|
Read Ebook: Le château de La Belle-au-bois-dormant by Loti Pierre
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 251 lines and 26453 words, and 6 pageste parce qu'il y a trop d'air ici, trop d'espace vide, elle prend un son fr?le, cette trompette, un son tremblotant et comme perdu. De m?me, la fanfare d'Irun, qui est de la c?r?monie, s'entend comme en sourdine, le vent, l'altitude peut-?tre att?nuant les notes de ses cuivres. Tout le monde vient de plier le genou dans l'herbe: l'?l?vation!... Une minute de vrai religieux silence. La musique entonne tr?s doucement la marche nationale; les b?rets rouges s'inclinent de plus en plus, jusque par terre, et des vieilles femmes prostern?es, le visage cach? sous des mantilles de deuil, ?gr?nent des chapelets. C'est adorablement joli, au soleil, ces pr?tres en dalmatique de soie d'autrefois, ces groupes agenouill?s, et cette musique qui semble lointaine. Quelque chose peut-?tre monte ? ce moment vers le ciel, quelque chose de cette pri?re dite sur une montagne, au-dessus des clochers et des villages, au milieu de la magnificence des verdures de juin, entre les Pyr?n?es sombres elle d?ploiement bleu de la mer.... Mais l'impression religieuse est furtive ici, avec toute cette jeunesse excit?e. La fanfare, qui d'abord jouait des morceaux presque lents et pensifs, ne peut longtemps s'y tenir, passe bient?t ? des rythmes plus gais--et oui ? coup se lance d?lib?r?ment dans un air de fandango. D'abord, on s'?tend sur l'herbe, pour manger des bonbons et boire du rancio. Puis, musique en t?te, on va redescendre en se dandinant. Avec force parades, contremarches et saluts, on ira remiser ? la mairie d'Irun la banni?re sacr?e. Et, tout de suite apr?s, on dansera sur la place; on dansera ?perdument jusqu'au milieu de la nuit. P.-S.--Samedi 1er juillet. Deux jeunes p?lerins se sont poignard?s hier au soir ? mort, au retour de Saint-Martial, l'un ayant jug? que sa fianc?e s'?tait assise trop pr?s de l'autre, l?-haut, dans la foug?re. PREMIER ASPECT DE LONDRES Juillet 1909. Que de surprises me r?servait l'Angleterre,--outre la plus grande, qui fut celle de m'y voir! D'abord Londres: une ville o? j'avais jur? de ne jamais venir, mais qu'aujourd'hui je me pique vraiment d'avoir d?couverte. Sous son ciel de pluie, je me l'imaginais compacte et oppressante, avec de trop hautes maisons comme en Am?rique, et je la trouve au contraire ?tal?e paisiblement, presque diffuse si l'on peut dire, parmi ses jardins aux grands arbres, ses prairies et ses lacs. Cette expression surann?e, qui servait ? nos p?res pour d?signer Paris, lui conviendrait ? merveille: le grand village. A chaque instant, au d?tour de quelque rue ?l?gante, c'est ? se croire en pleine campagne; entre des berges de haute verdure, une rivi?re coule, propre et tranquille; ou bien, sous des ormeaux s?culaires, s'en vont ? perte de vue des pelouses mouill?es o? paissent des moutons.... Oh! ces moutons au milieu de Londres!... Or, ils sont l?--tant ce pays est respectueux de son pass?--en vertu de certains droits de pacage consentis jadis ? des communaut?s, il y a des si?cles, quand la ville s'?tendait ? peine et que ces squares restaient de simples champs.--Se repr?sente-t-on, ? Paris, une communaut? r?clamant des droits pareils sur quelque terrain entre l'Op?ra et la Madeleine? Je crois bien que la brume est complice dans l'illusion de profondeur que nous donnent ces parcs anglais; plus ou moins t?nue, elle veille toujours l?, pour estomper les lointains, simuler des rideaux de for?t, et c'est elle aussi qui, d?s les seconds plans, agrandit ? l'exc?s tous les arbres. Mais, au sortir des jardins d?licieux, dans ces rues de grande ville o? l'on retombe sans transition, combien Londres appara?t banal et quelconque! Des maisons de pl?tre ou de brique, qui ont tourn? tristement au noir, ? force de baigner dans les fum?es de houille. Tout le mauvais go?t qui s?vissait au commencement du si?cle dernier: colonnades en toc, faux italien, faux corinthien, faux dorique, plus pitoyables sous la lumi?re du Nord. Nulle part ces belles grisailles de la pierre, nulle part ces belles lignes sobres, droites, ininterrompues qui r?cemment encore caract?risaient Paris. Rien non plus d'un peu comparable ? cette avenue souveraine qui commence ? l'Arc de Triomphe pour aboutir si magnifiquement au Louvre. Il existe pourtant un quartier qui est comme le coeur de cette ville ?parse, un lieu d'une beaut? ?trange, sombrement dominateur, que je connais d'avance par les images ainsi que tout le monde: le long de la Tamise, ? c?t? de Westminster, ce palais du Parlement, sorte d'immense futaie de fl?ches gothiques, dress?e tout au bord de l'eau comme une falaise en dentelles grises, et mirant dans le fleuve de hautes silhouettes l?g?res. C'est l? que je vais, pour ma premi?re sortie dans Londres; mais il y a loin, et en chemin mille d?tails amusent mes yeux qui n'avaient jamais vu l'Angleterre. Tant de fleurs partout! Le moindre balcon, la moindre fen?tre ressemble ? une corbeille de jardinier; voici m?me des plantes sous globe, par pr?caution contre la fum?e et la pluie. Il passe des ?cossais en courte jupe, qui jouent de la cornemuse. Il passe des enfants, chantres de chapelle protestante, qui sont coiff?s d'une petite toque surann?e et gentiment cocasse. Beaucoup de misses en robe blanche, ?claircissant la tonalit? g?n?rale qui serait plut?t triste. Beaucoup de soldats en dolman vermillon; assis ? c?t? de leur < Malgr? de fr?quentes ond?es, les parcs ombreux, les petits batelets des pi?ces d'eau ne d?semplissent pas; ces gens veulent quand m?me jouir de la courte saison qui devrait ?tre belle, et s'asseoir sous leurs grands arbres v?n?rables. C'est ?trange, je me figurais qu'? Londres tout me serait antipathique, et au contraire j'y sens fl?chir par degr?s mes haines de race contre ce peuple, ?ternel ennemi du n?tre. Ceci est du reste proverbial: on ne conna?t les Anglais qu'en les rencontrant chez eux. L'envie me prend m?me de descendre de voiture, pour me m?ler aux gens de la rue, ou pour fl?ner dans les squares, regarder canoter les misses en robe blanche. J'oublie le Parlement et Westminster; me voici sans but, promenant ? pied, sous une vague pluie qui tombe d'une fa?on presque aimable et ne mouille pas. A nouveau des perspectives d'arbres se d?plient devant moi, ramenant l'illusion qu'une for?t doit ?tre proche. Sur les pelouses, un feu d'artifice en g?raniums tout rouges, et, ? ma droite, un palais plut?t maussade, aux murailles enfum?es, presque noires: Buckingham Palace, la r?sidence royale; n'?tait alentour cet espace libre qui lui donne grand air, il ne semblerait ni assez beau ni assez vaste pour de tels souverains. La foule est l?, qui stationne, rang?e le long des trottoirs, attendant quelqu'un ou quelque chose. Une voiture vient de passer, tr?s salu?e, qu'? peine j'ai eu le temps d'apercevoir, et des ouvriers, arr?t?s aussi pour regarder, m'apprennent que c'?taient le prince et la princesse de Galles;--. Ils sont polis, ces ouvriers, l'air bon enfant. Si je veux rester, me disent-ils, je verrai le Roi et la Reine, qui vont sortir bient?t.--Certainement je resterai, car c'est aussi une mani?re de faire connaissance avec les Majest?s, que de les observer d'abord d'en bas, m?l? aux plus humbles sur leur parcours. ?norm?ment de monde. Et le spectacle cependant doit ?tre us? ici, car les souverains, para?t-il, sortent souvent. Mais leurs sujets aiment bien les revoir et s'amassent toujours, comme nagu?re, dans nos campagnes fran?aises, on accourait sur le passage du Saint Sacrement. Le Roi, pour les Anglais, repr?sente encore l'?me de l'Angleterre,--et on comprend tout ce qu'une telle id?e doit donner ? un peuple de coh?sion et de solidit?. Je regarde les pelouses, empourpr?es de g?raniums, et le palais morose, qui semble au milieu d'un bois. A chaque porte se tiennent des soldats rouges, plus roides que les n?tres, coiff?s d'un haut bonnet ? poils qui chez nous figurerait un objet pr?historique; ils sont placides, d?coratifs, et d'ailleurs inutiles, tant la r?sidence para?t gard?e par le respect de tous. Enfin, la voiture royale! Elle s'avance au trot rapide, pr?c?d?e d'une escorte de cavaliers rouges qui ont tr?s noble allure. J'aper?ois le visage du Roi, au moment o? il rend le salut ? un groupe de presque mis?reux; il a l'air bienveillant et bon; il sourit, on devine qu'il se sent en confiance, comme vraiment au milieu des siens. Et, ? c?t? de lui, est-ce possible que ce soit la Reine? cette encore si jeune femme dont le profil exquis, plus fin que ceux que Ton grave sur les cam?es, accuse ? peine trente ans. BERLIN VU DE LA MER DES INDES Novembre 1899. De loin et par contraste, des choses, des lieux, que Ton avait assez distraitement vus en passant, vous r?apparaissent quelquefois en souvenir, sous leurs d?finitifs aspects, et l'on en demeure obs?d?. Ainsi aujourd'hui, au milieu de tout ce bleu de la mer des Indes--o? je m'en vais doucement, berc? sous le soleil--l'image d'une ville du Nord, que je visitai il y a vingt jours ? peine, revient me poursuivre. Oh! l'oppressante et triste ville!... Je ne sais quelle curiosit? me prit de la conna?tre, cette capitale allemande, que je me refusais ? croire ennemie, et c'est ? la veille m?me de mon d?part pour l'Inde profonde que brusquement je d?cidai de l'aller voir. Le trajet, par l'express de Li?ge, fut d?j? pour me serrer le coeur. Octobre finissait, sur notre Europe effeuill?e,--et il y a toujours une m?lancolie ? s'en aller, les soirs d'automne, tr?s vite vers le Nord: on sent baisser d'heure en heure la lumi?re, non pas seulement parce que le jour d?cline, et aussi la saison, mais parce que l'obliquit? du soleil augmente et que ses rayons se d?colorent dans de plus h?tifs cr?puscules. Donc, je roulais vers la Prusse, vers Berlin. Au milieu des campagnes belges, de plus en plus d?nud?es, passaient les villes et les villages, en briques rouges et ardoises, avec force tuyaux d'usine,--tout cela d'une couleur si sombre, apr?s les maisons blanches de mon sud-ouest fran?ais! La lumi?re baissait, baissait; on percevait aussi raccourcissement de la journ?e, d? ? ces latitudes plus hautes; le soleil, paiement rose, semblait s'enfoncer avant l'heure dans des brumes d?j? hivernales. Et, de s'en aller si vite, si vite, ? la fa?on moderne, ne m'?tait point la notion de toute la distance parcourue vers les r?gions grises; alors, dans l'engourdissement d'un demi-sommeil, me venait presque une anxi?t? nerveuse--oh! tout ? fait enfantine, je le reconnais--? l'id?e que, si cette vitesse extr?me faisait d?faut, allait se d?traquer avant le retour, il faudrait beaucoup de temps ensuite pour rebrousser chemin vers mon pays plus clair.... La Belgique et la moiti? de l'Allemagne, franchies ? toute vapeur, en pleine nuit, ? grand fracas de sifflets et de ferraille: un voyage de cauchemar, eussent dit nos p?res, mais cette fa?on de voyager devient universelle, ? notre ?poque affol?e. Parfois, aux instants d'arr?t, des milliers de feux, refl?t?s dans de l'eau noire, indiquaient la grandeur et le pullulement des villes fluviales, au milieu de r?gions sans doute humides et grasses. Je me rappelle surtout--quand des voix germaniques cri?rent un nom de ville dont nous avons fait en fran?ais < Oh! les nuits limpides et silencieuses en Orient, les nuits o? les hommes sommeillent, r?vent et font leur pri?re!... Repassant ensuite en plein jour, pour revenir vers la France, je les vis, ces usines, ces manufactures allemandes, monstrueuses b?tisses en briques, rouge?tres ou charbonn?es sous le gris des nuages,--et d'ailleurs toutes neuves, car la fi?vre de l'industrie est dans ce pays-l? un mal r?cent. J'avais envie de leur crier, ? ces pauvres ouvriers conduits en troupeau: < Berlin, o? j'arrivai au petit jour, me surprit d?s l'abord par son luxe ?tourdissant, tout flambant neuf, son luxe de parvenu, si l'on peut dire ainsi lorsqu'il s'agit d'une ville. Sur l'avenue des Tilleuls--qui ?tait le centre ?l?gant d'autrefois, avant le grand empire, et qui a conserv?, au milieu du clinquant des rues nouvelles, un certain air de discr?tion comme il faut,--le hasard me fit loger dans un h?tel genre vingti?me si?cle, o? s?vit d'une fa?on intol?rable la tyrannie de l'?lectricit?, du soi-disant confort, des trop ing?nieuses petites inventions. Et je passai l? trois ou quatre jours de morne ennui, m'?vertuant ? m'int?resser ? quelque chose, et n'y arrivant jamais. On me disait: < Cependant, par exception, il ne gelait pas encore, c'est vrai. Et dans ce grand bois de ch?nes, qui est une surprise et un repos en plein centre de la ville, on pouvait presque se promener sans h?te, sous la pluie des feuilles jaunes et des feuilles rousses: un lieu charmant, malgr? la pauvret? de sa flore et malgr? l'invasion un peu barbare des statues neuves; des recoins tranquilles et quasi sauvages, jouant les dessous de for?t, ? deux pas des tramways, des brasseries,--et, le soir, comme on n'?claire point, des amoureux partout, dans le brouillard glac?. Il y avait aussi pour moi, ? l'entr?e de ce bois, un petit coin de patrie, o? je revenais d'instinct, comme un exil?: l'ambassade de France, avec son square o? des rosiers du Bengale fleurissaient encore, gr?ce ? la douceur inusit?e de la saison. Et je me rappelle, sur ces fleurs, un matin de soleil, le passage d'un pauvre grand papillon, engourdi et lent, qui semblait s'?tonner de si longtemps vivre.... Un papillon sur des roses, ? Berlin, en novembre, on sentait l'anomalie de cela, et je ne saurais vraiment dire pourquoi c'?tait si m?lancolique. Et, quand je m'?tais longtemps ennuy? dans les rues, je remontais, au d?clin du jour, m'ennuyer dans ma chambre, que des radiateurs avaient clandestinement chauff?e sans y amener de gaiet?. Accoud? ? ma fen?tre, derri?re les vitres doubles, je regardais le va-et-vient de l'avenue des Tilleuls, les pi?tons, les cavaliers, les voitures. Quelle lugubre lumi?re, ? cette tomb?e de jour!... Au-dessus des maisons, l?-bas, la coupole du Reichstag allemand, lourde et magnifique, toute dor?e, toute neuve, l'air dominateur. Plus loin, toute neuve aussi et toute dor?e, une Victoire g?ante, sur une colonne, ouvrait ses ailes dans le ciel p?le. Mais de hideux tuyaux d'usine, soufflant des fum?es sombres, montaient plus haut que ces choses somptueuses, et d'innombrables r?seaux d'?lectricit? couraient au-dessus de tout cela, enveloppant ces toits, ces monuments, cette ville, de leurs ?cheveaux sans fin, comme si des tisserands fantastiques ou des araign?es avaient travaill? dans l'air pour emprisonner Berlin dans leurs milliers de fils. Et le soleil du Nord mourait avec lenteur sur les chemin?es de l'usine colossale, sur le d?me du Reichstag allemand, sur la grande femme aux ailes d'oiseau d?ploy?es dans le ciel incolore. Il ?tait si tristement rose, ce soleil oblique, et il semblait venir de si loin!... Et, quand je m'?tais longuement ennuy? dans ma chambre, je redescendais, ? la nuit, m'ennuyer par les rues, o? les myriades de lampes faisaient un semblant de jour bl?me sur les visages, sur les boutiques, les cabarets ? bi?re et les restaurants ? choucroute. Le grouillement de cette ville de pr?s de deux millions d'?mes, pouss?e en h?te comme un champignon, emplissait les larges voies droites, sillonn?es de rails de fer, et, gr?ce au jeu de ces lampes dans la brume, les maisons ? cinq ou six ?tages--en fouie, il est vrai, et en carton-p?te, mais bariol?es, dor?es, surcharg?es de clochetons et de moulures--simulaient une vraie magnificence, ?crasante pour nos maisons parisiennes, moins hautes, qui gardent des lignes plus sobres, avec le ton gris des pierres. Jusque dans les faubourgs extr?mes, habit?s par les ouvriers socialistes, toujours la m?me pr?tention des fa?ades; pas de vieux quartiers, pas de maisonnettes, rien que des b?tisses ?normes, ultra-modernes et satur?es d'?lectricit?.--J'avais d?s le premier jour appris qu'ici, o? tout est r?gl? d'une fa?on pratique et militaire, il y a le haut du trottoir pour les promeneurs qui vont dans un sens, le bas pour ceux qui vont dans l'autre, et machinalement je suivais, sans me tromper, les sillages humains. Pauvres buveurs entass?s! D'ici surtout, d'ici o? l'on vit dans l'air et la lumi?re, leur cas para?t lamentable. Mais ils n'?taient point antipathiques; ils avaient plut?t la bonhomie au visage et t?moignaient m?me d'une certaine politesse inconnue chez nous: les hommes restaient d?couverts, apr?s avoir, en arrivant, distribu? ? la ronde des petits saluts qu'on leur rendait soigneusement.... Nos ennemis, ces gens-l?! Mais pourquoi donc? Que de malentendus int?ress?s au fond des haines nationales, et quelle absurdit? que les fronti?res, pour qui les regarde de loin et de haut!... Et cependant... je me souviens de mon ?motion soudaine et de ma r?volte, en apercevant, un matin, sur une place de cette ville, un canon fran?ais exhib? comme un troph?e. Je m'?tais arr?t? court, devant cette silhouette aussit?t reconnue. Un canon de marine, h?las! amen? du Mont-Val?rien pour parader l?, entre des obusiers de chez nous, sur cette place prussienne!... Un canon pareil ? ceux de certaine corvette, dont j'eus l'honneur autrefois de commander la batterie pendant un bombardement.... Ce m?canisme de combat, jadis si familier, vieilli aujourd'hui, semi-barbare ? c?t? des perfectionnements nouveaux et devenu objet de curiosit? chez des Allemands, attestait pour moi le recul de mes jeunes ann?es,--ce qui ?tait d?j? nostalgique, par ce matin brumeux de novembre. Mais surtout un sentiment d'un ordre moins personnel m'avait pris au coeur--et mes yeux s'?taient voil?s tout ? coup.... Oui, je crois bien que tout ? l'heure je me trompais; il y a des fronti?res encore, et, malgr? mon d?tachement de voyageur qui s'en va vers les d?daigneuses s?r?nit?s bouddhiques, comme je reviendrais vite, ? l'appel de guerre! Quel effondrement, en ce cas-l?, n'est-ce pas, de toutes nos fraternelles th?ories! De longtemps encore, on aura beau faire, le vieux mot de patrie ne sera pas rempla?able, et un drapeau de certaines couleurs gardera le myst?rieux pouvoir, rien qu'en apparaissant, d'entra?ner nos ?mes et de les grandir. C'est surann?, si l'on veut; c'est absurde tant qu'on voudra; mais c'est irr?sistible et peut-?tre sublime. Un quartier, dans ce Berlin, arrive toutefois ? une certaine beaut? inqui?tante, dont j'ai gard? l'image: celui des palais, des arsenaux et des mus?es. Une rivi?re l'entoure, la Spr?e froide et noire, que traversent en ce lieu des ponts ? balustres de marbre ou de porphyre, bord?s de statues ou de grandes urnes ? tr?pieds de bronze. Les voies y sont moins peupl?es, il y r?gne un certain silence et, parmi de massives constructions en pierres uniform?ment sombres, on se repose du clinquant, des boutiques et des bariolages. Toutefois, rien de local, pas plus ici qu'ailleurs; toujours la servile imitation de la Gr?ce, les colonnes doriques et les statues,--d'o? ce titre d'< Le palais imp?rial d'autrefois, inhabit? depuis le nouveau r?gne, se dresse sinistre, sous le rev?tement noir que lui ont fait les pluies et les fum?es. Sa haute porte, au blason d'or terni, est masqu?e ? pr?sent par le monument tout neuf ?lev? ? l'empereur Guillaume ; ici encore, pour immortaliser cette gloire, une d?bauche de statues, un amas de porphyre et de bronze; d'?normes aigles, pr?ts ? d?chirer, du bec et de la serre; d'?normes lions, la griffe ouverte et les dents montr?es.... Toujours l'oiseau de proie, toujours la b?te de proie, en des attitudes de provocation, de rapt et de conqu?te. Est-ce bien le g?nie de cette race de po?tes, de penseurs, de calculateurs, que symbolisent ces marbres et ces bronzes? Ou bien n'y a-t-il pas; malentendu encore l?-dessous, et incompr?hension du peuple par les chefs qui le m?nent?... Mon Dieu, que de soldats ? Berlin, surtout dans ce quartier des palais! Des factionnaires partout, des postes partout, des fusils dehors ?tal?s en faisceaux: petits soldats tout jeunes et roses, aux figures d'anodines poup?es sous le casque, ayant un geste irr?prochablement machinal pour porter ou pr?senter les armes, du matin au soir, aux officiers qui ne cessent de passer, en cette ville ultra-militaire, encombr?e d'uniformes. Oh! ils n'ont rien de l'aigle ni du lion, ces bons petits soldats aux yeux na?fs. Et l? encore, n'y aurait-il pas malentendu peut-?tre?... Tel paysan bavarois ou wurtembergeois, p?re d'une bande de ces enfants-l?, n'aimerait-il pas mieux s'arranger avec quelque puissance voisine afin d'avoir plus de colonies o? s'en iraient prosp?rer ses fils, que de les envoyer ? la fronti?re, dans le troupeau innombrable et merveilleusement automatique, et de les faire tuer l?, pour qu'on ajoute ensuite quelques nouvelles b?tes f?roces en m?tal autour du palais des rois de Prusse?... Je dis cela.... Apr?s tout, je n'en sais rien. Et, pour l'heure, je me sens d?tach? de ce probl?me; je suis quelqu'un qui s'en va vers l'Inde, chercher la paix religieuse aupr?s des vieux sages, dans des r?gions hautes, o? n'atteint point le vol des pauvres petits vautours de bronze qui d?ploient leurs ailes l?-bas au bord de la Spr?e dans le ciel septentrional.... Non, je n'en sais rien.... Mais, ce que je sais par exemple, c'est qu'en rentrant dans mon pays, ma joie fut immense de r?entendre tout ? coup des voix fran?aises. J'aurais embrass? les douaniers de chez nous, par qui je fus r?veill? ? la fronti?re,--et pourtant je ne suis pas suspect de partialit? envers ce corps-l?.--Jamais, au retour des plus longues campagnes dans les plus lointains pays, jamais je n'avais connu tel soulagement ? me retrouver en France. VIEILLE BARQUE, VIEUX BATELIER Au quai de Th?rapia, pour passer sur l'autre rive du Bosphore, il s'agissait de choisir une barque, parmi celles qui attendaient l?, toutes pr?tes, jolies pour la plupart, bien peinturlur?es, avec de beaux coussins en velours, chacune ayant son rameur jeune, aux bras solides. Seule, la plus proche, celle ? qui c'?tait le tour, avait l'air d'une pauvresse ? c?t? des autres; point de velours sur les coussins, mais des housses d'indienne en petits morceaux de diff?rentes couleurs; bien propre pourtant, cette barque, bien soign?e, mais si vieille, avec des rapi??ages, et mont?e par un batelier caduc, en costume si mis?reux!--Presque brutalement je la refusai, pour faire accoster la suivante, qui ?tait fra?che et dor?e. Mais quand elle s'?carta pour me laisser place, je vis avec quels soins ing?nieux ces morceaux d'indienne ?taient assembl?s et raccommod?s: oeuvre sans doute de quelque vieille femme, ?pouse de ce bonhomme, pour essayer de donner encore un peu d'apparence ? la barque d?fra?chie, et ne pas trop rebuter les clients. Surtout je croisai le regard du vieux batelier, un regard charg? de reproche contenu, de r?signation et de d?tresse.... Alors une piti? d?sol?e me serra le coeur, ma journ?e en fut assombrie. Je me promis de revenir le lendemain, de choisir celui-l? entre tous, de le complimenter sur le bon go?t de ses modestes embellissements, m?me de le reprendre chaque fois que je passerais. Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2025 All Rights reserved.