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Munafa ebook

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Read Ebook: Introduction à l'étude de la médecine expérimentale by Bernard Claude

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Ebook has 468 lines and 99310 words, and 10 pages

Donc, s'il n'y a pas, au point de vue de la m?thode philosophique, de diff?rence essentielle entre les sciences d'observation et les sciences d'exp?rimentation, il en existe cependant une r?elle au point de vue des cons?quences pratiques que l'homme peut en tirer, et relativement ? la puissance qu'il acquiert par leur moyen. Dans les sciences d'observation, l'homme observe et raisonne exp?rimentalement, mais il n'exp?rimente pas; et dans ce sens ou pourrait dire qu'une science d'observation est une science passive. Dans les sciences d'exp?rimentation, l'homme observe, mais de plus il agit sur la mati?re, en analyse les propri?t?s et provoque ? son profit l'apparition de ph?nom?nes, qui sans doute se passent toujours suivant les lois naturelles, mais dans des conditions que la nature n'avait souvent pas encore r?alis?es. ? l'aide de ces sciences exp?rimentales actives, l'homme devient un inventeur de ph?nom?nes, un v?ritable contrema?tre de la cr?ation; et l'on ne saurait, sous ce rapport, assigner de limites ? la puissance qu'il peut acqu?rir sur la nature, par les progr?s futurs des sciences exp?rimentales.

Maintenant reste la question de savoir si la m?decine doit demeurer une science d'observation ou devenir une science exp?rimentale. Sans doute la m?decine doit commencer par ?tre une simple observation clinique. Ensuite comme l'organisme forme par lui-m?me une unit? harmonique, un petit monde contenu dans le grand monde , on a pu soutenir que la vie ?tait indivisible et qu'on devait se borner ? observer les ph?nom?nes que nous offrent dans leur ensemble les organismes vivants sains et malades, et se contenter de raisonner sur les faits observ?s. Mais si l'on admet qu'il faille ainsi se limiter et si l'on pose en principe que la m?decine n'est qu'une science passive d'observation, le m?decin ne devra pas plus toucher au corps humain que l'astronome ne touche aux plan?tes. D?s lors l'anatomie normale ou pathologique, les vivisections, appliqu?es ? la physiologie, ? la pathologie et ? la th?rapeutique, tout cela est compl?tement inutile. La m?decine ainsi con?ue ne peut conduire qu'? l'expectation et ? des prescriptions hygi?niques plus ou moins utiles; mais c'est la n?gation d'une m?decine active, c'est-?-dire d'une th?rapeutique scientifique et r?elle.

Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans l'examen d'une d?finition aussi importante que celle de la m?decine exp?rimentale. Je me r?serve de traiter ailleurs cette question avec tout le d?veloppement n?cessaire. Je me borne ? donner simplement ici mon opinion, en disant que je pense que la m?decine est destin?e ? ?tre une science exp?rimentale et progressive; et c'est pr?cis?ment par suite de mes convictions ? cet ?gard que je compose cet ouvrage, dans le but de contribuer pour ma part ? favoriser le d?veloppement de cette m?decine scientifique ou exp?rimentale.

Malgr? la diff?rence importante que nous venons de signaler entre les sciences dites d'observation et les sciences dites d'exp?rimentation, l'observateur et l'exp?rimentateur n'en ont pas moins, dans leurs investigations, pour but commun et imm?diat d'?tablir et de constater des faits ou des ph?nom?nes aussi rigoureusement que possible, et ? l'aide des moyens les mieux appropri?s; ils se comportent absolument comme s'il s'agissait de deux observations ordinaires. Ce n'est en effet qu'une constatation de fait dans les deux cas; la seule diff?rence consiste en ce que le fait que doit constater l'exp?rimentateur ne s'?tant pas pr?sent? naturellement ? lui, il a d? le faire appara?tre, c'est-?-dire le provoquer par une raison particuli?re et dans un but d?termin?. D'o? il suit que l'on peut dire: l'exp?rience n'est au fond qu'une observation provoqu?e dans un but quelconque. Dans la m?thode exp?rimentale, la recherche des faits, c'est-?-dire l'investigation, s'accompagne toujours d'un raisonnement, de sorte que le plus ordinairement l'exp?rimentateur fait une exp?rience pour contr?ler ou v?rifier la valeur d'une id?e exp?rimentale. Alors on peut dire que, dans ce cas, l'exp?rience est une observation provoqu?e dans un but de contr?le.

Toutefois il importe de rappeler ici, afin de compl?ter notre d?finition et de l'?tendre aux sciences d'observation, que, pour contr?ler une id?e, il n'est pas toujours absolument n?cessaire de faire soi-m?me une exp?rience ou une observation. On sera seulement forc? de recourir ? l'exp?rimentation, quand l'observation que l'on doit provoquer n'existe pas toute pr?par?e dans la nature. Mais si une observation est d?j? r?alis?e, soit naturellement, soit accidentellement, soit m?me par les mains d'un autre investigateur, alors on la prendra toute faite et on l'invoquera simplement pour servir de v?rification ? l'id?e exp?rimentale. Ce qui se r?sumerait encore en disant que, dans ce cas, l'exp?rience n'est qu'une observation invoqu?e dans un but de contr?le. D'o? il r?sulte que, pour raisonner exp?rimentalement, il faut g?n?ralement avoir une id?e et invoquer ou provoquer ensuite des faits, c'est-?-dire des observations, pour contr?ler cette id?e pr?con?ue.

Nous examinerons plus loin l'importance de l'id?e exp?rimentale pr?con?ue, qu'il nous suffise de dire d?s ? pr?sent que l'id?e en vertu de laquelle l'exp?rience est institu?e peut ?tre plus ou moins bien d?finie, suivant la nature du sujet et suivant l'?tat de perfection de la science dans laquelle on exp?rimente. En effet, l'id?e directrice de l'exp?rience doit renfermer tout ce qui est d?j? connu sur le sujet, afin de guider plus s?rement la recherche vers les probl?mes dont la solution peut ?tre f?conde pour l'avancement de la science. Dans les sciences constitu?es, comme la physique et la chimie, l'id?e exp?rimentale se d?duit comme une cons?quence logique des th?ories r?gnantes, et elle est soumise dans un sens bien d?fini au contr?le de l'exp?rience; mais quand il s'agit d'une science dans l'enfance, comme la m?decine, o? existent des questions complexes ou obscures non encore ?tudi?es, l'id?e exp?rimentale ne se d?gage pas toujours d'un sujet aussi vague. Que faut-il faire alors? Faut-il s'abstenir et attendre que les observations, en se pr?sentant d'elles-m?mes, nous apportent des id?es plus claires? On pourrait souvent attendre longtemps et m?me en vain; on gagne toujours ? exp?rimenter. Mais dans ces cas on ne pourra se diriger que d'apr?s une sorte d'intuition, suivant les probabilit?s que l'on apercevra, et m?me si le sujet est compl?tement obscur et inexplor?, le physiologiste ne devra pas craindre d'agir m?me un peu au hasard afin d'essayer, qu'on me permette cette expression vulgaire, de p?cher en eau trouble. Ce qui veut dire qu'il peut esp?rer, au milieu des perturbations fonctionnelles qu'il produira, voir surgir quelque ph?nom?ne impr?vu qui lui donnera une id?e sur la direction ? imprimer ? ses recherches. Ces sortes d'exp?riences de t?tonnement, qui sont extr?mement fr?quentes en physiologie, en pathologie et en th?rapeutique, ? cause de l'?tat complexe et arri?r? de ces sciences, pourraient ?tre appel?es des exp?riences pour voir, parce qu'elles sont destin?es ? faire surgir une premi?re observation impr?vue et ind?termin?e d'avance, mais dont l'apparition pourra sugg?rer une id?e exp?rimentale et ouvrir une voie de recherche.

Comme on le voit, il y a des cas o? l'on exp?rimente sans avoir une id?e probable ? v?rifier. Cependant l'exp?rimentation, dans ce cas, n'en est pas moins destin?e ? provoquer une observation, seulement elle la provoque en vue d'y trouver une id?e qui lui indiquera la route ult?rieure ? suivre dans l'investigation. On peut donc dire alors que l'exp?rience est une observation provoqu?e dans le but de faire na?tre une id?e.

En r?sum?, l'investigateur cherche et conclut; il comprend l'observateur et l'exp?rimentateur, il poursuit la d?couverte d'id?es nouvelles, en m?me temps qu'il cherche des faits pour en tirer une conclusion ou une exp?rience propre ? contr?ler d'autres id?es.

Dans un sens g?n?ral et abstrait, l'exp?rimentateur est donc celui qui invoque ou provoque, dans des conditions d?termin?es, des faits d'observations pour en tirer l'enseignement qu'il d?sire, c'est-?-dire l'exp?rience. L'observateur est celui qui obtient les faits d'observation et qui juge s'ils sont bien ?tablis et constat?s ? l'aide de moyens convenables. Sans cela, les conclusions bas?es sur ces faits seraient sans fondement solide. C'est ainsi que l'exp?rimentateur doit ?tre en m?me temps bon observateur, et que dans la m?thode exp?rimentale, l'exp?rience et l'observation marchent toujours de front.

Le savant qui veut embrasser l'ensemble des principes de la m?thode exp?rimentale doit remplir deux ordres de conditions et poss?der deux qualit?s de l'esprit qui sont indispensables pour atteindre son but et arriver ? la d?couverte de la v?rit?. D'abord le savant doit avoir une id?e qu'il soumet au contr?le des faits; mais en m?me temps il doit s'assurer que les faits qui servent de point de d?part ou de contr?le ? son id?e, sont justes et bien ?tablis; c'est pourquoi il doit ?tre lui-m?me ? la fois observateur et exp?rimentateur.

L'observateur, avons-nous dit, constate purement et simplement le ph?nom?ne qu'il a sous les yeux. Il ne doit avoir d'autre souci que de se pr?munir contre les erreurs d'observation qui pourraient lui faire voir incompl?tement ou mal d?finir un ph?nom?ne. ? cet effet, il met en usage tous les instruments qui pourront l'aider ? rendre son observation plus compl?te. L'observateur doit ?tre le photographe des ph?nom?nes, son observation doit repr?senter exactement la nature. Il faut observer sans id?e pr?con?ue; l'esprit de l'observateur doit ?tre passif, c'est-?-dire se taire; il ?coute la nature et ?crit sous sa dict?e.

Mais une fois le fait constat? et le ph?nom?ne bien observ?, l'id?e arrive, le raisonnement intervient et l'exp?rimentateur appara?t pour interpr?ter le ph?nom?ne.

L'exp?rimentateur, comme nous le savons d?j?, est celui qui, en vertu d'une interpr?tation plus ou moins probable, mais anticip?e des ph?nom?nes observ?s, institue l'exp?rience de mani?re que, dans l'ordre logique de ses pr?visions, elle fournisse un r?sultat qui serve de contr?le ? l'hypoth?se ou ? l'id?e pr?con?ue. Pour cela l'exp?rimentateur r?fl?chit, essaye, t?tonne, compare et combine pour trouver les conditions exp?rimentales les plus propres ? atteindre le but qu'il se propose. Il faut n?cessairement exp?rimenter avec une id?e pr?con?ue. L'esprit de l'exp?rimentateur doit ?tre actif, c'est-?-dire qu'il doit interroger la nature et lui poser les questions dans tous les sens, suivant les diverses hypoth?ses qui lui sont sugg?r?es.

Mais, une fois les conditions de l'exp?rience institu?es et mises en oeuvre d'apr?s l'id?e pr?con?ue ou la vue anticip?e de l'esprit, il va, ainsi que nous l'avons d?j? dit, en r?sulter une observation provoqu?e ou pr?m?dit?e. Il s'ensuit l'apparition de ph?nom?nes que l'exp?rimentateur a d?termin?s, mais qu'il s'agira de constater d'abord, afin de savoir ensuite quel contr?le on pourra en tirer relativement ? l'id?e exp?rimentale qui les a fait na?tre.

Or, d?s le moment o? le r?sultat de l'exp?rience se manifeste, l'exp?rimentateur se trouve en face d'une v?ritable observation qu'il a provoqu?e, et qu'il faut constater, comme toute observation, sans aucune id?e pr?con?ue. L'exp?rimentateur doit alors dispara?tre ou plut?t se transformer instantan?ment en observateur; et ce n'est qu'apr?s qu'il aura constat? les r?sultats de l'exp?rience absolument comme ceux d'une observation ordinaire, que son esprit reviendra pour raisonner, comparer et juger si l'hypoth?se exp?rimentale est v?rifi?e ou infirm?e par ces m?mes r?sultats. Pour continuer la comparaison ?nonc?e plus haut, je dirai que l'exp?rimentateur pose des questions ? la nature; mais que, d?s qu'elle parle, il doit se taire; il doit constater ce qu'elle r?pond, l'?couter jusqu'au bout, et, dans tous les cas, se soumettre ? ses d?cisions. L'exp?rimentateur doit forcer la nature ? se d?voiler, a-t-on dit. Oui, sans doute, l'exp?rimentateur force la nature ? se d?voiler, en l'attaquant et en lui posant des questions dans tous les sens; mais il ne doit jamais r?pondre pour elle ni ?couter incompl?tement ses r?ponses en ne prenant dans l'exp?rience que la partie des r?sultats qui favorisent ou confirment l'hypoth?se. Nous verrons ult?rieurement que c'est l? un des plus grands ?cueils de la m?thode exp?rimentale. L'exp?rimentateur qui continue ? garder son id?e pr?con?ue, et qui ne constate les r?sultats de l'exp?rience qu'? ce point de vue, tombe n?cessairement dans l'erreur, parce qu'il n?glige de constater ce qu'il n'avait pas pr?vu et fait alors une observation incompl?te. L'exp?rimentateur ne doit pas tenir ? son id?e autrement que comme ? un moyen de solliciter une r?ponse de la nature. Mais il doit soumettre son id?e ? la nature et ?tre pr?t ? l'abandonner, ? la modifier ou ? la changer, suivant ce que l'observation des ph?nom?nes qu'il a provoqu?s lui enseignera.

Il y a donc deux op?rations ? consid?rer dans une exp?rience. La premi?re consiste ? pr?m?diter et ? r?aliser les conditions de l'exp?rience; la deuxi?me consiste ? constater les r?sultats de l'exp?rience. Il n'est pas possible d'instituer une exp?rience sans une id?e pr?con?ue; instituer une exp?rience, avons-nous dit, c'est poser une question; on ne con?oit jamais une question sans l'id?e qui sollicite la r?ponse. Je consid?re donc, en principe absolu, que l'exp?rience doit toujours ?tre institu?e en vue d'une id?e pr?con?ue, peu importe que cette id?e soit plus ou moins vague, plus ou moins bien d?finie. Quant ? la constatation des r?sultats de l'exp?rience, qui n'est elle-m?me qu'une observation provoqu?e, je pose ?galement en principe qu'elle doit ?tre faite l? comme dans toute autre observation, c'est-?-dire sans id?e pr?con?ue.

On pourrait encore distinguer et s?parer dans l'exp?rimentateur celui qui pr?m?dite et institue l'exp?rience de celui qui en r?alise l'ex?cution ou en constate les r?sultats. Dans le premier cas, c'est l'esprit de l'inventeur scientifique qui agit; dans le second, ce sont les sens qui observent ou constatent. La preuve de ce que j'avance nous est fournie de la mani?re la plus frappante par l'exemple de Fr. Huber. Ce grand naturaliste, quoique aveugle, nous a laiss? d'admirables exp?riences qu'il concevait et faisait ensuite ex?cuter par son domestique, qui n'avait pour sa part aucune id?e scientifique. Huber ?tait donc l'esprit directeur qui instituait l'exp?rience; mais il ?tait oblig? d'emprunter les sens d'un autre. Le domestique repr?sentait les sens passifs qui ob?issent ? l'intelligence pour r?aliser l'exp?rience institu?e en vue d'une id?e pr?con?ue.

Ceux qui ont condamn? l'emploi des hypoth?ses et des id?es pr?con?ues dans la m?thode exp?rimentale ont eu tort de confondre l'invention de l'exp?rience avec la constatation de ses r?sultats. Il est vrai de dire qu'il faut constater les r?sultats de l'exp?rience avec un esprit d?pouill? d'hypoth?ses et d'id?es pr?con?ues. Mais il faudrait bien se garder de proscrire l'usage des hypoth?ses et des id?es quand il s'agit d'instituer l'exp?rience ou d'imaginer des moyens d'observation. On doit, au contraire, comme nous le verrons bient?t, donner libre carri?re ? son imagination; c'est l'id?e qui est le principe de tout raisonnement et de toute invention, c'est ? elle que revient toute esp?ce d'initiative. On ne saurait l'?touffer ni la chasser sous pr?texte qu'elle peut nuire, il ne faut que la r?gler et lui donner un criterium, ce qui est bien diff?rent.

Le savant complet est celui qui embrasse ? la fois la th?orie et la pratique exp?rimentale. 1? Il constate un fait; 2? ? propos de ce fait, une id?e na?t dans son esprit; 3? en vue de cette id?e, il raisonne, institue une exp?rience, en imagine et en r?alise les conditions mat?rielles. 4? De cette exp?rience r?sultent de nouveaux ph?nom?nes qu'il faut observer, et ainsi de suite. L'esprit du savant se trouve en quelque sorte toujours plac? entre deux observations: l'une qui sert de point de d?part au raisonnement, et l'autre qui lui sert de conclusion.

Pour ?tre plus clair, je me suis efforc? de s?parer les diverses op?rations du raisonnement exp?rimental. Mais quand tout cela se passe ? la fois dans la t?te d'un savant qui se livre ? l'investigation dans une science aussi confuse que l'est encore la m?decine, alors il y a un enchev?trement tel, entre ce qui r?sulte de l'observation et ce qui appartient ? l'exp?rience, qu'il serait impossible et d'ailleurs inutile de vouloir analyser dans leur m?lange inextricable chacun de ces termes. Il suffira de retenir en principe que l'id?e ? priori ou mieux l'hypoth?se est le stimulus de l'exp?rience, et qu'on doit s'y laisser aller librement, pourvu qu'on observe les r?sultats de l'exp?rience d'une mani?re rigoureuse et compl?te. Si l'hypoth?se ne se v?rifie pas et dispara?t, les faits qu'elle aura servi ? trouver resteront n?anmoins acquis comme des mat?riaux in?branlables de la science.

L'observateur et l'exp?rimentateur r?pondraient donc ? des phases diff?rentes de la recherche exp?rimentale. L'observateur ne raisonne plus, il constate; l'exp?rimentateur, au contraire, raisonne et se fonde sur les faits acquis pour en imaginer et en provoquer rationnellement d'autres. Mais, si l'on peut, dans la th?orie et d'une mani?re abstraite, distinguer l'observateur de l'exp?rimentateur, il semble impossible dans la pratique de les s?parer, puisque nous voyons que n?cessairement le m?me investigateur est alternativement observateur et exp?rimentateur.

C'est en effet ainsi que cela a lieu constamment quand un m?me savant d?couvre et d?veloppe ? lui seul toute une question scientifique. Mais il arrive le plus souvent que, dans l'?volution de la science, les diverses parties du raisonnement exp?rimental sont le partage de plusieurs hommes. Ainsi il en est qui, soit en m?decine, soit en histoire naturelle, n'ont fait que recueillir et rassembler des observations; d'autres ont pu ?mettre des hypoth?ses plus ou moins ing?nieuses et plus ou moins probables fond?es sur ces observations; puis d'autres sont venus r?aliser exp?rimentalement les conditions propres ? faire na?tre l'exp?rience qui devait contr?ler ces hypoth?ses; enfin il en est d'autres qui se sont appliqu?s plus particuli?rement ? g?n?raliser et ? syst?matiser les r?sultats obtenus par les divers observateurs et exp?rimentateurs. Ce morcellement du domaine exp?rimental est une chose utile, parce que chacune de ses diverses parties s'en trouve mieux cultiv?e. On con?oit, en effet, que dans certaines sciences les moyens d'observation et d'exp?rimentation devenant des instruments tout ? fait sp?ciaux, leur maniement et leur emploi exigent une certaine habitude et r?clament une certaine habilet? manuelle ou le perfectionnement de certains sens. Mais si j'admets la sp?cialit? pour ce qui est pratique dans la science, je la repousse d'une mani?re absolue pour tout ce qui est th?orique. Je consid?re en effet que faire sa sp?cialit? des g?n?ralit?s est un principe antiphilosophique et antiscientifique, quoiqu'il ait ?t? proclam? par une ?cole philosophique moderne qui se pique d'?tre fond?e sur les sciences.

Toutefois la science exp?rimentale ne saurait avancer par un seul des c?t?s de la m?thode pris s?par?ment; elle ne marche que par la r?union de toutes les parties de la m?thode concourant vers un but commun. Ceux qui recueillent des observations ne sont utiles que parce que ces observations sont ult?rieurement introduites dans le raisonnement exp?rimental; autrement l'accumulation ind?finie d'observations ne conduirait ? rien. Ceux qui ?mettent des hypoth?ses ? propos des observations recueillies par les autres, ne sont utiles qu'autant que l'on cherchera ? v?rifier ces hypoth?ses en exp?rimentant; autrement ces hypoth?ses non v?rifi?es ou non v?rifiables par l'exp?rience n'engendreraient que des syst?mes, et nous reporteraient ? la scolastique. Ceux qui exp?rimentent, malgr? toute leur habilet?, ne r?soudront pas les questions s'ils ne sont inspir?s par une hypoth?se heureuse fond?e sur des observations exactes et bien faites. Enfin ceux qui g?n?ralisent ne pourront faire des th?ories durables qu'autant qu'ils conna?tront par eux-m?mes tous les d?tails scientifiques que ces th?ories sont destin?es ? repr?senter. Les g?n?ralit?s scientifiques doivent remonter des particularit?s aux principes; et les principes sont d'autant plus stables qu'ils s'appuient sur des d?tails plus profonds, de m?me qu'un pieu est d'autant plus solide qu'il est enfonc? plus avant dans la terre.

On voit donc que tous les termes de la m?thode exp?rimentale sont solidaires les uns des autres. Les faits sont les mat?riaux n?cessaires; mais c'est leur mise en oeuvre par le raisonnement exp?rimental, c'est-?-dire la th?orie, qui constitue et ?difie v?ritablement la science. L'id?e formul?e par les faits repr?sente la science. L'hypoth?se exp?rimentale n'est que l'id?e scientifique, pr?con?ue ou anticip?e. La th?orie n'est que l'id?e scientifique contr?l?e par l'exp?rience. Le raisonnement ne sert qu'? donner une forme ? nos id?es, de sorte que tout se ram?ne primitivement et finalement ? une id?e. C'est l'id?e qui constitue, ainsi que nous allons le voir, le point de d?part ou le primum movens de tout raisonnement scientifique, et c'est elle qui en est ?galement le but dans l'aspiration de l'esprit vers l'inconnu.

CHAPITRE II DE L'ID?E A PRIORI ET DU DOUTE DANS LE RAISONNEMENT EXP?RIMENTAL.

Chaque homme se fait de prime abord des id?es sur ce qu'il voit, et il est port? ? interpr?ter les ph?nom?nes de la nature par anticipation, avant de les conna?tre par exp?rience. Cette tendance est spontan?e; une id?e pr?con?ue a toujours ?t? et sera toujours le premier ?lan d'un esprit investigateur. Mais la m?thode exp?rimentale a pour objet de transformer cette conception a priori, fond?e sur une intuition ou un sentiment vague des choses, en une interpr?tation a posteriori ?tablie sur l'?tude exp?rimentale des ph?nom?nes. C'est pourquoi on a aussi appel? la m?thode exp?rimentale, la m?thode a posteriori.

L'homme est naturellement m?taphysicien et orgueilleux; il a pu croire que les cr?ations id?ales de son esprit qui correspondent ? ses sentiments repr?sentaient aussi la r?alit?. D'o? il sait que la m?thode exp?rimentale n'est point primitive et naturelle ? l'homme, et que ce n'est qu'apr?s avoir err? longtemps dans les discussions th?ologiques et scolastiques qu'il a fini par reconna?tre la st?rilit? de ses efforts dans cette voie. L'homme s'aper?ut alors qu'il ne peut dicter des lois ? la nature, parce qu'il ne poss?de pas en lui-m?me la connaissance et le criterium des choses ext?rieures, et il comprit que, pour arriver ? la v?rit?, il doit, au contraire, ?tudier les lois naturelles et soumettre ses id?es, sinon sa raison, ? l'exp?rience, c'est-?-dire au criterium des faits. Toutefois, la mani?re de proc?der de l'esprit humain n'est pas chang?e au fond pour cela. Le m?taphysicien, le scolastique et l'exp?rimentateur proc?dent tous par une id?e a priori. La diff?rence consiste en ce que le scolastique impose son id?e comme une v?rit? absolue qu'il a trouv?e, et dont il d?duit ensuite par la logique seule toutes les cons?quences. L'exp?rimentateur, plus modeste, pose au contraire son id?e comme une question, comme une interpr?tation anticip?e de la nature, plus ou moins probable, dont il d?duit logiquement des cons?quences qu'il confronte ? chaque instant avec la r?alit? au moyen de l'exp?rience. Il marche ainsi des v?rit?s partielles ? des v?rit?s plus g?n?rales, mais sans jamais oser pr?tendre qu'il tient la v?rit? absolue. Celle-ci, en effet, si on la poss?dait sur un point quelconque, on l'aurait partout; car l'absolu ne laisse rien en dehors de lui.

L'id?e exp?rimentale est donc aussi une id?e a priori, mais c'est une id?e qui se pr?sente sous la forme d'une hypoth?se dont les cons?quences doivent ?tre soumises au criterium exp?rimental afin d'en juger la valeur. L'esprit de l'exp?rimentateur se distingue de celui du m?taphysicien et du scolastique par la modestie, parce que, ? chaque instant, l'exp?rience lui donne la conscience de son ignorance relative et absolue. En instruisant l'homme, la science exp?rimentale a pour effet de diminuer de plus en plus son orgueil, en lui prouvant chaque jour que les causes premi?res, ainsi que la r?alit? objective des choses, lui seront ? jamais cach?es, et qu'il ne peut conna?tre que des relations. C'est l? en effet le but unique de toutes les sciences, ainsi que nous le verrons plus loin.

L'esprit humain, aux diverses p?riodes de son ?volution, a pass? successivement par le sentiment, la raison et l'exp?rience. D'abord le sentiment, seul s'imposant ? la raison, cr?a les v?rit?s de foi, c'est-?-dire la th?ologie. La raison ou la philosophie, devenant ensuite la ma?tresse, enfanta la scolastique. Enfin, l'exp?rience, c'est-?-dire l'?tude des ph?nom?nes naturels, apprit ? l'homme que les v?rit?s du monde ext?rieur ne se trouvent formul?es de prime abord ni dans le sentiment ni dans la raison. Ce sont seulement nos guides indispensables; mais, pour obtenir ces v?rit?s, il faut n?cessairement descendre dans la r?alit? objective des choses o? elles se trouvent cach?es avec leur forme ph?nom?nale. C'est ainsi qu'apparut par le progr?s naturel des choses la m?thode exp?rimentale qui r?sume tout et qui, comme nous le verrons bient?t, s'appuie successivement sur les trois branches de ce tr?pied immuable: le sentiment, la raison et l'exp?rience. Dans la recherche de la v?rit?, au moyen de cette m?thode, le sentiment a toujours l'initiative, il engendre l'id?e a priori ou l'intuition; la raison ou le raisonnement d?veloppe ensuite l'id?e et d?duit ses cons?quences logiques. Mais si le sentiment doit ?tre ?clair? par les lumi?res de la raison, la raison ? son tour doit ?tre guid?e par l'exp?rience.

La m?thode exp?rimentale ne se rapporte qu'? la recherche des v?rit?s objectives, et non ? celle des v?rit?s subjectives.

De m?me que dans le corps de l'homme il y a deux ordres de fonctions, les unes qui sont conscientes et les autres qui ne le sont pas, de m?me dans son esprit il y a deux ordres de v?rit?s ou de notions, les unes conscientes, int?rieures ou subjectives, les autres inconscientes, ext?rieures ou objectives. Les v?rit?s subjectives sont celles qui d?coulent de principes dont l'esprit a conscience et qui apportent en lui le sentiment d'une ?vidence absolue et n?cessaire. En effet, les plus grandes v?rit?s ne sont au fond qu'un sentiment de notre esprit; c'est ce qu'a voulu dire Descartes dans son fameux aphorisme.

Nous avons dit, d'un autre c?t?, que l'homme ne conna?trait jamais ni les causes premi?res ni l'essence des choses. D?s lors la v?rit? n'appara?t jamais ? son esprit que sous la forme d'une relation ou d'un rapport absolu et n?cessaire. Mais ce rapport ne peut ?tre absolu qu'autant que les conditions en sont simples et subjectives, c'est-?-dire que l'esprit a la conscience qu'il les conna?t toutes. Les math?matiques repr?sentent les rapports des choses dans les conditions d'une simplicit? id?ale. Il en r?sulte que ces principes ou rapports, une fois trouv?s, sont accept?s par l'esprit comme des v?rit?s absolues, c'est-?-dire ind?pendantes de la r?alit?. On con?oit d?s lors que toutes les d?ductions logiques d'un raisonnement math?matique soient aussi certaines que leur principe et qu'elles n'aient pas besoin d'?tre v?rifi?es par l'exp?rience. Ce serait vouloir mettre les sens au-dessus de la raison, et il serait absurde de chercher ? prouver ce qui est vrai absolument pour l'esprit et ce qu'il ne pourrait concevoir autrement.

Mais quand, au lieu de s'exercer sur des rapports subjectifs dont son esprit a cr?? les conditions, l'homme veut conna?tre les rapports objectifs de la nature qu'il n'a pas cr??s, imm?diatement le criterium int?rieur et conscient lui fait d?faut. Il a toujours la conscience, sans doute, que dans le monde objectif ou ext?rieur, la v?rit? est ?galement constitu?e par des rapports n?cessaires, mais la connaissance des conditions de ces rapports lui manque. Il faudrait, en effet, qu'il e?t cr?? ces conditions pour en poss?der la connaissance et la conception absolues.

Toutefois l'homme doit croire que les rapports objectifs des ph?nom?nes du monde ext?rieur pourraient acqu?rir la certitude des v?rit?s subjectives s'ils ?taient r?duits ? un ?tat de simplicit? que son esprit p?t embrasser compl?tement. C'est ainsi que dans l'?tude des ph?nom?nes naturels les plus simples, la science exp?rimentale a saisi certains rapports qui paraissent absolus. Telles sont les propositions qui servent de principes ? la m?canique rationnelle et ? quelques branches de la physique math?matique. Dans ces sciences, en effet, on raisonne par une d?duction logique que l'on ne soumet pas ? l'exp?rience, parce qu'on admet, comme en math?matiques, que, le principe ?tant vrai, les cons?quences le sont aussi. Toutefois, il y a l? une grande diff?rence ? signaler, en ce sens que le point de d?part n'est plus ici une v?rit? subjective et consciente, mais une v?rit? objective et inconsciente emprunt?e ? l'observation ou ? l'exp?rience. Or, cette v?rit? n'est jamais que relative au nombre d'exp?riences et d'observations qui ont ?t? faites. Si jusqu'? pr?sent aucune observation n'a d?menti la v?rit? en question, l'esprit ne con?oit pas pour cela l'impossibilit? que les choses se passent autrement. De sorte que c'est toujours par hypoth?se qu'on admet le principe absolu. C'est pourquoi l'application de l'analyse math?matique ? des ph?nom?nes naturels, quoique tr?s- simples, peut avoir des dangers si la v?rification exp?rimentale est repouss?e d'une mani?re compl?te. Dans ce cas, l'analyse math?matique devient un instrument aveugle si on ne la retrempe de temps en temps au foyer de l'exp?rience. J'exprime ici une pens?e ?mise par beaucoup de grands math?maticiens et de grands physiciens, et, pour rapporter une des opinions les plus autoris?es en pareille mati?re, je citerai ce que mon savant confr?re et ami M. J. Bertrand a ?crit ? ce sujet dans son bel ?loge de S?narmont: <>

La m?canique rationnelle et la physique math?matique forment donc le passage entre les math?matiques proprement dites et les sciences exp?rimentales. Elles renferment les cas les plus simples. Mais, d?s que nous entrons dans la physique et dans la chimie, et ? plus forte raison dans la biologie, les ph?nom?nes se compliquent de rapports tellement nombreux, que les principes repr?sent?s par les th?ories, auxquels nous avons pu nous ?lever, ne sont que provisoires et tellement hypoth?tiques, que nos d?ductions, bien que tr?s-logiques, sont compl?tement incertaines, et ne sauraient dans aucun cas se passer de la v?rification exp?rimentale.

En un mot, l'homme peut rapporter tous ses raisonnements ? deux criterium, l'un int?rieur et conscient, qui est certain et absolu; l'autre ext?rieur et inconscient, qui est exp?rimental et relatif.

Quand nous raisonnons sur les objets ext?rieurs, mais en les consid?rant par rapport ? nous suivant l'agr?ment ou le d?sagr?ment qu'ils nous causent, suivant leur utilit? ou leurs inconv?nients, nous poss?dons encore dans nos sensations un criterium int?rieur. De m?me, quand nous raisonnons sur nos propres actes, nous avons ?galement un guide certain, parce que nous avons conscience de ce que nous pensons et de ce que nous sentons. Mais si nous voulons juger les actes d'un autre homme et savoir les mobiles qui le font agir, c'est tout diff?rent. Sans doute nous avons devant les yeux les mouvements de cet homme et ses manifestations qui sont, nous en sommes s?rs, les modes d'expression de sa sensibilit? et de sa volont?. De plus nous admettons encore qu'il y a un rapport n?cessaire entre les actes et leur cause; mais quelle est cette cause? Nous ne la sentons pas en nous, nous n'en avons pas conscience comme quand il s'agit de nous-m?me; nous sommes donc oblig?s de l'interpr?ter et de la supposer d'apr?s les mouvements que nous voyons et les paroles que nous entendons. Alors nous devons contr?ler les actes de cet homme les uns par les autres; nous consid?rons comment il agit dans telle ou telle circonstance, et, en un mot, nous recourons ? la m?thode exp?rimentale. De m?me quand le savant consid?re les ph?nom?nes naturels qui l'entourent et qu'il veut les conna?tre en eux-m?mes et dans leurs rapports mutuels et complexes de causalit?, tout criterium int?rieur lui fait d?faut, et il est oblig? d'invoquer l'exp?rience pour contr?ler les suppositions et les raisonnements qu'il fait ? leur ?gard. L'exp?rience, suivant l'expression de Goethe, devient alors la seule m?diatrice entre l'objectif et le subjectif, c'est-?-dire entre le savant et les ph?nom?nes qui l'environnent.

Le raisonnement exp?rimental est donc le seul que le naturaliste et le m?decin puissent employer pour chercher la v?rit? et en approcher autant que possible. En effet, par sa nature m?me de criterium ext?rieur et inconscient, l'exp?rience ne donne que la v?rit? relative sans jamais pouvoir prouver ? l'esprit qu'il la poss?de d'une mani?re absolue.

L'exp?rimentateur qui se trouve en face des ph?nom?nes naturels ressemble ? un spectateur qui observe des sc?nes muettes. Il est en quelque sorte le juge d'instruction de la nature; seulement, au lieu d'?tre aux prises avec des hommes qui cherchent ? le tromper par des aveux mensongers ou par de faux t?moignages, il a affaire ? des ph?nom?nes naturels qui sont pour lui des personnages dont il ne conna?t ni le langage ni les moeurs, qui vivent au milieu de circonstances qui lui sont inconnues, et dont il veut cependant savoir les intentions. Pour cela il emploie tous les moyens qui sont en sa puissance. Il observe leurs actions, leur marche, leurs manifestations, et il cherche ? en d?m?ler la cause au moyen de tentatives diverses, appel?es exp?riences. Il emploie tous les artifices imaginables et, comme on le dit vulgairement, il plaide souvent le faux pour savoir le vrai. Dans tout cela l'exp?rimentateur raisonne n?cessairement d'apr?s lui-m?me et pr?te ? la nature ses propres id?es. Il fait des suppositions sur la cause des actes qui se passent devant lui, et, pour savoir si l'hypoth?se qui sert de base ? son interpr?tation est juste, il s'arrange pour faire appara?tre des faits, qui, dans l'ordre logique, puissent ?tre la confirmation ou la n?gation de l'id?e qu'il a con?ue. Or, je le r?p?te, c'est ce contr?le logique qui seul peut l'instruire et lui donner l'exp?rience. Le naturaliste qui observe des animaux dont il veut conna?tre les moeurs et les habitudes, le physiologiste et le m?decin qui veulent ?tudier les fonctions cach?es des corps vivants, le physicien et le chimiste qui d?terminent les ph?nom?nes de la mati?re brute; tous sont dans le m?me cas, ils ont devant eux des manifestations qu'ils ne peuvent interpr?ter qu'? l'aide du criterium exp?rimental, le seul dont nous ayons ? nous occuper ici.

Nous avons dit plus haut que la m?thode exp?rimentale s'appuie successivement sur le sentiment, la raison et l'exp?rience.

Le sentiment engendre l'id?e ou l'hypoth?se exp?rimentale, c'est- ?-dire l'interpr?tation anticip?e des ph?nom?nes de la nature. Toute l'initiative exp?rimentale est dans l'id?e, car c'est elle qui provoque l'exp?rience. La raison ou le raisonnement ne servent qu'? d?duire les cons?quences de cette id?e et ? les soumettre ? l'exp?rience.

Une id?e anticip?e ou une hypoth?se est donc le point de d?part n?cessaire de tout raisonnement exp?rimental. Sans cela on ne saurait faire aucune investigation ni s'instruire; on ne pourrait qu'entasser des observations st?riles. Si l'on exp?rimentait sans id?e pr?con?ue, on irait ? l'aventure; mais d'un autre c?t?, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, si l'on observait avec des id?es pr?con?ues, on ferait de mauvaises observations et l'on serait expos? ? prendre les conceptions de son esprit pour la r?alit?.

Les id?es exp?rimentales ne sont point inn?es. Elles ne surgissent point spontan?ment, il leur faut une occasion ou un excitant ext?rieur, comme cela a lieu dans toutes les fonctions physiologiques. Pour avoir une premi?re id?e des choses, il faut voir ces choses; pour avoir une id?e sur un ph?nom?ne de la nature, il faut d'abord l'observer. L'esprit de l'homme ne peut concevoir un effet sans cause, de telle sorte que la vue d'un ph?nom?ne ?veille toujours en lui une id?e de causalit?. Toute la connaissance humaine se borne ? remonter des effets observ?s ? leur cause. ? la suite d'une observation, une id?e relative ? la cause du ph?nom?ne observ? se pr?sente ? l'esprit; puis on introduit cette id?e anticip?e dans un raisonnement en vertu duquel on fait des exp?riences pour la contr?ler.

Les id?es exp?rimentales, comme nous le verrons plus tard, peuvent na?tre soit ? propos d'un fait observ? par hasard, soit ? la suite d'une tentative exp?rimentale, soit comme corollaires d'une th?orie admise. Ce qu'il faut seulement noter pour le moment, c'est que l'id?e exp?rimentale n'est point arbitraire ni purement imaginaire; elle doit avoir toujours un point d'appui dans la r?alit? observ?e, c'est-?-dire dans la nature. L'hypoth?se exp?rimentale, en un mot, doit toujours ?tre fond?e sur une observation ant?rieure. Une autre condition essentielle de l'hypoth?se, c'est qu'elle soit aussi probable que possible et qu'elle soit v?rifiable exp?rimentalement. En effet, si l'on faisait une hypoth?se que l'exp?rience ne p?t pas v?rifier, on sortirait par cela m?me de la m?thode exp?rimentale pour tomber dans les d?fauts des scolastiques et des syst?matiques.

Il n'y a pas de r?gles ? donner pour faire na?tre dans le cerveau, ? propos d'une observation donn?e, une id?e juste et f?conde qui soit pour l'exp?rimentateur une sorte d'anticipation intuitive de l'esprit vers une recherche heureuse. L'id?e une fois ?mise, on peut seulement dire comment il faut la soumettre ? des pr?ceptes d?finis et ? des r?gles logiques pr?cises dont aucun exp?rimentateur ne saurait s'?carter; mais son apparition a ?t? toute spontan?e, et sa nature est tout individuelle. C'est un sentiment particulier, un quid proprium qui constitue l'originalit?, l'invention ou le g?nie de chacun. Une id?e neuve appara?t comme une relation nouvelle ou inattendue que l'esprit aper?oit entre les choses. Toutes les intelligences se ressemblent sans doute et des id?es semblables peuvent na?tre chez tous les hommes, ? l'occasion de certains rapports simples des objets que tout le monde peut saisir. Mais comme les sens, les intelligences n'ont pas toutes la m?me puissance ni la m?me acuit?, et il est des rapports subtils et d?licats qui ne peuvent ?tre sentis, saisis et d?voil?s que par des esprits plus perspicaces, mieux dou?s ou plac?s dans un milieu intellectuel qui les pr?dispose d'une mani?re favorable.

Si les faits donnaient n?cessairement naissance aux id?es, chaque fait nouveau devrait engendrer une id?e nouvelle. Cela a lieu, il est vrai, le plus souvent; car il est des faits nouveaux qui, par leur nature, font venir la m?me id?e nouvelle ? tous les hommes plac?s dans les m?mes conditions d'instruction ant?rieure. Mais il est aussi des faits qui ne disent rien ? l'esprit du plus grand nombre, tandis qu'ils sont lumineux pour d'autres. Il arrive m?me qu'un fait ou une observation reste tr?s-longtemps devant les yeux d'un savant sans lui rien inspirer; puis tout ? coup vient un trait de lumi?re, et l'esprit interpr?te le m?me fait tout autrement qu'auparavant et lui trouve des rapports tout nouveaux. L'id?e neuve appara?t alors avec la rapidit? de l'?clair comme une sorte de r?v?lation subite; ce qui prouve bien que dans ce cas la d?couverte r?side dans un sentiment des choses qui est non- seulement personnel, mais qui est m?me relatif ? l'?tat actuel dans lequel se trouve l'esprit.

La m?thode exp?rimentale ne donnera donc pas des id?es neuves et f?condes ? ceux qui n'en ont pas; elle servira seulement ? diriger les id?es chez ceux qui en ont et ? les d?velopper afin d'en retirer les meilleurs r?sultats possibles. L'id?e, c'est la graine; la m?thode, c'est le sol qui lui fournit les conditions de se d?velopper, de prosp?rer et de donner les meilleurs fruits suivant sa nature. Mais de m?me qu'il ne poussera jamais dans le sol que ce qu'on y s?me, de m?me il ne se d?veloppera par la m?thode exp?rimentale que les id?es qu'on lui soumet. La m?thode par elle-m?me n'enfante rien, et c'est une erreur de certains philosophes d'avoir accord? trop de puissance ? la m?thode sous ce rapport. L'id?e exp?rimentale r?sulte d'une sorte de pressentiment de l'esprit qui juge que les choses doivent se passer d'une certaine mani?re. On peut dire sous ce rapport que nous avons dans l'esprit l'intuition ou le sentiment des lois de la nature, mais nous n'en connaissons pas la forme. L'exp?rience peut seule nous l'apprendre.

Les hommes qui ont le pressentiment des v?rit?s nouvelles sont rares; dans toutes les sciences, le plus grand nombre des hommes d?veloppe et poursuit les id?es d'un petit nombre d'autres. Ceux qui font des d?couvertes sont les promoteurs d'id?es neuves et f?condes. On donne g?n?ralement le nom de d?couverte ? la connaissance d'un fait nouveau; mais je pense que c'est l'id?e qui se rattache au fait d?couvert qui constitue en r?alit? la d?couverte. Les faits ne sont ni grands ni petits par eux-m?mes. Une grande d?couverte est un fait qui, en apparaissant dans la science, a donn? naissance ? des id?es lumineuses, dont la clart? a dissip? un grand nombre d'obscurit?s et montr? des voies nouvelles. Il y a d'autres faits qui, bien que nouveaux, n'apprennent que peu de choses; ce sont alors de petites d?couvertes. Enfin il y a des faits nouveaux qui, quoique bien observ?s, n'apprennent rien ? personne; ils restent, pour le moment, isol?s et st?riles dans la science; c'est ce qu'on pourrait appeler le fait brut ou le fait brutal.

La d?couverte est donc l'id?e neuve qui surgit ? propos d'un fait trouv? par hasard ou autrement. Par cons?quent, il ne saurait y avoir de m?thode pour faire des d?couvertes, parce que les th?ories philosophiques ne peuvent pas plus donner le sentiment inventif et la justesse de l'esprit ? ceux qui ne les poss?dent pas, que la connaissance des th?ories acoustiques ou optiques ne peut donner une oreille juste ou une bonne vue ? ceux qui en sont naturellement priv?s. Seulement les bonnes m?thodes peuvent nous apprendre ? d?velopper et ? mieux utiliser les facult?s que la nature nous a d?volues, tandis que les mauvaises m?thodes peuvent nous emp?cher d'en tirer un heureux profit. C'est ainsi que le g?nie de l'invention, si pr?cieux dans les sciences, peut ?tre diminu? ou m?me ?touff? par une mauvaise m?thode, tandis qu'une bonne m?thode peut l'accro?tre et le d?velopper. En un mot, une bonne m?thode favorise le d?veloppement scientifique et pr?munit le savant contre les causes d'erreurs si nombreuses qu'il rencontre dans la recherche de la v?rit?; c'est l? le seul objet que puisse se proposer la m?thode exp?rimentale. Dans les sciences biologiques, ce r?le de la m?thode est encore plus important que dans les autres, par suite de la complexit? immense des ph?nom?nes et des causes d'erreur sans nombre que cette complexit? introduit dans l'exp?rimentation. Toutefois, m?me au point de vue biologique, nous ne saurions avoir la pr?tention de traiter ici de la m?thode exp?rimentale d'une mani?re compl?te; nous devons nous borner ? donner quelques principes g?n?raux, qui pourront guider l'esprit de celui qui se livre aux recherches de m?decine exp?rimentale.

La premi?re condition que doit remplir un savant qui se livre ? l'investigation dans les ph?nom?nes naturels, c'est de conserver une enti?re libert? d'esprit assise sur le doute philosophique. Il ne faut pourtant point ?tre sceptique; il faut croire ? la science, c'est-?-dire au d?terminisme, au rapport absolu et n?cessaire des choses, aussi bien dans les ph?nom?nes propres aux ?tres vivants que dans tous les autres; mais il faut en m?me temps ?tre bien convaincu que nous n'avons ce rapport que d'une mani?re plus ou moins approximative, et que les th?ories que nous poss?dons sont loin de repr?senter des v?rit?s immuables. Quand nous faisons une th?orie g?n?rale dans nos sciences, la seule chose dont nous soyons certains, c'est que toutes ces th?ories sont fausses absolument parlant. Elles ne sont que des v?rit?s partielles et provisoires qui nous sont n?cessaires, comme des degr?s sur lesquels nous nous reposons, pour avancer dans l'investigation; elles ne repr?sentent que l'?tat actuel de nos connaissances, et, par cons?quent, elles devront se modifier avec l'accroissement de la science, et d'autant plus souvent que les sciences sont moins avanc?es dans leur ?volution. D'un autre c?t?, nos id?es, ainsi que nous l'avons dit, nous viennent ? la vue de faits qui ont ?t? pr?alablement observ?s et que nous interpr?tons ensuite. Or, des causes d'erreurs sans nombre peuvent se glisser dans nos observations, et, malgr? toute notre attention et notre sagacit?, nous ne sommes jamais s?rs d'avoir tout vu, parce que souvent les moyens de constatation nous manquent ou sont trop imparfaits. De tout cela, il r?sulte donc que, si le raisonnement nous guide dans la science exp?rimentale, il ne nous impose pas n?cessairement ses cons?quences. Notre esprit peut toujours rester libre de les accepter ou de les discuter. Si une id?e se pr?sente ? nous, nous ne devons pas la repousser par cela seul qu'elle n'est pas d'accord avec les cons?quences logiques d'une th?orie r?gnante. Nous pouvons suivre notre sentiment et notre id?e, donner carri?re ? notre imagination, pourvu que toutes nos id?es ne soient que des pr?textes ? instituer des exp?riences nouvelles qui puissent nous fournir des faits probants ou inattendus et f?conds.

Cette libert? que garde l'exp?rimentateur est, ainsi que je l'ai dit, fond?e sur le doute philosophique. En effet, nous devons avoir conscience de l'incertitude de nos raisonnements ? cause de l'obscurit? de leur point de d?part. Ce point de d?part repose toujours au fond sur des hypoth?ses ou sur des th?ories plus ou moins imparfaites, suivant l'?tat d'avancement des sciences. En biologie et particuli?rement en m?decine, les th?ories sont si pr?caires que l'exp?rimentateur garde presque toute sa libert?. En chimie et en physique les faits deviennent plus simples, les sciences sont plus avanc?es, les th?ories sont plus assur?es, et l'exp?rimentateur doit en tenir un plus grand compte et accorder une plus grande importance aux cons?quences du raisonnement exp?rimental fond? sur elles. Mais encore ne doit-il jamais donner une valeur absolue ? ces th?ories. De nos jours, on a vu des grands physiciens faire des d?couvertes du premier ordre ? l'occasion d'exp?riences institu?es d'une mani?re illogique par rapport aux th?ories admises. L'astronome a assez de confiance dans les principes de sa science pour construire avec eux des th?ories math?matiques, mais cela ne l'emp?che pas de les v?rifier et de les contr?ler par des observations directes; ce pr?cepte m?me, ainsi que nous l'avons vu, ne doit pas ?tre n?glig? en m?canique rationnelle. Mais dans les math?matiques, quand on part d'un axiome ou d'un principe dont la v?rit? est absolument n?cessaire et consciente, la libert? n'existe plus; les v?rit?s acquises sont immuables. Le g?om?tre n'est pas libre de mettre en doute si les trois angles d'un triangle sont ?gaux ou non ? deux droits; par cons?quent, il n'est pas libre de rejeter les cons?quences logiques qui se d?duisent de ce principe.

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