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Munafa ebook

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Read Ebook: Scènes de mer Tome I by Corbi Re Edouard

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Ebook has 977 lines and 47768 words, and 20 pages

LE CAPITAINE.--Oh! avec du temps, avec du temps! Parbleu, je le crois bien; avec du temps on a b?ti Paris, ce qui ?tait, je pense, plus difficile que de p?cher ? la ligne une femme comme il y en a cinquante ? soixante mille sur le pav? de notre capitale.

LE GOUVERNEUR.--C'est justement une Parisienne que je voudrais; car j'en ai connu de ces Parisiennes, et vraiment, avec votre vin de Champagne, c'est je crois ce que vous avez de mieux en France.

A Fran?aise vive et l?g?re Vous voulez consacrer vos soins et votre ardeur,

n'avez-vous pas cherch? ? vous faire venir une Parisienne ici?

LE GOUVERNEUR.--Et pourquoi vos Parisiennes sont-elles ? Paris et suis-je ? Sierra-Leone? Croyez-vous qu'il soit si facile de faire faire une si longue route ? vos aimables compatriotes, quelque l?g?res et quelque inconstantes qu'on puisse les supposer?

LE SUBR?CARGUE.--Les montagnes ne se rencontrent pas, monseigneur; mais un homme et une femme, c'est bien diff?rent. Avec de l'or, un peu de peine et autant d'adresse, on rapproche toutes les distances. Et puis, il est si ais? d'op?rer un rapprochement entre un gouverneur et une jolie Fran?aise?

LE CAPITAINE.--Oui, cela me semble assez naturel et assez faisable en effet. J'ai connu, dans le Br?sil, un vieux s?nateur qui se faisait fournir de femmes europ?ennes par tous les navires qui naviguaient entre Bordeaux ou Nantes et Bahia, et ce vieux drille ?tait un des plus grands consommateurs de sexe que j'aie jamais vu de ma vie; et pour vous en donner une id?e, tenez, je vais vous citer ici un de ses traits de consommation.

LE GOUVERNEUR.--Je suis ? cent lieues, capitaine, et je vous prie d'en ?tre bien convaincu, de me croire de cette force-l?; mais....

LE CAPITAINE.--Oh! ce que j'en dis, monsieur le gouverneur, vous entendez bien, ce n'est pas pour vous comparer ? ce vieux d?bauch? de s?nateur de Bahia, bien loin de l?; mais je voulais vous rappeler seulement qu'il y a sous la calotte du firmament des personnages bien ?tonnans pour la partie des femmes. A c?t? de quelques-uns d'entre eux, voyez-vous, vous et moi nous ne serions peut-?tre que des ganaches, comme j'ai l'honneur de vous le dire.

LE GOUVERNEUR.--Sans ?tre, comme je vous l'ai d?j? dit, d'une force aussi redoutable, j'aime, je l'avouerai, ces femmes aimables qui vous s?duisent par des riens, qui vous agacent par de petites contrari?t?s m?me. Je sens que pour moi, ?tre irrit? ce serait vivre, respirer, presque jouir encore....

LE CAPITAINE.--J'entends; c'est comme M. Laurenfuite, que vous voyez; un temp?rament blas? sur l'article! C'est des ?pices qu'il faut ? ces temp?ramens-l?, comme du piment pour les palais qui ne sentent plus le vinaigre et le poivre.

LE SUBR?CARGUE.--Mais, de gr?ce, mon cher capitaine Sautard, laissez M. le gouverneur achever! Vous l'interrompez toujours dans les passages les plus int?ressans.

LE CAPITAINE.--Tiens, en voil? bien une autre ? pr?sent! Est-ce que j'emp?che, par hasard, M. le gouverneur de parler tout ? son aise? au contraire, vous voyez bien que je l'?coute tant que je peux. Continuez, si vous le voulez bien, monsieur le gouverneur de Sierra-Leone; vous me faites plaisir, et je suis tout oreilles depuis que vous avez parl? de Fran?aises et de Parisiennes. Oh! les gueuses de femmes! les gueuses de femmes! c'est le paradis pour moi, quand ce n'est pas l'enfer. M'y v'l?; je suis tout ? ce que vous allez me dire.

LE GOUVERNEUR.--Jamais la solitude ? laquelle mon gouvernement m'a condamn? au milieu de tout mon monde ne m'a paru plus pesante que depuis que je n'ai plus aupr?s de moi une amie ? qui je puisse communiquer toutes mes pens?es, faire partager toutes mes ?motions, et confier quelquefois toutes mes peines.

LE SUBR?CARGUE.--Mais vous avez donc eu le bonheur de poss?der ici une amie digne de vos pr?cieuses confidences et de votre tendresse?

LE GOUVERNEUR.--Oui; une esclave qui avait re?u assez d'?ducation pour me comprendre.... Mais des raisons d'?conomie m'ont forc? ? me priver d'elle, ? mon grand regret....

LE CAPITAINE.--C'est-?-dire que, comme Joseph, qui fut brocant? par ses fr?res, votre douce amie a ?t? mise ? l'encan. Ah! que voulez-vous? quelquefois il faut bien en passer par l?. Mais en France, voil? un avantage que nous n'avons pas: les femmes se louent; mais malheureusement nous n'avons pas le droit de les vendre.

LE SUBR?CARGUE.--Et pourquoi, monsieur le gouverneur, n'avez-vous pas charg? les capitaines fran?ais qui viennent de temps ? autre vous visiter de vous ramener une Parisienne pour votre usage particulier et pour vous consoler de votre veuvage?

LE GOUVERNEUR.--Aucun d'eux ne m'inspirait assez de confiance pour que je le chargeasse d'une mission aussi difficile et aussi d?licate.

LE CAPITAINE.--Ah! je le crois bien! Les femmes sont une marchandise si chanceuse! On dit que c'est comme les melons, et qu'il faut en go?ter plusieurs avant de r?ussir ? en trouver une bonne.

LE GOUVERNEUR.--Et puis, ? vous dire vrai, jamais je n'ai eu l'occasion d'avoir avec les capitaines de votre nation la conversation que nous venons d'entamer ensemble.

LE SUBR?CARGUE.--Et si nous nous chargions, le capitaine Sautard et moi, ? notre premier voyage dans votre gouvernement, de vous rapporter de France la beaut? qu'il vous faut pour dissiper vos ennuis et charmer votre existence!

LE GOUVERNEUR.--Mais est-ce l? une chose bien possible?

LE SUBR?CARGUE.--C'est la chose du monde la plus facile, si vous me donnez un ordre et si nous nous en m?lons tous les deux.

LE CAPITAINE.--Il n'y a pas de doute; si vous vous en m?lez surtout, monsieur Laurenfuite. Tel que vous le voyez, monsieur le gouverneur, cet homme-l? est un des plus fameux connaisseurs, et avec son talent pour le chant et la guitare, il est fait pour vous p?cher la plus jolie femme de Paris, en trois couplets, avec ou sans accompagnement.

LE GOUVERNEUR.--Oui; mais entendons-nous. Dans le cas o? nous viendrions ? conclure le fol arrangement que vous me proposez, c'est pour mon compte et non pas pour le v?tre que je voudrais qu'on me ramen?t une femme ici.

LE CAPITAINE.--Comment le comprenez-vous donc! J'esp?re bien que l'affaire se passerait ainsi. D'ailleurs, nous autres, voyez-vous, nous n'avons jamais l'habitude de toucher ? la marchandise que l'on nous confie.... Demandez plut?t ? M. le subr?cargue.

LE SUBR?CARGUE.--Mais, pour preuve de nos scrupules ? cet ?gard, M. le gouverneur n'a qu'? nous faire le plaisir de d?guster ce verre de Mad?re que j'ai eu l'honneur de lui verser. Il verra bien au go?t si nous avons respect? la marchandise en route. Avec les quinze pipes que nous avons prises ? Funchal, nous eussions pu en faire dix-huit ou vingt pipes sans nous g?ner, et cependant....

LE CAPITAINE.--Et nous aurions bien pu m?me toucher tout bonnement ? T?n?riffe, et faire passer ensuite le liquide de notre cargaison pour du Mad?re sec et estampill? dans l'?le; mais, fi donc! rien que d'y penser cela ferait mal au coeur.

LE SUBR?CARGUE.--Nous a vous bien mieux aim? gagner moins, fournir mieux, et rester ensuite en paix avec notre conscience d'honn?tes sp?culateurs.... Eh bien! ce que nous avons fait pour le Mad?re, nous le ferons pour la personne que nous vous laisserons au prix co?tant. Loin de chercher ? la frauder, nous l'emballerons avec le plus grand soin et le plus parfait d?sint?ressement.

LE GOUVERNEUR.--Et quel serait encore ce prix co?tant?

LE SUBR?CARGUE.--Je ne pourrais gu?re vous le dire maintenant, ? quelques francs pr?s, attendu que je n'ai pas encore fait de ces genres d'affaires. Mais tout ce que nous pouvons vous promettre, c'est que nous t?cherons de vous avoir ce qu'il y a de meilleur au plus doux prix possible.... Les brunes vous vont-elles?

LE GOUVERNEUR.--J'aime autant les blondes.

LE CAPITAINE.--C'est comme moi, et je dirai m?me que j'aime mieux les blondes, pourvu qu'elles ne tirent pas trop sur le rouge vif.

LE SUBR?CARGUE.--Les aimez-vous hautes en taille?

LE GOUVERNEUR.--Mais pas trop, entre les deux.

LE CAPITAINE.--C'est encore comme moi, si ce n'est que je ne suis pas f?ch? de les avoir dans les dimensions de quatre pieds onze ? cinq pieds deux ou trois pouces.

LE SUBR?CARGUE.--Et vous les faut-il grasses ou maigres?

LE GOUVERNEUR.--Un peu plus fortes que fluettes.

LE CAPITAINE.--Comme qui dirait potel?es, n'est-ce pas? Oui, parce qu'une fois dans ce climat-ci, elles maigrissent que de reste par l'effet de la transpiration. Le d?chet de la marchandise est toujours bon ? pr?voir.

LE SUBR?CARGUE.--Nous voil? donc fix?s sur la qualit? et l'esp?ce de notre commande, et je vous promets, monsieur le gouverneur, de donner tous mes soins ? remplir la commission dont vous voulez bien me charger.

LE GOUVERNEUR.--Doucement, messieurs, je ne vous charge express?ment de rien, et je ne me sens pas encore dispos? ? faire d'une plaisanterie une affaire de commerce en r?gle. Que dirait-on, bon Dieu, en Angleterre, si l'on venait ? apprendre que le gouverneur d'une des possessions de sa majest? britannique a fait la traite des blanches? Il y aurait l? de quoi me brouiller ? tout jamais avec mon gouvernement et avec tous les philanthropes du monde!

LE CAPITAINE.--Et ma foi! au bout du compte, on dirait tout ce qu'on voudrait! Tiens! la belle affaire! Ne vaut-il pas mieux faire la traite des blanches de bonne volont?, que la traite des n?gresses par force! C'est pour votre bonheur que nous travaillerons, monsieur le gouverneur. C'est l? ce ? quoi il faut que vous pensiez d'abord. Les consid?rations viendront apr?s.... Nous vous am?nerons une jolie poulette du premier num?ro ? notre prochain voyage, et puis ma foi, quand vous la tiendrez, vogue la gal?re! Voil? comme je suis, moi!

LE GOUVERNEUR.--Si, comme je suis bien loin encore de supposer, vous m'ameniez une femme, je la prendrais peut-?tre pour une semaine ou deux, je ne m'en d?fends pas. Mais dans le cas o? vous feriez cette folie, tenez-vous bien pour avertis, messieurs, que je ne me suis m?l? de rien, et que je laisserai tout sur votre compte.

LE SUBR?CARGUE.--Except? cependant les frais d'exp?dition de la marchandise, monseigneur?

LE GOUVERNEUR.--Les frais de la marchandise?... Oui, je ne me refuse pas de les faire, si, comme vous me le dites, la marchandise me convient. J'ai tant prodigu? d'or pour des femmes qui valaient si peu, qu'en v?rit? je croirais bien pouvoir d?bourser quelques guin?es pour une jolie Europ?enne.

LE CAPITAINE.--C'est cela, morbleu. Voil? une affaire conclue. J'aime cette rondeur dans les relations commerciales.

LE SUBR?CARGUE.--Et d?s demain je vous pr?senterai, monseigneur, un petit projet de connaissement pour r?gler nos conditions.

LE CAPITAINE.--Fort bien; voil? qui est entendu. Il n'y faut plus penser. Voyons, monsieur Laurenfuite, pour changer la conversation, chantez-nous donc une de ces jolies romances que vous nous r?p?tez d'un bout de la travers?e ? l'autre.... Vous allez l'entendre, monseigneur; ce gaillard-l? chante, quand il veut s'en donner la peine, comme une dorade. C'est ? mourir de rire lorsqu'il se lance ? pleine voix dans la zone tropicale du sentiment. A bord, moi qui vous parle, je ne puis pas souffrir qu'il roucoule; mais ? terre, rien ne m'amuse autant que de l'entendre s'escrimer sur la musique, en roulant ses yeux comme une carpe frite.

LE SUBR?CARGUE.--Mais savez-vous bien, capitaine Sautard, que ce que vous dites l? ne serait gu?re propre ? donner ? son excellence l'envie de m'entendre chanter! Je veux bien croire que je suis loin d'?tre un Orph?e, mais sans pr?tendre ? ?galer les virtuoses, je puis fort bien avoir mon m?rite comme amateur.

LE GOUVERNEUR.--Je n'en doute pas un seul instant, monsieur le subr?cargue, et pour nous prouver que le vrai talent peut s'allier ? la modestie, ayez la complaisance de nous chanter une romance; c'est un plaisir nouveau que vous me procurerez.

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