|
Read Ebook: Scènes de mer Tome I by Corbi Re Edouard
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 977 lines and 47768 words, and 20 pagesSc?nes de mer. Par Edouard Corbi?re. PARIS. HIPPOLYTE SOUVERAIN, ?DITEUR, RUE DES BEAUX-ARTS, 3 BIS. OUVRAGES EDOUARD CORBI?RE. Le n?grier La mer et les marins Les pilotes de l'iroise Les contes de bord Le prisonnier de guerre Les aspirans de marine Deux lions pour une femme CHAPITRE PREMIER. Les Deux Jocondes Marins. Le d?sir de r?aliser quelques bons projets de sp?culation avait r?uni ? bord du m?me brick deux individus d'humeur et d'esp?ces diff?rentes. L'un ?tait le capitaine Sautard; L'autre, le subr?cargue Laurenfuite. Le capitaine Sautard ?tait un de ces hommes qui, ayant us? de tout un peu et n'ayant abus? de rien, allait au positif par tous les chemins possibles, hors ceux des douces illusions. Quand une bonne occasion se rencontrait sur sa route, il cherchait ? la saisir, en vrai corsaire, comme il aurait fait d'une prise richement charg?e. Mais quand la fortune qu'il aurait ?t? bien aise de t?ter semblait vouloir le faire courir long-temps apr?s elle, il laissait l? la fortune, sans se d?cider ? faire cent pas pour la ramener ? lui. Figurez-vous un gros petit ?tre un peu plus que blond, un peu moins que rouge, d'une physionomie commune et riante, ?g? ? peu pr?s d'une quarantaine d'ann?es, et vous aurez approximativement une id?e de l'ext?-rieur d'homme dans lequel se refl?tait le caract?re du capitaine Sautard. Quant ? M. Laurenfuite, le subr?cargue, c'?tait une tout autre affaire. --C'est encore le subr?cargue qui aura voulu d?rouiller sa guimbarde que le diable confonde! Voil? d?j? du vent ? deux ris! Que Lucifer l'enl?ve! --Ah ?a! r?pliquait un troisi?me interlocuteur, je voudrais bien savoir si le cap'taine, qui est ma?tre apr?s Dieu ? son bord, n'aurait pas le droit d'emp?cher M. Laurenfuite de miauler comme il le fait avec accompagnement de guitare? Les ordonnances de la subordination ? bord des navires ne sont-elles pas faites tout aussi bien pour le subr?cargue que pour nous et les passagers? Or, qui manque aux ordonnances doit ?tre puni; ainsi on peut par cons?quent emp?cher le chant et les accompagnemens ? bord de nous, par ordre du cap'taine. --C'est vrai ce que tu dis l?; mais il n'en est pas moins fichant que, quand il chante, le mauvais temps vienne nous tomber sur le casaquin, comme pauvret? sur mis?re. M. Laurenfuite, comme vous vous l'imaginez bien, ?tait ? cent lieues de supposer qu'il p?t inspirer, avec son talent d'artiste, une aussi f?cheuse opinion sur son m?rite musical. Sa guitare lui avait valu d?j? trop de conqu?tes et de coups de b?ton, pour qu'il ne la regard?t pas au contraire comme un talisman vainqueur et un moyen assur? de plaire ? tout le monde, except? aux amans et aux maris. Il racontait ga?ment qu'? Cadix il avait mis tous les ?poux de la ville en campagne, pour trois ou quatre s?r?nades qu'il s'?tait expos? ? donner aux plus jolies Andalouses. La femme d'un prince italien lui avait jet? par la fen?tre, pour prix d'un de ses couplets, une grosse bague en faux, qu'il portait encore au doigt, comme le troph?e d'une de ses plus notables victoires. Partout enfin o? son ?tat de commis-voyageur sur mer l'avait appel?, il s'?tait vu oblig? de s?duire, dans les momens de loisirs que lui laissaient ses affaires, les femmes les plus aimables et les plus passionn?es des places maritimes du globe. A la c?te d'Afrique m?me il avait pouss? si loin l'art fatal qu'il avait de d?sunir les m?nages, qu'un roi n?gre avait fini par le chasser de ses ?tats, en le contraignant ? embarquer avec lui l'?pouse infid?le qu'il ?tait parvenu ? subjuguer au bout de deux ou trois romances de sa composition. Le moyen, je vous le demande, apr?s des succ?s aussi signal?s, de contester la puissance de la guitare de M. Laurenfuite, qui d'ailleurs ne paraissait sur le pont du navire, m?me ? la mer, qu'avec une cravate toute rouge, en sautoir, et ?pingl?e de deux grosses ?pingles attach?es entre elles par une cha?nette en or? Or, je vous le demande encore, comment est-il possible de chercher ? persuader ? un homme qui porte une cravate rouge-cachemire, qu'il n'est pas le plus adorable de tous les mortels qui veulent bien se donner la peine de d?shonorer toutes les femmes? Ah! j'oubliais encore de dire que M. Laurenfuite, ? tous les dons personnels que j'ai d?j? cit?s, joignait l'avantage d'avoir une paire de gros favoris noirs luisans dont il prenait le soin le plus scrupuleux. C'?tait un de ses moyens de conqu?te les plus assur?s, et il n'y aurait pas renonc?, j'en suis moralement s?r, pour toute une cargaison de sucre Havane. Le romantique c'?tait M. Laurenfuite. Le classique c'?tait le capitaine Sautard. Ces deux repr?sentans des doctrines litt?raires qui divisent aujourd'hui la France de la Porte-Saint-Martin et du caf? de Paris, se rendaient assez b?tement ? Sierra-Leone; ou plut?t, commercialement parlant, ils allaient assez b?tement ?changer l? leurs marchandises contre des ?cus. Chemin faisant et avant d'arriver ? leur destination, les deux associ?s touch?rent ? T?n?riffe pour y prendre douze pipes de Mad?re du cru, et aux ?les du Cap-Vert pour acheter six belles mules d'Espagne. Ils tenaient surtout ? n'avoir dans leur cargaison que du bon et du fin, et ? faire leur petit commerce avec le plus d'honneur et de probit? possible. Ce n'est pas pour rien, je vous l'assure bien, que l'antiquit?, qui avait aussi ses id?es, a donn? quatre ailes et un caduc?e ? Mercure, dieu du commerce et d'autre chose. De leur douze pipes de T?n?riffe, ils commenc?rent d'abord par faire quinze pipes d'excellent Mad?re sec; l'eau douce ne leur manquant pas plus, fort heureusement, que la bonne volont?. La sp?culation a aussi ses miracles. Mais de leurs six mules du Cap-Vert ils ne purent faire, comme ils l'auraient bien voulu, huit belles mules d'Espagne. C'est l? une marchandise qui ne rapporte dans les mains du vendeur que les b?n?fices monnay?s qu'elle peut procurer. Avis aux faiseurs de cargaison et de pacotille! Dans les colonies, il est assez facile, comme on sait, de faire marcher de front les affaires et le pouvoir: d'ailleurs, en se consignant ? la premi?re autorit? du lieu, les deux Fran?ais s'assuraient l'avantage de ne payer que de tr?s-faibles droits d'entr?e. C'?tait l? encore une chance ? prendre en consid?ration. Honneur et profit vont si bien ensemble, quand ils peuvent toutefois aller de compagnie! Ce gouverneur anglais avait une singuli?re maladie: il ?tait las de sa puissance et de son bonheur. Pour se distraire de la fatigue de lui-m?me, dans ce climat dont l'ardeur redouble, pour les oisifs, le fardeau de la vie, il avait d'abord pass? en revue chaque jour ses vingt-cinq ? trente hommes de garnison. Puis, apr?s s'?tre compos? un harem de toutes les belles n?gresses qui avaient brigu? l'honneur de lui offrir tout ce qu'elles avaient de mieux, il avait fini par prendre en aversion toute sa troupe, toute son autorit? et toutes ses noires odalisques m?me. Et, en effet, que peut donner une belle n?gresse quand elle a fait le sacrifice de ses charmes ? son ma?tre? Rien. Il n'y a que les femmes civilis?es qui aient chaque jour quelque chose de piquant ? ajouter aux faveurs qu'elles ont accord?es la veille. Ce fut ? la suite d'un grand d?ner, que l'esp?ce de vice-roi britannique de Sierra-Leone confia les chagrins de son bonheur ? ses deux brocanteurs fran?ais. La conversation qui s'?tablit entre ces trois personnages, dans cette occasion, vaut peut-?tre la peine d'?tre rapport?e ici mot pour mot. Elle prit au dessert un tour tout-?-fait philosophique. --Le Mad?re est bon, sans doute, quand il est fort; mais il n'y a rien d'aussi d?licieux, selon moi, que le Champagne ros? qui mousse, et les femmes sensibles qui... savent causer. A quoi M. Laurenfuite se permit de r?pondre aussit?t en chantant faux sans sa guitare: Femme jolie et du bon vin, C'est le vrai bonheur de la vie! Le capitaine Sautard, qui n'avait de voix que pour parler comme le commun des hommes, r?pondit de son c?t? en jetant les yeux sur son h?te illustre: --Ma foi, monsieur le gouverneur, je crois que vous ?tes bien difficile! Comment, vous ne trouvez pas ? faire votre bonheur avec la douzaine ou la quinzaine de jeunes n?gresses que vous avez dans votre parc? Il y en a l?, selon moi, trois fois plus qu'il ne m'en faudrait, si j'?tais gouverneur, pour m'amuser comme un dieu, du soir au matin! LE GOUVERNEUR.--Et ? moi aussi si j'?tais capitaine. Mais que faire de tant de n?gresses quand on est gouverneur! LE CAPITAINE.--Pardieu que faire! je le sais bien, moi! LE GOUVERNEUR.--Eh bien je ne le sais gu?re, moi, je vous l'assure. Pour passer le temps, je dors mollement, je fume quelquefois par enfantillage; car y a-t-il quelque chose au monde de plus pu?ril, je vous le demande, que de s'amuser ? faire sortir et ? voir s'?vaporer la l?g?re fum?e qui s'exhale d'une pipe ou du bout d'un cigare odorant? LE SUBR?CARGUE.--C'est vrai. C'est l? ce que je me suis dit mille fois d?j?, en voyant le capitaine Sautard fumer jour et nuit comme un Suisse. On voit bien que monseigneur a l'imagination orientale, car en effet Que sont les rangs et les honneurs? Ma foi de la fum?e! Ma foi de la fum?e LE GOUVERNEUR.--Croyez bien une chose, messieurs, il n'y a de bonheur r?el dans la vie et m?me dans l'amour que dans les plaisirs de l'intimit?. Poss?der un troupeau de femmes, ce n'est pas poss?der le coeur d'une femme. S'?tourdir, ce n'est pas jouir. LE SUBR?CARGUE.--Je pense bien, monseigneur, que si en effet vous aviez ? la place de toutes vos belles esclaves une de ces aimables et tendres Anglaises comme j'en ai vu dans les rues de Londres et ailleurs, vous passeriez plus agr?ablement le temps avec elle qu'avec toutes vos beaut?s d'?b?ne. LE GOUVERNEUR.--Les Anglaises, non! C'est une de vos piquantes, vives et sensibles Fran?aises qu'il me faudrait pour charmer, par sa ga?t? et son esprit, l'orgueilleuse solitude de ma place; car ici je suis seul au monde avec une autorit? que je n'exerce que sur des subordonn?s presque aussi ennuy?s que moi, ou sur des esclaves encore moins malheureux que leur ma?tre, peut-?tre. LE CAPITAINE.--Vous voudriez une Fran?aise ? Sierra-Leone! Peste, monsieur le gouverneur, vous n'?tes pas d?go?t?! Et moi aussi j'en voudrais bien une ou deux, ou trois m?me s'il ?tait possible. LE SUBR?CARGUE.--Mais ce que demande l? monseigneur n'est peut-?tre pas ? trouver chose aussi difficile qu'on le pense. LE CAPITAINE.--Comment! est-ce que vous auriez sous la main une de nos compatriotes ? procurer ? M. le gouverneur? LE SUBR?CARGUE.--Non pas; je ne parle nullement de cela. Je dis seulement qu'une belle et bonne Fran?aise ne serait pas si difficile ? trouver avec du temps. LE CAPITAINE.--Oh! avec du temps, avec du temps! Parbleu, je le crois bien; avec du temps on a b?ti Paris, ce qui ?tait, je pense, plus difficile que de p?cher ? la ligne une femme comme il y en a cinquante ? soixante mille sur le pav? de notre capitale. Add to tbrJar First Page Next Page |
Terms of Use Stock Market News! © gutenberg.org.in2025 All Rights reserved.