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Munafa ebook

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Read Ebook: La sorcellerie by Louandre Charles

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Ebook has 131 lines and 34246 words, and 3 pages

Les peaux d'enfants sur lesquelles on tra?ait des caract?res magiques, pr?servaient des maladies, et reculaient ind?finiment la vieillesse.

Le t?raphim, esp?ce d'automate dans le genre de l'andro?de, se fabriquait ?galement sous l'influence des constellations. On le frottait d'huile et d'ammoniaque, on l'entourait de cierges, on pla?ait sous sa langue une lame d'or, sur laquelle ?tait ?crit en caract?res myst?rieux le nom d'un d?mon impur, et, dans cet ?tat, il r?pondait ? toutes les questions qui lui ?taient faites.

Le carr? magique, esp?ce d'?chiquier dont chaque case ?tait marqu?e d'un chiffre, servait tout ? la fois aux conjurations et aux consultations sur l'avenir; il devait ?tre trac? sur un parchemin pr?par? avec la peau d'un animal vierge, ou qui n'avait jamais engendr?.

Des onguents, des poudres et des breuvages.--Des plantes et mati?res diverses qui entraient dans leur composition.--De l'emploi des cadavres dans les pr?parations magiques.--Recettes.--Empoisonnements.

Apr?s avoir cherch? une puissance surnaturelle dans les rayons des astres, dans le ciel et dans l'enfer, dans les chiffres et les lettres, les traditions du paganisme et la parodie des c?r?monies chr?tiennes, les sorciers s'adressaient encore aux plantes, aux arbres, aux animaux, aux cadavres; ils les soumettaient ? des manipulations fantastiques, elles combinaient de cent mani?res diff?rentes pour en tirer des onguents, des poudres ou des breuvages. Ces herbes de la Thessalie, sur lesquelles on disait que Cerb?re, vaincu par Hercule, avait r?pandu sa bave, ces herbes avaient gard? pour le moyen ?ge leurs propri?t?s redoutables.

Parmi les plantes, la sorcellerie choisit de pr?f?rence toutes celles qui sont v?n?neuses ou infectes, telles que la cigu? ou la val?riane; celles qui croissent dans les ruines et sur les tombeaux, le lierre, la mauve et l'asphod?le; parmi les arbres, elle choisit le cypr?s, et, comme pour rendre un dernier hommage ? l'idol?trie druidique, elle pr?te au gui une vertu myst?rieuse. Parmi les animaux, elle s'attache ? ceux qui sont hideux, tristes ou malfaisants, comme le coq que l'antiquit? avait consacr? ? la mort; le serpent qui s?duisit la premi?re femme sur les gazons du paradis terrestre; le loup, le hibou, le crapaud.

Les cadavres humains eux-m?mes figuraient dans les pr?parations diaboliques, et les sorciers, fid?les ? leur principe de chercher toujours ce qui ?tait impur et souill?, recommandaient de n'employer, en fait de d?bris humains, que ceux qui provenaient des malfaiteurs, des excommuni?s, des h?r?tiques et des pendus. Pour ajouter ? l'efficacit? de ces restes affreux, on devait se les procurer dans les circonstances les plus lugubres. Ceux que l'on ramassait dans les voiries ?taient beaucoup plus efficaces que ceux qui provenaient des cimeti?res; mais rien n'?galait le corps des supplici?s d?tach?s du gibet, ? l'heure de minuit, par une nuit sans lune, et surtout ? la lueur des ?clairs, pendant un orage.

Dans les onguents ou breuvages destin?s ? produire l'amour, on employait des t?tes de milan, des queues de loup, des cendres de tableaux ou d'images de saints canonis?s, des cheveux d'hommes et de femmes. Tous les m?langes dont nous venons de parler, outre les vertus qu'ils avaient par eux-m?mes, devaient recevoir la cons?cration des paroles et des conjurations magiques, et dans ces paroles il y avait toujours une parodie des pri?res de l'?glise, comme il y eut aussi quelquefois une profanation de ses plus grands myst?res par l'emploi sacril?ge des hosties consacr?es.

Applications diverses des recettes de la sorcellerie.--Les pr?dictions.--Un soldat du duc Uladislas.--Les meurtres.--La sorci?re de Provins.--?vocation des rois de France au ch?teau de Chaulmont.

Nous connaissons maintenant toutes les sources auxquelles les magiciens et sorciers vont demander un pouvoir surnaturel. Nous connaissons les pactes, les conjurations, le grimoire, les talismans, les carr?s, les baguettes, les anneaux magiques, les poudres, les breuvages et les onguents. Nous allons voir maintenant ? quels usages les sorciers appliquaient tout ce formalisme lugubre, et ce qu'ils faisaient ou pr?tendaient faire de leur puissance.

Cette puissance ?tait infinie et sans bornes, et en suivant ? travers l'histoire les prodiges qu'on lui attribuait, on reste ?pouvant? de la sottise humaine, et l'on a peine ? comprendre ce qu'il en co?te ? l'humanit? de si?cles et d'efforts pour secouer le joug des plus grossiers mensonges.

La divination, qui formait dans l'antiquit? l'une des branches les plus importantes de la th?ogonie pa?enne, fut aussi dans le moyen ?ge, nous l'avons indiqu? plus haut, l'un des principaux attributs des magiciens et des sorciers qui, en g?n?ral, en empruntaient les pratiques ? l'astrologie. Il n'est point d'?v?nements importants que les magiciens et les devins n'aient pr?dits; il n'est point d'hommes c?l?bres dont ils n'aient annonc? la grandeur ou la mort; et l'on ferait des volumes avec les contes auxquels cette croyance a donn? lieu. Nous choisirons au hasard, au milieu de ces r?veries, quelques faits caract?ristiques.

AEn?as Sylvius raconte que pendant la guerre du duc Uladislas contre Gr?miozilas, duc de Boh?me, une sorci?re dit ? son fils, qui suivait le parti d'Uladislas, que son ma?tre succomberait dans l'a premi?re bataille avec la plus grande partie de son arm?e, et que, pour lui, il ?chapperait au p?ril s'il tuait le premier ennemi qu'il rencontrerait dans la m?l?e, s'il lui coupait ensuite les oreilles, et faisait une croix avec son ?p?e sanglante entre les pieds de devant de son cheval. Le fils de la sorci?re ex?cuta fid?lement ces prescriptions; il sortit sain et sauf du combat, tandis qu'Uladislas resta sur le champ de bataille avec une grande partie de son arm?e.

Les sorciers font la pluie et le beau temps.--Les marchands de temp?tes.--Ensorcellement des terres, des moissons et des animaux domestiques.--Formules.--Le ch?teau de Belle-Garde.--Cr?ation d'animaux vivants.

En m?me temps qu'ils r?v?laient les myst?res de l'avenir, les sorciers op?raient sur les ?l?ments, les hommes, les animaux, les objets immat?riels, et enfin sur eux-m?mes une foule de prodiges d?sign?s sous le nom de sorts, enchantements, mal?fices, envoussures, aiguillettes, etc. Dans ce monde sans bornes de l'erreur, toutes les absurdit?s s'encha?naient logiquement et d?coulaient pour ainsi dire les unes des autres. D?s que la possibilit? d'un seul fait ?tait admise, on pouvait en admettre mille; ils se valaient tous, et l'on n'avait point ? choisir.

Les sorciers se vantaient ?galement d'arr?ter le cours des fleuves, de les faire remonter vers leur source, de produire la foudre et de la faire tomber l? o? ils voulaient, de transporter les moissons d'un champ dans un autre, de frapper les terres de st?rilit?. Chez les Romains, cette derni?re op?ration se pratiquait au moyen d'une pierre qui, plac?e sur le sol que l'on voulait rendre improductif, indiquait qu'il ?tait vou? ? la mal?diction, et que ceux qui oseraient le cultiver ?taient ? leur tour vou?s ? la mort. Les lois pronon?aient la peine capitale contre les sorciers qui se livraient ? cet enchantement. Des faits analogues se produisirent au moyen ?ge et m?me dans les temps modernes. On vit se former en ?cosse des associations de sorci?res, dont le but ?tait de s'approprier la r?colte des champs qui ne leur appartenaient pas, et la superstition populaire s'emparant de ce fait, inventa une foule de l?gendes. On disait que, quand les sorci?res voulaient s'emparer des produits, d'un champ, elles labouraient ce champ avec un attelage de crapauds; que le diable lui-m?me, conduisait la charrue, que les cordes de cette charrue ?taient de chiendent, que le soc ?tait fait avec la corne d'un animal ch?tr?, que ce singulier labourage une fois termin?, tous les fruits passaient d'eux-m?mes dans la grange des sorci?res, et qu'il ne restait au propri?taire que des ?pines et des ronces.

Quand on agissait avec cette puissance sur la mati?re, on devait ? bien plus forte raison agir sur les ?tres vivants; aussi voyons-nous les croyances populaires se pr?occuper constamment, et avec une insistance qui persiste encore aujourd'hui dans les campagnes, des mal?fices et des sortil?ges auxquels sont expos?s les animaux domestiques. Les bergers avaient, pour ainsi dire, monopolis? cette sorte de mal?fices. On les accusait de r?pandre ? leur gr? les ?pizooties, de rendre les chevaux immobiles, de dess?cher les p?turages pour faire mourir de faim les troupeaux de leurs ennemis, et de changer en loups les agneaux naissants, qui d?voraient leurs m?res au lieu de les t?ter; mais, par compensation, s'ils ?taient puissants pour le mal, ils l'?taient ?galement pour le bien. Ils avaient des formules infaillibles pour gu?rir les animaux ou pour ?loigner les loups; en voici un ?chantillon:

<<--Sel qui es fait et form? au ch?teau de Belle, sainte belle ?lisabeth, au nom de Disolet, Soff? portant sel, sel dont sel, je te conjure au nom de Gloria, Doriant? et de Galliane, sa soeur; sel, je te conjure que tu aies ? me tenir mes vils chevaux de b?tes cavalines que voici pr?sents, devant Dieu et devant moi, saints et nets, bien buvants, bien mangeants, gros et gras, qu'ils soient ? ma volont?; sel dont sel, je te conjure par la puissance de gloire, et par la vertu de gloire, et en toute mon intention toujours de gloire.

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Lorsque le sorcier agit sur les autres ou pour les autres, c'est, en g?n?ral, pour nuire ou servir des passions coupables, et en cela il diff?re essentiellement de l'enchanteur et m?me du magicien, tel que ce dernier est pr?sent? par les croyances orientales, ou par les plus anciens po?mes chevaleresques, car dans ces po?mes, comme dans ces croyances, le magicien fait plus volontiers le bien que le mal et on peut le prendre sans scrupule pour un savant ou pour un sage. Quant au sorcier, c'est toujours et partout, dans ses rapports avec ses semblables, l'homme que nous avons vu plus haut pactiser avec le diable; c'est toujours un ?tre fonci?rement m?chant; on en jugera par ce qui suit.

Comme les dieux de l'enfer pa?en, le sorcier ne sait point s'attendrir, et pour se venger de ses ennemis, quelquefois m?me pour tourmenter par plaisir ceux qui lui font envie, il les frappe de maladies effroyables. M. de Saint-Andr? parle d'une jeune fille ensorcel?e, qui, apr?s avoir perdu le mouvement et la respiration, vomit, pendant plusieurs mois, des coques d'oeufs, du verre, des coquilles, des clous de roues de chariot, des couteaux, des aiguilles et des pelotes de fil. D'autres vomissaient des crapauds, des serpents, des hiboux; quelquefois le sorcier ordonnait au diable lui-m?me d'entrer dans le corps de la victime, et alors on voyait se produire, par l'effet du mal?fice, tous les ph?nom?nes de la possession. Les ensorcel?s qui portaient en eux un autre ?tre, se d?tournaient de la soci?t? des hommes pour s'exiler dans les cimeti?res, et jusque dans les tombeaux. Leur figure avait la couleur du c?dre; leurs yeux rouges comme des charbons, sortaient des orbites; leur langue, roul?e comme un cornet, pendait sur leur menton, et le contact et la vue des choses saintes produisaient sur eux le m?me effet que l'eau sur les hydrophobes. La m?decine ?tait impuissante ? les gu?rir, et ils mouraient souvent comme suffoqu?s par le diable.

Les affaires d'envo?tement sont tr?s-nombreuses au moyen ?ge, et m?me ? une ?poque assez rapproch?e de nous; elles sont de plus r?pandues dans toute l'Europe. On racontait en ?cosse que le roi Duffus, ayant ?t? attaqu? tout ? coup d'une fi?vre br?lante et de sueurs continuelles, dont rien ne pouvait calmer l'ardeur ou diminuer l'abondance, les m?decins d?clar?rent que leur art ?tait impuissant, et que sans aucun doute Duffus ?tait ensorcel?. Les sergents et les magistrats se mirent en qu?te et trouv?rent deux femmes d'une fort mauvaise r?putation, qui faisaient des c?r?monies ?tranges sur une petite statuette de cire qu'elles chauffaient ? un grand feu. Les femmes, conduites en prison, avou?rent qu'elles avaient envo?t? le roi, et que c'?taient elles qui avaient caus? la fi?vre et les sueurs; les m?decins alors ordonn?rent de placer la statuette dans un endroit frais. L'ordre fut ex?cut?. Aussit?t le roi cessa de suer, et ne tarda point ? se r?tablir.

De nombreux t?moins furent interrog?s, entre autres l'ermite de Saint-Flavy, qui confirma les faits; l'?v?que fut condamn?, mais le caract?re dont il ?tait rev?tu le sauva du dernier supplice, et il resta en prison jusqu'en 1313, ?poque ? laquelle son innocence fut reconnue. Vers le m?me temps, des accusations de sorcellerie furent aussi, on le sait, port?es contre les templiers, mais moins heureux que l'?v?que Guichard, ils expi?rent sur le b?cher les crimes, pour la plupart imaginaires, dont on les avait charg?s.

De l'aiguillette.--Comment on la noue et on la d?noue.--Des philtres.--Les sorciers improvisent l'amour et l'amiti?--De l'alphabet sympathique et de la t?l?graphie humaine.

En m?me temps qu'il donnait la mort par l'envo?tement, le sorcier, par l'aiguillette, emp?chait l'homme ou la femme de transmettre la vie. Ce mal?fice, connu de l'antiquit?, est mentionn? dans Virgile et dans Ovide. Le nouement de l'aiguillette se faisait ordinairement pendant la c?r?monie du mariage. Le sorcier opposait aux paroles du pr?tre des paroles magiques, en pronon?ant le nom des deux ?poux, s'il voulait les ensorceler, tous deux, ou seulement le nom du mari ou le nom de la femme; s'il ne voulait en ensorceler qu'un seul. De plus, lorsque le pr?tre disait les paroles sacramentelles, celui qui pratiquait le mal?fice faisait un ou plusieurs noeuds ? un bout de cuir, de laine, de coton ou de soie qu'il tenait ? la main, et d?s ce moment l'aiguillette ?tait nou?e, c'est-?-dire que la consommation du mariage devenait impossible, et restait impraticable aussi longtemps que le noeud n'?tait point d?fait. Le mal?fice ?tait beaucoup plus puissant encore, quand on avait fait passer le noeud magique ? travers l'anneau nuptial. La femme pouvait elle-m?me nouer l'aiguillette ? son mari, et pour cela il lui suffisait, le jour de ses noces, de jeter son anneau de mariage ? la porte de l'?glise o? la b?n?diction lui avait ?t? donn?e, ou bien, la premi?re union contract?e devant un pr?tre, d'en contracter imm?diatement une seconde devant un juif, un excommuni? ou un Turc, ou bien encore d'envelopper une aiguille dans un drap mortuaire et de mettre cette aiguille sous du fumier. Dans l'antiquit?, les proc?d?s ?taient diff?rents. On faisait des figures de cire, comme dans l'envo?tement du moyen ?ge; on pronon?ait sur ces figures des impr?cations, et on leur enfon?ait des clous ou des aiguilles ? la place du foie, si?ge de l'amour. Le moyen le plus s?r de se pr?server de ces mal?fices, c'?tait de porter dans le chaton d'une bague une dent de belette; mais une fois le sortil?ge op?r?, la personne qui avait nou? l'aiguillette pouvait seule la d?nouer. Elle devait surtout faire attention ? ne point couper le noeud, car dans ce cas l'enchantement ?tait ?ternel.

L'aiguillette, comme toutes les choses du moyen ?ge, avait son contraire, et les hommes qui, dans certains cas, d?truisaient l'amour, le produisaient dans d'autres circonstances. La huiti?me ?glogue de Virgile fait conna?tre avec d?tail les pratiques au moyen desquelles on allumait dans le coeur des hommes ou des femmes d'irr?sistibles passions. Dans ce curieux morceau de po?sie, on voit une sorci?re, fatigu?e de l'indiff?rence de son amant Daphnis, essayer, pour exciter ses feux, des formules les plus efficaces. On la voit portant une figure de cire au pied des autels, l'apostropher dans les termes les plus passionn?s. Elle ceint cette figure de trois bandelettes de couleurs diff?rentes, et s'adressant ? Amaryllis, elle la conjure de nouer les trois bandelettes de trois noeuds, et de dire, en faisant cette op?ration, qu'elle serre les liens de V?nus. On op?rait encore au moyen des breuvages connus sous le nom de philtres; mais ces breuvages n'?taient souvent, et tout simplement, que des boissons aphrodisiaques, et m?me des poisons, comme on le voit par le philtre qui donna, dit-on, la mort au po?te Lucr?ce.

Ensorcellements des sorciers par eux-m?mes.--M?tamorphoses des hommes en b?tes.--De la lycanthropie.--La patte du loup et la main de la ch?telaine.--Anecdotes diverses.--La caverne de Lucken-Have.--La sorci?re volante.

Les divers enchantements dont nous venons de parler, quelque absurdes qu'ils soient, ont du moins leurs motifs dans les sentiments ou les passions. On con?oit en effet que l'homme d?sire ardemment conna?tre l'avenir; qu'il recherche la vengeance, l'amour ou l'amiti?, qu'il veuille asservir les ?l?ments ? sa puissance, et qu'il tente m?me de cr?er des ?tres vivants, en dehors des lois ordinaires de la reproduction des races. Il y a l? tout ? la fois, de sa part, un effort de son orgueil et une lutte d?sesp?r?e contre sa propre faiblesse. Mais ce qui se con?oit plus difficilement, c'est qu'il soit venu ? l'id?e des hommes de se changer eux-m?mes en animaux malfaisants, comme cela se pratiquait dans la lycanthropie, ou m?tamorphose de l'homme en loup.

Il faudrait des volumes pour exposer en d?tail tous les prodiges attribu?s aux sorciers; nous avons essay?, dans les pages qu'on vient de lire, de grouper autant que possible, dans un ordre logique, ceux qui passaient pour ?tre les plus fr?quents, et qui formaient pour ainsi dire la tradition classique; mais il en reste encore une infinit? d'autres qui sont tout ? fait en dehors de cette tradition, et qui paraissent au milieu de toutes ces merveilles, des merveilles exceptionnelles. Les deux r?cits suivants, pris au hasard entre mille autres du m?me genre, nous ont paru m?riter une distinction particuli?re, le premier ? cause de sa teinte po?tique et chevaleresque, le second parce qu'il est gravement enregistr? dans une histoire s?rieuse, celle de Charles-Quint, par Sandoval.

Nous avons, on le voit, travers? d?j? dans cette histoire, bien des r?cits ?tranges, ?voqu? bien des visions fantastiques, et cependant il nous reste encore ? raconter bien des folies. Ces folies sont comme entass?es dans un r?ve qui les r?sume toutes; nous avons nomm? le sabbat.

Du sabbat,--Ce que c'est que le sabbat.--Des assembl?es g?n?rales et particuli?res.--O? elles se tiennent.--Ce qu'il faut faire pour y ?tre admis.--Noviciat sacril?ge des initi?s.--Convocation ? domicile.--Comment on se transporte au sabbat.--La pluie d'hommes.--Mise en sc?ne et c?r?monial.--De la forme du diable et de l'aspersion.

On appelait sabbat les assembl?es que les sorciers tenaient la nuit sous la pr?sidence du diable, pour c?l?brer les rites les plus myst?rieux de leur art infernal, rendre hommage ? leur ma?tre, et se livrer entre eux ? tous les emportements de leurs passions.

Le diable, pour r?unir ses affid?s, faisait para?tre dans les airs un signe dont eux seuls connaissaient le sens, ou il envoyait une chauve-souris, un papillon de nuit, et quelquefois un mouton, les pr?venir ? domicile. Quelques-uns se rendaient ? l'endroit d?sign? mont?s sur un manche ? balai, parodie vulgaire du dard merveilleux qu'Apollon hyperbor?en avait donn? ? Abaris, et sur lequel celui-ci traversait les airs. De Lancre nous apprend que, quand on partait emport? par cette singuli?re monture, il fallait, pour ne point tomber de la r?gion des nuages, r?p?ter ? plusieurs reprises, ?MEN ?TAN, c'est-?-dire en argot satanique, ICI et LA. D'autres se frottaient avec des onguents magiques, ou le venin lanc? par un crapaud effray? et irrit?, et, par le seul effet de ces drogues, ils se trouvaient tout ? coup transport?s au lieu de la r?union. Quelquefois aussi, quand le sorcier voulait aller au sabbat; il se d?pouillait de ses v?tements, et apr?s s'?tre frott? aux aisselles, aux plis des bras, aux poignets, sous la plante des pieds, avec une graisse dont nous donnons plus loin la composition, il montait le long de la chemin?e, et, l? ? l'extr?mit? du tuyau, il trouvait un grand homme cornu, velu et noir, qui le transportait avec la rapidit? de la pens?e, au lieu de la r?union. Cet homme, on le devine, c'?tait le diable, qui poussait la complaisance jusqu'? pr?ter ses ?paules; aux initi?s; mais ce mode de transport n'?tait point sans p?ril, car il arrivait souvent qu'au milieu du voyage le malin esprit, humili? de son r?le, ou par simple fantaisie de mal faire, se cabrait comme un cheval r?tif; les cavaliers d?sar?onn?s se cassaient le cou en tombant du haut des airs, et on les trouvait le lendemain matin, accroch?s au sommet des arbres, ou couch?s tout sanglants sur les chemins, dans leur costume du sabbat. C'est l?, dit un d?monographe, ce qui a donn? lieu ? cette croyance, qu'il y avait des pluies d'hommes. Lorsqu'un sorcier ?tait convoqu? pour le sabbat, et qu'il avait la ferme intention de s'y rendre, aucun pouvoir humain n'?tait capable de l'en emp?cher. Quand on l'enfermait, il passait par la serrure. Un mari voulut un jour retenir sa femme; il l'attacha pr?s de lui dans son lit. Mais la femme ?chappa ? l'?treinte des liens en se changeant en chauve-souris, et se sauva par la chemin?e.

Tous les sorciers ?taient tenus d'assister aux assembl?es g?n?rales, et ils ne pouvaient se justifier d'y avoir manqu? qu'en pr?sentant un certificat en bonne forme, qui donnait ? leur absence un motif plausible. Le diable, dans ces assembl?es, se faisait rendre compte de leurs actions, des mal?fices qu'ils avaient pratiqu?s; il les recevait d'une fa?on d'autant plus bienveillante, qu'ils avaient fait plus de mal, et, quand par hasard ils n'en avaient point fait, il les grondait, les battait, leur donnait des coups d'?trivi?res et de baguettes.

Dans les assembl?es ordinaires, le c?r?monial variait ? l'infini, suivant les temps ou les lieux, mais, sauf les nuances de certains d?tails, le fond restait le m?me ? peu pr?s partout; et voici comme les choses se passaient g?n?ralement.

Continuation du sabbat.--Hommages rendus au diable par les initi?s.--De la messe diabolique.--De la fabrication des onguents magiques.--Exhortations du diable ? ses h?tes.--Le festin.--Le bal.

La s?ance une fois ouverte, chacun prend son r?le: comme de raison, le plus important appartient au diable; et ce r?le peut se ranger sous quatre chefs principaux: 1? Satan re?oit les hommages de ses sujets; 2? il compose, pour les leur distribuer, des poudres et des onguents magiques; 3? il fait des conf?rences et des exhortations; 4? il se livre, ? l'?gard des c?r?monies du catholicisme, aux profanations les plus sacril?ges.

Apr?s avoir fait l'aspersion dont nous avons parl? plus haut, Satan pla?ait toutes les herbes apport?es par les initi?s dans une immense chaudi?re, avec des crapauds, des couleuvres, des balayures d'autels, de la limaille de cloches et des enfants coup?s par morceaux. Il ?cumait la graisse de cet affreux bouillon, et, apr?s avoir prononc? sur cette graisse des paroles sacramentelles, il en faisait des onctions aux assistants, et leur en distribuait ensuite de petits pots; c'?tait l?, pour les mal?fices, l'ingr?dient le plus infaillible, et cette drogue conservait dans son action quelque chose de la perversit? et de la puissance de celui qui l'avait pr?par?e.

Les sorciers, apr?s avoir re?u l'onguent, mangeaient les d?bris des chairs qui avaient servi ? sa composition et ils se rangeaient ensuite autour du tr?ne, pour ?couter les exhortations de leur ma?tre. Celui-ci rev?tait, comme pour la messe diabolique, une mitre, une aube, une chasuble noire. On ne dit pas si, pour cette nouvelle c?r?monie, il reprenait la forme humaine, car ces v?tements devaient figurer fort mal sur un bouc, un corbeau ou un crapaud. Debout sur son tr?ne d'?b?ne, <> Satan recommandait ? ses vassaux de faire tout ce que r?prouvait l'?glise, et leur ordonnait le meurtre, l'inceste, l'adult?re, la trahison, tous les grands crimes, et, pour gages de leur soumission, il leur demandait d'affreux blasph?mes. Ses discours ?taient entrecoup?s d'impr?cations terribles, et sa voix rauque et discordante. Il semblait plut?t braire que parler, et il terminait son discours en donnant le signal des r?jouissances.

Comme dans les f?tes mondaines, ces r?jouissances consistaient principalement en danses et en festins. Le menu de ces festins ?tait des plus vari?s. Tant?t la table ?tait charg?e de mets splendides, pr?par?s avec une d?licatesse extr?me, tant?t on n'y mangeait que du pain noir et de la chair d'enfants; mais cette chair et les mets les plus recherch?s eux-m?mes ?taient toujours d'une extr?me fadeur, attendu que l'on n'y employait jamais le sel, parce que l'?glise s'en servait dans la b?n?diction de l'eau et dans le bapt?me; de plus, les sorciers avaient beau manger et boire, ils ne parvenaient jamais ? calmer leur soif ou leur faim, ce qui fait dire ? quelques d?monographes que le diable ne donnait jamais aux invit?s du sabbat que des viandes et des vins fantastiques. Quelquefois, pour ?gayer les convives, Satan chantait, comme les jongleurs dans les repas des barons, des histoires emprunt?es aux l?gendes de l'enfer, et, la chanson termin?e, on portait des toasts ? la ruine de la foi, ? l'h?r?sie, ? l'Antechrist.

Apr?s le repas, on dansait; chaque homme devait amener une femme, et quand, par hasard, il manquait quelques personnes pour compl?ter les quadrilles, Satan y suppl?ait par des incubes et des succubes, c'est-?-dire des d?mons m?les et femelles. La toilette de rigueur ?tait une nudit? compl?te. Les danseurs et les danseuses, au lieu de bouquets, portaient ? la main des torches de poix noire; un vieux Turc ouvrait la danse avec une jeune religieuse qui avait forfait ? ses voeux; alors, au milieu d'une ronde effr?n?e, tous les assistants se livraient aux actes de la plus hideuse d?pravation. La danse termin?e, et au moment o? le chant du coq annon?ait les premi?res lueurs du jour, chacun retournait chez soi, comme il ?tait venu, sur un balai ou sur le dos du diable.

Coup d'oeil r?trospectif sur l'ensemble de la sorcellerie.--Impi?t? et dangers de cette pr?tendue science.--Confiance qu'elle inspire dans tout le moyen ?ge.--De la conviction des sorciers.--Explication naturelle de divers faits extraordinaires.--Charlatans et hallucin?s.

Nous connaissons maintenant toutes les aspirations, tous les secrets, tous les actes de la sorcellerie. En parcourant cette lugubre histoire, nous nous sommes born? ? raconter les faits sans r?flexions, sans commentaires; il nous faut maintenant passer du r?ve ? la r?alit?.

On le voit, par ce que nous venons de dire, la sorcellerie, qui va toujours en se d?gradant ? travers le moyen ?ge, arrive, au seuil m?me des temps modernes, aux derni?res limites de la folie et de l'impi?t?. Ce n'est plus seulement, comme ? l'origine, une sorte de superf?tation de la science; c'est une sombre et cynique protestation contre les croyances les plus saintes et les plus respectables. C'est en quelque sorte la religion du mal qui se pose en face d'une religion divine. C'est la r?habilitation de tous les instincts pervers, le triomphe et l'exaltation de toutes les passions redoutables. C'est un outrage ? la raison humaine. Que feront l'?glise, la raison, la soci?t?, ? l'?gard de cette pr?tendue science, qui ne tend ? rien moins qu'? bouleverser les ?l?ments, ? commettre avec impunit? tous les crimes, ? s'?lever au-dessus des lois divines et humaines?

Pendant de longs si?cles, la raison accepte et s'incline. Quelque absurdes que soient les faits, le moyen ?ge les croit toujours, et, dans son ignorance, il se garde bien de soup?onner qu'il insulte ? la fois l'homme et Dieu: l'homme, en rapportant ? une intelligence sup?rieure et mauvaise la science et la puissance d'action qui sont le r?sultat de l'intelligence et de la volont? humaine; Dieu, le ma?tre absolu, en lui faisant partager l'empire du monde avec une cr?ature vou?e ? sa col?re. Quand on a fait la part du charlatanisme, qui sans aucun doute a, dans tous les temps, y compris le n?tre, exploit? habilement la cr?dulit? publique; quand on a fait ? l'ignorance des chroniqueurs et des d?monographes la plus large part possible, on n'en constate pas moins, d'une mani?re irr?cusable, l'adh?sion universelle des hommes, et m?me des hommes ?clair?s; on reconna?t que les faits les plus absurdes ont acquis, aupr?s d'une foule de gens, l'?vidence des faits les plus irr?cusables; et ce qu'il y a de plus ?trange ce n'est pas que la foule ait cru qu'il y avait des sorciers et qu'elle en ait vu partout, c'est qu'un tr?s-grand nombre d'individus se soient sinc?rement imagin? qu'ils l'?taient eux-m?mes. C'est l? un point sur lequel il convient de s'arr?ter.

Lorsqu'on suit avec attention les proc?s de sorcellerie, on ne tarde point ? reconna?tre que les accus?s se partagent en trois cat?gories distinctes, qui se composent: 1? des v?ritables malfaiteurs qui cherchent ? d?guiser leurs crimes sous les apparences d'une science sup?rieure; 2? de malheureux qui sont innocemment victimes des pr?jug?s de leur temps; 3? d'hallucin?s qui sont dupes de leurs r?ves. C'est de ces derniers que nous allons nous occuper d'abord.

On trouve, dans les proc?s dont nous venons de parler, une foule d'individus qui, appliqu?s ? la torture, font des aveux complets, et les r?tractent ensuite, en disant qu'ils n'ont avou? que pour ?chapper ? la douleur; mais on en trouve aussi un tr?s-grand nombre qui soutiennent la r?alit? des faits dont on les accuse, et qui s'obstinent ? croire et ? mourir. On en voit d'autres qui, sur le b?cher m?me, restent persuad?s que le diable viendra les d?livrer, et qui affrontent le supplice avec un courage extraordinaire. La science moderne a cherch? l'explication de ce singulier ph?nom?ne, et elle l'a trouv? dans l'hallucination et l'extase. Elle a remarqu? d'abord que les sorciers v?ritablement convaincus ?taient, en g?n?ral, des gens appartenant aux classes les moins ?clair?es de la soci?t?, ou ? celles qui se trouvaient en lutte ouverte avec elle, comme les juifs, les cagots, les boh?miens, les h?r?tiques; il r?sulte ?videmment de l?, d'une part, que ces malheureux, par leur ignorance m?me, ?taient aptes ? recevoir sans examen l'impression de toutes les folies qui avaient cours de leur temps, et, de l'autre, qu'ils avaient int?r?t ? chercher en dehors de la soci?t? m?me des ressources secr?tes pour vivre d'une mani?re plus heureuse, ou pour se d?fendre contre les attaques auxquelles ils ?taient en butte. Du moment o? la croyance universelle admettait une science sup?rieure, il ?tait naturel qu'ils se tournassent vers elle pour lui demander, comme nous l'avons d?j? dit, tout ce que le monde leur refusait. L'?tude et la pratique de cette science devenant pour eux l'objet d'une constante pr?occupation, et l'instinct de l'homme le portant toujours ? croire ce qu'il d?sire, ils finissaient par s'absorber dans une id?e fixe. Le caract?re sombre et myst?rieux des pratiques auxquelles ils se livraient exaltait leur imagination, et ils s'?levaient, par degr?s, ? une sorte d'?tat extatique. Ils acqu?raient le fanatisme et la conviction de leur erreur; le r?ve finissait par dominer la raison, en un mot, ils avaient la folie de la sorcellerie. Les drogues dont ils faisaient usage ajoutaient encore ? cet ?tat d'excitation naturelle, et, en ce qui touche les faits relatifs au sabbat, nous citerons quelques exemples concluants.

Ce qui se passait pour le sabbat, se passait ?galement pour les lycanthropes. Certains individus s'imagin?rent qu'ils avaient le pouvoir de se transformer en loup, et l'on en vit qui dans cette id?e marchaient ? quatre pattes et cherchaient ? imiter le cri de cette b?te fauve. Un de ces hommes encore fort jeune, dit Walter Scott, fut mis en jugement ? Besan?on. Il d?clara qu'il ?tait le serviteur ou le piqueur du seigneur de la for?t, ainsi qu'il nommait son ma?tre, qu'on jugea ?tre le diable. Par le pouvoir de ce ma?tre, il ?tait transform? en loup, prenait le caract?re de cet animal, et se voyait accompagn? dans ses courses par un loup de plus grande taille, qu'il supposait ?tre le seigneur de la for?t lui-m?me. Ces loups d?vastaient les troupeaux et ?gorgeaient les chiens qui les d?fendaient. Si l'un ne voyait pas l'autre, il hurlait ? la mani?re des loups pour inviter son camarade ? venir partager sa proie; et si celui-ci n'arrivait pas ? ce signal, le premier enterrait cette proie aussi bien qu'il le pouvait.>> Ce malheureux croyait tr?s-sinc?rement ? ce r?cit, et les juges qui l'interrog?rent le firent br?ler, en toute s?curit? de conscience, apr?s l'avoir fait condamner sur sa propre d?position. En 1498, le parlement de Paris s'?tait montr? beaucoup plus raisonnable en cassant un arr?t rendu par le lieutenant criminel d'Angers contre un habitant de Maumusson, pr?s Nantes, qui pr?tendait avoir err? pendant plusieurs ann?es sous la forme d'un loup, et en envoyant ce pauvre diable ? l'h?pital Saint-Germain des Pr?s o? il fut trait? comme maniaque.

Nous n'insisterons pas plus longtemps sur les faits de ce genre. Les nombreuses ?tudes auxquelles les philosophes et les m?decins se sont livr?s de notre temps ne laissent aucun doute sur la puissance avec laquelle le r?ve, dans l'extase, l'hallucination et la folie, prend les apparences de la r?alit?, et combien les illusions de l'esprit r?agissent sur les illusions des sens. On voit d?s lors comment une foule d'aventures plus ou moins extraordinaires, n'?taient en r?alit? que des hallucinations, des id?es fixes, transform?es par l'imagination de certains hommes en faits apparents et tangibles. Qu'on admette ensuite la contagion de l'hallucination, contagion qui n'est pas moins irr?cusable que les effets de l'hallucination elle-m?me, qu'on fasse en m?me temps la part des ph?nom?nes naturels que la science n'avait point encore constat?s ou v?rifi?s, et l'on comprendra avec quelle facilit? les erreurs les plus ?tranges ont pu s'accr?diter.

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