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Munafa ebook

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Read Ebook: Les tendres ménages by Toulet Paul Jean

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Ebook has 938 lines and 34348 words, and 19 pages

P.-J. TOULET

Les Tendres M?nages

MARIAGE DE PROVINCE

Sylv?re No?l de Ribes avait, entre autres choses, apport? en dot au baron de Mariolles-Sainte-Mary, son r?cent ?poux, un bien assez vaste, mi-ch?teau, mi-ferme, sis ? l'ombre des Pyr?n?es, parmi des arbres noirs, des sources brusques et froides. Mariolles, qui avait de bonnes raisons de ne plus croire ? la candeur des lits d'h?tel, avait choisi de mener l? Sylv?re pour la premi?re nuit de leurs noces. Mme de Ribes avait souri ? ce dessein o? elle croyait d?m?ler cet amour de la terre, sans lequel il ne lui semblait pas qu'il p?t se fonder une famille durable.

--Vous connaissez Hargou?t, demanda-t-elle.

--Oui, j'y ai pass? encore, l'autre mois, avec votre mari--et un sanglier: le sanglier devant. Je n'ai pas eu beaucoup le loisir de me rendre compte. Il y a une ?glise--des arbres.

--Et des maisons--oui. Si jamais Boedeker meurt....

--Je voudrais vous y voir, Madame.... Je veux dire que ?a n'est pas ultra-commode de prendre des croquis ? cheval, et par ces petits chemins. D'autant que je ne monte pas comme feus les centaures.

--Oui, je sais.

--Merci, Madame. Et M. de Ribes, ? c?t? de moi qui jurait: <> Et ?a n'a pas rat?. Il s'est jet? dans les bois d'Athos. Quelle id?e aussi de chasser ? courre dans ce joli pays en biseaux.

--Le principal, c'est qu'Hargou?t est ? quatre lieues seulement de Ribes. Vous pourrez partir ? cinq heures et demie, quand les petits cousins r?clameront de danser, et seront fatigu?s de champagne...

--... fatigants.

--Vous n'arriverez pas beaucoup avant sept heures, ? cause des c?tes.

--Je me demande, remarque r?veusement M. de Mariolles, ce que nous y ferons.

--Comment, ce que vous y ferez!

--Mon Dieu, Madame, ? sept heures, nous ne pouvons pas d?cemment nous remettre ? table; et il sera peut-?tre un peu t?t pour--dormir. Enfin, ?a vaut toujours mieux que d'aller ? l'h?tel.

--Et le pays est si beau. Quelles terres! Vous verrez le ma?s qu'il y a cette ann?e.

Il esp?re y d?couvrir d'autres tr?sors. Sa fianc?e est grande, souple, mince. Elle donne l'impression aussi de quelque chose qui rebondit sous les doigts. Et M. de Mariolles se dit que son imagination ne respecte vraiment pas assez Mlle Sylv?re de Ribes. Aussi bien n'a-t-il gu?re exerc? sa tendresse que sur des personnes peu intactes, jusqu'au jour o? l'id?e de faire une fin lui est apparue dans les yeux pers de cette incomparable personne. Jusqu'? sa trentaine, qu'il a peu d?pass?e, les cit?s-auberges des Pyr?n?es ont, plus encore que Paris, suffi ? satisfaire chez lui ces trois instincts de boire, de jouer et d'embrasser, qui sont proprement la triple noblesse de l'homme, et le mettent si fort au-dessus des autres b?tes.

--Si vous voulez, continue Mme de Ribes, je me chargerai de l'installation, avec un tapissier de la ville. Qu'est-ce qu'il vous faudrait?

--Eh bien, deux chambres ? coucher pas trop Liberty, et deux cabinets de toilette, le mien entre les deux chambres.

--On peut arranger ?a, avec un petit salon pour Sylv?re, au-dessus de l'orangerie. Il y a un ?tage tr?s haut qui sert de grenier. Comme ?a on ne changera rien ? la maison, o? nous garderons nos m?mes appartements, si on y va l'?t?.

--Gentil, quand il pleuvra, ce petit syst?me.

--Je vous ach?terai deux parapluies.

--Rouge, le coton, de pr?f?rence.

Survient, ? ce moment, Mlle de Ribes, de son pas allong? qui rase le sol comme l'onde lente d'un rivage. Elle va ? son fianc? et lui sourit. Ses joues sont toutes roses; elle halette un peu, entr'ouvre la bouche, et l'on voit s'enfler tour ? tour ou d?cro?tre la courbe p?le de son cou.

--Tu as couru, lui dit sa m?re.

--Oui, un peu, avec les chiens. J'ai cru que Tom allait me jeter par terre en me sautant sur les ?paules.

--Croiriez-vous, Tony, que je l'ai prise l'autre jour, derri?re le magnolia, ? se rouler par terre avec ces b?tes. Il y avait de quoi la priver de dessert, n'?taient ses prochaines dignit?s.

--Je n'aime pas le dessert, dit Sylv?re. Et pour un peu, maman, vous chercheriez ? faire croire que je grimpe encore aux arbres.

--Comment, dit Mariolles, en s'inclinant, vous ne grimpez plus aux arbres, Mademoiselle: vous ?tes un tr?sor.

--Flatteur, fait Mme de Ribes.

Mais Sylv?re rabat ses cils recourb?s sur ses yeux couleur de mare, et sans doute s'admire aussi tout bas. Car elle sait combien cela co?te de ne plus monter de branche en branche comme jadis, au fond du parc, sa jupe entre les jambes; et comme c'est amusant de se balancer ? califourchon sur une flexible ramure, ou parfois, si l'on aper?oit au loin sa m?re qui passe, de l'?pouvanter par un appel a?rien.

Entre tant M. de Ribes est rentr?, lui aussi, tout fumant encore contre ses conseillers municipaux qui cherchent noise aux Soeurs du village ; puis ses deux fils, gros gar?ons frais ?moulus l'un du coll?ge, l'autre de la caserne, et qui s'acharnent ? bloquer Mariolles dans des coins pour lui parler de petites femmes: il les trouve odieux. Aussi bien le sont-ils, de toute leur plantureuse jeunesse.

Et puis, comme il faut faire quelque chose:

--Si on allait jusqu'au Gave, propose quelqu'un.

C'est la promenade classique du cru. A travers l'?troite vall?e, quadrill?e de menus champs, on s'y rend entre des haies d'?glantine et de sureau, sur un sol noir comme un chemin d'?gypte, jusqu'au bac qui remplace le pont suspendu emport? r?cemment par une crue du Gave. Et M. de Ribes explique, mais non point pour la premi?re fois, comment ce fut la faute des ing?nieurs, et des ing?nieux travaux dont ils ont voulu mettre les cultures ? l'abri de l'inondation.

Cependant de lents paysans, au geste circonspect, reviennent vers le village en poussant du b?tail devant eux. Ils ont les pommettes saillantes, une bouche narquoise ras?e de pr?s, l'oeil paisible ? la fois et astucieux. Parfois c'est un essieu qui crie. On voit pesamment approcher le char, tout noir sur le ciel de nacre. L'homme s'y tient debout, aiguillonnant ses boeufs, et chante une chanson vieille, lente, triste, qu'il interrompt pour saluer.

--Adichats, moussu No?l, et la compagnie.

Et voici le Gave. Sous le soir nuanc?, il court rapide et lumineux entre les hautes berges. On voit se d?tacher le bac de l'autre rive, pareil ? une d?coupure noire. Un groupe immobile et pr?cis de b?tes, d'outils, de gens l'occupe, qu'animent seuls les bras du passeur hissant sur sa corde, tandis que, par ?-coups, se fait entendre le roulement menu de la poulie sur le c?ble.

--La soir?e est douce, dit Sylv?re. Pourquoi ne passerions-nous pas l'eau?

Mais Mme de Ribes objecte qu'il se fait tard, et son mari non plus ne para?t pas insensible ? l'id?e de d?ner, en sorte qu'on se d?cide ? rentrer au ch?teau. Cependant les deux chiens de montagne, que l'on fait d'ordinaire traverser ? la nage, sont descendus au bord de l'eau qu'ils flairent avec convoitise.

--Ici, Tom. Ici, Djaly!

Et l'on s'en va. La nuit maintenant est presque tout ? fait tomb?e: chacun semble en devenir plus grave. Les deux jeunes gens eux-m?mes sentent l'heure bleue filtrer obscur?ment jusqu'? leur coeur, et le plus ?g?, celui qui sort de la caserne, prononce p?remptoirement.

--Il fait mucre.

Comme il a coutume d'appliquer indiff?remment cette ?pith?te ? tous les ciels, serait-ce Aden ou les deux P?les, sa famille a, depuis longtemps, cess? d'en rechercher le sens. Personne ne r?pond. Sylv?re et son fianc? se sont attard?s un peu en arri?re. Par moments l'oreille maternelle de Mme de Ribes distingue la voix de la jeune fille.

--Quand nous serons mari?s... lui entend-elle dire.

C'est ainsi que, par un trop doux matin d'automne, Sylv?re s'est r?veill?e toute seule dans un lit vaste, orn? de dentelles, et d'ailleurs frip?. Sa t?te est, comme un pavot sec, pleine d'une poussi?re de sommeil. Elle r?fl?chit, un bras nu repli? sous sa nuque, ? diverses circonstances de la veille et de la nuit. Ils ?taient arriv?s ? Hargou?t par une fin de coucher de soleil verte et ros?, d?licieuse. Au moment o? la voiture s'?tait arr?t?e devant la grande porte, que surmonte un ?cusson martel? aux mauvais jours, les paons avaient cri? dans les c?dres, et Pierre, le jardinier, ?tait accouru avec une lanterne pour ?clairer l'?curie. Puis c'?tait Ursule, sa vieille bonne d'autrefois, qui ?tait venue l'aider ? descendre, et l'embrasser en pleurant, quoiqu'il n'y e?t pas ? cette douleur de raisons bien apparentes. Et puis on avait soupe un peu, car Sylv?re ?tait de cette bonne race de campagnardes que les ?motions creusent. Et puis, et puis......

A ce moment on frappe, et un monsieur ? pantalon de soie ample et camisole entre de l'air le plus naturel du monde. Sylv?re n'a pas eu assez de lumi?re encore, ou de loisir, pour pr?ter attention ? ce galant d?shabill?, et elle l'admire dans son coeur; car peut-?tre est-il inutile de dire que, n'ayant point voyag? sur les Messageries Maritimes, elle n'est point initi?e aux myst?res du pyjama. Elle ignore de m?me qu'un jour son mari vieillissant reviendra ? la banni?re de ses p?res. Il y a bien d'autres choses que Sylv?re ignore, et encore lui semble-t-il avoir beaucoup appris depuis la veille.

--Bonjour, dit le pyjama, bonjour, monsieur Sylv?re.

--Pourquoi, Monsieur?

--Sylv?re, c'est un nom d'homme, non?

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