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Read Ebook: Journal des Goncourt (Troisième série troisième volume) Mémoires de la vie littéraire by Goncourt Edmond De Goncourt Jules De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 2411 lines and 114404 words, and 49 pages... Oui, Corot ne se servait jamais de vert, il obtenait ses verts au moyen du m?lange des jaunes avec du bleu de Prusse, du bleu min?ral... et je vais vous en donner une preuve irr?cusable. C'est le vieux peintre Decan, ami de Corot, qui demeure dans la maison de Gavarni, et qui redescend, quelques instants apr?s, avec la blouse, que Corot mettait pour peindre, et qui est l'assemblage de deux tabliers de cuisine d'un bleu pass?, avec dans le derri?re, un morceau neuf d'un bleu vif, morceau rempla?ant le bas de la blouse, br?l? contre un po?le. En effet la blouse est toute couverte d'une pluie de taches tendres, o? manque le vert. Decan a descendu avec la blouse, une esquisse dans laquelle il a repr?sent? le p?re Corot, en train de peindre dans la campagne, recouvert de cette blouse: esquisse, o? avec la r?volte des cheveux blancs de sa t?te nue, son teint de vivant en plein air, sa pipe en racine lui tombant de la bouche, il a tout l'air d'un vieux paysan normand. Et Decan nous donne la formule du p?re Corot pour faire des chefs-d'oeuvre, en face de la nature. < Figurez-vous, reprend Decan, que Corot est rest? jusqu'? quarante-cinq ans,--vous m'entendez bien,--comme un petit enfant chez son p?re, qui ne croyait pas le moins du monde ? son talent. Et il arrivait qu'un jour, Fran?ais ayant d?n? chez le p?re de Corot, ce p?re, au moment o? Fran?ais allait sortir, lui dit qu'il allait le reconduire, et comme son fils s'appr?tait ? le suivre, il lui fit signe de rester. Et dans la rue: <<--Monsieur Fran?ais, est-ce que vraiment mon fils aurait du talent? --Comment, r?pondait Fran?ais, mais c'est mon professeur!>> Rodenbach croit plus tard, ? un grand mouvement lyrique sur l'industrie, et il parle ?loquemment des attitudes recueillies, de l'aspect presque religieux des occupations m?caniques, enfin d'une synth?se po?tique du travail ouvrier, d'une ?tude au del? de la simple photographie litt?raire. Ce soir, une femme du monde, m'attaque gentiment sur l'horreur, profess?e dans mon JOURNAL, pour le progr?s dans les choses, me parlant de la vie magique, surnaturelle, que lui a faite le t?l?phone: < --Et quand vous causiez vous ?tiez en chemise... dans ce cas, pour une femme qui a un fonds de catholicit? comme vous, madame, c'est grave, ?a touche un peu au p?ch?. --Tiens, c'est vrai, fait la femme au t?l?phone, en riant, il faut que j'interroge mon confesseur? Hier, ? six heures, le fils de Popelin m'avait dit: < Forain raconte ses d?m?l?s avec ses cr?anciers, parmi lesquels se rencontraient des cr?anciers roublards qui se faisaient ouvrir en chantonnant le refrain d'une chose en vogue, dans le moment, chez les artistes. Il narre joliment, comment il a mis militairement ? la porte de chez lui, un cr?ancier qui ne l'avait pas reconnu sous le costume d'un garde municipal, qu'il ?tait en train d'endosser, pour aller ? un bal masqu?, chez M?nier. --Bon, vous m'avez fait rater mon boulevard! Le m?nage Forain m'entra?ne voir son petit int?rieur, ing?nieusement machin? avec un atelier en haut, o? Forain travaille: atelier communiquant par une baie avec le grand salon au-dessous. Une riante et claire demeure d'un m?nage de peintre. Forain me fait voir des lithographies, qu'il vient de jeter sur la pierre, reprenant un proc?d? abandonn?, et y d?butant avec succ?s, mais avec un peu de l'imitation du faire de Daumier, dont il a du reste accroch?s au mur, trois ou quatre croquetons remarquables. Et Forain me cause de son labeur, de sa peine ? trouver la chose: oui, ? la fois un dessin et une l?gende qui le satisfassent. Il parle des vingt, trente, quarante croquis, qu'il est oblig? parfois de faire, pour arriver ? l'image voulue. Chez cet intelligent collectionneur de manuscrits, de livres, de brochures sur les moeurs, un tas de documents curieux, entre autres un grand registre, reli? en v?lin blanc, trouv? par Deflorenne en Angleterre, et qui est toute l'histoire, jour par jour de la Bastille, registre, dont la publication a ?t? derni?rement propos?e au Conseil municipal qui n'a pas trouv? le document assez parisien. Que diable, veulent-ils donc, comme document parisien? Puis un volume manuscrit de pi?ces sur les prisonniers du donjon de Vincennes, et c'est avec une v?ritable ?motion, que je lis la lettre d'incarc?ration de Diderot, et la lettre qui lui donne la clef des champs. Yvon,--c'?tait convenu,--devait repr?senter l'?pisode dans la bataille de Solf?rino, mais le g?n?ral Fleury s'y opposait, pr?textant que la blessure du cheval d?pla?ait l'int?r?t, le retirait de dessus la t?te de l'empereur. Il me confessait qu'? Londres, il avait eu, tout le temps, un sentiment d'effroi du silence des foules. Mlle Read, la soeur de mis?ricorde de Barbey d'Aurevilly. Une douceur des yeux, une blondeur des cheveux, une bont? de la figure, une bont? intelligente, spirituelle, qui met parfois sur son visage d'ange, de la jolie gaminerie d'enfant. Carri?re me dit qu'il veut graver ce portrait ? l'eau-forte, dans le genre des pr?parations, qu'a grav?es mon fr?re, d'apr?s La Tour. Puis, au bout de quelque temps, il ajoute: < ?a me fait froid dans le dos, ce catalogue! Est-ce que, malgr? toutes mes pr?cautions, je serai vendu comme ?a? Lavoix a assist? ? sa mort, tous deux demeurant dans la petite annexe de la Biblioth?que, rue de Louvois. Hase travaillait une partie de ses nuits, et d?j? un peu souffrant, comme il persistait ? travailler, une nuit, son domestique ?tait venu trouver Lavoix, pour qu'il d?cid?t son ma?tre ? se coucher. Il s'y refusait. Deux heures apr?s, le domestique venait chercher Lavoix, pour porter le mort sur son lit. Sa t?te ?tait tomb?e sur des ?preuves fra?ches du dictionnaire de Robert Estienne, qu'il corrigeait, et la sueur de la mort avait imprim? quelques caract?res des ?preuves sur son front. Il peint l'activit? d?vorante de cet homme, qui tout ? coup, dans un endroit o? il paresse inactif, le sollicite de se remuer, de se mettre en route, de faire un voyage, et l'id?e du voyage entr?e dans sa t?te, il a besoin de d?camper de suite, disant ? son monde: < Ajalbert me conte un petit voyage de quatre jours, fait sur la c?te bretonne, dans un grand omnibus, lou? par Antoine, contenant une cargaison de cabotins et de cabotines: un voyage ? la forte nourriture, et tr?s bon march?, gr?ce au c?t? d?brouillard d'Antoine, arrivant dans un endroit, et, sans consulter aucun autochtone, faisant toute une revue des auberges, et instinctivement choisissant la meilleure, et installant sa charret?e de voyageurs: les prix de tout arr?t?s d'avance. Enfin il m'entretient de son antipathie pour le soleil, du myst?re des ciels voil?s, de la s?duction mystique des cr?puscules, confessant, sans s'en douter, l'amoureux peintre de grisaille qu'il est. Puis au bout de quelques instants de silence, il reprend: < Copp?e parlant de Mlle Read, d?clare qu'elle n'aime que les afflig?s, les souffrants, les malheureux, qu'elle hait les chanceux, les heureux, les gens ayant l'argent et la gloire. C'est la femme, dont Mme Hal?vy dit: < Comme on parle ? Zola, du livre, qu'il a annonc? ?tre en train de faire sur Lourdes, il dit ? peu pr?s ceci: < < Zola reprenant brutalement: < Puis dans la soir?e, il parle de son ambition de pouvoir parler, des essais qu'il fait de sa parole, jetant ? sa femme, comme avec un coup de boutoir: < Et depuis quatre heures jusqu'? six heures, ?'a ?t?, chez l'artiste, un jaillissement d'amusantes anecdotes sur les litt?rateurs, les peintres, et gens de toute sorte, coup?es par son grognement habituel. < Et il passe aux curieux d?ners, au restaurant du Havre, entre Corot, Rousseau, Millet, Diaz, Couture, et raconte ceci: < Maupassant colloquerait, toute la journ?e, avec des personnages imaginaires, et uniquement des banquiers, des courtiers de bourse, des hommes d'argent. Le docteur Blanche ajoutait: < Je r?vais qu'un dentiste, qui avait une t?te de penseur sublime, mais en pl?tre, me travaillait dans le fond de la m?choire, et ce qu'il me faisait avec de petits instruments d'or, ?tait tout ? fait d?licieux. Puis, une interruption amen?e, je ne sais par quoi, et une nouvelle s?ance de mon dentiste, ? la t?te de pl?tre, qui avait pris, cette fois, le caract?re de m?chancet? de la t?te du vieil Aussandon, et je l'entendais me dire avec une voix, sortant comme d'un t?l?phone: < La rue de la Paix, quand j'y passe maintenant, il m'arrive parfois de ne pas la voir, telle qu'elle est, de n'y pas lire les noms de Reboux, de Doucet, de Vever, de Worth, mais d'y chercher, sous des noms effac?s dans ma m?moire, des boutiques et des commerces, qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui, mais qui ?taient ceux, d'il y a cinquante, soixante ans. Et je m'?tonne de ne plus trouver ? la place de la boutique du bijoutier Ravaut ou du parfumeur Guerlain, la pharmacie anglaise qui ?tait ? la droite ou ? la gauche de la grande porte coch?re, qui porte le n?15. Toutefois, je dois le dire, l'aspect un peu s?v?re de la femme, le s?rieux de sa physionomie, le milieu de gravit? m?lancolique, dans lequel elle se tenait, quand j'?tais encore un tout petit enfant, m'imposaient une certaine intimidation aupr?s d'elle, et comme une petite peur de sa personne, pas assez vivante, pas assez humaine. ? quelques ann?es de l?, c'?tait au bout de la rue de la Paix, le second de la maison faisant le coin de la rue des Petits-Champs et de la place Vend?me, que ma tante occupait, un vieil appartement charmant, un appartement qui co?tait, je crois bien, diable m'emporte, en ce temps-l?, 2 500 francs. Dans le gai salon donnant sur la place Vend?me, on trouvait ma tante, toujours lisant, sous un portrait en pied de sa m?re, qui avait l'air d'un portrait d'une soeur, d'une soeur mondaine:--un des plus beaux Greuze que je connaisse, et o?, sous les gr?ces de la peinture du ma?tre fran?ais, il y a la fluide coul?e du pinceau de Rubens. Le peintre, qui avait donn? des le?ons ? la jeune fille, l'a repr?sent?e mari?e, en la mignonnesse de sa jolie figure, de son ?l?gant corps, tournant le dos ? un clavecin, sur lequel, par derri?re, une de ses mains cherche un accord, tandis que l'autre main tient une orange, aux trois petites feuilles vertes: un rappel sans doute de son s?jour en Italie, et de la carri?re diplomatique en ce pays, du p?re de ma tante. Et c'?tait, quand on entrait dans le salon, un lent soul?vement des paupi?res de la liseuse, comme si elle sortait de l'ab?me de sa lecture. Alors, devenu plus grand je commen?ai ? perdre la petite appr?hension timide, que j'?prouvais aux c?t?s de ma tante, je commen?ai ? me familiariser avec sa douce gravit? et son s?rieux sourire, remportant au coll?ge des heures pass?es pr?s d'elle, sans pouvoir me l'expliquer, des impressions plus profondes, plus durables, plus captivantes, toute la semaine, que celles que je recevais ailleurs. De ce second appartement, ma m?moire a gard?, comme d'un r?ve, le souvenir d'un d?ner avec Rachel, tout au commencement de ses d?buts, d'un d?ner, o? il n'y avait qu'Andral, le m?decin de ma tante, son fr?re et sa femme, ma m?re et moi, d'un d?ner, o? le talent de la grande artiste ?tait pour nous seuls, et o? je me sentais tout fier et tout gonfl? d'?tre des convives. Mais ce d?ner, c'?tait l'hiver, o? je ne voyais ma tante que pendant quelques heures, le jour de mes sorties, tandis que l'?t?, tandis que le mois des vacances ?tait une ?poque, o? ma petite existence, du matin au soir, ?tait toute rapproch?e de sa vie. Mais, dans cette maison, mon lieu de pr?dilection ?tait une salle de spectacle ruin?e, devenue une resserre d'instruments de jardinage: une salle aux assises des places effondr?es, comme en ces cirques, en pleine campagne, de la vieille Italie, et o? je m'asseyais sur les pierres disjointes, et o? je passais des heures ? regarder, dans le trou noir de la sc?ne, des pi?ces qui se jouaient dans mon cerveau. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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