouvement ?clatait, les esprits ?lev?s ne manquaient pas qui en reconnurent sur-le-champ la port?e et pressentirent les col?res que soul?veraient t?t ou tard, dans la soci?t? nouvelle, quelques-unes de ces propositions si contraires ? ses principes les plus essentiels et les plus chers. Ils s'appliqu?rent, avec un ferme bon sens, ? faire, dans les mesures pr?sent?es, un triage conforme aux vrais int?r?ts de la soci?t? et de l'?glise elle-m?me. Le divorce fut aboli. La situation des cur?s, des desservants et de plusieurs ?tablissements eccl?siastiques re?ut des am?liorations notables. Le scandale des pr?tres mari?s, recevant encore des pensions comme pr?tres, cessa. Mais ni la proposition de rendre au clerg? la tenue des registres de l'?tat civil, ni celle de lui abandonner l'instruction publique, n'eurent aucune suite. L'Universit?, bien d?fendue et bien dirig?e par M. Royer-Collard, resta debout; et quant ? la facult? r?clam?e pour le clerg? de recevoir, sans aucune intervention du pouvoir civil, toutes sortes de donations, la Chambre des pairs, sur un rapport aussi judicieux qu'?l?gant de l'abb? de Montesquiou, d?cida que les ?tablissements eccl?siastiques <> poss?deraient seuls cette facult?, et que, dans chaque cas particulier, l'autorisation du Roi y serait n?cessaire. La Chambre des d?put?s adopta la proposition ainsi amend?e; et de tout ce mouvement qui avait menac? de jeter tant de perturbation dans les rapports de l'?glise et de l'?tat, il ne sortit rien qui port?t une s?rieuse atteinte, soit aux anciennes maximes, soit aux principes modernes de la soci?t? fran?aise.

Le cabinet prenait loyalement part ? ces d?bats et concourait ? ces sages r?solutions, mais avec moins de verve et d'ascendant que les chefs des royalistes mod?r?s dans les Chambres. Il n'y portait pas cette grandeur de pens?e, ni cette puissance de parole qui placent un gouvernement ? la t?te des assembl?es, et l'?l?vent dans l'esprit des peuples, m?me malgr? ses fautes. Le duc de Richelieu ?tait universellement honor?; parmi ses coll?gues, tous hommes de bien et de d?vouement, plusieurs avaient de rares lumi?res, de l'habilet?, du courage. Mais le cabinet manquait d'unit? et d'?clat, conditions de la force dans tous les r?gimes, et dans le r?gime libre plus que dans tout autre.

En dehors des Chambres, le gouvernement avait ? porter un fardeau plus lourd encore que dans leur enceinte et n'y suffisait pas plus compl?tement. La France ?tait en proie, non pas ? la plus tyrannique ni ? la plus sanglante, mais ? la plus vexatoire et ? la plus irritante des dominations passag?res que les vicissitudes des r?volutions font peser sur les peuples. Un parti longtemps vaincu, opprim? et enfin amnisti?, le parti de l'ancien r?gime se croyait tout ? coup redevenu le ma?tre et se livrait avec emportement aux plaisirs d'un pouvoir nouveau qu'il regardait comme son ancien droit. Dieu me garde de raviver les tristes souvenirs de cette r?action! je ne veux qu'en marquer le vrai caract?re. C'?tait, dans la soci?t? civile, dans l'administration int?rieure, dans les affaires locales, et sur presque tous les points du territoire, une sorte d'invasion ?trang?re, violente dans certains lieux, blessante partout, et qui faisait redouter plus de mal encore qu'elle n'en infligeait, car ces vainqueurs inattendus mena?aient et offensaient l? m?me o? ils ne frappaient pas; ils semblaient vouloir se d?dommager par leur t?m?rit? arrogante de leur impuissance ? recouvrer tout ce qu'ils avaient perdu, et ils se disaient, pour rassurer leur conscience au milieu de leurs violences, qu'ils ?taient loin de rendre ? leurs adversaires tout ce qu'ils en avaient eux-m?mes souffert.

?trangers aux passions du parti, p?n?tr?s du mal qu'elles faisaient ? la cause royale, et bless?s pour leur propre compte des embarras qu'elles cr?aient ? leur gouvernement, le duc de Richelieu et la plupart de ses coll?gues luttaient sinc?rement contre elles. M?me ? c?t? des actes le plus justement reproch?s ? la r?action de 1815 et qui rest?rent le plus impunis, on retrouve la trace des efforts du pouvoir, soit pour les emp?cher, soit pour en pr?venir le retour, soit du moins pour en repousser la triste responsabilit?. D?s que les violences contre les protestants ?clat?rent dans les d?partements du Midi, et plus de six semaines avant que M. d'Argenson en parl?t ? la Chambre des d?put?s, une proclamation du Roi, contre-sign?e par M. Pasquier, les r?prouva ?nergiquement et enjoignit aux magistrats de les r?primer. Apr?s le scandaleux acquittement, par la cour d'assises de N?mes, de l'assassin du g?n?ral Lagarde qui prot?geait le libre culte des protestants, M. Pasquier provoqua et fit prononcer par la cour de cassation l'annulation de cet arr?t, dans l'int?r?t de la loi, derni?re protestation de la justice m?connue. Malgr? toutes sortes de lenteurs et d'entraves, les proc?dures commenc?es ? Toulouse aboutirent ? un arr?t de la cour pr?v?tale de Pau qui condamna ? cinq ans de r?clusion deux des assassins du g?n?ral Ramel. Ceux du mar?chal Brune avaient ?chapp? ? toute poursuite s?rieuse; mais M. de Serre, devenu garde des sceaux, fit reprendre ? la justice son cours, et la cour d'assises de Riom condamna ? mort par contumace l'assassin qu'on n'avait pu saisir. R?parations bien insuffisantes et bien tardives, mais qui r?v?lent la r?sistance aussi bien que la faiblesse du pouvoir. Les ministres m?me les plus dociles au parti royaliste extr?me s'effor?aient de l'arr?ter en le suivant, et se gardaient bien de lui donner tout ce qu'ils lui avaient promis. Au moment m?me o? il divisait l'ancienne arm?e en cat?gories pour en ?carter tous les officiers suspects ? des titres et ? des degr?s divers, le ministre de la guerre, le duc de Feltre, appelait ? la direction du personnel de son d?partement le g?n?ral de Meulan, mon beau-fr?re, vaillant officier entr? au service comme soldat en 1797, et qui avait gagn? tous ses grades sur les champs de bataille, ? force de blessures. M. de Meulan ?tait royaliste, mais tr?s-attach? ? l'arm?e, ? ses camarades et passionn?ment attrist? des rigueurs qui pesaient sur eux. J'ai ?t? t?moin de ses constants efforts pour que justice leur f?t rendue, et pour faire rester ou rentrer dans les rangs tous ceux qu'il croyait dispos?s ? servir honn?tement le Roi. L'oeuvre ?tait difficile. En 1815, l'un de nos plus habiles et plus honorables officiers du g?nie, le g?n?ral Bernard avait ?t? mis en demi-solde et vivait comme exil? ? D?le; les ?tats-Unis d'Am?rique lui firent offrir le commandement du g?nie dans la R?publique avec des avantages consid?rables; il accepta et demanda ? son ministre l'autorisation de partir. Le duc de Feltre le fit appeler et le d?tourna de son dessein, lui promettant de le replacer en France comme il lui convenait: <> On lui donna son passe-port. Le duc de Berry se plaignit au g?n?ral Haxo du parti qu'avait pris le g?n?ral Bernard: <>

Rien ne r?v?le mieux que ce petit fait la situation des ministres ? cette ?poque, et leur sinc?rit? comme leur timidit? dans leurs d?sirs de sagesse et d'?quit?.

Je n'ai pas la pr?tention d'avoir clairement pens? alors tout ce que je pense aujourd'hui. J'?tais triste et perplexe. Les ministres du Roi l'?taient aussi. Ils ne crurent pas pouvoir ni devoir lui conseiller la cl?mence. Dans cette circonstance solennelle, le pouvoir ne sut pas ?tre grand, seul moyen quelquefois d'?tre fort.

Je me chargeai de repousser cette attaque en la d?masquant. J'exposai ? mon tour les principes essentiels du gouvernement repr?sentatif, leur sens vrai, leur action r?elle, et les conditions de leur d?veloppement salutaire dans l'?tat o? nos r?volutions et nos dissensions avaient jet? la France. Je m'appliquai surtout ? faire reconna?tre, sous cette joute savante et polie entre raisonneurs politiques, la lutte acharn?e des partis et les coups fourr?s que, dans l'insuffisance de leurs armes publiques, ils essayaient de se porter. Il y avait, je crois, dans mes id?es de quoi satisfaire les gens d'esprit qui se pr?occupaient du fond des choses et de l'avenir, mais point d'efficacit? pratique et prochaine. Quand les grands int?r?ts des peuples et les grandes passions des hommes sont en jeu, les d?bats sp?culatifs les plus ing?nieux sont une guerre de luxe qui ne change rien au cours des ?v?nements.

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