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Munafa ebook

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Read Ebook: Souvenirs entomologiques - Livre I Étude sur l'instinct et les moeurs des insectes by Fabre Jean Henri

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Ebook has 454 lines and 82645 words, and 10 pages

victimes. Dans cet insecte fouisseur, je reconnais une vieille connaissance, un Cerceris que j'ai trouv? deux cents fois en ma vie, soit en Espagne, soit dans les environs de Saint-Sever.

H?tons-nous donc de nous rendre dans la r?gion des pins pour moissonner de nouvelles jouissances. Le chantier d'exploration est le jardin d'une propri?t? situ?e au milieu de for?ts de pins maritimes. -- Les repaires de Cerceris furent bient?t reconnus; ils ?taient exclusivement pratiqu?s dans les ma?tresses all?es, o? le sol, plus battu, plus compact ? la surface, offrait ? l'hym?nopt?re fouisseur des conditions de solidit? pour l'?tablissement de son domicile souterrain. J'en visitai une vingtaine environ, et je puis le dire, ? la sueur de mon front. C'est un genre d'exploitation assez p?nible, car les nids, et par cons?quent les provisions, ne se rencontrent qu'? un pied de profondeur. Aussi, pour ?viter leur d?gradation, il convient, apr?s avoir enfonc? dans la galerie des Cerceris un chaume de gramin?e qui sert de jalon et de conducteur, d'investir la place par une ligne de sape carr?e dont les c?t?s sont distants de l'orifice ou du jalon d'environ sept ? huit pouces. Il faut saper avec une pelle de jardin, de mani?re que la motte centrale, bien d?tach?e dans son pourtour, puisse s'enlever en une pi?ce, que l'on renverse sur le sol pour la briser ensuite avec circonspection. Telle est la manoeuvre qui m'a r?ussi.

Vous eussiez partag?, mon ami, notre enthousiasme ? la vue des belles esp?ces de Buprestes que cette exploitation si nouvelle ?tala successivement ? nos regards empress?s. Il fallait entendre nos exclamations toutes les fois qu'en renversant de fond en comble la mine, on mettait en ?vidence de nouveaux tr?sors, rendus plus ?clatants encore par l'ardeur du soleil; ou lorsque nous d?couvrions, ici, des larves de tout ?ge attach?es ? leur proie, l? des coques de ces larves toutes incrust?es de cuivre, de bronze, d'?meraudes. Moi qui suis un entomophile praticien, et, depuis, h?las! trois ou quatre fois dix ans, je n'avais jamais assist? ? un spectacle si ravissant, je n'avais jamais vu pareille f?te. Vous y manquiez pour en doubler la jouissance. Notre admiration, toujours progressive, se portait alternativement de ces brillants col?opt?res au discernement merveilleux, ? la sagacit? ?tonnante du Cerceris qui les avait enfouis et emmagasin?s. Le croiriez-vous, sur plus de quatre cents individus exhum?s, il ne s'en est pas trouv? un seul qui n'appartint au vieux genre Bupreste. La plus minime erreur n'a point ?t? commise par notre savant hym?nopt?re. Quels enseignements ? puiser dans cette intelligente industrie d'un si petit insecte! Quel prix Latreille n'aurait-il pas attach? au suffrage de ce Cerceris en faveur de la m?thode naturelle.

Passons maintenant aux diverses manoeuvres du Cerceris pour ?tablir et approvisionner ses nids. J'ai d?j? dit qu'il choisit les terrains dont la surface est battue, compacte et solide: j'ajoute que ces terrains doivent ?tre secs et expos?s au grand soleil. Il y a dans ce choix une intelligence, ou, si vous voulez, un instinct qu'on serait tent? de croire le r?sultat de l'exp?rience. Une terre meuble, un sol uniquement sablonneux, seraient, sans doute, bien plus faciles ? creuser: mais comment y pratiquer un orifice qui p?t rester b?ant pour le besoin du service, et une galerie dont les parois ne fussent pas expos?es ? s'?bouler ? chaque instant, ? se d?former, ? s'obstruer ? la moindre pluie? Ce choix est donc rationnel et parfaitement calcul?.

Notre hym?nopt?re fouisseur creuse sa galerie au moyen de ses mandibules et de ses tarses ant?rieurs qui, ? cet effet, sont garnis de piquants raides, faisant l'office de r?teaux. Il ne faut pas que l'orifice ait seulement le diam?tre du corps du mineur; il faut qu'il puisse admettre une proie plus volumineuse. C'est une pr?voyance admirable. ? mesure que le Cerceris s'enfonce dans le sol, il am?ne au dehors les d?blais, et ce sont ceux-ci qui forment le tas que j'ai compar? plus haut ? une petite taupini?re. Cette galerie n'est pas verticale, ce qui l'aurait infailliblement expos?e ? se combler, soit par l'effet du vent, soit par bien d'autres causes. Non loin de son origine, elle forme un coude; sa longueur est de sept ? huit pouces. Au fond du couloir, l'industrieuse m?re ?tablit les berceaux de sa post?rit?. Ce sont cinq cellules s?par?es et ind?pendantes les unes des autres, dispos?es en demi-cercle, creus?es de mani?re ? poss?der la forme et presque la grandeur d'une olive, polies et solides ? leur int?rieur. Chacune d'elles est assez grande pour contenir trois Buprestes, qui sont la ration ordinaire pour chaque larve. La m?re pond un oeuf au milieu des trois victimes, et bouche ensuite la galerie avec de la terre, de mani?re que, l'approvisionnement de toute la couv?e termin?, les cellules ne communiquent plus au dehors.

Il est encore, dans les manoeuvres de notre assassin des Buprestes, un fait des plus singuliers. Les Buprestes enterr?s, ainsi que ceux dont je me suis empar? entre les pattes de leurs ravisseurs, sont toujours d?pourvus de tout signe de vie; en un mot, ils sont d?cid?ment morts. Je remarquai avec surprise que, n'importe l'?poque de l'exhumation de ces cadavres, non-seulement ils conservaient toute la fra?cheur de leur coloris, mais ils avaient les pattes, les antennes, les palpes et les membranes qui unissent les parties du corps, parfaitement souples et flexibles. On ne reconnaissait en eux aucune mutilation, aucune blessure apparente. On croirait d'abord en trouver la raison, pour ceux qui sont ensevelis, dans la fra?cheur des entrailles du sol, dans l'absence de l'air et de la lumi?re; et pour ceux enlev?s aux ravisseurs, dans une mort tr?s r?cente.

Mais observez, je vous prie, que lors de mes exp?riences, apr?s avoir plac? isol?ment dans des cornets de papier les nombreux Buprestes exhum?s, il m'est souvent arriv? de ne les enfiler avec des ?pingles qu'apr?s trente-six heures de s?jour dans les cornets. Eh bien! malgr? la s?cheresse et la vive chaleur de juillet, j'ai toujours trouv? la m?me flexibilit? dans leurs articulations. Il y a plus: apr?s ce laps de temps, j'ai diss?qu? plusieurs d'entre eux, et leurs visc?res ?taient aussi parfaitement conserv?s que si j'avais pos? le scalpel dans les entrailles encore vivantes de ces insectes. Or, une longue exp?rience m'a appris que, m?me dans un col?opt?re de cette taille, lorsqu'il s'est ?coul? douze heures depuis la mort en ?t?, les organes int?rieurs sont ou dess?ch?s ou corrompus, de mani?re qu'il est impossible d'en constater la forme et la structure. Il y a dans les Buprestes mis ? mort par les Cerceris quelque circonstance particuli?re qui les met ? l'abri de la dessiccation et de la corruption pendant une et peut-?tre deux semaines. Mais quelle est cette circonstance?>>

Pour expliquer cette merveilleuse conservation des chairs qui, d'un insecte plong? depuis plusieurs semaines dans l'inertie d'un cadavre, fait une pi?ce de gibier ne se faisandant pas et se tenant aussi fra?che qu'? la minute m?me de sa capture, pendant les plus fortes chaleurs de l'?t?, l'habile historien du chasseur de Buprestes, suppose un liquide antiseptique, agissant ? la mani?re des pr?parations usit?es pour conserver les pi?ces d'anatomie. Ce liquide ne saurait ?tre que le venin de l'hym?nopt?re, inocul? dans le corps de la victime. Une petite gouttelette de l'humeur venimeuse accompagnant le dard, stylet destin? ? l'inoculation, ferait office d'une sorte de saumure ou de liqueur pr?servatrice pour conserver les chairs dont la larve doit se nourrir. Mais quelle sup?riorit? n'aurait pas sur les n?tres le proc?d? de l'hym?nopt?re en mati?re de conserves alimentaires! Nous saturons de sel, nous impr?gnons des ?cret?s de la fum?e, nous enfermons dans des bo?tes de fer-blanc herm?tiquement closes, des aliments qui se maintiennent mangeables, il est vrai, mais sont loin, bien loin, des qualit?s qu'ils avaient ? l'?tat de fra?cheur. Les bo?tes de sardines noy?es dans de l'huile, les harengs fum?s de la Hollande, les morues r?duites en une plaque racornie par le sel et le soleil, tout cela peut-il soutenir la comparaison avec les m?mes poissons livr?s ? la cuisine alors qu'ils fr?tillent encore? Pour les viandes proprement dites, c'est encore pire. Hors de la salaison et du boucanage, nous n'avons rien qui puisse, m?me pendant une p?riode assez courte, maintenir mangeable ? la rigueur un morceau de chair. Aujourd'hui, apr?s mille tentatives infructueuses dans les voies les plus vari?es, on ?quipe ? grands frais des navires sp?ciaux, qui, munis de puissants appareils frigorifiques, nous apportent congel?es et soustraites ? l'alt?ration par l'intensit? du froid, les chairs des moutons et des boeufs abattus dans les pampas de l'Am?rique du Sud. Comme le Cerceris prime sur nous par sa m?thode, si prompte, si peu co?teuse, si efficace! Quelles le?ons nous aurions ? prendre dans sa chimie transcendante! Avec une imperceptible goutte de son liquide ? venin, il rend ? l'instant m?me sa proie incorruptible. Que dis-je! incorruptible! C'est fort loin d'?tre tout! Il met son gibier dans un ?tat qui emp?che la dessiccation, qui laisse aux articulations leur souplesse, qui maintient dans leur fra?cheur premi?re tous les organes tant int?rieurs qu'ext?rieurs; enfin il met l'insecte sacrifi? dans un ?tat ne diff?rant de la vie que par l'immobilit? cadav?rique.

Telle est l'id?e ? laquelle s'est arr?t? L. Dufour, devant l'incompr?hensible merveille des Buprestes morts que la corruption n'envahit pas. Une liqueur pr?servatrice, incomparablement sup?rieure ? tout ce que la science humaine sait produire, expliquerait le myst?re. Lui, le ma?tre, habile parmi les habiles, rompu aux fines anatomies; lui qui, de la loupe et du scalpel, a scrut? la s?rie entomologique enti?re, sans laisser un recoin inexplor?; lui, enfin, pour qui l'organisation des insectes n'a pas de secrets, ne peut rien imaginer de mieux qu'un liquide antiseptique pour donner au moins une apparence d'explication, ? un fait qui le laisse confondu. Qu'il me soit permis d'insister sur ce rapprochement entre l'instinct de la b?te et la raison du savant pour mieux mettre en son jour, en temps opportun, l'?crasante sup?riorit? de l'animal.

La m?moire pleine des hauts faits du chasseur de Buprestes, j'?piais l'occasion d'assister ? mon tour aux travaux des Cerceris; et je l'?piai tellement que je finis par la trouver. Ce n'?tait pas, il est vrai, l'hym?nopt?re c?l?br? par L. Dufour, avec ses somptueuses victuailles, dont les d?bris exhum?s du sol font songer ? la poudre de quelque p?pite bris?e sous le pic du mineur dans un placer aurif?re; c'?tait une esp?ce cong?n?re, ravisseur g?ant qui se contente d'une proie plus modeste, enfin le Cerceris tubercul? ou Cerceris majeur, le plus grand, le plus robuste du genre.

Ce n'est pas assez pour lui du choix de cet emplacement vertical: d'autres pr?cautions sont prises pour se garantir des pluies in?vitables de la saison d?j? avanc?e. Si quelque lame de gr?s dur fait saillie en forme de corniche; si quelque trou, ? y loger le poing, est naturellement creus? dans le sol, c'est l?, sous cet auvent, au fond de cette cavit?, qu'il pratique sa galerie, ajoutant ainsi un vestibule naturel ? son propre ?difice. Bien qu'il n'y ait entre eux aucune esp?ce de communaut?, ces insectes aiment cependant ? se r?unir en petit nombre; et c'est toujours par groupes d'une dizaine environ au moins que j'ai observ? leurs nids, dont les orifices, le plus souvent assez distants l'un de l'autre, se rapprochent quelquefois jusqu'? se toucher.

Par un beau soleil, c'est merveille de voir les diverses manoeuvres de ces laborieux mineurs. Les uns, avec leurs mandibules, arrachent patiemment au fond de l'excavation quelques grains de gravier et en poussent la lourde masse au dehors; d'autres, grattant les parois de leur couloir avec les r?teaux ac?r?s des tarses, forment un tas de d?blais qu'ils balaient au dehors ? reculons, et qu'ils font ruisseler sur les flancs des talus en longs filets pulv?rulents. Ce sont ces ond?es p?riodiques de sable rejet? hors de galeries en construction, qui ont trahi mes premiers Cerceris et m'ont fait d?couvrir leurs nids. D'autres, soit par fatigue, soit par suite de l'ach?vement de leur rude t?che, semblent se reposer et lustrent leurs antennes et leurs ailes sous l'auvent naturel qui, le plus souvent, prot?ge leur domicile; ou bien encore restent immobiles ? l'orifice de leur trou, et montrent seulement leur large face carr?e, bariol?e de jaune et de noir. D'autres enfin, avec un grave bourdonnement, voltigent sur les buissons voisins du Ch?ne au Kerm?s, o? les m?les, sans cesse aux aguets dans le voisinage des terriers en construction, ne tardent pas ? les suivre. Des couples se forment, souvent troubl?s par l'arriv?e d'un second m?le qui cherche ? supplanter l'heureux possesseur. Les bourdonnements deviennent mena?ants, des rixes ont lieu, et souvent les deux m?les se roulent dans la poussi?re jusqu'? ce que l'un des deux reconnaisse la sup?riorit? de son rival. Non loin de l?, la femelle attend, indiff?rente, le d?nouement de la lutte; enfin elle accueille le m?le que les hasards du combat lui ont donn?, et le couple, s'envolant ? perte de vue, va chercher la tranquillit? sur quelque lointaine touffe de broussailles. L? se borne le r?le de m?les. De moiti? plus petits que les femelles, et presque aussi nombreux qu'elles, ils r?dent ?? et l?, ? proximit? des terriers, mais sans y p?n?trer, et sans jamais prendre part aux laborieux travaux de mine et aux chasses, peut-?tre encore plus p?nibles, qui doivent approvisionner les cellules.

En peu de jours les galeries sont pr?tes, d'autant plus que celles de l'ann?e pr?c?dente sont employ?es de nouveau apr?s quelques r?parations. Les autres Cerceris, ? ma connaissance, n'ont pas de domicile fixe, h?ritage de famille transmis d'une g?n?ration ? l'autre. Vraie Boh?me errante, ils s'?tablissent isol?ment o? les ont conduits les hasards de leur vie vagabonde, pourvu que le sol leur convienne. Le Cerceris tubercul? est, lui, fid?le ? ses p?nates. La lame de gr?s qui surplombe et servait d'auvent ? ses pr?d?cesseurs, il l'adopte ? son tour; il creuse la m?me assise de sable qu'ont creus?e ses anc?tres, et ajoutant ses propres travaux aux travaux ant?rieurs, il obtient des retraites profondes qu'on ne visite pas toujours sans difficult?. Le diam?tre des galeries est assez large pour qu'on puisse y plonger le pouce, et l'insecte peut s'y mouvoir ais?ment, m?me lorsqu'il est charg? de la proie que nous lui verrons saisir. Leur direction, qui d'abord est horizontale jusqu'? la profondeur de un ? deux d?cim?tres, fait subitement un coude, et plonge plus ou moins obliquement tant?t dans un sens, tant?t dans l'autre. Sauf la partie horizontale et le coude du tube, le reste ne para?t r?gl? que par les difficult?s du terrain, comme le prouvent les sinuosit?s, les orientations variables qu'on observe dans la partie la plus recul?e. La longueur totale de cette esp?ce de trou de sonde atteint jusqu'? un demi-m?tre. ? l'extr?mit? la plus recul?e du tube se trouvent les cellules, en assez petit nombre, et approvisionn?es chacune avec cinq ou six cadavres de col?opt?res. Mais laissons ces d?tails de ma?onnerie, et arrivons ? des faits plus capables d'exciter notre admiration.

Ces nombres parlent assez ?loquemment en faveur du vigoureux chasseur; aussi ne pouvais-je me lasser d'admirer avec quelle prestesse, quelle aisance, il reprenait son vol, le gibier entre les pattes, et s'?levait ? une hauteur o? je le perdais de vue, lorsque traqu? de trop pr?s par ma curiosit? indiscr?te, il se d?cidait ? fuir pour sauver son pr?cieux butin. Mais il ne fuyait pas toujours, et je parvenais alors, non sans difficult? pour ne pas blesser le chasseur, en le harcelant, en le culbutant avec une paille, ? lui faire abandonner sa proie dont je m'emparais aussit?t. Le Cerceris ainsi d?pouill? cherchait ?? et l?, entrait un instant dans sa tani?re et en sortait bient?t pour voler ? de nouvelles chasses. En moins de dix minutes, l'adroit investigateur avait trouv? une nouvelle victime, consomm? le meurtre et accompli le rapt, que je me suis souvent permis de faire tourner ? mon profit. Huit fois, aux d?pens du m?me individu, j'ai commis coup sur coup le m?me larcin; huit fois avec une constance in?branlable, il a recommenc? son exp?dition infructueuse. Sa patience a lass? la mienne, et la neuvi?me capture lui est rest?e d?finitivement acquise.

Voil? donc que sur huit esp?ces de Cerceris dont les provisions de bouche consistent en col?opt?res, sept sont adonn?es au r?gime des Charan?ons et une ? celui des Buprestes. Pour quelles raisons singuli?res les d?pr?dations de ces hym?nopt?res sont-elles renferm?es dans des limites si ?troites? Quels sont les motifs de ces choix si exclusifs? Quels traits de ressemblance interne y a- t-il entre les Buprestes et les Charan?ons, qui ext?rieurement ne se ressemblent en rien, pour devenir ainsi ?galement la p?ture de larves carnivores cong?n?res? Entre telle et telle autre esp?ce de victime, il y a, sans doute aucun, des diff?rences de saveur, des diff?rences nutritives que les larves savent tr?s-bien appr?cier; mais une raison autrement grave doit dominer toutes ces consid?rations gastronomiques et motiver ces ?tranges pr?dilections.

Apr?s tout ce qui a ?t? dit d'admirable par L. Dufour sur la longue et merveilleuse conservation des insectes destin?s aux larves carnassi?res, il est presque inutile d'ajouter que les Charan?ons, autant ceux que j'exhumais que ceux que je prenais entre les pattes des ravisseurs, quoique priv?s pour toujours du mouvement, ?taient dans un parfait ?tat de conservation. Fra?cheur des couleurs, souplesse des membranes et des moindres articulations, ?tat normal des visc?res, tout conspire ? vous faire douter que ce corps inerte qu'on a sous les yeux soit un v?ritable cadavre, d'autant plus qu'? la loupe m?me il est impossible d'y apercevoir la moindre l?sion; et, malgr? soi, on s'attend ? voir remuer, ? voir marcher l'insecte d'un moment ? l'autre. Bien plus: par des chaleurs qui, en quelques heures, auraient dess?ch? et rendu friables des insectes morts d'une mort ordinaire, par des temps humides qui les auraient tout aussi rapidement corrompus et moisis, j'ai conserv?, sans aucune pr?caution et pendant plus d'un mois, les m?mes individus, soit dans des tubes de verre, soit dans des cornets de papier; et, chose inou?e, apr?s cet ?norme laps de temps, les visc?res n'avaient rien perdu de leur fra?cheur, et la dissection en ?tait aussi ais?e que si l'on e?t op?r? sur un animal vivant. Non, en pr?sence de pareils faits, on ne peut invoquer l'action d'un antiseptique et croire ? une mort r?elle; la vie est encore l?, vie latente et passive, la vie du v?g?tal. Elle seule, luttant encore quelque temps avec avantage contre l'invasion destructive des forces chimiques, peut ainsi pr?server l'organisme de la d?composition. La vie est encore l?, moins le mouvement; et l'on a sous les yeux une merveille comme pourraient en produire le chloroforme et l'?ther, une merveille reconnaissant pour cause les myst?rieuses lois du syst?me nerveux.

Les fonctions de cette vie v?g?tative sont ralenties, troubl?es sans doute; mais enfin elles s'exercent sourdement. J'en ai pour preuves la d?f?cation qui s'op?re, normalement et par intervalles chez les Charan?ons, pendant la premi?re semaine de ce profond sommeil qu'aucun r?veil ne doit suivre, et qui, cependant, n'est pas encore la mort. Elle ne s'arr?te que lorsque l'intestin ne renferme plus rien, comme le constate l'autopsie. L?, ne se bornent pas les faibles lueurs de vie que l'animal manifeste encore; et bien que l'irritabilit? paraisse pour toujours an?antie, j'ai pu cependant en r?veiller encore quelques vestiges. Ayant mis dans un flacon contenant de la sciure de bois humect?e de quelques gouttes de benzine des Charan?ons r?cemment exhum?s et plong?s dans une immobilit? absolue, je n'ai pas ?t? peu surpris de les voir un quart d'heure apr?s remuer leurs pattes. Un moment j'ai cru pouvoir les rappeler ? la vie. Vain espoir! ces mouvements, derniers vestiges d'une irritabilit? qui va s'?teindre, ne tardent pas ? s'arr?ter, et ne peuvent pas ?tre excit?s une seconde fois. J'ai recommenc? cette exp?rience depuis quelques heures jusqu'? trois ou quatre jours apr?s le meurtre, toujours avec le m?me succ?s. Cependant le mouvement est d'autant plus lent ? se manifester que la victime est plus vieille. Ce mouvement se propage toujours d'avant en arri?re: les antennes ex?cutent d'abord quelques lentes oscillations, puis les tarses ant?rieurs fr?missent et prennent part ? l'?tat oscillatoire; enfin les tarses de seconde paire, et en dernier lieu ceux de troisi?me paire, ne tardent pas ? en faire autant. Une fois l'?branlement donn?, ces divers appendices ex?cutent leurs oscillations sans aucun ordre, jusqu'? ce que le tout retombe dans l'immobilit?, ce qui arrive plus ou moins promptement. ? moins que le meurtre ne soit tr?s r?cent, l'?branlement des tarses ne se communique pas plus loin, et les jambes restent immobiles.

Dix jours apr?s le meurtre, je n'ai pu obtenir par le m?me proc?d? le moindre vestige d'irritabilit?; alors j'ai eu recours au courant volta?que. Ce dernier moyen est plus ?nergique, et provoque des contractions musculaires et des mouvements l? o? la vapeur de benzine reste sans effet. Il suffit d'un ou deux ?l?ments de Bunsen dont on arme les rh?ophores d'aiguilles d?li?es. En plongeant la pointe de l'une sous l'anneau le plus recul? de l'abdomen, et la pointe de l'autre sous le cou, on obtient, toutes les fois que le courant est ?tabli, outre le fr?missement des tarses, une forte flexion des pattes, qui se replient sur l'abdomen, et leur rel?chement quand le courant est interrompu. Ces mouvements, fort ?nergiques les premiers jours, diminuent peu ? peu d'intensit? et ne se montrent plus apr?s un certain temps. Le dixi?me jour, j'ai encore obtenu des mouvements sensibles; le quinzi?me, la pile ?tait impuissante ? les provoquer, malgr? la souplesse des membres et la fra?cheur des visc?res. J'ai soumis comparativement ? l'action de la pile des col?opt?res r?ellement morts, Blaps, Saperdes, Lamies, asphyxi?s par la benzine ou par le gaz sulfureux. Deux heures au plus apr?s l'asphyxie, il m'a ?t? impossible de provoquer ces mouvements, obtenus si ais?ment dans les Charan?ons qui sont d?j? depuis plusieurs jours dans cet ?tat singulier, interm?diaire entre la vie et la mort, o? les plonge leur redoutable ennemi.

Tous ces faits sont contradictoires avec la supposition d'un animal compl?tement mort, avec l'hypoth?se d'un vrai cadavre devenu incorruptible par l'effet d'une liqueur pr?servatrice. On ne peut les expliquer qu'en admettant que l'animal est atteint dans le principe de ses mouvements; que son irritabilit? brusquement engourdie s'?teint avec lenteur, tandis que les fonctions v?g?tatives, plus tenaces, s'?teignent plus lentement encore et maintiennent, pendant le temps n?cessaire aux larves, la conservation des visc?res.

La particularit? qu'il importait le plus de constater, c'?tait la mani?re dont s'op?re le meurtre. Il est bien ?vident que l'aiguillon ? venin du Cerceris doit jouer ici le premier r?le. Mais o? et comment p?n?tre-t-il dans le corps du Charan?on, couvert d'une dure cuirasse, dont les pi?ces sont si ?troitement ajust?es? Dans les individus atteints par le dard, rien, m?me ? la loupe, ne trahit l'assassinat. Il faut donc constater, par un examen direct, les manoeuvres meurtri?res de l'hym?nopt?re, probl?me devant les difficult?s duquel avait d?j? recul? L. Dufour et dont la solution m'a paru quelque temps impossible ? trouver. J'ai essay? cependant, et j'ai eu la satisfaction d'y parvenir, mais non sans t?tonnements.

En s'envolant de leurs cavernes pour faire leurs chasses, les Cerceris se dirigeaient indiff?remment, tant?t d'un c?t?, tant?t de l'autre, et ils rentraient charg?s de leur proie suivant toutes les directions. Tous les alentours ?taient donc indistinctement exploit?s; mais comme les chasseurs ne mettaient gu?re plus de dix minutes entre l'aller et le retour, le rayon du terrain explor? ne paraissait pas devoir ?tre d'une grande ?tendue, surtout en tenant compte du temps n?cessaire pour d?couvrir la proie, l'attaquer et en faire une masse inerte. Je me suis donc mis ? parcourir, avec toute l'attention possible, les terres circonvoisines, dans l'espoir de trouver quelques Cerceris en chasse. Un apr?s-midi consacr? ? ce travail ingrat a fini par me convaincre de l'inutilit? de mes recherches, et du peu de chances que j'avais de surprendre sur le fait quelques rares chasseurs diss?min?s ?? et l?, et bient?t d?rob?s aux regards par la rapidit? du vol, surtout dans un terrain difficile, complant? de vignes et d'oliviers. J'ai renonc? ? ce proc?d?.

N'importe, essayons avec mon pitoyable gibier. Un Cerceris vient d'entrer dans sa galerie avec la proie accoutum?e; avant qu'il ressorte pour une autre exp?dition, je place un Charan?on ? quelques pouces du trou. L'insecte va et vient; quand il s'?carte trop, je le ram?ne ? son poste. Enfin le Cerceris montre sa large face et sort du trou: le coeur me bat d'?motion. L'hym?nopt?re arpente quelques instants les abords de son domicile, voit le Charan?on, le coudoie, se retourne, lui passe ? plusieurs reprises sur le dos, et s'envole sans honorer ma capture d'un coup de mandibule, ma capture qui m'a donn? tant de mal. J'?tais confondu, atterr?. Nouveaux essais ? d'autres trous; nouvelles d?ceptions. D?cid?ment ces chasseurs d?licats ne veulent pas du gibier que je leur offre. Peut-?tre, le trouvent-ils trop vieux, trop fan?. Peut-?tre, en le prenant entre les doigts, lui ai-je communiqu? quelque odeur qui leur d?pla?t. Pour ces raffin?s, un attouchement ?tranger est cause de d?go?t.

Serai-je plus heureux en obligeant le Cerceris ? faire usage de son dard pour sa propre d?fense? J'ai enferm? dans le m?me flacon un Cerceris et un Cl?one, que j'ai irrit?s par quelques secousses. L'hym?nopt?re, nature fine, est plus impressionn? que l'autre prisonnier, ?paisse et lourde organisation; il songe ? la fuite et non ? l'attaque. Les r?les m?mes sont intervertis: le Charan?on devenant l'agresseur, saisit parfois du bout de sa trompe une patte de son mortel ennemi, qui ne cherche pas m?me ? se d?fendre, tant la frayeur le domine. J'?tais ? bout de ressources, et mon d?sir d'assister au d?nouement n'avait fait qu'augmenter par les difficult?s d?j? ?prouv?es. Voyons, cherchons encore.

Une id?e lumineuse survient, amenant avec elle l'espoir, tant elle entre d'une fa?on naturelle dans le vif de la question. Oui, c'est bien cela; cela doit r?ussir. Il faut offrir mon gibier d?daign? au Cerceris au plus fort de l'ardeur de la chasse. Alors, emport? par la pr?occupation qui l'absorbe, il ne s'apercevra pas de ses imperfections. -- J'ai d?j? dit qu'en revenant de la chasse, le Cerceris s'abat au pied du talus, ? quelque distance du trou, o? il ach?ve de tra?ner p?niblement sa proie. Il s'agit alors de lui enlever cette victime en la tiraillant par une patte avec des pinces, et de lui jeter aussit?t en ?change le Charan?on vivant. Cette manoeuvre m'a parfaitement r?ussi. D?s que le Cerceris a senti la proie lui glisser sous le ventre et lui ?chapper, il frappe le sol de ses pattes avec impatience, se retourne, et apercevant le Charan?on qui a remplac? le sien, il se pr?cipite sur lui et l'enlace de ses pattes pour l'emporter. Mais il s'aper?oit promptement que la proie est vivante, et alors le drame commence pour s'achever avec une inconcevable rapidit?. L'hym?nopt?re se met face ? face avec sa victime, lui saisit la trompe entre ses puissantes mandibules, l'assujettit vigoureusement; et tandis que le Curculionite se cambre sur ses jambes, l'autre, avec les pattes ant?rieures, le presse avec effort sur le dos comme pour faire b?iller quelque articulation ventrale. On voit alors l'abdomen du meurtrier se glisser sous le ventre du Cl?one, se recourber, et darder vivement ? deux ou trois reprises son stylet venimeux ? la jointure du prothorax, entre la premi?re et la seconde paire de pattes. En un clin d'oeil, tout est fait. Sans le moindre mouvement convulsif, sans aucune de ces pandiculations des membres qui accompagnent l'agonie d'un animal, la victime, comme foudroy?e, tombe pour toujours immobile. C'est terrible en m?me temps qu'admirable de rapidit?. Puis le ravisseur retourne le cadavre sur le dos, se met ventre ? ventre avec lui, jambes de ??, jambes de l?, l'enlace et s'envole. Trois fois, avec mes trois Charan?ons, j'ai renouvel? l'?preuve; les manoeuvres n'ont jamais vari?.

Il est bien entendu que chaque fois je rendais au Cerceris sa premi?re proie, et que je retirais mon Cl?one pour l'examiner plus ? loisir. Cet examen n'a fait que me confirmer dans la haute id?e que j'avais du talent redoutable de l'assassin. Au point atteint, il est impossible d'apercevoir le plus l?ger signe de blessure, le moindre ?panchement de liquides vitaux. Mais ce qui a surtout le droit de nous surprendre, c'est l'an?antissement si prompt et si complet de tout mouvement. Aussit?t apr?s le meurtre, j'ai en vain ?pi? sur les trois Charan?ons op?r?s sous mes yeux des traces d'irritabilit?; ces traces ne se manifestent jamais en pin?ant, en piquant l'animal, et il faut les moyens artificiels d?crits plus haut pour les provoquer. Ainsi, ces robustes Cl?ones qui, transperc?s vivants d'une ?pingle et fix?s sur la fatale planchette de li?ge du collectionneur d'insectes, se seraient d?men?s des jours, des semaines, que dis-je, des mois entiers, perdent ? l'instant m?me tous leurs mouvements par l'effet d'une fine piq?re qui leur inocule une invisible gouttelette de venin. Mais la chimie ne poss?de pas de poison aussi actif ? si minime dose; l'acide prussique produirait ? peine ces effets, si toutefois il peut les produire. Aussi n'est-ce pas ? la toxicologie mais bien ? la physiologie et ? l'anatomie qu'il faut s'adresser, pour saisir la cause d'un an?antissement si foudroyant; ce n'est pas tant la haute ?nergie du venin inocul? que l'importance de l'organe l?s? qu'il faut consid?rer pour se rendre compte de ces merveilleux faits.

Qu'y a-t-il donc au point o? p?n?tre le dard?

CHAPITRE V UN SAVANT TUEUR

L'Hym?nopt?re vient de nous r?v?ler en partie son secret en nous montrant le point qu'atteint son aiguillon. La question est-elle avec cela r?solue? Pas encore, et de bien s'en faut. Revenons en arri?re: oublions un instant ce que la b?te vient de nous apprendre, et proposons-nous ? notre tour le probl?me du Cerceris. Le probl?me est celui-ci: emmagasiner sous terre, dans une cellule, un certain nombre de pi?ces de gibier qui puissent suffire ? la nourriture de la larve, provenant de l'oeuf pondu sur l'amas de vivres.

Tout d'abord cet approvisionnement para?t chose bien simple; mais la r?flexion ne tarde pas ? y d?couvrir les plus graves difficult?s. Notre gibier ? nous est abattu par exemple d'un coup de feu: il est tu? avec d'horribles blessures. L'Hym?nopt?re a des d?licatesses qui nous sont inconnues: il veut une proie intacte, avec toutes ses ?l?gances de forme et de coloration. Pas de membres fracass?s, pas de plaies b?antes, pas de hideux ?v?nements. Sa proie a toute la fra?cheur de l'insecte vivant; elle conserve, sans un grain de moins, cette fine poussi?re color?e, que d?flore le simple contact de nos doigts. L'insecte serait-il mort, serait-il r?ellement un cadavre, quelles difficult?s pour nous s'il fallait obtenir semblable r?sultat! Tuer un insecte par le brutal ?crasement sous le pied est ? la port?e de tous; mais le tuer proprement, sans que cela y paraisse, n'est pas op?ration ais?e, o? chacun puisse r?ussir. Combien d'entre nous se trouveraient dans un insurmontable embarras s'il leur ?tait propos? de tuer, ? l'instant m?me, sans l'?craser, une bestiole ? vie dure qui, m?me la t?te arrach?e, se d?bat longtemps encore! Il faut ?tre entomologiste pratique pour songer aux moyens par l'asphyxie. Mais ici encore, la r?ussite serait douteuse avec les m?thodes primitives par la vapeur de la benzine ou du soufre br?l?. Dans ce milieu d?l?t?re, l'insecte trop longtemps se d?m?ne et ternit sa parure. On doit recourir ? des moyens plus h?ro?ques, par exemple aux ?manations terribles de l'acide prussique se d?gageant lentement de bandelettes de papier impr?gn?es de cyanure de potassium; ou bien encore, ce qui vaut mieux, ?tant sans danger pour le chasseur d'insectes, aux vapeurs foudroyantes du sulfure de carbone. C'est tout un art, on le voit, un art appelant ? son aide le redoutable arsenal de la chimie, que de tuer proprement un insecte, que de faire ce que le Cerceris obtient si vite, avec son ?l?gante m?thode, dans la supposition bien grossi?re o? sa capture deviendrait en r?alit? cadavre.

Un cadavre! mais ce n'est pas l? du tout l'ordinaire des larves, petits ogres friands de chair fra?che, ? qui gibier faisand?, si peu qu'il le f?t, inspirerait insurmontable d?go?t. Il leur faut viande du jour, sans fumet aucun, premier indice de la corruption. La proie n?anmoins ne peut ?tre emmagasin?e vivante dans la cellule, comme nous le faisons des bestiaux destin?s ? fournir des vivres frais ? l'?quipage et aux passagers d'un navire. Que deviendrait, en effet, l'oeuf d?licat d?pos? au milieu de vivres anim?s; que deviendrait la faible larve, vermisseau qu'un rien meurtrit, parmi de vigoureux col?opt?res remuant des semaines enti?res leurs longues jambes ?peronn?es. Il faut ici, contradiction qui para?t sans issue, il faut ici de toute n?cessit? l'immobilit? de la mort et la fra?cheur d'entrailles de la vie. Devant pareil probl?me alimentaire, l'homme du monde, poss?d?t-il la plus large instruction, resterait impuissant; l'entomologiste pratique lui-m?me s'avouerait inhabile. Le garde- manger du Cerceris d?fierait leur raison.

Supposons donc une Acad?mie d'anatomistes et de physiologistes: imaginons un congr?s o? la question soit agit?e parmi les Flourens, les Magendie, les Claude Bernard. Pour obtenir ? la fois immobilit? compl?te et longue dur?e des vivres sans alt?ration putride, la premi?re id?e qui surgira, la plus naturelle, la plus simple, sera celle de conserves alimentaires. On invoquera quelque liqueur pr?servatrice, comme le fit, devant ses Buprestes, l'illustre savant des Landes; on supposera d'exquises vertus antiseptiques ? l'humeur venimeuse de l'hym?nopt?re, mais ces vertus ?tranges resteront ? d?montrer. Une hypoth?se gratuite rempla?ant l'inconnu de la conservation des chairs par l'inconnu du liquide conservateur, sera peut-?tre le dernier mot de la savante assembl?e, comme elle a ?t? le dernier mot du naturaliste Landais.

Si l'on insiste, si l'on explique qu'il faut aux larves, non des conserves, qui ne sauraient avoir jamais les propri?t?s d'une chair encore palpitante, mais bien une proie qui soit comme vive malgr? sa compl?te inertie, apr?s m?re r?flexion, le docte congr?s arr?tera ses pens?es sur la paralysie. -- Oui, c'est bien cela! Il faut paralyser la b?te; il faut lui enlever le mouvement mais sans lui enlever la vie. -- Pour arriver ? ce r?sultat le moyen est unique: l?ser, couper, d?truire l'appareil nerveux de l'insecte en un ou plusieurs points habilement choisis.

Abandonn?e en cet ?tat entre des mains ? qui ne seraient pas familiers les secrets d'une d?licate anatomie, la question n'aurait gu?re avanc?. Comment est-il dispos?, en effet, cet appareil nerveux qu'il s'agit d'atteindre pour paralyser l'insecte sans le tuer n?anmoins? Et d'abord, o? est-il? Dans la t?te sans doute et suivant la longueur du dos, comme le cerveau et la moelle ?pini?re des animaux sup?rieurs. -- En cela grave erreur, dirait notre congr?s: l'insecte est comme un animal renvers?, qui marcherait sur le dos; c'est-?-dire qu'au lieu d'avoir la moelle ?pini?re en haut, il l'a en bas, le long de la poitrine et du ventre. C'est donc ? la face inf?rieure, et ? cette face exclusivement que devra se pratiquer l'op?ration sur l'insecte ? paralyser.

Cette difficult? lev?e, une autre se pr?sente, autrement s?rieuse. Arm? de son scalpel, l'anatomiste peut porter la pointe de son instrument o? bon lui semble, malgr? des obstacles qu'il lui est loisible d'?carter. L'Hym?nopt?re n'a pas le choix. Sa victime est un col?opt?re solidement cuirass?; son bistouri est l'aiguillon, arme fine, d'extr?me d?licatesse, qu'arr?terait invinciblement l'armure de corne. Quelques points seuls sont accessibles au fr?le outil, savoir les articulations, uniquement prot?g?es par une membrane sans r?sistance. En outre, les articulations des membres, quoique vuln?rables, ne remplissent pas le moins du monde les conditions voulues, car par leur voie pourrait tout au plus s'obtenir une paralysie locale, mais non une paralysie g?n?rale, embrassant dans son ensemble l'organisme moteur. Sans lutte prolong?e, qui pourrait lui devenir fatale, sans op?rations r?p?t?es qui, trop nombreuses, pourraient compromettre la vie du patient, l'Hym?nopt?re doit abolir en un seul coup, si c'est possible, toute mobilit?. Il lui est donc indispensable de porter son aiguillon sur des centres nerveux, foyer des facult?s motrices, d'o? s'irradient les nerfs qui se distribuent aux divers organes du mouvement. Or, ces foyers de locomotion, ces centres nerveux, consistent en un certain nombre de noyaux ou ganglions, plus nombreux dans la larve, moins nombreux dans l'insecte parfait, et, dispos?s sur la ligne m?diane de la face inf?rieure en un chapelet ? grains plus ou moins distants et reli?s l'un ? l'autre par un double ruban de substance nerveuse. Chez tous les insectes ? l'?tat parfait, les ganglions dits thoraciques, c'est- ?-dire ceux qui fournissent des nerfs aux ailes et aux pattes et pr?sident ? leurs mouvements, sont au nombre de trois. Voil? les points qu'il s'agit d'atteindre. Leur action d?truite d'une fa?on ou d'une autre, sera d?truite aussi la possibilit? de se mouvoir.

Deux voies se pr?sentent pour arriver ? ces centres moteurs avec l'outil si faible de l'Hym?nopt?re, l'aiguillon. L'une est l'articulation du cou avec le corselet; l'autre est l'articulation du corselet avec la suite du thorax, enfin entre la premi?re et la seconde paire de pattes. La voie par l'articulation du cou ne convient gu?re: elle est trop ?loign?e des ganglions, eux-m?mes rapproch?s de la base des pattes qu'ils animent. C'est ? l'autre, uniquement ? l'autre, qu'il faut frapper. -- Ainsi dirait l'Acad?mie o? les Claude Bernard ?claireraient la question des lumi?res de leur profonde science. -- Et c'est l?, pr?cis?ment l?, entre la premi?re et la seconde paire de pattes, sur la ligne m?diane de la face inf?rieure, que l'Hym?nopt?re plonge son stylet. Par quelle docte intelligence est-il donc inspir??

Choisir, pour y darder l'aiguillon, le point entre tous vuln?rable, le point qu'un physiologiste vers? dans la structure anatomique des insectes pourrait seul d?terminer ? l'avance, est encore fort loin de suffire: l'Hym?nopt?re a une difficult? bien plus grande ? surmonter, et il la surmonte avec une sup?riorit? qui vous saisit de stupeur. Les centres nerveux qui animent les organes locomoteurs de l'insecte parfait sont, disons-nous, au nombre de trois. Ils sont plus ou moins distants l'un de l'autre; quelquefois, mais rarement, rapproch?s entre eux. Enfin, ils poss?dent une certaine ind?pendance d'action, de telle sorte que la l?sion de l'un d'eux n'am?ne, imm?diatement du moins, que la paralysie des membres qui lui correspondent, sans trouble dans les autres ganglions, et les membres auxquels ces derniers pr?sident. Atteindre l'un apr?s l'autre ces trois foyers moteurs, de plus en plus recul?s en arri?re, et cela par une voie unique, entre la premi?re et la seconde paire de pattes, ne semble pas op?ration praticable pour l'aiguillon, trop court, et d'ailleurs si difficile ? diriger en de pareilles conditions. Il est vrai que certains col?opt?res ont les trois ganglions thoraciques tr?s rapproch?s, contigus presque; il en est d'autres chez lesquels les deux derniers sont compl?tement r?unis, soud?s, fondus ensemble. Il est aussi reconnu qu'? mesure que les divers noyaux nerveux tendent ? se confondre et se centralisent davantage, les fonctions caract?ristiques de l'animalit? deviennent plus parfaites, et par suite, h?las! plus vuln?rables. Voil? vraiment la proie qu'il faut aux Cerceris. Ces Col?opt?res ? centres moteurs rapproch?s jusqu'? se toucher, assembl?s m?me en une masse commune et de la sorte solidaires l'un de l'autre, seront ? l'instant m?me paralys?s d'un seul coup d'aiguillon; ou bien, s'il faut plusieurs coups de lancette, les ganglions ? piquer seront tous l?, du moins, r?unis sous la pointe du dard.

Ces Col?opt?res, proie ?minemment facile ? paralyser, quels sont- ils? L? est la question. La haute science d'un Claude Bernard planant dans les g?n?ralit?s fondamentales de l'organisation et de la vie ici, ne suffit plus; elle ne pourrait nous renseigner et nous guider dans ce choix entomologique. Je m'en rapporte ? tout physiologiste sous les yeux de qui ces lignes pourront tomber. Sans recourir aux archives de sa biblioth?que, lui serait-il possible de dire les Col?opt?res o? peut se trouver pareille centralisation nerveuse; et m?me avec la biblioth?que, saura-t-il ? l'instant o? trouver les renseignements voulus? C'est qu'en effet, nous entrons maintenant dans les d?tails minutieux du sp?cialiste; la grande voie est laiss?e pour le sentier connu du petit nombre.

Ces documents n?cessaires, je les trouve dans le beau travail de M. E. Blanchard, sur le syst?me nerveux des insectes Col?opt?res. J'y vois que cette centralisation de l'appareil nerveux est l'apanage d'abord des Scarab?iens; mais la plupart sont trop gros: le Cerceris ne pourrait peut-?tre ni les attaquer, ni les emporter; d'ailleurs beaucoup vivent dans des ordures o? l'Hym?nopt?re, lui si propre, n'irait pas les chercher. Les centres moteurs tr?s-rapproch?s se retrouvent encore chez les Hist?riens, qui vivent de mati?res immondes, au milieu des puanteurs cadav?riques, et doivent par cons?quent ?tre abandonn?s; chez les Scolytiens, qui sont de trop petite taille; et enfin chez les Buprestes et les Charan?ons.

Quel jour inattendu au milieu des obscurit?s primitives du probl?me! Parmi le nombre immense de Col?opt?res sur lesquels sembleraient pouvoir se porter les d?pr?dations des Cerceris, deux groupes seulement, les Charan?ons et les Buprestes, remplissent les conditions indispensables. Ils vivent loin de l'infection et de l'ordure, objets peut-?tre de r?pugnances invincibles pour le d?licat chasseur; ils ont dans leurs nombreux repr?sentants les tailles les plus vari?es, proportionn?es ? la taille des divers ravisseurs, qui peuvent ainsi choisir ? leur convenance; ils sont beaucoup plus que tous les autres vuln?rables au seul point o? l'aiguillon de l'Hym?nopt?re puisse p?n?trer avec succ?s, car en ce point se pressent, tous ais?ment accessibles au dard, les centres moteurs des pattes et des ailes. En ce point, pour les Charan?ons, les trois ganglions thoraciques sont tr?s-rapproch?s, les deux derniers m?me sont contigus; en ce m?me point, pour les Buprestes, le second et le troisi?me sont confondus en une seule et grosse masse, ? peu de distance du premier. Et ce sont pr?cis?ment des Buprestes et des Charan?ons que nous voyons chasser, ? l'exclusion absolue de tout autre gibier, par les huit esp?ces de Cerceris dont l'approvisionnement en Col?opt?res est constat?! Une certaine ressemblance int?rieure, c'est-?-dire la centralisation de l'appareil nerveux, telle serait donc la cause qui, dans les repaires des divers Cerceris, fait entasser des victimes ne se ressemblant en rien pour le dehors.

Il y a dans ce choix, comme n'en ferait pas de plus judicieux un savoir transcendant, un tel concours de difficult?s sup?rieurement bien r?solues, que l'on se demande si l'on n'est pas dupe de quelque illusion involontaire, si des id?es th?oriques pr?con?ues ne sont pas venues obscurcir la r?alit? des faits, enfin si la plume n'a pas d?crit des merveilles imaginaires. Un r?sultat scientifique n'est solidement ?tabli que lorsque l'exp?rience, r?p?t?e de toutes les mani?res, est venue toujours le confirmer. Soumettons donc ? l'?preuve exp?rimentale l'op?ration physiologique que vient de nous enseigner le Cerceris tubercul?. S'il est possible d'obtenir artificiellement ce que l'Hym?nopt?re obtient avec son aiguillon, savoir l'abolition du mouvement et la longue conservation de l'op?r? dans un ?tat de parfaite fra?cheur; s'il est possible de r?aliser cette merveille avec les Col?opt?res que chasse le Cerceris, ou bien avec ceux qui pr?sentent une centralisation nerveuse semblable, tandis qu'on ne peut y parvenir avec les Col?opt?res ? ganglions distants, faudra-t-il admettre, si difficile que l'on soit en mati?re de preuves, que l'Hym?nopt?re a, dans les inspirations inconscientes de son instinct, les ressources d'une sublime science. Voyons donc ce que dit l'exp?rimentation.

La mani?re d'op?rer est des plus simples. Il s'agit, avec une aiguille, ou, ce qui est plus commode, avec la pointe bien ac?r?e d'une plume m?tallique, d'amener une gouttelette de quelque liquide corrosif sur les centres moteurs thoraciques, en piquant l?g?rement l'insecte ? la jointure du prothorax en arri?re de la premi?re paire de pattes. Le liquide que j'emploie est l'ammoniaque; mais il est ?vident que tout autre liquide ayant une action aussi ?nergique produirait les m?mes r?sultats. La plume m?tallique ?tant charg?e d'ammoniaque comme elle le serait d'une tr?s-petite goutte d'encre, j'op?re la piq?re. Les effets ainsi obtenus diff?rent ?norm?ment, suivant que l'on exp?rimente sur des esp?ces dont les ganglions thoraciques sont rapproch?s, ou sur des esp?ces o? ces m?mes ganglions sont distants. Pour la premi?re cat?gorie, mes exp?riences ont ?t? faites sur des Scarab?iens, le Scarab?e sacr? et le Scarab?e ? large cou; sur des Buprestes, le Bupreste bronz?; enfin sur des Charan?ons, en particulier sur le Cl?one que chasse le h?ros de ces observations. Pour la seconde cat?gorie, j'ai exp?riment? sur des Carabiques: Carabes, Procustes, Chlaenies, Sphodres, N?bries; sur des Longicornes: Saperdes et Lamies; sur des M?lasomes: Blaps, Scaures, Asides.

Chez les Scarab?es, les Buprestes et les Charan?ons, l'effet est instantan?; tout mouvement cesse subitement sans convulsions, d?s que la fatale gouttelette a touch? les centres nerveux. La piq?re du Cerceris ne produit pas un an?antissement plus prompt. Rien de plus frappant que cette immobilit? soudaine provoqu?e dans un vigoureux Scarab?e sacr?. Mais l? ne s'arr?te pas la ressemblance des effets produits par le dard de l'Hym?nopt?re et par la pointe m?tallique empoisonn?e avec de l'ammoniaque. Les Scarab?es, les Buprestes et les Charan?ons piqu?s artificiellement, malgr? leur immobilit? compl?te, conservent pendant trois semaines, un mois et m?me deux, la parfaite flexibilit? de toutes les articulations et la fra?cheur normale des visc?res. Chez eux, la d?f?cation s'op?re les premiers jours comme dans l'?tat habituel, et les mouvements peuvent ?tre provoqu?s par le courant volta?que. En un mot, ils se comportent absolument comme les Col?opt?res sacrifi?s par le Cerceris; il y a identit? compl?te entre l'?tat o? le ravisseur plonge ses victimes et celui qu'on produit, ? volont?, en l?sant les centres nerveux thoraciques avec de l'ammoniaque. Or, comme il est impossible d'attribuer ? la gouttelette inocul?e la conservation parfaite de l'insecte pendant un temps aussi long, il faut rejeter bien loin toute id?e de liqueur antiseptique, et admettre que, malgr? sa profonde immobilit?, l'animal n'est pas r?ellement mort, qu'il lui reste encore une lueur de vie, maintenant quelque temps encore les organes dans leur fra?cheur normale, mais les abandonnant peu ? peu pour les laisser enfin livr?s ? la corruption. Dans quelques cas d'ailleurs, l'ammoniaque ne produit l'an?antissement complet des mouvements que dans les pattes; et alors, l'action d?l?t?re du liquide ne s'?tant pas sans doute ?tendue assez loin, les antennes conservent un reste de mobilit?; et l'on voit l'animal, m?me plus d'un mois apr?s l'inoculation, les retirer avec vivacit? au moindre attouchement: preuve ?vidente que la vie n'a pas compl?tement abandonn? ce corps inerte. Ce mouvement des antennes n'est pas rare non plus chez les Charan?ons bless?s par le Cerceris.

L'inoculation de l'ammoniaque arr?te toujours sur le champ les mouvements des Scarab?es, des Charan?ons et des Buprestes; mais on ne parvient pas toujours ? mettre l'animal dans l'?tat que je viens de d?crire. Si la blessure est trop profonde, si la gouttelette instill?e est trop forte, la victime meurt r?ellement, et au bout de deux ou trois jours, on n'a plus qu'un cadavre infect. Si la piq?re est trop faible, au contraire, l'animal, apr?s un temps plus ou moins long d'un profond engourdissement, revient ? lui, et recouvre au moins en partie ses mouvements. Le ravisseur lui-m?me peut parfois op?rer maladroitement, tout comme l'homme, car j'ai pu constater cette esp?ce de r?surrection dans une victime atteinte par le dard d'un Hym?nopt?re fouisseur. Le Sphex ? ailes jaunes, dont l'histoire va bient?t nous occuper, entasse dans ses repaires de jeunes Grillons pr?alablement atteints par son stylet venimeux. J'ai retir? de l'un de ces repaires trois pauvres Grillons, dont la flaccidit? extr?me aurait d?not? la mort dans toute autre circonstance. Mais ici encore ce n'?tait qu'une mort apparente. Mis dans un flacon, ces Grillons se sont conserv?s en fort bon ?tat, et toujours immobiles, pendant pr?s de trois semaines. ? la fin, deux se sont moisis, et le troisi?me a partiellement ressuscit?, c'est-?-dire qu'il a recouvr? le mouvement des antennes, des pi?ces de la bouche et, chose plus remarquable, des deux premi?res paires de pattes. Si l'habilet? de l'Hym?nopt?re est parfois en d?faut pour engourdir ? jamais la victime, peut-on exiger des grossi?res exp?rimentations de l'homme une r?ussite constante!

Chez les Col?opt?res de la seconde cat?gorie, c'est-?-dire chez ceux dont les ganglions thoraciques sont distants l'un de l'autre, l'effet produit par l'ammoniaque est tout ? fait diff?rent. Ce sont les Carabiques qui se montrent les moins vuln?rables. Une piq?re qui aurait produit chez un gros Scarab?e sacr? l'an?antissement instantan? des mouvements ne produit, m?me chez les Carabiques de m?diocre taille, Chlaenie, N?brie, Calathe, que des convulsions violentes et d?sordonn?es. Peu ? peu l'animal se calme, et, apr?s quelques heures de repos, il reprend ses mouvements habituels, ne paraissant avoir rien ?prouv?. Si l'on renouvelle l'?preuve sur le m?me individu, deux, trois, quatre fois, les r?sultats sont les m?mes, jusqu'? ce que, la blessure devenant trop grave, l'animal meure r?ellement, comme le prouvent son dess?chement et sa putr?faction, qui surviennent bient?t apr?s.

Les M?lasomes et les Longicornes sont plus sensibles ? l'action de l'ammoniaque. L'inoculation de la gouttelette corrosive les plonge assez rapidement dans l'immobilit? et, apr?s quelques convulsions, l'animal para?t mort. Mais cette paralysie, qui aurait persist? dans les Scarab?es, les Charan?ons et les Buprestes, n'est ici que momentan?e: du jour au lendemain, les mouvements reparaissent, aussi ?nergiques que jamais. Ce n'est qu'autant que la dose d'ammoniaque est d'une certaine force que les mouvements ne reparaissent plus; mais alors l'animal est mort, bien mort, car il ne tarde pas ? tomber en putr?faction. Par les m?mes proc?d?s, si efficaces sur les Col?opt?res ? ganglions rapproch?s, il est donc impossible de provoquer une paralysie compl?te et persistante chez les Col?opt?res ? ganglions distants; on ne peut obtenir tout au plus qu'une paralysie momentan?e se dissipant du jour au lendemain.

La d?monstration est d?cisive: les Cerceris ravisseurs de Col?opt?res se conforment, dans leur choix, ? ce que pourraient seules enseigner la physiologie la plus savante et l'anatomie la plus fine. Vainement on s'efforcerait de ne voir l? que des concordances fortuites: ce n'est pas avec le hasard que s'expliquent de telles harmonies.

CHAPITRE VI LE SPHEX ? AILES JAUNES

Sous leur robuste armure, imp?n?trable au dard, les insectes col?opt?res n'offrent au ravisseur porte-aiguillon qu'un seul point vuln?rable. Ce d?faut de la cuirasse est connu du meurtrier, qui plonge l? son stylet empoisonn? et atteint du m?me coup les trois centres moteurs, en choisissant les groupes Charan?ons et Buprestes, dont l'appareil nerveux poss?de un degr? suffisant de centralisation. Mais que doit-il arriver lorsque la proie est un insecte non cuirass?, ? peau molle, que l'hym?nopt?re peut poignarder ici ou l? indiff?remment, au hasard de la lutte, en un point quelconque du corps? Y a-t-il encore un choix dans les coups port?s? Pareil ? l'assassin qui frappe au coeur pour abr?ger les r?sistances compromettantes de sa victime, le ravisseur suit-il la tactique des Cerceris et blesse-t-il de pr?f?rence les ganglions moteurs? Si cela est, que doit-il arriver lorsque ces ganglions sont distants entre eux, et agissent avec assez d'ind?pendance pour que la paralysie de l'un n'entra?ne pas la paralysie des autres? ? ces questions va r?pondre l'histoire d'un chasseur de Grillons, le Sphex ? ailes jaunes .

C'est vers la fin du mois de juillet que le Sphex ? ailes jaunes d?chire le cocon qui l'a prot?g? jusqu'ici et s'envole de son berceau souterrain. Pendant tout le mois d'ao?t, on le voit commun?ment voltiger, ? la recherche de quelque gouttelette mielleuse, autour des t?tes ?pineuses du chardon-roland, la plus commune des plantes robustes qui bravent impun?ment les feux caniculaires de ce mois. Mais cette vie insouciante est de courte dur?e, car d?s les premiers jours de septembre, le Sphex est ? sa rude t?che de pionnier et de chasseur. C'est ordinairement quelque plateau de peu d'?tendue, sur les berges ?lev?es des chemins, qu'il choisit pour l'?tablissement de son domicile, pourvu qu'il y trouve deux choses indispensables: un sol ar?neux facile ? creuser et du soleil. Du reste aucune pr?caution n'est prise pour abriter le domicile contre les pluies de l'automne et les frimas de l'hiver. Un emplacement horizontal, sans abri, battu par la pluie et les vents, lui convient ? merveille, avec la condition cependant d'?tre expos? au soleil. Aussi, lorsqu'au milieu de ses travaux de mineur, une pluie abondante survient, c'est piti? de voir, le lendemain, les galeries en construction boulevers?es, obstru?es de sable et finalement abandonn?es.

Des nombreuses tribus de Sphex que j'ai visit?es, une surtout m'a laiss? de vifs souvenirs ? cause de son originale installation. Sur le bord d'une grande route s'?levaient de petits tas de boue retir?e des rigoles lat?rales par la pelle du cantonnier. L'un de ces tas, depuis longtemps dess?ch?s au soleil, formait un monticule conique, un gros pain de sucre d'un demi-m?tre de haut. L'emplacement avait plu aux Sphex, qui s'y ?taient ?tablis en une bourgade comme je n'en ai jamais depuis rencontr? de plus populeuse. De la base au sommet, le c?ne de boue s?che ?tait cribl? de terriers, lui donnant l'aspect d'une ?norme ?ponge. ? tous les ?tages, c'?tait une animation fi?vreuse, un va-et-vient affair?, qui mettait en m?moire les sc?nes de quelque grand chantier lorsque le travail presse. Grillons tra?n?s par les antennes sur les pentes de la cit? conique, emmagasinement des vivres dans le garde-manger des cellules, ruissellement de poussi?re hors des galeries en voie d'excavation, poudreuses faces des mineurs apparaissant par intervalles aux orifices des couloirs, continuelles entr?es et continuelles sorties, parfois un Sphex en ses courts loisirs gravissant la cime du c?ne pour jeter peut-?tre, du haut de ce belv?d?re, un regard de satisfaction sur l'ensemble des travaux; quel spectacle propre ? me tenter, ? me faire d?sirer d'emporter avec moi la bourgade enti?re et ses habitants! Essayer ?tait m?me inutile: la masse ?tait trop lourde on ne d?racine pas ainsi un village de ses fondations pour le transplanter ailleurs.

Revenons donc au Sphex travaillant en plaine, dans un sol naturel, ce qui est le cas de beaucoup le plus fr?quent. Aussit?t le terrier creus?, la chasse commence. Mettons ? profit les courses lointaines de l'hym?nopt?re, ? la recherche du gibier, pour examiner le domicile. L'emplacement g?n?ral d'une colonie de Sphex est, disons-nous, un terrain horizontal. Cependant le sol n'y est pas tellement uni, qu'on n'y trouve quelques petits mamelons couronn?s d'une touffe de gazon ou d'armoise, quelques plis consolid?s par les maigres racines de la v?g?tation qui les recouvre; c'est sur le flanc de ces rides qu'est ?tabli le repaire du Sphex. La galerie se compose d'abord d'une portion horizontale, de deux ? trois pouces de profondeur et servant d'avenue ? la retraite cach?e, destin?e aux provisions et aux larves. C'est dans ce vestibule que le Sphex s'abrite pendant le mauvais temps; c'est l? qu'il se retire la nuit et se repose le jour quelques instants, montrant seulement au dehors sa face expressive, ses gros yeux effront?s. ? la suite du vestibule survient un coude brusque, plongeant plus ou moins obliquement ? une profondeur de deux ? trois pouces encore, et termin? par une cellule ovalaire d'un diam?tre un peu plus grand et dont l'axe le plus long est couch? suivant l'horizontale. Les parois de la cellule ne sont cr?pies d'aucun ciment particulier; mais, malgr? leur nudit?, on voit qu'elles ont ?t? l'objet d'un travail plus soign?. Le sable y est tass?, ?galis? avec soin sur le plancher, sur le plafond, sur les c?t?s, pour ?viter des ?boulements, et pour effacer les asp?rit?s qui pourraient blesser le d?licat ?piderme de la larve. Enfin cette cellule communique avec le couloir par une entr?e ?troite, juste suffisante pour laisser passer le Sphex charg? de sa proie.

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