|
Read Ebook: Journal des Goncourt (Troisième série troisième volume) Mémoires de la vie littéraire by Goncourt Edmond De Goncourt Jules De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 2411 lines and 114404 words, and 49 pagesJOURNAL DES GONCOURT--M?MOIRES DE LA VIE LITT?RAIRE TOME NEUVI?ME: 1892-1895 suivi d'un index g?n?ral des noms cit?s dans les neuf volumes. TROISI?ME S?RIE--TROISI?ME VOLUME PARIS, BIBLIOTH?QUE-CHARPENTIER G. CHARPENTIER ET E. FASQUELLE, ?DITEURS, 11, RUE DE GRENELLE. PR?FACE Le neuvi?me volume du JOURNAL DES GONCOURT, est le dernier, que je publierai de mon vivant. EDMOND DE GONCOURT. Auteuil, 15 mars 1896. ANNEE 1892 Voici quatre semaines, que je n'ai pris l'air ext?rieur. Ce soir, le d?ner chez Daudet sera ma premi?re sortie. D?ner intime avec les Daudet, Mme Allard, et la filleule qui d?ne, pour la premi?re fois, ? la grande table. Causerie sur les m?nages amis, o?, nous tous, nous nous mettons ? parler du charme du m?nage Rodenbach: de l'homme ? la conversation spirituellement anim?e, ? la discussion litt?raire passionnante, de la femme, aux r?bellionnements ? voix basse, aux flots de paroles irrit?es, qu'elle vous jette dans l'oreille, quand elle entend une chose qui n'est pas vraie, ou qui ne lui semble pas juste, et nous constatons le petit ?moi chaleureux, qu'apporte dans la froideur ordinaire des salons, la vie nerveuse de ces deux aimables ?tres. Chez Maupassant, ne dit-on pas, qu'il n'y avait qu'un seul livre sur la table du salon: le Gotha? C'?tait un sympt?me du commencement de la folie des grandeurs! Daudet me dit qu'il n'a plus l'?motion du th??tre, qu'il n'en a que la nervosit? agac?e. La pi?ce lui a sembl? bien marcher ? la r?p?tition, mais son fr?re est venu lui dire, ce matin, que son fils lui avait rapport?, que les corridors ?taient tout ? fait hostiles ? la pi?ce. S?verine, un ovale court, ramass?, dans lequel il y a de tendres yeux, une grande bouche aux belles dents, et de la bont?. J'ai ? table, pr?s de moi, la femme de Forain, un tout autre type, un nez pointu, des yeux clairs sous une for?t de cheveux blonds, couleur de chanvre, ressemblant un rien ? une perruque de clown, mais d'un clown finement malicieux. Tr?s c?line, avec une note blagueuse dans la voix, elle commence par me dire que le premier dessin qu'elle a fait, a ?t? une copie d'un dessin de mon fr?re. Puis elle me confie,--j'en doute,--qu'elle est en train, dans ce moment, de d?serter la peinture pour la cuisine, qu'elle fait des nouilles comme personne, qu'elle s'est m?me ?lev?e ? la confection des p?t?s de foie gras, des p?t?s de foie gras avec la cro?te, et une cro?te, s'il vous pla?t, o? elle peint des fleurs avec du jaune d'oeuf, et des feuilles avec je ne sais plus quoi: de la p?tisserie artistique. Scholl a ?t? vraiment, tout le d?ner, avec une voix enrou?e, me rappelant celle de Villemessant, verveux, drolatique, abondamment spirituel, et cela aujourd'hui, sans aucune f?rocit? contre personne. Il a travaill? ? s?duire le monde d'ici, et il a tout ? fait r?ussi. Et vraiment, quand on r?fl?chit ? la d?pense de substance c?r?bro-spirituelle, faite par cet homme de soixante ans, tout le long des heures des journ?es de tous les jours, on est ?tonn? de la vitalit? intelligente de ce puissant Bordelais. Il disait joliment, que je ne sais quel cercle de province lui avait fait ?crire par son secr?taire, qu'un schisme s'?tait produit entre les membres, ? propos de la mani?re, dont on devait prononcer son nom, et que de forts paris avaient ?t? engag?s... Interrogation ? laquelle il r?pondait: < Sous l'envolement de cheveux blonds d'une nuance adorable, des yeux ?trangement s?ducteurs, des yeux qu'une cernure artificielle aide ? faire appara?tre, dans la nuit de l'arcade sourcili?re, comme des diamants noirs, un petit nez du dessin le plus pr?cieux, avec l'ensemble de traits et de contours d?licats, d?licats, et un cou fr?le sortant d'une robe de velours rouge, enfin une figure r?alisant le joli dans toute sa gr?ce menue. Elle ?voque chez moi le souvenir du pastel de la Rosalba repr?sentant cette svelte et mignonne femme de la R?gence, un singe sur le bras. Stevens parlait dans un coin du salon; de l'effrayant avalement de bi?re et d'alcool, de Courbet consommant trente bocks dans une soir?e, et prenant des absinthes, o? il rempla?ait l'eau par du vin blanc. Zola m'entretient de sa fatigue ? finir LA D?BACLE, de la copie ?norme du bouquin qui aura six cents pages, disant que le manuscrit est en train d'avoir mille pages de trente-cinq lignes--les petites pages habituelles de sa copie, form?es d'une feuille de papier ?colier, coup?e en quatre. Et comme quelqu'un lui demande, ce qu'il fera apr?s les ROUGON-MACQUART, apr?s LE DOCTEUR PASCAL, il h?site un moment, puis il confesse que le th??tre qui l'avait beaucoup s?duit, un moment, ne le sollicite plus autant, depuis qu'il approche de l'heure, o? il pourra en faire, disant que toutes les fois qu'il a p?n?tr? dans une salle de spectacle, o? on le jouait, il a eu le d?go?t de la chose repr?sent?e. Il rappelle ? ce sujet, qu'un soir, ?tant entr? voir la repr?sentation de L'ASSOMMOIR, vers la dixi?me, Dailly gris? par son succ?s, chargeait son r?le d'une fa?on odieuse, ajoutait des mots au texte, si bien qu'il avait ?t? au moment de faire dresser par huissier un proc?s-verbal de ses ajout?s, de ses enrichissements du r?le, et de les lui interdire au bas d'une assignation. L?, il s'interrompt pour nous apprendre, qu'il a ?t? ? Lourdes, et qu'il a ?t? frapp?, stup?fi?, par le spectacle de ce monde de croyants hallucin?s, et qu'il y aurait de belles choses ? ?crire sur ce renouveau de la foi, qui pour lui a amen? le mysticisme en litt?rature et ailleurs, de l'heure pr?sente. Il dit Diaz un causeur ?blouissant, et qui d?finissait ainsi la peinture de Delacroix: < C'?tait encore lui qui r?pondait ? Couture, lui conseillant blagueusement de s'en tenir ? peindre sa for?t, et qu'il ne savait pas mettre une bouche sous un nez, et que voulant faire une vierge, il faisait un Turc--qui r?pondait: < Puis Stevens me parle avec enthousiasme de Millet, me dit avoir de lui une peinture de femme, faite avant d'aller ? Barbizon, un des plus merveilleux morceaux de chair qu'il ait vus, et comme il l'a fait porter ? voir par son fils, ? un grand peintre de l'heure actuelle, qui a sa dose de m?chancet?, il s'?tait ?cri?: < Stevens s'?tonne de l'absence compl?te du sentiment de l'art chez la plupart des grands ?crivains, affirmant qu'il n'en est pas ainsi ? l'?gard de la litt?rature chez les peintres de talent, m?me chez ceux qui n'ont pas fait d'humanit?s, d?clarant qu'on ne les trouverait jamais ? lire un livre d'auteur m?diocre. Je le revoyais, en sa marche militaire, quand, apr?s la lecture des journaux, dans ce vieux cabinet de lecture qui existe encore au passage de l'Op?ra, il arpentait, des heures, le boulevard des Italiens, de la rue Drouot ? la rue Laffitte, en compagnie de deux ou trois messieurs ? la rosette d'officier de la L?gion d'honneur, ? la figure martiale, ? la grande redingote bonapartiste, barrant le boulevard, tous les vingt pas, avec les arr?ts d'une conversation enthousiaste, et o? il y avait, en ces grands corps, les amples gestes du commandement d'officier de cavalerie. Je le revoyais encore ? Breuvannes, le jour de la rentr?e des fruits, encadr? dans l'oeil-de-boeuf d'un grenier, et canonnant ? coups de pommes, dans la cour de notre maison, tous les gamins du village, baptis?s par lui de noms drolatiques, et dont les ru?es, et les bousculades, et les batailles autour de ce qui les lapidait, semblaient ?tre, pour mon p?re, un amusant rappel en petit de la guerre. C'?tait la nuit du dimanche, et le mardi soir, on venait me chercher, pour aller ? l'enterrement de mon p?re. Ma m?re... elle, sa ressemblance est raviv?e dans mon souvenir, par la miniature du coin de la chemin?e, une miniature de l'ann?e 1821, une miniature de l'ann?e de son mariage... qu'en ce moment, j'ai dans le creux de la main. Une figure de candeur, des yeux bleu de ciel, une toute petite bouche s?rieuse, des cheveux blonds tirebouchonn?s en boucles frisottantes, trois rangs de perles au cou, une robe de linon blanc ? raies satin?es, et une ceinture, et des bracelets, et un floquet de rubans dans les cheveux, du bleu de ses yeux. Pauvre m?re, une vie de douleur et de malheur! La perte de deux petites filles, l'existence avec un mari souffrant continuellement de ses blessures, et de la ruine d'une sant? d?truite par la campagne de Russie, faite tout enti?re, l'?paule droite cass?e, et encore tout jeune; tout ardent de vaillance, et tout irrit? de ne pouvoir rentrer dans la vie militaire, de ne pouvoir accepter d'?tre l'aide de camp du roi, ainsi que le sont ses camarades D'Houdetot et De Rumigny, de ne pouvoir faire les campagnes d'Afrique... Puis veuve, avec une petite fortune en terres, aux fermages difficiles ? recouvrer. Et maudite dans ce qu'elle entreprenait de sage, de raisonnable, comme m?re de famille, perdant dans de malheureuses affaires, les placements qu'elle faisait en vue de l'avenir de ses enfants: placements faits ? force d'?conomies et de retranchement sur elle-m?me. Et je le revois, son doux et triste visage, avec les changements de physionomie, que ne donne pas un portrait, dans trois ou quatre circonstances, laissant en vous, on ne sait comment, un clich? de l'?tre aim?, en son milieu de ce jour-l?. Oui, je le revois son doux et triste visage, un jour de mon enfance, o? bien malade ? la suite d'une coqueluche mal soign?e, j'?tais couch? dans son grand lit, et o? pench?e sur moi, elle avait pr?s de sa t?te, la t?te de son fr?re Armand, la jolie et aimable t?te frip?e d'un ancien officier de hussards:--car ils ?taient presque tous des soldats, dans nos deux familles--quand soudain--moi ne comprenant pas bien--apr?s avoir rejet? le drap de dessus la maigreur cadav?rique de mon pauvre petit corps, elle tomba dans les bras de son fr?re, en fondant en larmes. Je la revois, ma m?re, ce jour des mardis gras, o?, tous les ans, elle donnait un go?ter aux enfants de la famille, et ? leurs petites amies et ? leurs petits amis, et o? tout ce monde minuscule de Pierrettes, de Suissesses, d'?caill?res, de Gardes-Fran?aises, d'Arlequines, de Matelots, de Turcs, emplissait de sa joie bruyante, le calme appartement de la rue des Capucines. Ce jour-l?, seulement, un peu de la ga?t? de ce carnaval enfantin, l'entourant de sa ronde, montait ? son visage, et y mettait un charmant rayonnement. Je la revois, ma m?re, en ces ann?es, o? retir?e du monde, n'allant plus nulle part, le soir, elle s'?tait faite le tendre ma?tre d'?tude de mon fr?re. Je la revois dans sa bourgeoise chambre ? coucher, en ses vieux meubles de famille, avec sa pendule Empire, accot?e dans un petit fauteuil, tout contre mon fr?re faisant ses devoirs, la t?te presque fourr?e dans le vieux secr?taire d'acajou, et sur?lev?, tout le temps qu'il fut petit, sur un gros dictionnaire, plac? sur une chaise. Elle, ma m?re, un livre ou une tapisserie ? la main, les laissant bient?t tomber sur ses genoux, demeurait dans une contemplation r?veuse, devant son bel enfant, devant son petit laur?at du grand Concours, devant le cher ador?, qui ?tait la ga?t? et l'esprit des maisons amies, o? elle le menait,--et l'orgueil de son coeur. Je la revois enfin, ma pauvre m?re, au ch?teau de Magny, sur son lit de mort, au moment o? le bruit des gros souliers du cur? de campagne, qui venait de lui apporter l'extr?me-onction, s'entendait encore dans le grand escalier, je la revois, sans la force de parler, me mettant dans la main la main de mon fr?re, avec ce regard inoubliable d'un visage de m?re, crucifi? par l'anxi?t? de ce que deviendra le tout jeune homme, laiss? ? l'entr?e de la vie, ma?tre de ses passions, et non encore entr? dans le chemin d'une carri?re. L?-dessus, la jolie Mme... se trouvant l?, disait: < Et elle racontait, que, tout derni?rement, une femme de la meilleure soci?t?, ayant deux enfants, au milieu de la pose, s'?tait couch?e sur un divan, et s'?tait mise ? dire de telles choses, que sortant de derri?re un rideau, o? elle ?tait cach?e, elle lui avait dit: < --Bon! r?pondait la femme du monde ? la femme du peintre, vous croyez peut-?tre que je suis amoureuse de votre mari. --Non pas de mon mari... mais du vice... Allons, ouste!>> Et le voyageur parle de ces populations de Samarcande, de ces populations calomni?es par les Persans, de ces populations lettr?es, amoureuses de discussions litt?raires, et o? il a vu un individu soudainement poser une fiche en terre, portant l'annonce d'une th?se philosophique qu'il allait soutenir, et les passants et les vendeurs du march?, abandonnant leurs choses ? vendre, pour se m?ler ? la discussion. Il parle encore de son s?jour, pr?s d'un mois, sur les hauts plateaux, o? dans ces altitudes, pr?s desquelles le Mont-Blanc est une plaisanterie, il avait des saignements de nez, comme en ont eu Biot et Gay-Lussac, dans leurs ascensions en ballon. Puis revenant ? ces quatre ann?es, pass?es en Afrique--o? il n'y a pas cependant l'int?r?t historique des voyages d'Asie--il dit que le voyage n'a un charme que dans les pays, o? le voyageur rencontre la lumi?re, la chaleur, la ga?t? des soleils levants, et que dans le froid, quelque int?r?t qu'ait le voyage, il est toujours triste. Ce soir, au d?ner de l'avenue de l'Alma, o? sont Lockroy et Hanotaux, on s'entretient de Boulanger, que Lockroy affirme avoir ?t? le sous-lieutenant de LA DAME BLANCHE, toutefois avec la force, un moment, d'un million d'hommes derri?re lui, et qui aurait bien voulu du pouvoir, mais ? la condition que ce pouvoir lui aurait ?t? offert sur un plat d'argent, sans le plus petit allongement de la main, pour le prendre. On s'entretient de Gambetta, dont la dictature ? Bordeaux, est d?clar?e la plus prudhommesque la plus influenc?e par les vieilles ?paulettes, les antiques ganaches politiques. Et un retour sur Saint-Just et les hommes de la R?volution fait dire, que les d?sastres de 1870 et 1871, viennent du remploi des hommes de 1848, au lieu de la mise aux affaires et aux arm?es, de jeunes hommes. On s'entretient de Constans, qui a, au dire d'Hanotaux, le mot spirituel et qui aurait dit, quelques jours apr?s sa chute: < Dharma, un asc?te en odeur de saintet? en Chine et au Japon, s'?tait d?fendu le sommeil, comme un acte trop complaisamment humain. Une nuit pourtant, il s'endormit et ne se r?veilla qu'au jour. Indign? contre lui-m?me de cette faiblesse, il coupa ses paupi?res, et les jeta loin de lui, comme des morceaux de basse et de vile chair, l'emp?chant d'atteindre ? la perfection surhumaine ? laquelle il aspirait. Or ces paupi?res sanglantes prirent racine, ? la place o? elles ?taient tomb?es sur la terre, et un arbrisseau poussa, donnant des feuilles, que les habitants cueillent, et dont ils font une infusion parfum?e, qui chasse le sommeil. Tout en servant, Lafontaine raconte--et comme une com?dien raconte, avec des temps et des jeux de physionomie--cette jolie anecdote. Il avait c?d?, vendu un Ruysdael, trouv? en Hollande, ? Adolphe Rothschild, et venait de lui livrer, quand le baron dans la joie de son acquisition, se laissa aller ? lui dire, en forme de politesse: < Et l'?motion, la su?e de Lafontaine fut telle, qu'il soutient que la couleur de ses gants avait chang?. Le d?jeuner fini, nous partons avec de Nolhac, l'aimable et savant conservateur du mus?e de Versailles, visiter les pi?ces intimes du ch?teau historique. Et me promenant dans la demeure de ce grand pass?, il me prend une tristesse, en pensant ? la petitesse du pr?sent. ... Oui, Corot ne se servait jamais de vert, il obtenait ses verts au moyen du m?lange des jaunes avec du bleu de Prusse, du bleu min?ral... et je vais vous en donner une preuve irr?cusable. Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2025 All Rights reserved.