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Read Ebook: Amours fragiles Le roi Apépi—Le bel Edwards—Les inconséquences de M. Drommel by Cherbuliez Victor
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1008 lines and 54176 words, and 21 pagesNon, interrompit Mme Corneuil, je ne veux pas que vous alliez en personne marchander votre poisson; que n'enseignez-vous ? Julie ? le choisir? Vous ne savez pas commander, il en r?sulte que vous devez tout faire vous-m?me. --J'apprendrai, je me formerai, ma mignonne,>> r?pondit Mme V?retz en la baisant tendrement sur le front. Elle n'ajouta pas qu'aller au march? lui plaisait, ce qui ?tait vrai. Parmi les gens qui ont eu de petits commencements, les uns r?pudient leur pass? et t?chent de l'oublier, les autres prennent un extr?me plaisir ? se le rappeler. < --Ceci, ma ch?re, est un billet par lequel M. de Penneville me charge de t'annoncer que son grand-oncle, le marquis de Miraval, arriv? hier de Paris, lui a t?moign? le d?sir de t'?tre pr?sent?, et qu'il l'am?nera aujourd'hui ? deux heures pr?cises. Tu sais qu'il est sujet au coup de cloche. --Qui l'emp?chait de venir nous l'annoncer? --Apparemment il a craint de te d?ranger et peut-?tre aussi de se d?ranger lui-m?me. Dans les existences bien ordonn?es, la premi?re r?gle est de travailler jusqu'? midi.>> Mme Corneuil fit un geste d'impatience. < --Je le crois sans peine. Il ne te parle jamais que de toi, ou bien de lui... ou bien de l'?gypte, ajouta-t-elle. --Et s'il me pla?t qu'il m'en parle! r?pliqua Mme Corneuil avec hauteur. Est-ce encore une ?pigramme? --Me juges-tu capable de faire des ?pigrammes contre ce cher et beau gar?on? reprit vivement Mme V?retz. Je l'aime d?j? comme un fils.>> Mme Corneuil ?tait devenue pensive. < --Un danger! s'?cria Mme V?retz. Quel danger peux-tu craindre? --Vous verrez que c'est Mme de Penneville qui l'envoie ici. --Et tu t'imagines qu'Horace?... Eh! ma pauvre folle, n'es-tu pas s?re de son coeur? --Est-on jamais s?re du coeur d'un homme? r?pondit-elle en feignant une inqui?tude qu'elle ?tait loin d'?prouver. --D'un homme, peut-?tre, dit en souriant Mme V?retz; mais le coeur d'un ?gyptologue est autre chose et ne varie jamais. En fait de sentiment, l'?gyptologie est le beau fixe. --Je vous dis que j'ai fait de m?chants r?ves, que ce marquis est un danger. --Voil? ma r?ponse, lui repartit sa m?re en lui pr?sentant un miroir et en l'obligeant ? s'y regarder. --Il me semble que je suis affreuse ce matin, dit Mme Corneuil, qui n'en pensait rien. --Vous ?tes belle comme le jour, ma ch?re comtesse, et je d?fie tous les marquis du monde... --Non, je ne recevrai pas ce grand-oncle, reprit Hortense en ?cartant le miroir; vous le recevrez pour moi. Pr?tendez-vous me condamner ? essuyer des impertinences? --Te voil? bien, tu mets les choses au pis, tu t'exaltes, tu te montes, tu pars de la main... --Je vous r?p?te que je suis malade. --Ma ch?re ador?e, il ne faut jamais ?tre malade qu'? propos, et dans ce cas ci... Prends-y garde, il s'imaginera qu'il te fait peur.>> Mme Corneuil jugea sans doute ? la r?flexion que sa m?re avait raison, car elle lui dit: < --C'est on ne peut mieux, r?pondit Mme V?retz. Ah! ma ch?re, ce n'est pas une corv?e que je t'impose, c'est une victoire que je te pr?pare.>> Et ? ces mots elle se retira, non sans l'avoir embrass?e une seconde fois. A deux heures pr?cises, Mme V?retz, sous les armes, install?e dans un ajoupa qui faisait face ? la v?randa du chalet, attendait le comte de Penneville et M. de Miraval; ? deux heures pr?cises, le marquis et le comte parurent ? l'horizon. La pr?sentation se fit dans toutes les formes, et bient?t l'entretien s'engagea. Mme V?retz ?tait une femme experte en tous les cas difficiles; l'impr?vu ne la d?concertait point: elle savait faire f?te aux visiteurs f?cheux comme aux ?v?nements d?sagr?ables. M. de Miraval ne lui fournit point l'occasion d'exercer sa vertu. Il fut parfaitement courtois et gracieux; il d?ploya en cette occurrence son amabilit?, son brillant des grands jours; il se mit en frais autant qu'il le faisait jadis pour les puissants de la terre qui lui donnaient audience. A quoi servirait-il d'avoir ?t? diplomate, si l'on ne poss?dait l'art utile de parler beaucoup sans rien dire? Il avait la parole ? son commandement et, quand il le fallait, une ?loquence fluente, le talent de faire couler, comme dit le proverbe russe, du miel sur l'huile. Tout chemina fort bien. Horace, qui avait beaucoup redout? cette entrevue et qui d'abord avait eu l'air contraint et g?n?, fut bient?t hors de peine; il sentit se dissiper son embarras. Il ?tait dans son caract?re de se rassurer tr?s vite. Non seulement il ?tait n? optimiste, mais il avait trop approfondi la th?ologie ?gyptienne pour ne pas savoir que dans le monde des hommes comme dans celui des divinit?s la lutte entre les deux principes se termine d'habitude par la victoire du bien, que Typhon finit par se laisser d?sarmer et qu'Horus, dieu bienfaisant, prend en main le gouvernement de l'univers. La figure du comte de Penneville exprimait une foi profonde dans le triomphe d?finitif d'Horus, dieu bienfaisant. La glace ?tait tout ? fait rompue lorsque Mme Corneuil fit son apparition. Comme on peut croire, elle avait soign? pour la circonstance sa toilette et sa coiffure; son demi-deuil ?tait des plus coquets. Il faut en prendre son parti, il y a des reines qui ressemblent beaucoup ? des bourgeoises, il y a des bourgeoises qui ressemblent ? des reines, moins la couronne et le roi. Ce jour-l?, Mme Corneuil ?tait non seulement reine, mais d?esse des pieds ? la t?te; on e?t dit Junon sortant de son nuage. Elle ne manqua pas son entr?e. En la voyant venir, le marquis ne put r?primer un tressaillement, et, quand il s'approcha d'elle pour la saluer t?te basse, il perdit contenance, ce qui ne lui arrivait gu?re, il demeura confus, commen?a plusieurs phrases sans pouvoir les achever, et l'on assure que c'?tait la premi?re fois de sa vie qu'il avait essuy? pareille m?saventure. Son trouble ?tait si visible que le bon Horace, qui ne remarquait rien, ne laissa pas de le remarquer. M. de Miraval fit un effort sur lui-m?me, il ne tarda pas ? recouvrer son assurance et toute l'aisance de ses mani?res. Apr?s quelques propos oiseux, il se mit ? conter avec agr?ment plusieurs anecdotes de sa carri?re de diplomate, qu'il assaisonna de belle humeur et de sel attique. Tout en contant, il devisait avec lui-m?me et se disait: < Le marquis ne laissait pas de conter ses anecdotes. Mme V?retz ?tait tout oreilles et souriait de la meilleure gr?ce du monde. Quant ? Mme Corneuil, elle ne se d?partait pas de sa gravit? un peu d?daigneuse. Elle ?tait arriv?e avec un parti pris; elle s'?tait mis dans la t?te qu'elle allait compara?tre devant un juge malveillant, venu tout expr?s pour prendre sa mesure et la faire asseoir sur la sellette. Aussi s'?tait-elle arm?e d'une majest? olympienne, de cette insolence de beaut? qui fait rentrer sous terre les impertinents, qui foudroie les orgueilleux et transforme en cerf les Act?ons. Bien que le marquis f?t d'une politesse irr?prochable et empress?e, bien qu'il sollicit?t presque humblement sa bienveillance et ses regards, elle tenait ferme, elle ne d?sarmait pas. Pour Horace, il ?coutait tout d'un air satisfait; il trouvait que son oncle ?tait charmant, et il mourait d'envie de l'embrasser; il trouvait aussi que jamais Mme Corneuil n'avait ?t? si belle, que le soleil avait des clart?s inaccoutum?es, qu'il pleuvait de la lumi?re sur son bonheur, que l'air embaumait et que toutes les choses de ce monde allaient ? merveille. Il avait cependant un scrupule qui l'embarrassait et par instants faisait passer un nuage sur ses sourcils. En relisant le matin un des fragments de Man?thon, il s'?tait achopp? ? un passage qui semblait contrarier sa th?se favorite, ? laquelle il tenait comme ? sa vie. Par intervalles, il se prenait ? douter si ce fut vraiment sous le r?gne d'Ap?pi que Joseph, fils de Jacob, vint en ?gypte; puis il se reprochait son doute, qui lui revenait l'instant d'apr?s. Cette contradiction le chagrinait, car il respectait beaucoup Man?thon. Mais quand il regardait Mme Corneuil, son ?me rentrait dans le repos, et il croyait lire dans ses beaux yeux la preuve manifeste que le Pharaon qui ne connaissait pas Joseph ?tait bien S?thos Ier, auquel cas le Pharaon qui l'avait connu ?tait bien Ap?pi. ?tre tendrement aim? d'une belle femme, cela fait tout croire, tout devient possible, tout s'arrange, Man?thon, Joseph, le roi Ap?pi et le reste. Que se passait-il dans le coeur du marquis? De quel charme vainqueur ?tait-il la proie? Le fait est qu'il ne se ressemblait gu?re ? lui-m?me. Il avait bien d?but?, et Mme V?retz prenait plaisir ? ses histoires. Peu ? peu, sa verve s'alanguit. Cet homme si ma?tre de ses id?es ne parvenait plus ? les gouverner; cet homme si ma?tre de sa parole cherchait p?niblement ses mots. Il lutta quelque temps contre l'?trange fascination qui le privait de ses facult?s, mais ce fut en vain. Il ne prit plus part ? la conversation que par quelques phrases d?cousues qui manquaient absolument d'?-propos et bient?t il tomba dans une profonde r?verie, dans le plus morne silence. < Et, s'applaudissant d'avoir fait taire les batteries de l'assi?geant et ?teint son feu, un sourire de fiert? satisfaite effleura ses l?vres. L'instant d'apr?s, elle se leva pour faire un tour de jardin, et Horace s'empressa de la suivre. Le marquis demeura seul avec Mme V?retz. Il suivit quelque temps du regard le couple amoureux, qui s'?loignait ? pas lents et qui disparut enfin derri?re un buisson. Il parut alors que le charme ?tait rompu. M. de Miraval recouvra la voix, et il se prit ? murmurer: Amants, heureux amants. Soyez-vous l'un ? l'autre un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau. Puis, se tournant vers Mme V?retz, il s'?cria d'un ton lyrique: < Mme V?retz le r?compensa de cette exclamation par un gracieux sourire, qui signifiait:--Bon vieillard, nous t'avions mal jug?. Pourrais-tu par hasard nous servir ? quelque chose? < --Tr?s providentielle,>> dit le marquis. < Puis il reprit: < --Certes vous la jugez bien, r?pondit Mme V?retz. C'est une ?trange cr?ature que ma fille; elle a tous les nobles enthousiasmes, qu'elle pousse jusqu'? l'exaltation, et cependant elle est infiniment raisonnable, tr?s intelligente des choses de la vie, et ? la fois de glace pour ses int?r?ts, de feu pour ceux des autres. --Une seule chose m'afflige, lui dit le marquis. Le fabuliste recommande aux heureux amants de ne voyager qu'aux rives prochaines, et les n?tres iront enfouir leur f?licit? ? Memphis ou ? Th?bes. Enlever Mme Corneuil ? Paris, c'est un crime. --Oh! rassurez-vous, dit-elle, Paris les reverra. Add to tbrJar First Page Next Page |
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