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Read Ebook: Pile et face by Biart Lucien
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 2297 lines and 81839 words, and 46 pagesNi Mademoiselle ni Catherine ne voulaient reconna?tre cette exp?rience de la nourrice, qui, par bonheur pour le poupon, prit le parti de laisser dire et d'agir ? sa guise. < --?a leur forme les poumons, r?pondait Fran?oise avec calme. --Il a peut-?tre faim? --Allons donc, il vient de boire; il est gris, au contraire. --Il fait la grimace, il souffre. --C'est des petites coliques qu'ils ont tous, les ch?rubins; ?a passe en leur frottant le dos, comme aux chats.>> Fran?oise n'?tait jamais embarrass?e pour r?pondre, et sa logique d?pitait Catherine, qui n'en courait pas moins pr?parer ? la nourrice un excellent plat dont l'enfant devait profiter. Le bapt?me de Gaston se c?l?bra sans bruit, autant que la chose est possible dans une ville de quatre mille ?mes. Mademoiselle choisit pour comp?re son plus vieil ami, le docteur Fontaine, qui, si sa science e?t ?t? doubl?e d'un grain de savoir-faire, se serait enrichi ? Houdan. Mais le bon m?decin, v?ritable original, n'oubliait que les services qu'il rendait, excellente condition pour rester pauvre, aussi bien en Normandie qu'ailleurs. Toujours pr?t ? se mettre en route sur une jument qui n'avait plus d'?ge, il visitait les ch?teaux, les fermes et les chaumi?res, semant d'une main ce qu'il r?coltait de l'autre. C'?tait un homme de quarante ans, gros, court, pensif, ? l'oeil doux, au front d?velopp?, la t?te sans cesse pr?occup?e de r?formes sociales, et croyant au progr?s. Plein d'admiration pour les merveilles du monde physique, le docteur refusait d'en faire honneur au hasard. < Au r?sum?, il riait avec Voltaire, s'attendrissait avec Rousseau, leur pr?f?rait Bayle, et, bien que philosophe, pratiquait la tol?rance et vivait en paix avec son cur?. Que faisons-nous de nos gr?ces en grandissant? Au dire des m?res,--personnes g?n?ralement bien inform?es,--il n'existe pas de bambin au-dessous de dix ans qui ne soit un prodige ? plusieurs points de vue. Beaut?, esprit, m?moire, raison, ils ont tout, ces lutins roses, ces monstres toujours trop vifs, trop ardents, trop grands pour leur ?ge. < --Et ma fille, elle surprend tous ceux qui l'entendent; son p?re n'en revient pas. --L'autre jour, M. Martinet avouait n'avoir jamais vu le pareil de Jules, et vous le connaissez M. Martinet,--un homme s?rieux. --Croiriez-vous que Laure, qui sait ? peine lire, met l'orthographe, c'est-?-dire qu'elle m'?pouvante.>> R?jouissons-nous; la g?n?ration qui va nous succ?der sera compos?e d'?tres beaux, sup?rieurs, id?als. Mais, h?las! n'est-ce pas un leurre? n'avons-nous pas tous ?t? charmants lorsque nous ?tions petits, et ces bonshommes qui passent l?, devant nous, b?tes, laids, m?chants, vicieux, hargneux, jaloux, tar?s, blas?s, n'auraient-ils pas ?t? aussi des prodiges? N'approfondissons pas; les gr?ces divines de l'enfance ne peuvent se nier, elles s?duisent jusqu'aux indiff?rents, et Gaston en montrait chaque jour une nouvelle. A quatre mois, il tendait ses bras vers Mademoiselle ou vers Catherine aussit?t qu'il les apercevait, et les comblait ainsi d'une joie ineffable. Elle m?ritait bien cette gentillesse, car jamais v?ritable m?re ne t?moigna plus d'affection ? un enfant. Mademoiselle, dans son abn?gation, demeurait immobile des heures enti?res, de crainte d'?veiller le poupon endormi sur ses genoux. Elle oubliait alors le pass? pour ne songer qu'? l'avenir, et Dieu sait les r?ves d'or que son imagination faisait planer au-dessus de la t?te de son neveu! Gaston grandit sans autre accident que la rougeole. Il apprit ? lire de bonne heure, dans le livre de messe de sa tante, excit? par les images dont il voulait d?chiffrer les l?gendes. Il ?tait d'une bonne sant?, vif, nerveux, intelligent, et g?t? ? l'exc?s. Ses traits fins, ses yeux bleus, ses cheveux boucl?s, rappelaient sa m?re ? ceux qui l'avaient connue enfant. Le docteur bl?mait souvent la condescendance de Mademoiselle pour le bambin, dont il craignait qu'on n'alt?r?t l'excellent naturel. L'enfant se pla?ait entre ses genoux pour l'?couter sermonner; puis, comme p?roraison, l'amenait ? confectionner des bateaux en papier, art dans lequel son parrain d?clarait lui-m?me avec complaisance n'avoir jamais connu de rival. La vieille horloge, qui avait sonn? ? la fois l'heure de la naissance du petit gar?on et celle de la mort de sa m?re, exer?ait sur lui une singuli?re fascination. Fran?oise, pour apaiser les col?res de l'enfant, l'amenait pr?s de l'esp?ce de cercueil au fond duquel le balancier se d?menait avec un entrain diabolique. Aussit?t qu'il put marcher, Gaston se dirigea de lui-m?me vers la salle ? manger; il s'arr?tait sur le seuil, et, la bouche entr'ouverte, regardait les aiguilles courir sur les chiffres noirs. Quelquefois la temp?te produite par la sonnerie se d?cha?nait ? l'improviste, et alors il fuyait ?perdu. L'?ge le rendit plus brave; peu ? peu il osa affronter le vacarme qui pr?c?dait l'annonce de l'heure, et le tic-tac du balancier devint sa musique de pr?dilection. Oh! le temps, il nous ?chappe, il fuit, il n'est plus! Nous marchons en avant, d?pensant les heures qui s'amoncellent derri?re nous. Tout ? coup un souvenir nous traverse l'esprit, nous faisons volte-face: comme l'horizon a chang?! On croyait que c'?tait hier, et c'?tait il y a dix ans. On devient pensif devant ce pass? qui a ?t? nous, qui est mort et qui ne reviendra plus. On doute, on croit se tromper, on regarde autour de soi. Les enfants sont devenus des hommes, les hommes des vieillards; les vieillards, o? sont-ils? D'autres ?tres qui n'existaient pas hier les remplacent aujourd'hui. Quoi! c'?tait il y a dix ans! On se t?te, on s'examine, l'oeil est moins s?r, les cheveux sont moins ?pais, les l?vres moins rouges, et ces plis qui sillonnent le front, quelle main les a form?s? On montait, voil? qu'on descend, et l'on n'y songeait pas. Que d'angoisses, que de joies, que de douleurs, que d'esp?rances enfouies dans cette ombre qui est une moiti? de notre vie! Ah! pourquoi s'?tre retourn?? Et pourtant, on s'attarde ? contempler ces t?n?bres d'o? la m?moire fait jaillir maintes ?tincelles, dont la plus brillante, par un ph?nom?ne singulier, n'est pas toujours celle des jours heureux. Mademoiselle se livrait ? ces r?flexions alors que Gaston accomplissait sa septi?me ann?e. < Quelques mois plus tard, le docteur, en diplomate habile, pronon?a le mot coll?ge. Mademoiselle, qui s'effrayait de voir Gaston grandir, imposait alors silence ? son vieil ami. < --Le progr?s sera la suppression de vos affreux coll?ges. --Ou du moins la suppression des m?thodes vicieuses qu'on y suit par routine, reprenait le docteur. Le progr?s...>> Et une fois sur ce th?me, je ne sais qui e?t pu l'arr?ter. La belle ?me que celle du docteur Fontaine! Les hommes devenaient bons, sages, dignes et libres dans ses utopies; la veuve ?tait prot?g?e, l'enfance instruite, et les jeunes gens, robustes et sains, ?pousaient vaillamment les jeunes filles sans dot. Comme sa vieille jument jaune avait raison de hennir lorsqu'elle passait, selon sa fantaisie, d'un bord ? l'autre de la route, portant son ma?tre toujours absorb? dans la recherche des nouvelles perfections dont il voulait doter le monde futur! Les b?tes ne le sont pas tant qu'on pense, et si la jument hennissait, c'?tait sans doute par orgueil de sentir sur son dos ce fardeau aussi rare sur une selle que partout ailleurs: un homme de bien. Heureux, content, choy?, Gaston atteignit sa huiti?me ann?e. A cette date, on vit souvent Mademoiselle en conf?rence avec son notaire. Le soir, elle s'oubliait pensive pr?s du lit de son neveu, qu'elle embrassait de temps ? autre, tout en prenant garde de ne pas l'?veiller. < --Je songe ? ton avenir, r?pondit Mademoiselle, qui souleva l'enfant pour le presser contre son coeur. --Vas-tu donc m'envoyer au coll?ge, ainsi que le demande mon parrain? --Pas encore; mais il faudra nous y r?soudre; tu n'es pas riche et tu dois apprendre ? travailler. --Je veux bien travailler; ce que je ne veux pas, c'est te quitter. Tu es riche, toi! --H?las! non, cher petit, murmura Mademoiselle, dont les larmes recommenc?rent ? couler. --Et c'est pour cela que tu pleures? Ris donc, va! lorsque je serai grand, je saurai bien gagner de l'argent pour toi et pour Catherine.>> Et, prenant la main de Mademoiselle entre les siennes, l'enfant se rendormit. Catherine, sans conna?tre le docteur Pangloss, ?tait presque de son avis. Que lui manquait-il? la maison ?tait assez vaste pour occuper son activit?, et, apr?s Mademoiselle, Gaston ne ch?rissait personne autant que la vieille servante. L'?t?, elle conduisait son favori chez Fran?oise, ? Maulette, o? Petit-Pierre, gars de la plus belle venue, s'?vertuait ? compl?ter l'?ducation de son fr?re de lait. Il l'entra?nait au grenier, parmi les bottes de foin; ? l'?table, o? Jeannette, tout en ruminant, contemplait d'un air pensif les deux amis. Puis on visitait le poulailler pour chercher des oeufs, et enfin on revenait dans l'enclos pour grimper aux arbres. Le docteur approuvait ces exercices hygi?niques. Parfois, les jours de vacances, il prenait son filleul en croupe et lui exposait, entre deux visites, quelques-unes de ses th?ories sur les soci?t?s de l'avenir. < --Non, r?pondit le docteur, il n'y a que des ignorants qu'il faut plaindre; le mal, sur la terre, vient de l'ignorance. --Catherine ne sait pas lire, mon parrain, et tout le monde la trouve bonne.>> Le docteur sourit et pin?a le bout de l'oreille de l'enfant. < Ces jours d'excursion, Mademoiselle se rendait au-devant de son ami et de son neveu, vers l'heure pr?sum?e de leur retour. Gaston ?tait le premier ? l'apercevoir, tant?t assise au bord d'un foss?, tant?t cheminant sur la route, un livre ? la main, abrit?e sous une vaste ombrelle. Si le docteur e?t alors ?cout? son compagnon, la vieille jument aurait pris le galop pour rejoindre plus vite la ch?re promeneuse. Quelquefois Gaston, impatient? de la lente allure de la b?te, se laissait glisser ? terre et s'?lan?ait pour tomber hors d'haleine entre les bras de Mademoiselle, qui le grondait de sa course folle, tout en l'embrassant. Le docteur arrivait ? son tour, et les trois amis regagnaient la ville, salu?s par les pi?tons et les cavaliers. On faisait halte pour voir le soleil dispara?tre derri?re les murailles de l'ancien ch?teau et embraser ses cr?neaux de lueurs rouges. < Mais il ?tait bient?t interrompu par une consultation en plein air. Du fond d'une charrette dont une fermi?re coiff?e d'un grand bonnet, ? la jupe ray?e, au fichu crois?, guidait la haridelle, sortaient cinq ou six gars perdus dans leurs cols de chemise. Dociles aux ordres de la matrone, l'un montrait sa langue, l'autre un genou endommag? par une chute, un troisi?me une blessure honorablement acquise dans une lutte avec un de ses pareils. Gaston, parti en avant, cueillait des p?querettes et des boutons d'or, regardait les cousins diaphanes danser sur l'eau des foss?s, les bourdons s'enfuir effar?s, les pies sautiller dans les pr?s humides. Le ciel s'incendiait vers le couchant, on entendait mugir, au fond des chemins creux, les bestiaux qui regagnaient l'?table et que gourmandait une voix d'enfant. De la masse sombre des taillis, bord?s de tanaisie aux fleurons d'or, de m?riers sauvages et de fines bruy?res, sortaient, comme des apparitions fantastiques, de vieilles femmes courb?es sous un fardeau de bois mort. Un paysan, assis sur un cheval de labour, tra?nait une herse aux dents polies, et la m?che bruyante de son fouet d?capitait au passage une grappe de gaillet ou la tige cotonneuse d'un bouillon-blanc. La nuit venait, lente, paisible, majestueuse, r?tr?cissant peu ? peu l'horizon. Les grillons faisaient bruire l'air impr?gn? de senteurs balsamiques; de l?g?res vapeurs montaient du sol, s'irisant sous un dernier rayon; on e?t dit qu'une main invisible agitait une de ces ?toffes chatoyantes dont l'oeil veut en vain pr?ciser la couleur. La nature, comme recueillie, apaisait ses voix tumultueuses, et le grand silence des solitudes semblait descendre avec l'ombre sur la plaine d?serte. Mais bient?t le cri moqueur d'un coucou s'?levait du fond d'un bois, et les grenouilles pr?ludaient au loin ? leur monotone concert. Une cloche d'?glise tintait ? l'improviste; la brise emportait les notes vibrantes et les semait sur la vall?e. A ce signal, des chauves-souris ?chapp?es de la vieille tour commen?aient leur chasse nocturne; des vers luisants allumaient leurs fanaux dans l'herbe; les trembles fr?missaient. Toujours ?mu par la grandeur et l'harmonie solennelle de ces couchers du soleil, le docteur s'arr?tait, l'?me r?veuse, l'oreille charm?e, l'oeil fix? sur le ciel o? brillaient les ?toiles, et secouait sa t?te grise en murmurant: < Peu ? peu on p?n?trait dans la grande rue o? Mademoiselle et son compagnon suffisaient ? peine ? r?pondre aux bonsoirs qui les accueillaient. Bient?t on apercevait Catherine, install?e sur le seuil de la maison, inqui?te, comme toujours, de l'absence de sa ma?tresse. Le plus souvent, le docteur prenait place ? table, et, ? l'heure du caf?, Dieu sait si le monde ?tait r?form? et l'humanit? heureuse! < A ce mot, Gaston fermait les yeux, croyant les ouvrir, et se trouvait transport? sur la place du march?. L'?glise, la vieille tour, les deux ?cussons du notaire et l'?norme rasoir qui servait d'enseigne au coutelier lui apparaissaient noy?s dans une lumi?re ?blouissante. Cinq ou six soleils brillaient dans le ciel, et les passants, par la mise et les traits, ressemblaient ? Mademoiselle, ? Catherine ou au docteur. C'est ainsi que l'enfant voyait en r?ve le monde perfectionn? de son parrain; aux hommes devenus bons, il ne pouvait pr?ter une autre forme que celle des ?tres d?vou?s qui ne savaient que lui sourire depuis qu'il ?tait n?. Un soir de l'automne de 1842, un vent furieux, ?pre, glacial, ?branlait les maisons de Houdan et pr?sageait le retour de l'hiver. Neuf heures sonnaient; Catherine tricotait pr?s de Mademoiselle; Gaston, ?tabli sur une chaise, lisait ? haute voix un conte de Berquin. Le petit gar?on interrompait parfois sa lecture pour ?couter la bise siffler dans la chemin?e ou le bruit de la girouette, qui repr?sentait un chasseur visant un gibier imaginaire. Catherine levait alors les yeux, mais sa ma?tresse, perdue dans une r?verie, semblait ne pas s'apercevoir de l'interruption. C'est que, l'?me ?mue, elle pr?tait l'oreille aux plaintes d?sesp?r?es de la rafale, qui tant?t murmurait avec une voix plaintive et tant?t rugissait comme irrit?e. < --Le vent, monsieur Gaston, car il d?racine jusqu'aux ch?nes. --Comment peut-il ?tre aussi fort, puisqu'on ne le voit pas? Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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