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Munafa ebook

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Read Ebook: Introduction à l'étude de la médecine expérimentale by Bernard Claude

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Ebook has 468 lines and 99310 words, and 10 pages

Claude Bernard

INTRODUCTION ? L'?TUDE DE LA M?DECINE EXP?RIMENTALE

Table des mati?res

Conserver la sant? et gu?rir les maladies: tel est le probl?me que la m?decine a pos? d?s son origine et dont elle poursuit encore la solution scientifique. L'?tat actuel de la pratique m?dicale donne ? pr?sumer que cette solution se fera encore longtemps chercher. Cependant, dans sa marche ? travers les si?cles, la m?decine, constamment forc?e d'agir, a tent? d'innombrables essais dans le domaine de l'empirisme et en a tir? d'utiles enseignements. Si elle a ?t? sillonn?e et boulevers?e par des syst?mes de toute esp?ce que leur fragilit? a fait successivement dispara?tre, elle n'en a pas moins ex?cut? des recherches, acquis des notions et entass? des mat?riaux pr?cieux, qui auront plus tard leur place et leur signification dans la m?decine scientifique. De notre temps, gr?ce aux d?veloppements consid?rables et aux secours puissants des sciences physico- chimiques, l'?tude des ph?nom?nes de la vie, soit ? l'?tat normal, soit ? l'?tat pathologique, a accompli des progr?s surprenants qui chaque jour se multiplient davantage.

Il est ainsi ?vident pour tout esprit non pr?venu que la m?decine se dirige vers sa voie scientifique d?finitive. Par la seule marche naturelle de son ?volution, elle abandonne peu ? peu la r?gion des syst?mes pour rev?tir de plus en plus la forme analytique, et rentrer ainsi graduellement dans la m?thode d'investigation commune aux sciences exp?rimentales.

Pour embrasser le probl?me m?dical dans son entier, la m?decine exp?rimentale doit comprendre trois parties fondamentales: la physiologie, la pathologie et la th?rapeutique. La connaissance des causes des ph?nom?nes de la vie ? l'?tat normal, c'est-?-dire la physiologie, nous apprendra ? maintenir les conditions normales de la vie et ? conserver la sant?. La connaissance des maladies et des causes qui les d?terminent, c'est-?-dire la pathologie, nous conduira, d'un c?t?, ? pr?venir le d?veloppement de ces conditions morbides, et de l'autre ? en combattre les effets par des agents m?dicamenteux, c'est-?-dire ? gu?rir les maladies.

Pendant la p?riode empirique de la m?decine, qui sans doute devra se prolonger encore longtemps, la physiologie, la pathologie et la th?rapeutique ont pu marcher s?par?ment, parce que, n'?tant constitu?es ni les unes ni les autres, elles n'avaient pas ? se donner un mutuel appui dans la pratique m?dicale. Mais dans la conception de la m?decine scientifique, il ne saurait en ?tre ainsi; sa base doit ?tre la physiologie. La science ne s'?tablissant que par voie de comparaison, la connaissance de l'?tat pathologique ou anormal ne saurait ?tre obtenue, sans la connaissance de l'?tat normal, de m?me que l'action th?rapeutique sur l'organisme des agents anormaux ou m?dicaments, ne saurait ?tre comprise scientifiquement sans l'?tude pr?alable de l'action physiologique des agents normaux qui entretiennent les ph?nom?nes de la vie.

Mais la m?decine scientifique ne peut se constituer, ainsi que les autres sciences, que par voie exp?rimentale, c'est-?-dire par l'application imm?diate et rigoureuse du raisonnement aux faits que l'observation et l'exp?rimentation nous fournissent. La m?thode exp?rimentale, consid?r?e en elle-m?me, n'est rien autre chose qu'un raisonnement ? l'aide duquel nous soumettons m?thodiquement nos id?es ? l'exp?rience des faits.

Le raisonnement est toujours le m?me, aussi bien dans les sciences qui ?tudient les ?tres vivants que dans celles qui s'occupent des corps bruts. Mais, dans chaque genre de science, les ph?nom?nes varient et pr?sentent une complexit? et des difficult?s d'investigation qui leur sont propres. C'est ce qui fait que les principes de l'exp?rimentation, ainsi que nous le verrons plus tard, sont incomparablement plus difficiles ? appliquer ? la m?decine et aux ph?nom?nes des corps vivants qu'? la physique et aux ph?nom?nes des corps bruts.

Le raisonnement sera toujours juste quand il s'exercera sur des notions exactes et sur des faits pr?cis; mais il ne pourra conduire qu'? l'erreur toutes les fois que les notions ou les faits sur lesquels il s'appuie seront primitivement entach?s d'erreur ou d'inexactitude. C'est pourquoi l'exp?rimentation, ou l'art d'obtenir des exp?riences rigoureuses et bien d?termin?es, est la base pratique et en quelque sorte la partie ex?cutive de la m?thode exp?rimentale appliqu?e ? la m?decine. Si l'on veut constituer les sciences biologiques et ?tudier avec fruit les ph?nom?nes si complexes qui se passent chez les ?tres vivants, soit ? l'?tat physiologique, soit ? l'?tat pathologique, il faut avant tout poser les principes de l'exp?rimentation et ensuite les appliquer ? la physiologie, ? la pathologie et ? la th?rapeutique. L'exp?rimentation est incontestablement plus difficile en m?decine que dans aucune autre science; mais par cela m?me, elle ne fut jamais dans aucune plus n?cessaire et plus indispensable. Plus une science est complexe, plus il importe, en effet, d'en ?tablir une bonne critique exp?rimentale, afin d'obtenir des faits comparables et exempts de causes d'erreur. C'est aujourd'hui, suivant nous, ce qui importe le plus pour les progr?s de la m?decine.

Pour ?tre digne de ce nom, l'exp?rimentateur doit ?tre ? la fois th?oricien et praticien. S'il doit poss?der d'une mani?re compl?te l'art d'instituer les faits d'exp?rience, qui sont les mat?riaux de la science, il doit aussi se rendre compte clairement des principes scientifiques qui dirigent notre raisonnement au milieu de l'?tude exp?rimentale si vari?e des ph?nom?nes de la nature. Il serait impossible de s?parer ces deux choses: la t?te et la main. Une main habile sans la t?te qui la dirige est un instrument aveugle; la t?te sans la main qui r?alise reste impuissante.

Les principes de la m?decine exp?rimentale seront d?velopp?s dans notre ouvrage au triple point de vue de la physiologie, de la pathologie et de la th?rapeutique. Mais, avant d'entrer dans les consid?rations g?n?rales et dans les descriptions sp?ciales des proc?d?s op?ratoires, propres ? chacune de ces divisions, je crois utile de donner, dans cette introduction, quelques d?veloppements relatifs ? la partie th?orique ou philosophique de la m?thode dont le livre, au fond, ne sera que la partie pratique.

Les id?es que nous allons exposer ici n'ont certainement rien de nouveau; la m?thode exp?rimentale et l'exp?rimentation sont depuis longtemps introduites dans les sciences physico-chimiques qui leur doivent tout leur ?clat. ? diverses ?poques, des hommes ?minents ont trait? les questions de m?thode dans les sciences; et de nos jours, M. Chevreul d?veloppe dans tous ses ouvrages des consid?rations tr?s-importantes sur la philosophie des sciences exp?rimentales. Apr?s cela, nous ne saurions donc avoir aucune pr?tention philosophique. Notre unique but est et a toujours ?t? de contribuer ? faire p?n?trer les principes bien connus de la m?thode exp?rimentale dans les sciences m?dicales. C'est pourquoi nous allons ici r?sumer ces principes, en indiquant particuli?rement les pr?cautions qu'il convient de garder dans leur application, ? raison de la complexit? toute sp?ciale des ph?nom?nes de la vie. Nous envisagerons ces difficult?s d'abord dans l'emploi du raisonnement exp?rimental et ensuite dans la pratique de l'exp?rimentation.

PREMI?RE PARTIE

DU RAISONNEMENT EXP?RIMENTAL.

CHAPITRE PREMIER DE L'OBSERVATION ET DE L'EXP?RIENCE.

L'homme ne peut observer les ph?nom?nes qui l'entourent que dans des limites tr?s-restreintes; le plus grand nombre ?chappe naturellement ? ses sens, et l'observation simple ne lui suffit pas. Pour ?tendre ses connaissances, il a d? amplifier, ? l'aide d'appareils sp?ciaux, la puissance de ces organes, en m?me temps qu'il s'est arm? d'instruments divers qui lui ont servi ? p?n?trer dans l'int?rieur des corps pour les d?composer et en ?tudier les parties cach?es. Il y a ainsi une gradation n?cessaire ? ?tablir entre les divers proc?d?s d'investigation ou de recherches qui peuvent ?tre simples ou complexes: les premiers s'adressent aux objets les plus faciles ? examiner et pour lesquels nos sens suffisent; les seconds, ? l'aide de moyens vari?s, rendent accessibles ? notre observation des objets ou des ph?nom?nes qui sans cela nous seraient toujours demeur?s inconnus, parce que dans l'?tat naturel ils sont hors de notre port?e. L'investigation, tant?t simple, tant?t arm?e et perfection n?e, est donc destin?e ? nous faire d?couvrir et constater les ph?nom?nes plus ou moins cach?s qui nous entourent.

Mais l'homme ne se borne pas ? voir; il pense et veut conna?tre la signification des ph?nom?nes dont l'observation lui a r?v?l? l'existence. Pour cela il raisonne, compare les faits, les interroge, et, par les r?ponses qu'il en tire, les contr?le les uns par les autres. C'est ce genre de contr?le, au moyen du raisonnement et des faits, qui constitue, ? proprement parler, l'exp?rience, et c'est le seul proc?d? que nous ayons pour nous instruire sur la nature des choses qui sont en dehors de nous.

Dans le sens philosophique, l'observation montre et l'exp?rience instruit. Cette premi?re distinction va nous servir de point de d?part pour examiner les d?finitions diverses qui ont ?t? donn?es de l'observation et de l'exp?rience par les philosophes et les m?decins.

On a quelquefois sembl? confondre l'exp?rience avec l'observation. Bacon para?t r?unir ces deux choses quand il dit: <> Les m?decins et les physiologistes, ainsi que le plus grand nombre des savants, ont distingu? l'observation de l'exp?rience, mais ils n'ont pas ?t? compl?tement d'accord sur la d?finition de ces deux termes: Zimmermann s'exprime ainsi: <> Cette d?finition repr?sente une opinion assez g?n?ralement adopt?e. D'apr?s elle, l'observation serait la constatation des choses ou des ph?nom?nes tels que la nature nous les offre ordinairement, tandis que l'exp?rience serait la constatation de ph?nom?nes cr??s ou d?termin?s par l'exp?rimentateur. Il y aurait ? ?tablir de cette mani?re une sorte d'opposition entre l'observateur et l'exp?rimentateur; le premier ?tant passif dans la production des ph?nom?nes, le second y prenant, au contraire, une part directe et active. Cuvier a exprim? cette m?me pens?e en disant: <>

Au premier abord, et quand on consid?re les choses d'une mani?re g?n?rale, cette distinction entre l'activit? de l'exp?rimentateur et la passivit? de l'observateur para?t claire et semble devoir ?tre facile ? ?tablir. Mais, d?s qu'on descend dans la pratique exp?rimentale, on trouve que, dans beaucoup de cas, cette s?paration est tr?s-difficile ? faire et que parfois m?me elle entra?ne de l'obscurit?. Cela r?sulte, ce me semble, de ce que l'on a confondu l'art de l'investigation, qui recherche et constate les faits, avec l'art du raisonnement, qui les met en oeuvre logiquement pour la recherche de la v?rit?. Or, dans l'investigation il peut y avoir ? la fois activit? de l'esprit et des sens, soit pour faire des observations, soit pour faire des exp?riences.

En effet, si l'on voulait admettre que l'observation est caract?ris?e par cela seul que le savant constate des ph?nom?nes que la nature a produits spontan?ment et sans son intervention, on ne pourrait cependant pas trouver que l'esprit comme la main reste toujours inactif dans l'observation, et l'on serait amen? ? distinguer sous ce rapport deux sortes d'observations: les unes passives, les autres actives. Je suppose, par exemple, ce qui est souvent arriv?, qu'une maladie end?mique quelconque survienne dans un pays et s'offre ? l'observation d'un m?decin. C'est l? une observation spontan?e ou passive que le m?decin fait par hasard et sans y ?tre conduit par aucune id?e pr?con?ue. Mais si, apr?s avoir observ? les premiers cas, il vient ? l'id?e de ce m?decin que la production de cette maladie pourrait bien ?tre en rapport avec certaines circonstances m?t?orologiques ou hygi?niques sp?ciales; alors le m?decin va en voyage et se transporte dans d'autres pays o? r?gne la m?me maladie, pour voir si elle s'y d?veloppe dans les m?mes conditions. Cette seconde observation, faite en vue d'une id?e pr?con?ue sur la nature et la cause de la maladie, est ce qu'il faudrait ?videmment appeler une observation provoqu?e ou active. J'en dirai autant d'un astronome qui, regardant le ciel, d?couvre une plan?te qui passe par hasard devant sa lunette; il a fait l? une observation fortuite et passive, c'est-?-dire sans id?e pr?con?ue. Mais si, apr?s avoir constat? les perturbations d'une plan?te, l'astronome en est venu ? faire des observations pour en rechercher la raison, je dirai qu'alors l'astronome fait des observations actives, c'est-?-dire des observations provoqu?es par une id?e pr?con?ue sur la cause de la perturbation. On pourrait multiplier ? l'infini les citations de ce genre pour prouver que, dans la constatation des ph?nom?nes naturels qui s'offrent ? nous, l'esprit est tant?t passif, ce qui signifie, en d'autres termes, que l'observation se fait tant?t sans id?e pr?con?ue et par hasard, et tant?t avec id?e pr?con?ue, c'est-?-dire avec intention de v?rifier l'exactitude d'une vue de l'esprit. D'un autre c?t?, si l'on admettait, comme il a ?t? dit plus haut, que l'exp?rience est caract?ris?e par cela seul que le savant constate des ph?nom?nes qu'il a provoqu?s artificiellement et qui naturellement ne se pr?sentaient pas ? lui, on ne saurait trouver non plus que la main de l'exp?rimentateur doive toujours intervenir activement pour op?rer l'apparition de ces ph?nom?nes. On a vu, en effet, dans certains cas, des accidents o? la nature agissait pour lui, et l? encore nous serions oblig?s de distinguer, au point de vue de l'intervention manuelle, des exp?riences actives et des exp?riences passives. Je suppose qu'un physiologiste veuille ?tudier la digestion et savoir ce qui se passe dans l'estomac d'un animal vivant; il divisera les parois du ventre et de l'estomac d'apr?s des r?gles op?ratoires connues, et il ?tablira ce qu'on appelle une fistule gastrique. Le physiologiste croira certainement avoir fait une exp?rience parce qu'il est intervenu activement pour faire appara?tre des ph?nom?nes qui ne s'offraient pas naturellement ? ses yeux. Mais maintenant je demanderai: le docteur W. Beaumont fit-il une exp?rience quand il rencontra ce jeune chasseur canadien qui, apr?s avoir re?u ? bout portant un coup de fusil dans l'hypocondre gauche, conserva, ? la chute de l'eschare, une large fistule de l'estomac par laquelle on pouvait voir dans l'int?rieur de cet organe? Pendant plusieurs ann?es, le docteur Beaumont, qui avait pris cet homme ? son service, put ?tudier de visu les ph?nom?nes de la digestion gastrique, ainsi qu'il nous l'a fait conna?tre dans l'int?ressant journal qu'il nous a donn? ? ce sujet. Dans le premier cas, le physiologiste a agi en vertu de l'id?e pr?con?ue d'?tudier les ph?nom?nes digestifs et il a fait une exp?rience active. Dans le second cas, un accident a op?r? la fistule ? l'estomac, et elle s'est pr?sent?e fortuitement au docteur Beaumont qui dans notre d?finition aurait fait une exp?rience passive, s'il est permis d'ainsi parler. Ces exemples prouvent donc que, dans la constatation des ph?nom?nes qualifi?s d'exp?rience, l'activit? manuelle de l'exp?rimentateur n'intervient pas toujours; puisqu'il arrive que ces ph?nom?nes peuvent, ainsi que nous le voyons, se pr?senter comme des observations passives ou fortuites.

Mais il est des physiologistes et des m?decins qui ont caract?ris? un peu diff?remment l'observation et l'exp?rience. Pour eux l'observation consiste dans la constatation de tout ce qui est normal et r?gulier. Peu importe que l'investigateur ait provoqu? lui-m?me, ou par les mains d'un autre, ou par un accident, l'apparition des ph?nom?nes, d?s qu'il les consid?re sans les troubler et dans leur ?tat normal, c'est une observation qu'il fait. Ainsi dans les deux exemples de fistule gastrique que nous avons cit?s pr?c?demment, il y aurait eu, d'apr?s ces auteurs, observation, parce que dans les deux cas on a eu sous les yeux les ph?nom?nes digestifs conformes ? l'?tat naturel. La fistule n'a servi qu'? mieux voir, et ? faire l'observation dans de meilleures conditions.

L'exp?rience, au contraire, implique, d'apr?s les m?mes physiologistes, l'id?e d'une variation ou d'un trouble intentionnellement apport?s par l'investigateur dans les conditions des ph?nom?nes naturels. Cette d?finition r?pond en effet ? un groupe nombreux d'exp?riences que l'on pratique en physiologie et qui pourraient s'appeler exp?riences par destruction. Cette mani?re d'exp?rimenter, qui remonte ? Galien, est la plus simple, et elle devait se pr?senter ? l'esprit des anatomistes d?sireux de conna?tre sur le vivant l'usage des parties qu'ils avaient isol?es par la dissection sur le cadavre. Pour cela, ou supprime un organe sur le vivant par la section ou par l'ablation, et l'on juge, d'apr?s le trouble produit dans l'organisme entier ou dans une fonction sp?ciale, de l'usage de l'organe enlev?. Ce proc?d? exp?rimental essentiellement analytique est mis tous les jours en pratique en physiologie. Par exemple, l'anatomie avait appris que deux nerfs principaux se distribuent ? la face: le facial et la cinqui?me paire; pour conna?tre leurs usages, on les a coup?s successivement. Le r?sultat a montr? que la section du facial am?ne la perte du mouvement, et la section de la cinqui?me paire, la perte de la sensibilit?. D'o? l'on a conclu que le facial est le nerf moteur de la face et la cinqui?me paire le nerf sensitif.

Nous avons dit qu'en ?tudiant la digestion par l'interm?diaire d'une fistule, on ne fait qu'une observation, suivant la d?finition que nous examinons. Mais si, apr?s avoir ?tabli la fistule, on vient ? couper les nerfs de l'estomac avec l'intention de voir les modifications qui en r?sultent dans la fonction digestive, alors, suivant la m?me mani?re de voir, on fait une exp?rience, parce qu'on cherche ? conna?tre la fonction d'une partie d'apr?s le trouble que sa suppression entra?ne. Ce qui peut se r?sumer en disant que dans l'exp?rience il faut porter un jugement par comparaison de deux faits, l'un normal, l'autre anormal.

Cette d?finition de l'exp?rience suppose n?cessairement que l'exp?rimentateur doit pouvoir toucher le corps sur lequel il veut agir, soit en le d?truisant, soit en le modifiant, afin de conna?tre ainsi le r?le qu'il remplit dans les ph?nom?nes de la nature. C'est m?me, comme nous le verrons plus loin, sur cette possibilit? d'agir ou non sur les corps que reposera exclusivement la distinction des sciences dites d'observation et des sciences dites exp?rimentales. Mais si la d?finition de l'exp?rience que nous venons de donner diff?re de celle que nous avons examin?e en premier lieu, en ce qu'elle admet qu'il n'y a exp?rience que lorsqu'on peut faire varier ou qu'on d?compose par une sorte d'analyse le ph?nom?ne qu'on veut conna?tre, elle lui ressemble cependant en ce qu'elle suppose toujours comme elle une activit? intentionnelle de l'exp?rimentateur dans la production de ce trouble des ph?nom?nes. Or, il sera facile de montrer que souvent l'activit? intentionnelle de l'op?rateur peut ?tre remplac?e par un accident. On pourrait donc encore distinguer ici, comme dans la premi?re d?finition, des troubles survenus intentionnellement et des troubles survenus spontan?ment et non intentionnellement. En effet, reprenant notre exemple dans lequel le physiologiste coupe le nerf facial pour en conna?tre les fonctions, je suppose, ce qui est arriv? souvent, qu'une balle, un coup de sabre, une carie du rocher viennent ? couper ou ? d?truire le facial; il en r?sultera fortuitement une paralysie du mouvement, c'est-?-dire un trouble qui est exactement le m?me que celui que le physiologiste aurait d?termin? intentionnellement.

Il en sera de m?me d'une infinit? de l?sions pathologiques qui sont de v?ritables exp?riences dont le m?decin et le physiologiste tirent profit, sans que cependant il y ait de leur part aucune pr?m?ditation pour provoquer ces l?sions qui sont le fait de la maladie. Je signale d?s ? pr?sent cette id?e parce qu'elle nous sera utile plus tard pour prouver que la m?decine poss?de de v?ritables exp?riences, bien que ces derni?res soient spontan?es et non provoqu?es par le m?decin.

Je ferai encore une remarque qui servira de conclusion. Si en effet on caract?rise l'exp?rience par une variation ou par un trouble apport?s dans un ph?nom?ne, ce n'est qu'autant qu'on sous- entend qu'il faut faire la comparaison de ce trouble avec l'?tat normal. L'exp?rience n'?tant en effet qu'un jugement, elle exige n?cessairement comparaison entre deux choses, et ce qui est intentionnel ou actif dans l'exp?rience, c'est r?ellement la comparaison que l'esprit veut faire. Or, que la perturbation soit produite par accident ou autrement, l'esprit de l'exp?rimentateur n'en compare pas moins bien. Il n'est donc pas n?cessaire que l'un des faits ? comparer soit consid?r? comme un trouble; d'autant plus qu'il n'y a dans la nature rien de troubl? ni d'anormal; tout se passe suivant des lois qui sont absolues, c'est-?-dire toujours normales et d?termin?es. Les effets varient en raison des conditions qui les manifestent, mais les lois ne varient pas. L'?tat physiologique et l'?tat pathologique sont r?gis par les m?mes forces, et ils ne diff?rent que par les conditions particuli?res dans lesquelles la loi vitale se manifeste.

Le reproche g?n?ral que j'adresserai aux d?finitions qui pr?c?dent, c'est d'avoir donn? aux mots un sens trop circonscrit en ne tenant compte que de l'art de l'investigation, au lieu d'envisager en m?me temps l'observation et l'exp?rience comme les deux termes extr?mes du raisonnement exp?rimental. Aussi voyons- nous ces d?finitions manquer de clart? et de g?n?ralit?. Je pense donc que, pour donner ? la d?finition toute son utilit? et toute sa valeur, il faut distinguer ce qui appartient au proc?d? d'investigation employ? pour obtenir les faits, de ce qui appartient au proc?d? intellectuel qui les met en oeuvre et en fait ? la fois le point d'appui et le criterium de la m?thode exp?rimentale.

Dans la langue fran?aise, le mot exp?rience au singulier signifie d'une mani?re g?n?rale et abstraite l'instruction acquise par l'usage de la vie. Quand on applique ? un m?decin le mot exp?rience pris au singulier, il exprime l'instruction qu'il a acquise par l'exercice de la m?decine. Il en est de m?me pour les autres professions, et c'est dans ce sens que l'on dit qu'un homme a acquis de l'exp?rience, qu'il a de l'exp?rience. Ensuite on a donn? par extension et dans un sens concret le nom d'exp?riences aux faits qui nous fournissent cette instruction exp?rimentale des choses.

Le mot observation, au singulier, dans son acception g?n?rale et abstraite, signifie la constatation exacte d'un fait ? l'aide de moyens d'investigation et d'?tudes appropri?es ? cette constatation. Par extension et dans un sens concret, on a donn? aussi le nom d'observations aux faits constat?s, et c'est dans ce sens que l'on dit observations m?dicales, observations astronomiques, etc.

Quand on parle d'une mani?re concr?te, et quand on dit faire des exp?riences ou faire des observations, cela signifie qu'on se livre ? l'investigation et ? la recherche, que l'on tente des essais, des ?preuves, dans le but d'acqu?rir des faits dont l'esprit, ? l'aide du raisonnement, pourra tirer une connaissance ou une instruction.

Quand on parle d'une mani?re abstraite et quand on dit s'appuyer sur l'observation et acqu?rir de l'exp?rience, cela signifie que l'observation est le point d'appui de l'esprit qui raisonne, et l'exp?rience le point d'appui de l'esprit qui conclut ou mieux encore le fruit d'un raisonnement juste appliqu? ? l'interpr?tation des faits. D'o? il suit que l'on peut acqu?rir de l'exp?rience sans faire des exp?riences, par cela seul qu'on raisonne convenablement sur les faits bien ?tablis, de m?me que l'on peut faire des exp?riences et des observations sans acqu?rir de l'exp?rience, si l'on se borne ? la constatation des faits.

L'observation est donc ce qui montre les faits; l'exp?rience est ce qui instruit sur les faits et ce qui donne de l'exp?rience relativement ? une chose. Mais comme cette instruction ne peut arriver que par une comparaison et un jugement, c'est-?-dire par suite d'un raisonnement, il en r?sulte que l'homme seul est capable d'acqu?rir de l'exp?rience et de se perfectionner par elle.

<> Mais c'est parce qu'il raisonne juste et exp?rimentalement sur ce qu'il observe; sans cela il ne se corrigerait pas. L'homme qui a perdu la raison, l'ali?n?, ne s'instruit plus par l'exp?rience, il ne raisonne plus exp?rimentalement. L'exp?rience est donc le privil?ge de la raison. <>

Nous donnerons au mot exp?rience, en m?decine exp?rimentale, le m?me sens g?n?ral qu'il conserve partout. Le savant s'instruit chaque jour par l'exp?rience; par elle il corrige incessamment ses id?es scientifiques, ses th?ories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec un nombre de faits de plus en plus grands, et pour approcher ainsi de plus en plus de la v?rit?.

On peut s'instruire, c'est-?-dire acqu?rir de l'exp?rience sur ce qui nous entoure, de deux mani?res, empiriquement et exp?rimentalement. Il y a d'abord une sorte d'instruction ou d'exp?rience inconsciente et empirique, que l'on obtient par la pratique de chaque chose. Mais cette connaissance que l'on acquiert ainsi n'en est pas moins n?cessairement accompagn?e d'un raisonnement exp?rimental vague que l'on se fait sans s'en rendre compte, et par suite duquel on rapproche les faits afin de porter sur eux un jugement. L'exp?rience peut donc s'acqu?rir par un raisonnement empirique et inconscient; mais cette marche obscure et spontan?e de l'esprit a ?t? ?rig?e par le savant en une m?thode claire et raisonn?e, qui proc?de alors plus rapidement et d'une mani?re consciente vers un but d?termin?. Telle est la m?thode exp?rimentale dans les sciences, d'apr?s laquelle l'exp?rience est toujours acquise en vertu d'un raisonnement pr?cis ?tabli sur une id?e qu'a fait na?tre l'observation et que contr?le l'exp?rience. En effet, il y a dans toute connaissance exp?rimentale trois phases: observation faite, comparaison ?tablie et jugement motiv?. La m?thode exp?rimentale ne fait pas autre chose que porter un jugement sur les faits qui nous entourent, ? l'aide d'un criterium qui n'est lui-m?me qu'un autre fait dispos? de fa?on ? contr?ler le jugement et ? donner l'exp?rience. Prise dans ce sens g?n?ral, l'exp?rience est l'unique source des connaissances humaines. L'esprit n'a en lui-m?me que le sentiment d'une relation n?cessaire dans les choses, mais il ne peut conna?tre la forme de cette relation que par l'exp?rience.

Il y aura donc deux choses ? consid?rer dans la m?thode exp?rimentale:

Mais, en dehors du raisonnement exp?rimental, l'observation et l'exp?rience n'existent plus dans le sens abstrait qui pr?c?de; il n'y a dans l'une comme dans l'autre que des faits concrets qu'il s'agit d'obtenir par des proc?d?s d'investigation exacts et rigoureux. Nous verrons plus loin que l'investigateur doit ?tre lui-m?me distingu? en observateur et en exp?rimentateur; non suivant qu'il est actif ou passif dans la production des ph?nom?nes, mais suivant qu'il agit ou non sur eux pour s'en rendre ma?tre.

L'art de l'investigation scientifique est la pierre angulaire de toutes les sciences exp?rimentales. Si les faits qui servent de base au raisonnement sont mal ?tablis ou erron?s, tout s'?croulera ou tout deviendra faux; et c'est ainsi que, le plus souvent, les erreurs dans les th?ories scientifiques ont pour origine des erreurs de faits.

Dans l'investigation consid?r?e comme art de recherches exp?rimentales, il n'y a que des faits mis en lumi?re par l'investigateur et constat?s le plus rigoureusement possible, ? l'aide des moyens les mieux appropri?s. Il n'y a plus lieu de distinguer ici l'observateur de l'exp?rimentateur par la nature des proc?d?s de recherches mis en usage. J'ai montr? dans le paragraphe pr?c?dent que les d?finitions et les distinctions qu'on a essay? d'?tablir d'apr?s l'activit? ou la passivit? de l'investigation, ne sont pas soutenables. En effet, l'observateur et l'exp?rimentateur sont des investigateurs qui cherchent ? constater les faits de leur mieux et qui emploient ? cet effet des moyens d'?tude plus ou moins compliqu?s, selon la complexit? des ph?nom?nes qu'ils ?tudient. Ils peuvent, l'un et l'autre, avoir besoin de la m?me activit? manuelle et intellectuelle, de la m?me habilet?, du m?me esprit d'invention, pour cr?er et perfectionner les divers appareils ou instruments d'investigation qui leur sont communs pour la plupart. Chaque science a en quelque sorte un genre d'investigation qui lui est propre et un attirail d'instruments et de proc?d?s sp?ciaux. Cela se con?oit d'ailleurs puisque chaque science se distingue par la nature de ses probl?mes et par la diversit? des ph?nom?nes qu'elle ?tudie. L'investigation m?dicale est la plus compliqu?e de toutes; elle comprend tous les proc?d?s qui sont propres aux recherches anatomiques, physiologiques, pathologiques et th?rapeutiques, et, de plus, en se d?veloppant, elle emprunte ? la chimie et ? la physique une foule de moyens de recherches qui deviennent pour elle de puissants auxiliaires. Tous les progr?s des sciences exp?rimentales se mesurent par le perfectionnement de leurs moyens d'investigation. Tout l'avenir de la m?decine exp?rimentale est subordonn? ? la cr?ation d'une m?thode de recherche applicable avec fruit ? l'?tude des ph?nom?nes de la vie, soit ? l'?tat normal, soit ? l'?tat pathologique. Je n'insisterai pas ici sur la n?cessit? d'une telle m?thode d'investigation exp?rimentale en m?decine, et je n'essayerai pas m?me d'en ?num?rer les difficult?s. Je me bornerai ? dire que toute ma vie scientifique est vou?e ? concourir pour ma part ? cette oeuvre immense que la science moderne aura la gloire d'avoir comprise et le m?rite d'avoir inaugur?e, en laissant aux si?cles futurs le soin de la continuer et de la fonder d?finitivement. Les deux volumes qui constitueront mon ouvrage sur les Principes de la m?decine exp?rimentale seront uniquement consacr?s au d?veloppement de proc?d?s d'investigation exp?rimentale appliqu?s ? la physiologie, ? la pathologie et ? la th?rapeutique. Mais comme il est impossible ? un seul d'envisager toutes les faces de l'investigation m?dicale, et pour me limiter encore dans un sujet aussi vaste, je m'occuperai plus particuli?rement de la r?gularisation des proc?d?s de vivisections zoologiques. Cette branche de l'investigation biologique est sans contredit la plus d?licate et la plus difficile; mais je la consid?re comme la plus f?conde et comme ?tant celle qui peut ?tre d'une plus grande utilit? imm?diate ? l'avancement de la m?decine exp?rimentale.

Dans l'investigation scientifique, les moindres proc?d?s sont de la plus haute importance. Le choix heureux d'un animal, un instrument construit d'une certaine fa?on, l'emploi d'un r?actif au lieu d'un autre, suffisent souvent pour r?soudre les questions g?n?rales les plus ?lev?es. Chaque fois qu'un moyen nouveau et s?r d'analyse exp?rimentale surgit, on voit toujours la science faire des progr?s dans les questions auxquelles ce moyen peut ?tre appliqu?. Par contre, une mauvaise m?thode et des proc?d?s de recherche d?fectueux peuvent entra?ner dans les erreurs les plus graves et retarder la science en la fourvoyant. En un mot, les plus grandes v?rit?s scientifiques ont leurs racines dans les d?tails de l'investigation exp?rimentale qui constituent en quelque sorte le sol dans lequel ces v?rit?s se d?veloppent.

Il faut avoir ?t? ?lev? et avoir v?cu dans les laboratoires pour bien sentir toute l'importance de tous ces d?tails de proc?d?s d'investigation, qui sont si souvent ignor?s et m?pris?s par les faux savants qui s'intitulent g?n?ralisateurs. Pourtant on n'arrivera jamais ? des g?n?ralisations vraiment f?condes et lumineuses sur les ph?nom?nes vitaux, qu'autant qu'on aura exp?riment? soi-m?me et remu? dans l'h?pital, l'amphith??tre ou le laboratoire, le terrain f?tide ou palpitant de la vie. On a dit quelque part que la vraie science devait ?tre compar?e ? un plateau fleuri et d?licieux sur lequel on ne pouvait arriver qu'apr?s avoir gravi des pentes escarp?es et s'?tre ?corch? les jambes ? travers les ronces et les broussailles. S'il fallait donner une comparaison qui exprim?t mon sentiment sur la science de la vie, je dirais que c'est un salon superbe tout resplendissant de lumi?re, dans lequel on ne peut parvenir qu'en passant par une longue et affreuse cuisine.

Nous venons de voir, qu'au point de vue de l'art de l'investigation, l'observation et l'exp?rience ne doivent ?tre consid?r?es que comme des faits mis en lumi?re par l'investigateur, et nous avons ajout? que la m?thode d'investigation ne distingue pas celui qui observe de celui qui exp?rimente. O? donc se trouve d?s lors, demandera-t-on, la distinction entre l'observateur et l'exp?rimentateur? Le voici: on donne le nom d'observateur ? celui qui applique les proc?d?s d'investigations simples ou complexes ? l'?tude de ph?nom?nes qu'il ne fait pas varier et qu'il recueille, par cons?quent, tels que la nature les lui offre. On donne le nom d'exp?rimentateur ? celui qui emploie les proc?d?s d'investigation simples ou complexes pour faire varier ou modifier, dans un but quelconque, les ph?nom?nes naturels et les faire appara?tre dans des circonstances ou dans des conditions dans lesquelles la nature ne les lui pr?sentait pas. Dans ce sens, l'observation est l'investigation d'un ph?nom?ne naturel, et l'exp?rience est l'investigation d'un ph?nom?ne modifi? par l'investigateur. Cette distinction qui semble ?tre tout extrins?que et r?sider simplement dans une d?finition de mots, donne cependant, comme nous allons le voir, le seul sens suivant lequel il faut comprendre la diff?rence importante qui s?pare les sciences d'observation des sciences d'exp?rimentation ou exp?rimentales.

Nous avons dit, dans un paragraphe pr?c?dent, qu'au point de vue du raisonnement exp?rimental les mots observation et exp?rience pris dans un sens abstrait signifient, le premier, la constatation pure et simple d'un fait, le second, le contr?le d'une id?e par un fait. Mais si nous n'envisagions l'observation que dans ce sens abstrait, il ne nous serait pas possible d'en tirer une science d'observation. La simple constatation des faits ne pourra jamais parvenir ? constituer une science. On aurait beau multiplier les faits ou les observations, que cela n'en apprendrait pas davantage. Pour s'instruire, il faut n?cessairement raisonner sur ce que l'on a observ?, comparer les faits et les juger par d'autres faits qui servent de contr?le. Mais une observation peut servir de contr?le ? une autre observation. De sorte qu'une science d'observation sera simplement une science faite avec des observations, c'est-?-dire une science dans laquelle on raisonnera sur des faits d'observation naturelle, tels que nous les avons d?finis plus haut. Une science exp?rimentale ou d'exp?rimentation sera une science faite avec des exp?riences, c'est-?-dire dans laquelle on raisonnera sur des faits d'exp?rimentation obtenus dans des conditions que l'exp?rimentateur a cr??es et d?termin?es lui-m?me.

Il y a des sciences qui, comme l'astronomie, resteront toujours pour nous des sciences d'observation, parce que les ph?nom?nes qu'elles ?tudient sont hors de notre sph?re d'action; mais les sciences terrestres peuvent ?tre ? la fois des sciences d'observation et des sciences exp?rimentales. Il faut ajouter que toutes ces sciences commencent par ?tre des sciences d'observation pure; ce n'est qu'en avan?ant dans l'analyse des ph?nom?nes qu'elles deviennent exp?rimentales, parce que l'observateur, se transformant en exp?rimentateur, imagine des proc?d?s d'investigation pour p?n?trer dans les corps et faire varier les conditions des ph?nom?nes. L'exp?rimentation n'est que la mise en oeuvre des proc?d?s d'investigation qui sont sp?ciaux ? l'exp?rimentateur.

Maintenant, quant au raisonnement exp?rimental, il sera absolument le m?me dans les sciences d'observation et dans les sciences exp?rimentales. Il y aura toujours jugement par une comparaison s'appuyant sur deux faits, l'un qui sert de point de d?part, l'autre qui sert de conclusion au raisonnement. Seulement dans les sciences d'observation les deux faits seront toujours des observations; tandis que dans les sciences exp?rimentales les deux faits pourront ?tre emprunt?s ? l'exp?rimentation exclusivement, ou ? l'exp?rimentation et ? l'observation ? la fois, selon les cas et suivant que l'on p?n?tre plus ou moins profond?ment dans l'analyse exp?rimentale. Un m?decin qui observe une maladie dans diverses circonstances, qui raisonne sur l'influence de ces circonstances, et qui en tire des cons?quences qui se trouvent contr?l?es par d'autres observations; ce m?decin fera un raisonnement exp?rimental quoiqu'il ne fasse pas d'exp?riences. Mais s'il veut aller plus loin et conna?tre le m?canisme int?rieur de la maladie, il aura affaire ? des ph?nom?nes cach?s, alors il devra exp?rimenter; mais il raisonnera toujours de m?me.

Un naturaliste qui observe des animaux dans toutes les conditions de leur existence et qui tire de ces observations des cons?quences qui se trouvent v?rifi?es et contr?l?es par d'autres observations, ce naturaliste emploiera la m?thode exp?rimentale, quoiqu'il ne fasse pas de l'exp?rimentation proprement dite. Mais s'il lui faut aller observer des ph?nom?nes dans l'estomac, il doit imaginer des proc?d?s d'exp?rimentation plus ou moins complexes pour voir dans une cavit? cach?e ? ses regards. N?anmoins le raisonnement exp?rimental est toujours le m?me; R?aumur et Spallanzani appliquent ?galement la m?thode exp?rimentale quand ils font leurs observations d'histoire naturelle ou leurs exp?riences sur la digestion. Quand Pascal fit une observation barom?trique au bas de la tour Saint-Jacques et qu'il en institua ensuite une autre sur le haut de la tour, on admet qu'il fit une exp?rience, et cependant ce ne sont que deux observations compar?es sur la pression de l'air, ex?cut?es en vue de l'id?e pr?con?ue que cette pression devait varier suivant les hauteurs. Au contraire, quand Jenner observait le coucou sur un arbre avec une longue vue afin de ne point l'effaroucher, il faisait une simple observation, parce qu'il ne la comparait pas ? une premi?re pour en tirer une conclusion et porter sur elle un jugement. De m?me un astronome fait d'abord des observations, et ensuite raisonne sur elles pour en tirer un ensemble de notions qu'il contr?le par des observations faites dans des conditions propres ? ce but. Or cet astronome raisonne comme les exp?rimentateurs, parce que l'exp?rience acquise implique partout jugement et comparaison entre deux faits li?s dans l'esprit par une id?e.

Toutefois, ainsi que nous l'avons d?j? dit, il faut bien distinguer l'astronome du savant qui s'occupe des sciences terrestres, en ce que l'astronome est forc? de se borner ? l'observation, ne pouvant pas aller dans le ciel exp?rimenter sur les plan?tes. C'est l? pr?cis?ment, dans cette puissance de l'investigateur d'agir sur les ph?nom?nes, que se trouve la diff?rence qui s?pare les sciences dites d'exp?rimentation, des sciences dites d'observation. Laplace consid?re que l'astronomie est une science d'observation parce qu'on ne peut qu'observer le mouvement des plan?tes; on ne saurait en effet les atteindre pour modifier leur marche et leur appliquer l'exp?rimentation. <> Certains m?decins qualifient la m?decine de science d'observation, parce qu'ils ont pens? ? tort que l'exp?rimentation ne lui ?tait pas applicable.

Au fond toutes les sciences raisonnent de m?me et visent au m?me but. Toutes veulent arriver ? la connaissance de la loi des ph?nom?nes de mani?re ? pouvoir pr?voir, faire varier ou ma?triser ces ph?nom?nes. Or, l'astronome pr?dit les mouvements des astres, il en tire une foule de notions pratiques, mais il ne peut modifier par l'exp?rimentation les ph?nom?nes c?lestes comme le font le chimiste et le physicien pour ce qui concerne leur science.

Donc, s'il n'y a pas, au point de vue de la m?thode philosophique, de diff?rence essentielle entre les sciences d'observation et les sciences d'exp?rimentation, il en existe cependant une r?elle au point de vue des cons?quences pratiques que l'homme peut en tirer, et relativement ? la puissance qu'il acquiert par leur moyen. Dans les sciences d'observation, l'homme observe et raisonne exp?rimentalement, mais il n'exp?rimente pas; et dans ce sens ou pourrait dire qu'une science d'observation est une science passive. Dans les sciences d'exp?rimentation, l'homme observe, mais de plus il agit sur la mati?re, en analyse les propri?t?s et provoque ? son profit l'apparition de ph?nom?nes, qui sans doute se passent toujours suivant les lois naturelles, mais dans des conditions que la nature n'avait souvent pas encore r?alis?es. ? l'aide de ces sciences exp?rimentales actives, l'homme devient un inventeur de ph?nom?nes, un v?ritable contrema?tre de la cr?ation; et l'on ne saurait, sous ce rapport, assigner de limites ? la puissance qu'il peut acqu?rir sur la nature, par les progr?s futurs des sciences exp?rimentales.

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