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Read Ebook: L'épouvante by Level Maurice
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1025 lines and 43151 words, and 21 pagesignent toutes les plaies de la face et qu'entourait une zone contusionn?e d'un ros? violac? ? peine plus large qu'une pi?ce de quarante sous. ? cet instant -- une minute ? peine s'?tait ?coul?e depuis son entr?e dans la chambre - - il songea au corps immobile, ?tendu sur le lit, ? la plaie hideuse entrevue, ? cette face d'?pouvante enfonc?e dans la blancheur des draps, avec son menton projet? en avant, son cou tendu et comme offert ? un nouvel ?gorgement, dont l'image se refl?tait dans la glace, pr?s de la sienne. Il se dirigea vers le lit, ?crasant sous ses pieds des d?bris de verre, et se pencha. Il n'y avait presque pas de sang autour de la t?te. Mais la nuque, les ?paules, baignaient dans une flaque rouge coagul?e. Avec des pr?cautions infinies, il prit la t?te entre ses mains, la souleva: la plaie s'ouvrit, plus large, comme une effroyable bouche, laissant sourdre, avec un l?ger clapotis, quelques gouttes de sang. Un caillot ?pais adh?rait aux cheveux, et s'?tira suivant le mouvement du cr?ne. Il reposa la t?te, doucement. Elle avait gard?, dans la mort, une indicible expression d'effroi. Les yeux encore brillants avaient une fixit? extraordinaire. La lumi?re de la lampe ?lectrique y mettait deux flammes autour desquelles On?sime Coche regardait deux petites images ? peine voil?es qui ?taient son image. Pour la derni?re fois, le miroir de ces yeux sur qui avaient pass? les visages des meurtriers r?fl?chissaient une face humaine. La mort avait fait son oeuvre, le coeur avait cess? de battre, les oreilles d'entendre, le dernier cri avait roul? entre ces l?vres retrouss?es, le dernier r?le avait but? contre la barri?re de ces dents couvertes d'?cume... cette chair encore ti?de ne tressaillerait plus jamais, ni sous la caresse d'un baiser, ni sous la morsure du mal. Brusquement, entre ce mort et lui, une autre image se dressa: celle du trio du boulevard Lannes. Il revit le petit homme au paquet bleu, le bless? avec son oeil tum?fi?, sa m?choire de brute, et la fille en cheveux. Il entendit la voix br?ve et canaille qui disait: <>. Et le drame lui apparut terriblement clair, tandis que la femme faisait le guet, les deux hommes, apr?s avoir crochet? les serrures, ?taient mont?s au premier ?tage, o? ils savaient trouver des valeurs. Le vieux, surpris dans son sommeil, avait cri?, et les hommes lui avaient saut? dessus; lui, pour se d?fendre, s'?tait arm? d'une bouteille, et, tapant au hasard, avait atteint au front l'un de ses agresseurs. La lutte avait continu? encore quelques instants, ? en juger par tout le sang r?pandu, les meubles renvers?s. Enfin, la victime s'?tait adoss?e contre son lit; l'un des hommes alors l'avait saisie par le col de sa chemise o? se voyaient des marques rouges, et maintenu sur le dos tandis que l'autre, d'un seul coup, lui tranchait la gorge. Apr?s, c'avait ?t? le pillage, la recherche fi?vreuse de l'argent, des titres, des bibelots de prix, puis la fuite... On?sime Coche se retourna, afin de r?sumer dans sa pens?e toute la sc?ne. Sur la table, trois verres ?taient pos?s dans lesquels il restait un peu de vin. Leur forfait accompli, les meurtriers ne s'?taient pas sauv?s tout de suite: certains de n'?tre plus d?rang?s, ils avaient bu. Ensuite ils s'?taient lav? les mains, et avaient essuy? leurs doigts. Une fureur soudaine envahit l'?me du reporter. Il serra les poings et gronda: -- Ah! les crapules! les crapules! Qu'allait-il faire maintenant? Chercher du secours? Appeler? ? quoi bon? Tout ?tait fini, tout ?tait inutile. Il demeurait immobile, h?b?t?, le cerveau rempli par la vision du meurtre. Et soudain, son esprit joignit les assassins. Il les devina assis dans quelque bouge, partageant le butin, maniant de leurs doigts rougis les objets d?rob?s. Pour la seconde fois, il murmura: -- Crapules! Crapules!... Un d?sir l'envahit de les retrouver, et de les voir, non plus triomphants et f?roces ainsi qu'ils avaient d? s'asseoir ? cette table, pr?s de ce cadavre, mais effondr?s, livides, grima?ants, au banc de la cour d'assises, entre deux gendarmes. Il imagina ce que pourraient ?tre leurs horribles faces tandis qu'on leur lirait l'arr?t de mort, et leur marche ? la guillotine, au petit jour, sous la lueur du matin bl?me. La loi, la force, le bourreau lui apparurent formidables, terribles et justes. Tout d'un coup, par un revirement soudain, cette loi, cette force, et ce bras s?culier lui sembl?rent des fantoches ridicules dont se riaient les criminels. La Police, incapable de veiller sur la s?curit? des gens, ?tait trop maladroite pour mettre la main sur les assassins. De temps en temps, elle en arr?tait bien un, au petit bonheur, et parce que le hasard se mettait dans son jeu. Mais, pour un gredin pris au collet, combien de crimes impunis! La Police se fait non avec des brutes solides, mais avec des cerveaux intelligents, avec des artistes v?ritables, des hommes qui consid?rent leurs fonctions moins comme un m?tier que comme un sport. Pour peu qu'un criminel ne commette pas une lourde maladresse, il est s?r de l'impunit?. L'homme qui ne laisse rien derri?re lui, peut voler, tuer en toute s?curit?. Le crime d?couvert, on cherche dans l'entourage de la victime, on fouille sa vie au hasard, on remue ses papiers. Si le meurtrier n'a jamais ?t? m?l? ? son existence, au bout de quelques mois de recherches, apr?s qu'un juge d'instruction ent?t? ait gard? sous les verrous un pauvre diable dont l'innocence finit par ?clater, l'affaire est class?e, et les criminels, enhardis par le succ?s, recommencent, plus forts et plus introuvables cette fois, parce que les maladresses des policiers dont ils ont pu suivre le travail, leur ont enseign? l'art de ne pas se faire prendre. Et pourtant, quel m?tier plus passionnant, que celui de chasseur d'homme? Sur un indice ? peine perceptible pour d'autres yeux, revivre tout un drame, dans ses moindres d?tails! D'une empreinte, d'un bout de papier, d'un objet d?plac?, remonter ? la source m?me des faits! D?duire de la position d'un corps, le geste du meurtrier; de la blessure, sa profession, sa force; de l'heure o? le crime fut commis, les habitudes de l'assassin. Par le seul examen des faits, reconstituer une heure comme un naturaliste reconstitue l'image d'un animal pr?historique ? l'aide d'une seule pi?ce de son squelette... quelles sensations prodigieuses, quel triomphe! L'inventeur en conna?t-il de sup?rieures, lui qui, pendant des jours et des nuits, s'enferme dans son laboratoire, acharn? ? trouver la solution d'un probl?me!... et le but qu'il poursuit lui est immobile. Il sait que la v?rit? est une et ne se d?place pas, que les ?v?nements ne la modifient pas, que tous les pas qu'il fait le rapprochent d'elle; il sait qu'il avance lentement, mais s?rement; que, si la voie qu'il a choisie est bonne, la solution ne peut, ? la derni?re seconde, lui ?chapper. Pour le policier, au contraire, c'est l'angoisse de tous les instants, la piste qui se fausse, le but, un instant entrevu, qui dispara?t, le probl?me renouvel? sans cesse, avec la solution qui s'?loigne, se rapproche, et semble fuir; c'est le cri de triomphe soudain arr?t? dans la gorge, la vie multiple, surnaturelle, faite de tous les espoirs, de toutes les craintes de toutes les d?ceptions; c'est la lutte contre tout, contre tous, exigeant ? la fois la science du savant, la ruse du chasseur, le sang-froid du chef d'arm?e, la patience, le courage et l'instinct sup?rieur qui seuls font les grands hommes, et, seuls, conduisent aux grandes choses. Ces minutes prodigieuses, songeait Coche, je voudrais les conna?tre, les vivre; je voudrais ?tre parmi la meute inintelligente des policiers qui, demain, battront le terrain, le limier galopant sur la bonne piste. Sans souci du danger et sans le secours de personnel, je voudrais faire ce m?tier et montrer cette chose extraordinaire: un homme seul, sans ressource, sans autre appui que sa volont?, sans autres renseignements que ceux qu'il aurait su trouver lui-m?me, arrivant ? la v?rit?, puis, sans cri, sans combat, d?clarant le plus simplement du monde, un beau jour: -- < telle heure, ? tel endroit, vous trouverez les meurtriers. Je dis qu'ils seront l?, non parce que le hasard m'a mis sur leurs traces, mais parce qu'ils ne peuvent se trouver ailleurs; et ils ne peuvent se trouver ailleurs par la seule raison que les ?v?nements provoqu?s par moi les ont oblig?s ? venir donner dans le pi?ge chaque jour plus ?troit et plus solide que j'ai tendu sous leurs pas.>> J'emploierais ? cela tout le temps n?cessaire, mes nuits, mes jours, pendant des semaines et des mois. Ainsi, je conna?trais cette volupt? d'?tre celui qui cherche, et trouve. Aupr?s de cela parlez-moi des ?motions du jeu, de l'ivresse de la d?couverte! J'aurais go?t? toutes les volupt?s en une seule... Toutes?... ? la v?rit?, il m'en manquerait une: la peur... La peur qui d?cuple les forces, double, triple les heures... Mais, alors... il est donc une volupt? sup?rieure ? celle de la poursuite?... Oui! celle d'?tre poursuivi. Ah! La b?te traqu?e par les chiens, qui fuit vers l'horizon mouvant, heurtant son front aux branches basses, arrachant ses flancs aux halliers, quelle histoire de l'?pouvante elle pourrait dire, si la pens?e habitait son cerveau! Le coupable qui se sent d?couvert, qui croit, ? chaque carrefour, voir se dresser devant lui la justice; pour qui les jours ne savent pas finir, pour qui les nuits se peuplent d'affreux r?ves, et les r?veils d'ivresse folle et fugitive, il doit conna?tre tout cela! Pour peu que son ?me soit bien tremp?e, quelles joies rapides, mais puissantes, ne doit-il pas ?prouver lorsqu'il est parvenu ? mettre en d?faut l'habilet? de ceux qui le harc?lent, ? les lancer sur une fausse piste, et ? reprendre haleine, tout en les voyant chercher, s'?nerver, s'arr?ter et repartir encore, jusqu'? ce que leur instinct ou leur clairvoyance les ait remis sur le bon chemin!... Cela, vraiment, c'est la lutte, le combat d'homme ? homme, la guerre sans piti?, avec ses dangers et ses ruses. Tout l'instinct de la b?te est l?: c'est l'image de ces combats effroyables, qui jettent les ?tres les uns contre les autres, depuis que le monde est monde et qu'il faut conqu?rir la proie de chaque jour. N'est- ce pas ? ce jeu terrible que l'enfant demande ses premi?res joies? Sans le savoir, jouant ? cache-cache, il s'apprend ? jouer ? la vraie guerre d'embuscade, cette guerre de partisan qui use les arm?es plus s?rement que vingt batailles... Le probl?me se r?sume ainsi: ? la recherche de sensations nouvelles, dois-je pr?f?rer le r?le de chasseur ? celui du gibier? le r?le du policier ? celui du criminel? Cent autres avant moi se sont faits policiers amateurs, mais nul ne s'est essay? dans le r?le du coupable. Je le choisis. Sans doute, n'ayant rien ? me reprocher, j'en ignorerai les angoisses r?elles, mais il me restera tous les plaisirs de la ruse. Joueur au portefeuille vide, je saurai du moins suivre sur le visage de mon partenaire les ?motions de la partie. Ne risquant rien, je n'aurai rien ? perdre, mais, au contraire, tout ? gagner. Et si le bienheureux hasard veut qu'on m'arr?te, journaliste avant tout, je devrai ? la police le reportage le plus sensationnel qui ait jamais ?t? fait et dont le titre pourrait ?tre: < CHAPITRE II On?sime Coche jeta un long regard autour de lui, s'assura que les rideaux des fen?tres ?taient bien ferm?s, pr?ta l'oreille afin d'?tre certain que nul ne viendrait le d?ranger dans sa besogne, puis, rassur?, il enleva son pardessus, le d?posa sur une chaise avec sa canne et son chapeau, et r?fl?chit. Le cadavre d?couvert, ce qui, dans cette pi?ce, retenait d'abord l'attention, c'?taient les trois verres oubli?s sur la table. En omettant de les faire dispara?tre, les assassins avaient commis une faute grave. Leur n?gligence suffisait ? donner ? la justice un renseignement pr?cieux. Un homme seul passe inaper?u l? o? trois hommes se font arr?ter. Il lava donc les trois verres, les essuya, et avisant un placard ouvert o? d'autres verres ?taient rang?s, les remit ? leur place. Ensuite il prit la bouteille entam?e, ?teignit l'?lectricit? afin qu'aucun de ses gestes ne p?t ?tre vu du dehors, tira les rideaux, ouvrit la fen?tre, les volets, et la lan?a de toutes ses forces. Il la vit tournoyer en l'air et retomber de l'autre c?t? de la chauss?e. Le bruit du verre bris? ?veilla pendant une seconde le silence. Il se rejeta en arri?re, et se mordit les l?vres: -- Si quelqu'un avait entendu?... Si l'on venait?... Si l'on me trouvait l?, dans cette chambre?... La peur qu'il ?prouva n'avait rien de comparable ? toutes celles qu'il avait connues jusqu'alors. Rapide, incisive, elle le clouait sur place, arr?tant sa respiration. Il eut, en moins d'une seconde, tr?s chaud et tr?s froid... Il fouilla la nuit, guetta le silence... Rien. Alors, il referma les voleta, la fen?tre, tira les rideaux, revint ? t?tons jusqu'au commutateur, et donna de la lumi?re. Chose ?trange! L'obscurit? seule l'effrayait. La lumi?re faisait s'enfuir toutes ses angoisses. Il connut ? cela qu'il n'?tait pas un vrai criminel, car l'aspect de la victime, loin de grandir son effroi, l'apaisa. Dans le noir, il en arrivait presque ? se sentir coupable; bien ?clair?s, les objets, malgr? l'horreur du lieu, n'avaient plus rien de terrible pour ses regards. Il r?fl?chit que, la peur, le remords, devaient ?tre d'atroces choses, et qu'il allait lui falloir une rare force d'?me pour en grimacer les tourments. < La table d?barrass?e, il se dirigea vers la toilette. L?, le d?sordre ?tait si flagrant qu'il ?tait impossible d'admettre qu'il f?t l'oeuvre d'un seul. Les objets portent en eux le secret des doigts qui les ont mani?s. Rien qu'? voir la position des serviettes, on sentait qu'elles avaient ?t? jet?es l? par des mains diff?rentes: un criminel ne d?place pas pour son seul usage tant d'objets. L'instinct, ? d?faut de tout autre raisonnement, l'oblige ? faire vite. Par ailleurs -- et puisqu'? l'occasion tout indice devait ?tre interpr?t? contre lui -- il ?tait n?cessaire que l'homme d'ordre qu'il ?tait repar?t jusque dans le crime. Un ?tre m?ticuleux comme lui n'aurait pas bouscul? ainsi les serviettes. Un obscur besoin de rectitude, de nettet?, demeure, m?me dans les folies passag?res, chez ceux qu'une longue habitude des soins de chaque jour a faits soigneux et d?licats: le crime d'un homme du monde ne saurait ?tre semblable ? celui d'un r?deur. L'?tre bien n? se retrouve en toutes choses ? d'infimes d?tails. Il se souvint de l'aventure de ce Ci-devant, attabl?, sous la Terreur, dans une auberge, au milieu de massacreurs, de tricoteuses, et trahissant son identit?, malgr? un d?guisement savant, par la fa?on dont il tenait sa fourchette. On pense ? tout... sauf ? la petite chose indispensable. Le faussaire d?guise son ?criture, masque sa personnalit?, mais un oeil exerc? retrouve parmi les lettres contourn?es, les lignes d?vi?es, les barres volontairement chang?es, la < Il regarda autour de lui, sur lui. Il ne portait pas de bague; les boutons de sa chemise ?taient de porcelaine imitant la toile, de ces boutons que l'on trouve dans tous les bazars. Il y avait bien ses boutons de manchette, mais il y tenait, non pour leur valeur qui ?tait minime, mais comme on tient ? des bibelots port?s depuis longtemps et qui deviennent de vieux amis. Et puis, on n'oublie pas des boutons de manchette... Il faut une secousse violente pour les arracher... Il se frappa le front: -- Une secousse! Parfait! Qu'on ramasse l'un d'eux sur le tapis, on se dira: < Ainsi tout est respect?, tout est vraisemblable! Le poignet rabattu, il prit le bord int?rieur de la manchette gauche entre ses doigts, saisit le bord ext?rieur de sa main droite rest?e libre, et d'un coup sec, fit sauter la cha?nette qui tomba ? terre avec une petite olive d'or portant en son centre une turquoise. L'autre moiti? ?tait rest?e engag?e dans la boutonni?re; il la mit dans la poche de son gilet. Mais, dans sa h?te ? accomplir ce geste, il ne remarqua point qu'il avait du sang aux doigts, qu'il salissait sa chemise et son gilet blanc de taches rouges. De la poche int?rieure de son habit, il retira une enveloppe ? son nom, et la d?chira en quatre morceaux in?gaux. L'un portait: Le troisi?me: La quatri?me: Ce dernier le d?signant trop clairement, il le roula en une petite boulette qu'il avala. Avec les dents, il rogna, les deux premi?res lettres de son pr?nom inscrites sur le premier fragment: il restait trois petites coupures presque incompr?hensibles, et qui, pourtant, reconstitu?es, compl?t?es, pouvaient donner le nom du meurtrier suppos?. Ce travail, si difficile qu'il f?t, n'?tait pas impossible en somme. Sans livrer trop d'atouts ? ses adversaires, beau joueur jusqu'au bout, il leur laissait la partie belle. Il jeta les trois petits papiers au hasard. L'un tomba sur la table, presque exactement au milieu. Les deux autres se coll?rent au tapis. Pour ?tre s?r qu'on ne les prendrait pas pour des d?bris de lettres appartenant ? la victime, il ramassa les autres papiers ?pars, les pla?a dans les tiroirs qu'il referma. Apr?s quoi, ayant jet? un dernier coup d'oeil circulaire autour de la pi?ce pour s'assurer qu'il n'oubliait rien, il enfila son pardessus, lissa son chapeau d'un revers de manche, ?tendit deux des serviettes de toilette macul?es sur la face du mort, dont les yeux, ? pr?sent vitreux et un peu aplatis, n'avaient plus de regard, ?teignit l'?lectricit?, sortit de la pi?ce, traversa le corridor ? pas de loup, descendit l'escalier, et gagna le jardin. Il eut soin en traversant l'all?e, d'effacer tout ? fait les traces de pas d?j? brouill?es par le vent, ?tala sur elles le sable jaune, et, marchant avec pr?caution, un de ses pieds seulement portant sur le sable, et l'autre sur la terre durcie d'une plate-bande, parvint ? la porte, l'ouvrit, la referma, et se trouva enfin sur le trottoir. Des ombres immobiles s'?talaient tout le long du chemin. La nuit immense, imp?n?trable et douce ?tait sans un murmure, sans parfum. Loin, tr?s loin, un chien se mit ? hurler ? la lune. Soudain le silence se remplit d'une tristesse infinie. Coche se souvint d'une vieille servante qui jadis lui disait, lorsque les chiens, dans la campagne, pleuraient ainsi: < Magie des souvenirs! ?ternelle enfance des hommes. Il frissonna en ?voquant le temps o? tout petit, il cachait sa t?te sous les draps pour ne pas entendre les grandes plaintes inconnues qui, la nuit, traversent les jardins, et retrouva pendant une seconde la douceur du baiser maternel tant de fois pos? sur son front. Puis tout se tut. Il consulta sa montre, elle marquait une heure du matin. Une derni?re fois, il regarda la maison o? il venait de vivre des minutes extraordinaires, revint jusqu'? la grille, ?carta du bout de sa canne le lierre qui recouvrait le num?ro et lut: 29. Non loin du Trocad?ro, il croisa un couple qui descendait l'avenue ? pas lents. Quand il l'eut d?pass?, il tourna la t?te, et le regardant s'enfoncer dans la nuit, songea: < Il ressentit une esp?ce d'orgueil d'?tre seul d?tenteur d'un pareil secret. Combien de temps le conserverait-il? Quand s'apercevrait-on du meurtre? Si la victime, ainsi que tout le laissait supposer, vivait seule et n'avait ni bonne, ni femme de m?nage, plusieurs jours pouvaient s'?couler avant que l'on remarqu?t son absence. Un matin, un fournisseur sonnerait ? sa porte: ne recevant pas de r?ponse, il insisterait, entrerait. Une odeur ?pouvantable le prendrait ? la gorge. Il monterait l'escalier de bois, p?n?trerait dans la chambre et l?!... Ensuite, ce serait la fuite ?perdue, les appels: < < Plus d'une fois, en plein jour, il traverserait le boulevard Lannes, et s'offrirait cette satisfaction, voyant des gens passer, devant la maison du crime, de lever les yeux et de se dire: < Et il songeait encore: < Tout en r?fl?chissant, il arriva devant un caf?. ? travers la glace embu?e, il distingua des hommes en train de jouer aux cartes, et, assise au comptoir la caissi?re assoupie. Un chat, couch? en rond aupr?s du po?le, sommeillait. Un gar?on, debout derri?re les joueurs, suivait la partie, un autre dans un coin regardait un journal illustr?. Le vent piquait tr?s fort. De ce caf? de petits bourgeois se d?gageait une impression de calme ti?de. Coche qui frissonnait un peu, de fatigue, d'?motion et de froid, entra et s'assit. Une sensation douce de chaleur le p?n?tra. Dans l'air o? la fum?e des pipes avait mis un nuage, une odeur de cuisine, de caf? et d'absinthe montait, accrue par la chaleur du po?le; cette odeur, que d'habitude il d?testait, lui parut infiniment douce. Il demanda un caf? cognac, se frotta les mains, prit distraitement un journal du soir qui tra?nait sur un coin de table, le reposa brusquement, se leva et dit sans s'en rendre compte presque haut: -- Sapristi!... Un des joueurs tourna la t?te; le gar?on arr?t? devant la caisse, croyant qu'on l'appelait, s'empressa: -- Voil?, Monsieur. Add to tbrJar First Page Next Page |
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