|
Read Ebook: Le cycle patibulaire by Eekhoud Georges
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 700 lines and 42854 words, and 14 pagesNeuvaine! La veuve court pour le rappeler, mais Gentillie arr?te sa m?re par le bras. --Inutile, ma m?re! J'en tiens pour Pintloon et ne veut d'autre homme que celui-l?! --Ah! vocif?re la vieille paysanne, qui voit s'?crouler son r?ve de fortune. Ah! g?mit la comm?re en sautillant de la chambre ? la cour et de la grange ? l'?table, tant ses bras et ses jambes lui d?mangent. Ah! c'est ce que nous verrons, ma fille! Et lorsqu'elle rentre dans la chambre, trouvant Gentillie toujours aussi sotte, aussi extravagante, voil? qu'elle ne parvient plus ? se contenir et qu'elle se met ? la battre ? la tr?pigner, ? la tra?ner par terre, sans que la grande bestiasse se d?fende et se r?volte, si bien qu'elle-m?me doit s'arr?ter, ext?nu?e, plus d?molie encore que l'impassible rebelle. Alors, la vieille se met ? geindre, ? se t?ter, comme si c'?tait sa fille qui l'avait battue. Le lendemain, elle essaie de gagner la t?tue par la douceur: --Dis, mon enfant, dis-moi, il est venu ici ce r?prouv?, il t'a jet? un sort, raconte-moi tout, veux-tu? --Non, r?pond Gentillie qui n'a plus desserr? les dents depuis la veille, en jetant sur la paysanne son troublant et myst?rieux regard couleur de mer houleuse; non, dit-elle avec une farouche r?solution, Pintloon n'a jamais mis le pied chez nous.... --O? l'as-tu vu alors, malheureuse? Parle. --Je ne l'ai vu, ni entendu!... Je ne le connais que par tout le mal que le village raconte. Et pourtant il me semble que je l'ai toujours l?, devant les yeux. Et sa pens?e me remplit tout enti?re.... Et cela bourdonne dans ma t?te comme la si douce musique de l'orgue et j'en suis toute parfum?e, comme si je m'?tais couch?e dans les foins.... Oui, plus ils le disent laid, repoussant et sordide, plus je me le repr?sente aimable, app?tissant, plein de rago?t.... --Oh! tais-toi, perdue! Oh! tu vois bien qu'il t'a ensorcel?e, le Lucifer! Sainte-Marie, c'est le diable m?me qui parle par la bouche de mon innocente enfant! Et elle s'arrache des m?ches de cheveux gris, et tombe ? genoux, et tord les bras vers le ciel. Cependant Gentillie s'ent?te. Elle para?t sourde, aveugle, insensible ? tout ce qui se passe autour d'elle. Exhortations, menaces, bourrades, autant de moyens essay?s en pure perte. C'est comme si plus rien n'avait prise sur son ?tre ensorcel?. Elle rappelle ? Sander une maugrabine de la foire, une de ces boh?miennes acoquin?es avec l'enfer, qu'un sacripant de son esp?ce traversait de longues aiguilles ? tricoter, sans que la m?tine perd?t une goutte de sang, ou pouss?t un g?missement ou f?t seulement la grimace.... Il revient pourtant ? la charge, le grand Sander. Il n'a garde de passer son chemin le soir, comme elle le lui a conseill?. Mais elle ne l'?coute m?me pas. Alors, exasp?r?e, bazine Verjans ne la m?nage plus. Elle cong?die ses filles de basse-cour et impose ? Gentillie les corv?es, les gros ouvrages, les labeurs rebutants. --Je briserai bien ta mauvaise t?te! gronde la fermi?re aux abois. Tant pis, si c'est le seul moyen d'en d?loger le diable! Tu cr?veras ou tu te remettras avec Cierge de Neuvaine. En vain, elle lui a repr?sent? que cette rupture avec Sander entra?ne leur ruine et qu'elles vont devoir quitter la ferme et mendier par les routes. Cette extr?mit? n'a rien de redoutable pour Gentillie. Foul?e comme la derni?re des serves, elle peine, laboure, s'ext?nue vaillamment, sans une plainte, sans un mot, soutenue par on ne sait quelle force surhumaine. Cependant, la nouvelle de l'inqualifiable toquade de Gentillie s'?bruite, se propage, et engendre presque autant de scandale et de rumeur que les d?pr?dations de l'Esprot, quoique la m?re Verjans et le digne Sander aient tout fait pour cacher cette honte. Les veuves trop m?res et les filles mont?es en graine qui avaient envi? ? Gentillie les r?coltes prosp?res, les vaches laiti?res, la ferme du Dyck-Graaf, le grand cheval Jabikel, et surtout le superbe blondin qui porte si cr?nement l'?tendard de sainte V?ronique sans plier les reins, glosent et cancanent, et brodent ? l'envi sur le compte de cette puante et s'en vont colportant toutes sortes de vilaines et atroces histoires. A les en croire, il ne s'agit pas de < Sur les instances de la veuve Verjans, le cur? intervient pour rappeler la malheureuse au devoir et ? la raison. La m?re demanda m?me au sage pasteur de recourir aux exorcismes, mais celui-ci, moins cr?dule que ses ouailles, pr?tend que sur les ?mes troubl?es une bonne parole exerce plus d'effet que les incantations d'un autre ?ge. Et pourtant le digne pr?tre ?choue aussi dans ses tentatives quoiqu'il ait trouv?, pour ?branler la monomanie de cette malheureuse, de ces accents ?vang?liques qui illuminent et r?g?n?rent les consciences. Quant au grand Sandor, il court et r?de dans la campagne, presque aussi fou que sa triste fianc?e; mais aussi agit? qu'elle est impassible. Il ne d?sesp?re pas encore de faire revenir Gentillie sur sa d?termination. En cachette, il voit la m?re, car il n'ose plus affronter la physionomie frigide et pleine d'aversion de son ancienne promise. Et, en secouant le poing, il a jur? de tuer cet ex?crable Pintloon. Naturellement, la maladie de la jeune Verjans ajoute ? la c?l?brit? de l'insaisissable bandit. Plus que jamais on s'occupe de ses m?faits et de ses prouesses. Sur les conseils de Cierge de Neuvaine, pour que la malheureuse n'entende plus parler de ce damn? dont la r?putation lui a tourn? la t?te, ? bout de rem?des, la veuve se d?cide ? s?questrer Gentillie dans sa soupente. Mais de son galetas la recluse surprend tout ce que les gens de la ferme se chuchotent sur l'Esprot, lorsque l'heure des repas les rassemble dans la salle d'en bas. Elle p?lit, seules ses pommettes s'enflamment comme si l'enfer lui soufflait constamment au visage le feu de ses forges ?ternelles. Sander raconte d'un ton r?joui que cette fois on tient Kriel Pintloon, bloqu? dans les dunes non loin de Coxyde: < --Brave Dapper! murmure Gentillie avec une sorte d'admiration envieuse. Et la mort du fid?le chien la d?cide: L'Esprot est seul ? pr?sent. Ce m?me soir elle attend que tout le monde soit couch?, puis elle enjambe la fen?tre, tombe sur le fumier, se rel?ve sans s'?tre fait de mal et s'engage dans la campagne. Elle marche ? l'aventure, tout droit, vers les dunes. Quelque chose l'avertit qu'elle arrivera encore ? temps. Les battements de son coeur redoublent, elle presse le pas, gravit les sablons: il doit ?tre l?. Ses suggestions ne l'ont pas tromp?e. Ext?nu? de fatigue, h?ve, poudreux, ensanglant?, ? demi vautr?, dress? sur ses coudes, le menton dans les poings, sa canardi?re ? port?e de la main, l'Esprot appara?t tout ? coup ? la jeune fille. C'est bien ainsi que Gentillie l'avait r?v?. Brun, cr?pu, plus basan? qu'un p?cheur de la c?te, nerveux comme un lynx, efflanqu? comme un chat de goutti?re, des yeux aussi noirs mais aussi inflammables que la poix: le voil?, ce Kriel Pintloon, ce mauvais bougre! Et Gentillie trouve ce noiraud, ce s?cheron autrement magnifique que le grand Sander. En la voyant venir ? lui, r?solue, foulant le terrain croulier d'un pied aussi s?r qu'une coureuse de gr?ves, indiff?rente aux piq?res des ?pines noires et des argousiers, dans la clart? douteuse du matin, Kriel Pintloon se dresse d'un bond, atteint son fusil, ?paule: --Hol?, que veux-tu? Que viens-tu faire ici? --Vivre avec toi! r?pond-elle avec simplicit?, comme si c'?tait chose convenue depuis longtemps entre eux. < --Si c'est moi! Et apr?s? Les cent florins de la prime t'auraient-ils all?ch?e, par hasard? Dans ce cas tu as compt? sans ton homme, ma mie.... Allons, haut le pied ou je tire! --Je veux vivre avec toi! r?p?te Gentillie sans se laisser intimider. --Ah ?a, te moquerais-tu de moi? ricana le bourru. Vivre avec Pintloon! Tu n'est pas d?go?t?e, la g?nisse? Pourquoi pas t'offrir tout de suite au diable.... Assez de balivernes! Allons, d?campe.... Pour toute r?ponse elle continue de marcher vers lui. --Par exemple! s'exclame Kriel. En voil? une qui a du toupet! Puis, comme elle le rejoint, apr?s l'avoir d?visag?e un instant: < Justement elle avait eu le bon esprit de se munir de son souper de prisonni?re et elle lui passe le quignon de pain noir. En le d?vorant ? belles dents, il poursuivait sans m?me la remercier: --Ce n'est pas tout. Je vais manquer ? mes engagements.... Veux-tu filer pour Adinkerque?... Demande Zele, dit la Tonne; mande-lui que tu viens de la part de l'Esprot. Il te remettra soixante kilos de Wervicq, avec lesquels tu t'arrangeras pour passer de l'autre c?t?; d'ailleurs, il t'instruira en cons?quence; si j'en r?chappe, tu me trouveras chez la Tonne, ? ton retour. Pour ta gouverne, les habits verts ont des fusils et leurs chiens des crocs. Salut et bonne chance. Sans rien dire, Gentillie d?vala de la butte. Lui se dirigea d'un autre c?t?. Lest?, redevenu indiff?rent, sceptique, il sifflotait une bourr?e. Six jours se pass?rent. Parvenu encore une fois ? d?pister ses traqueurs, l'Esprot se trouvait dans l'arri?re boutique de la Tonne ? Adinkerque. Gentillie ?tait en retard, mais l'Esprot ne s'inqui?tait que de la provision de tabac. L'aurait-elle vol?? se disait le contrebandier. Le septi?me jour, elle reparut souriante, radieuse, mais blanche comme une morte. Elle tra?nait la jambe et ses v?tements de paysanne ais?e s'effilochaient ? pr?sent comme ceux d'une bagasse. Avant de prendre le temps de la d?visager il l'interpella d'un ton rogue: < --Tu te trompes! Ils ne m'ont rien pris. Voici l'argent.... Kriel agrippe et compte rapidement la poign?e de num?raire, le coule dans son gousset, et, un peu radouci, examinant son auxiliaire: --Pourtant ils t'ont trou? la peau.... Tu as les jupes pass?es ? l'amidon rouge.... --Peuh! leurs chiens m'ont fait des agaceries.... Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2025 All Rights reserved.