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Read Ebook: Marchand de Poison: Les Batailles de la Vie by Ohnet Georges
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 938 lines and 35581 words, and 19 pages, faisant la partie du Costeau avec son < --Mon petit, si Mme Mauduit voulait te raconter sa vie, et si tu ?tais fichu d'?crire quatre lignes en fran?ais, tu pourrais faire un feuilleton, avec lequel tu d?goterais les ma?tres du genre.... Il n'en restait pas moins dans l'esprit de Christian, malgr? ses railleries, que Mlle Dhariel ?tait une personne avec laquelle il ne fallait pas badiner, et que, dans sa vie pass?e, grouillaient de myst?rieux personnages, capables de jouer du couteau et du revolver avec une dangereuse facilit?. Il y avait plus de deux ans que le malheureux gar?on ?tait dans les mains de cette coquine, et, chaque jour, il descendait plus bas dans la d?gradation physique et l'affaiblissement intellectuel, lorsque la circonstance la plus impr?vue bouleversa les plans d'?tiennette, et parut devoir assurer le salut de Christian. Mlle Dhariel, comme tous les ans, ayant manifest? le d?sir d'aller passer les mois de juillet et d'ao?t au bord de la mer, Christian s'?tait mis en qu?te d'une villa ? louer. Un agent lui avait indiqu? une vaste et luxueuse propri?t? ? Tourgeville, entre Deauville et Villers. L'habitation comptait de nombreuses chambres, ce qui facilitait le s?jour des amies d'?tiennette et des familiers de Christian. Les communs, tr?s vastes, permettaient d'installer des chevaux, des voitures, et les indispensables automobiles. Vernier-Mareuil, lui, habitait Deauville, ce qui ne paraissait nullement g?ner ni son fils, ni ?tiennette. Les premi?res semaines s'?taient ?coul?es assez tranquillement. Christian, ranim? par l'air de la mer, avait retrouv? des forces nouvelles. Il sillonnait les routes de l'arrondissement dans son pha?ton de vingt chevaux, et, la plupart du temps, seul avec son chauffeur, car Mlle Dhariel avait constat? que le fouettement de l'air lui irritait la figure, et elle n'?tait pas femme ? sacrifier son hygi?ne ? un caprice de Christian. Alors, pris du vertige de la vitesse, sur ces belles et larges routes de Normandie, le jeune homme faisait du soixante ? l'heure, et roulait comme un ouragan, ? travers les villages, laissant derri?re lui un nuage de poussi?re, les mugissements de sa trompe et l'infection du p?trole. Un jour, en passant par un chemin de traverse, aux environs de Pont-l'?v?que, Christian, qui avait forc?ment ralenti sa folle vitesse, rencontra, ? un tournant, un vieil homme qui, en le voyant arriver, agita ses bras, comme pour le faire aller en arri?re, et cria des paroles inintelligibles. Habitu? aux clabaudages des paysans, aux oppositions des propri?taires de passages interdits, Christian ne tint nul compte de cette pantomime et de ces cris, et continua de marcher ? une bonne allure. Il parcourut encore un demi-kilom?tre, puis, brusquement, il arriva ? un carrefour entour? de talus et libre seulement du c?t? d'un herbage dont la barri?re, heureusement, ?tait ouverte. Christian, sans h?siter, entra dans l'herbage, fit encore vingt-cinq m?tres sur le gazon; puis, rencontrant une saign?e pratiqu?e pour l'?coulement des eaux, il bondit sur ses pneus, comme un volant sur une raquette, franchit le foss?, mais, retombant ? faux, versa avec un terrible bruit de ferraille. Son chauffeur sauta et se remit sur ses pieds. Christian, qui n'avait pas voulu l?cher sa direction, roula sur le sol, et resta la jambe gauche engag?e sous la voiture, qui, sur le flanc, grondait, soufflait, s'agitait, comme une b?te ? l'agonie. --?tes-vous bless?, monsieur, cria le chauffeur, venant ? l'aide de son ma?tre. --Je ne peux pas bouger... dit Christian.... Mais je souffre horriblement de la jambe.... Vite, t?chez de me d?gager, je crains que la voiture ne s'enflamme. L'homme saisit le panneau de la voiture, essaya de la soulever, ne put y parvenir, mais, par pr?caution, vida son r?servoir d'essence. Il se perdait en efforts, lorsque, d'une habitation situ?e sous de grands arbres, des secours arriv?rent. Deux hommes et une jeune fille accouraient. --Vite, dit ? son compagnon le plus ?g? des deux assistants, prenez la poutre de la barri?re.... Bien! Passez la, pour faire levier, sous la voiture.... Allons, le chauffeur, placez cette pierre pour faire point d'appui.... Hardi! Appuyez.... Encore un coup.... Aussit?t que vous vous sentirez libre de remuer, mon jeune ami, glissez-vous en arri?re.... Y ?tes-vous? Ah! mon Dieu, il s'?vanouit! Dans la tentative qu'il venait de faire pour arracher sa jambe ? l'?treinte desserr?e de la voiture, Christian avait ?prouv? une telle douleur qu'il avait pouss? un g?missement et ?tait rest? inerte sur le sol. --Ma fille, vite, prends-le sous les bras, et tire-le vers nous. Il est impossible que nous l?chions le levier.... Allons! Allons! D?p?che-toi! Parfait! Christian, d?gag?, gisait maintenant sur l'herbe, entour? par la jeune fille et par les trois hommes. Revenu ? lui, et palp? par son chauffeur, il avait pouss? un cri affreux, suppliant qu'on ne le touch?t plus. --J'ai la jambe cass?e, je le sens.... Ne me bougez pas.... --Vous ne pouvez cependant rester au milieu de l'herbage, dit le ma?tre du logis.... Mon enfant, cours ? la maison avec Claude, fais descendre un matelas, et que ta m?re pr?pare un lit.... Ah! Claude, apportez une ?chelle, nous en ferons une civi?re. Un quart d'heure plus tard, Christian ?tait install? dans une chambre, au rez-de-chauss?e d'une confortable maison normande, et envoyait son chauffeur chercher le docteur Augagne, qui, justement, ?tait ? Trouville en vill?giature. La maison dans laquelle le hasard venait de faire entrer si malheureusement Christian appartenait ? la famille Harnoy. Tr?s simplement, le p?re, la m?re et la fille, passaient dans cette propri?t?, moiti? ferme, moiti? cottage, deux mois tous les ans, ? l'?poque de la morte-saison. M. S?bastien Harnoy, commissionnaire en marchandises, ?tait fort libre pendant les mois d'ao?t et de septembre. Il allait, une fois par semaine, ? Paris pour r?gler le courant de ses affaires. Mais comme ses clients ?taient, ainsi que lui, en vacances, il se d?pla?ait plut?t pour surveiller ses employ?s que pour leur donner de la besogne. Du reste, la commission, depuis plusieurs ann?es, ne marchait plus. La maison Harnoy qui, sous la direction du p?re de S?bastien, avait ?t? une des plus fortes de la place, s'?tait amoindrie peu ? peu. Des faillites successives dans l'Am?rique du Sud avaient port? ? la prosp?rit? de l'entreprise un pr?judice tr?s grave. Le cr?dit de Harnoy, qui avait ?t? de premier ordre, n'offrait plus des garanties absolues. Les transactions avaient diminu? comme la confiance. Et S?bastien, avec une amertume qu'il dissimulait mal, assistait, sans pouvoir l'arr?ter, ? la ruine de sa maison. Il d?blat?rait: --Les affaires sont devenues impossibles. Le gouvernement n'offre aucune s?curit?. Il n'est seulement pas capable de faire des trait?s de commerce avantageux avec les nations ?trang?res. Hypnotis? par sa stupide politique qui est radicale, quand elle n'est pas socialiste, il passe son temps ? alarmer les int?r?ts. Tous les ans, il annonce aux rentiers qu'on va leur diminuer leurs revenus au moyen d'imp?ts nouveaux, et aux capitalistes que la propri?t? ne sera pas longtemps transmissible. Et on s'?tonne que les capitaux ?migrent ? l'?tranger et que les industries fran?aises ch?ment. Nous aurions affaire ? des gens bien fermement d?cid?s ? ruiner la France qu'ils ne s'y prendraient pas autrement. C'est ce qu'ils appellent un gouvernement de r?formes et d'action r?publicaines. Qu'on nous ram?ne ? l'Empire! Au prix d'un cataclysme tous les vingt ans, ce r?gime ?tait pr?f?rable ? celui dont nous jouissons. Au moins, pendant un temps, on pouvait vivre tranquille. Et il ne me para?t pas certain que le grabuge ? jet continu soit moins n?faste qu'un grand coup de chien, une fois par hasard. Sa femme, plus intelligente que lui, pr?conisait comme solution la liquidation de la maison. En partant pour l'Am?rique du Sud, il devrait ?tre possible, sur place, et en parlant aux d?biteurs, de recouvrer une partie des cr?ances en souffrance. Par lettres, il ?tait impraticable d'obtenir quoi que ce f?t de gens int?ress?s ? ne pas r?pondre. En vendant le fonds de commerce, il serait facile de vivre modestement. Mais si Harnoy s'obstinait ? lutter contre le courant qui l'entra?nait vers la ruine, il fallait craindre les pires revers. Quant ? Mlle Genevi?ve Harnoy, c'?tait la douceur et le charme m?mes. Elle avait dix-sept ans, et une blancheur nacr?e de blonde aux cheveux de soie p?le. Ses yeux noirs ?clairaient un visage d?licat o? le rouge des l?vres souriantes mettait une animation d?licieuse. Simple, courageuse, franche, elle ?tait la joie de la maison, qu'elle ?gayait de son rire. De son p?re elle tenait un peu d'ent?tement, et quand la question de la liquidation de la maison venait ? ?tre agit?e en sa pr?sence, volontiers elle opinait pour que l'on continu?t la lutte. Aussi son p?re disait avec un peu d'orgueil: < C'?tait dans cette famille de braves gens que Christian, comme un bolide, ?tait venu tomber. Il y avait quatre heures qu'il suait d'angoisse entre ses draps, sous le regard inquiet et amical de M. Harnoy, quand une voiture ? deux chevaux s'arr?ta devant la grille de l'herbage, amenant Vernier-Mareuil et le docteur Augagne. Un domestique descendit du si?ge, portant une caisse contenant, ? tout hasard, les instruments n?cessaires ? une op?ration, et tout ce qui pouvait servir au pansement. Essouffl?, anxieux, rouge, Vernier entra dans la chambre, conduit par Mme Harnoy, et voyant son h?ritier qui, la t?te sur l'oreiller, l'accueillait d'un sourire p?le: --Eh bien! te voil? ravi, je pense? bougonna-t-il, comme entr?e en mati?re. Tu t'es massacr? avec ta stupidit? de machine! Tu ne seras pas content avant de m'avoir laiss? seul sur la terre, n'est-ce pas? Ayant ainsi exhal? son m?contentement, il se d?cida ? embrasser Christian, ? lui t?ter les mains, qu'il trouva br?lantes, et ? dire au docteur: --Enfin, il n'est pas mort! C'est d?j? quelque chose! Augagne, sans phrases, avait relev? la couverture et commenc? ? examiner le bless?. Il d?couvrit une ecchymose insignifiante au c?t? gauche, une ?raflure ? la hanche droite, puis il vint ? la jambe, qui restait immobile, d?j? enfl?e. Il l'examina avec soin, la mania d?licatement, t?ta le tibia, arracha un cri de douleur ? Christian et dit, fort calme: --Allons! il s'en tire ? bon compte. Il n'y a qu'une fracture simple.... Eh bien! mon cher ami, en voil? pour quarante jours! Mais, pour cette fois, on ne vous coupera rien. Seulement n'y revenez pas. Vous n'aurez pas toujours la chance de recevoir un poids de mille kilos sur la jambe sans qu'elle soit broy?e. Il proc?da ? la r?duction de la fracture, banda la jambe, ordonna le plus grand calme et annon?a qu'il reviendrait le lendemain. Pendant ce temps, Vernier se promenait avec la famille Harnoy dans un petit parterre fleuri, qui ornait la fa?ade principale de la maison. Il avait su trouver les paroles convenables pour remercier de l'accueil qui avait ?t? fait ? son fils et l'excuser de la g?ne qu'il causait. Il ?tait cependant pr?occup? de savoir si ses h?tes le connaissaient. Il risqua quelques allusions ? son s?jour annuel sur la plage de Deauville et s'?tonna de ne pas conna?tre le charmant pays o? ?tait situ?e la propri?t? de M. Harnoy. --C'est un endroit assez ?cart? du passage des excursionnistes, dit S?bastien. Nous sommes ici en pleine campagne. De vrais sauvages.... Cependant, nous allons quelquefois passer la journ?e au bord de la mer.... --Si vous venez ? Deauville, je n'ai pas besoin de vous assurer que vous me ferez le plus grand plaisir en descendant chez moi.... Mme Vernier-Mareuil sera heureuse de vous recevoir.... Il avait enfin r?ussi ? placer son nom. Il fut content de l'effet produit. M. Harnoy leva la t?te, pour regarder plus attentivement celui qui lui parlait, comme s'il d?couvrait en lui un homme nouveau. Mme Harnoy hocha la t?te avec condescendance. Quant ? Genevi?ve, elle dit gaiement: --Ah! monsieur, j'ai vu bien souvent votre nom sur les belles affiches repr?sentant une femme avec des ailes, qui tient une corne d'abondance entre ses bras, et qui, dans son vol, verse sur le globe du monde une pluie de bouteilles sur lesquelles il y a ?crit Royal-Carte jaune.... Quand j'?tais petite, je restais en extase devant toutes ces bouteilles.... Et j'aurais voulu go?ter ? ce qu'il y avait dedans.... --Ce ne sont pas pr?cis?ment des liqueurs de demoiselles, dit Vernier avec rondeur. Mais nous fabriquons cependant une Cerisette, dont vous me permettrez, je l'esp?re, de vous envoyer quelques ?chantillons.... --Genevi?ve, tu vois, protesta Mme Harnoy.... --Ah! madame, je vous en prie, interrompit Vernier, ne grondez pas cette gentille enfant de sa charmante franchise. Estimez-vous heureuse d'avoir une fille qui dit tout simplement ce qu'elle pense.... Cela devient bien rare. La conversation d?via sur l'?ducation des enfants, et Vernier ne put se retenir de bl?mer am?rement la fa?on d'?tre des g?n?rations nouvelles. Pas d'id?es s?rieuses, nulle application au travail, aucune d?f?rence pour la volont? des parents. En quelques minutes, il trouva moyen d'?difier indirectement la famille Harnoy sur la conduite de Christian, en faisant le proc?s de la jeunesse. Cependant, ? cause de la pr?sence de Genevi?ve, il omit le chapitre des moeurs et ne fit point d'allusion aux diverses ?tiennettes qui s?vissaient sur les fils de famille. Le docteur Augagne vint interrompre la conversation en annon?ant ? Vernier que son fils demandait ? le voir. Le temps avait march? et le soir tombait dans la fra?cheur des bois. Une bu?e l?g?re montait des pr?s chauff?s tout le jour par le soleil et, dans le ciel d'un bleu p?li, un mince croissant de lune se montrait d?j?, pendant que, derri?re une noire h?traie, les rougeurs du couchant s'allumaient comme un incendie. Lentement, vers la maison paisible, la famille Harnoy revint avec Vernier et le m?decin. Une paix d?licieuse s'?tendait sur l'herbage; au loin, un pivert, dans les massifs, faisait entendre son cri railleur. Vernier et Augagne se regard?rent en silence. Tous deux avaient eu la m?me impression de s?r?nit? r?confortante et salutaire. --Je vous prie, monsieur, de ne vous pr?occuper en rien pour M. votre fils, dit Mme Harnoy ? Vernier. Il ne nous g?ne en aucune fa?on. Nous le garderons tant que son ?tat l'exigera.... Et de tr?s grand coeur, croyez-le bien.... --Acceptez, mon cher, dit le docteur Augagne, au moins pour une huitaine.... Ce gaillard-l? pourrait, sans doute, ?tre transportable d?s demain. Mais, pour cent raisons, que vous savez aussi bien que moi, il est ici beaucoup mieux qu'il ne saurait ?tre nulle part ailleurs. Seulement, il faut qu'on l'y laisse en repos.... Vernier fit ? son ami un signe de t?te qui signifiait: Soyez tranquille, j'y mettrai bon ordre. Et serrant les mains de l'excellente femme qui offrait si cordialement l'hospitalit? au bless?, il r?pondit: --Je vous suis tr?s reconnaissant, madame, et puisque notre cher docteur m'y encourage, je pousserai donc l'indiscr?tion jusqu'? profiter largement de votre bonne volont? vraiment maternelle pour mon fils.... Ce galopin aura ?t?, dans son malheur, plus favoris? que ne le m?ritait son imprudence. Il entra dans la maison avec le docteur, et un quart d'heure plus tard il laissait Christian, calme, souriant, pr?t ? dormir, et reprenait le chemin de Deauville. Son premier soin, le soir, quand il eut fini de d?ner, fut de se faire conduire ? Tourgeville, chez Mlle Dhariel. Il avait promis ? Christian de la faire pr?venir et estimait que cette mission ne serait remplie par personne mieux que par lui-m?me. Depuis longtemps, il avait envie de se rencontrer avec cette fameuse ?tiennette. L'occasion ?tait admirable. Il s'empressait de la saisir. La camarade de Christian ne passait pas pr?cis?ment pour manquer d'aplomb. On l'avait vue, dans des circonstances difficiles, manoeuvrer avec la s?ret? et la fermet? d'une intelligence sup?rieure. Elle fut cependant tr?s ?mue quand sa femme de chambre lui apporta au salon une carte sur le bristol de laquelle elle lut ces deux noms: Vernier-Mareuil. Elle ?tait occup?e ? faire un b?sigue chinois avec Mariette de Fontenoy, pendant que Clamiron dormait le nez en l'air, dans un fauteuil. Elle jeta son jeu, fit un geste d'?tonnement et dit: --Nom de nom! --Quoi? demanda Mariette. Qu'est-ce qui t'arrive? --Le p?re Vernier qui s'am?ne. --O? est l'enfant? --Parti, ce matin, en balade, tout seul avec son chauffeur.... --Est-ce qu'il te l?che? ?tiennette eut un sourire d'orgueil. --Ce serait donc le premier. --Il en faut toujours un! --Ce ne sera pas lui. Add to tbrJar First Page Next Page |
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