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Munafa ebook

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Read Ebook: Mémoires pour servir à l'Histoire de mon temps (Tome 7) by Guizot Fran Ois

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Ebook has 652 lines and 83005 words, and 14 pages

yant besoin de gu?rir vite, j'ai suppli? le docteur de m'appliquer les rem?des les plus ?nergiques pour dissiper ma violente maladie de poitrine; les pommades r?vulsives, les v?sicatoires, les purgations, les compresses camphr?es, l'eau s?dative, rien n'a ?t? n?glig?; on m'a martyris?; ma poitrine n'est qu'une plaie, et cependant il n'y a pas d'am?lioration dans mon ?tat int?rieur. Je commence ? craindre s?rieusement de n'?tre pas en ?tat de me rendre ? Paris avant la fin du mois, et d?s lors, qu'irais-je y faire? Les partis seront pris; la commission aura fait son rapport; s'il est favorable, la chose ira probablement bien; s'il ne l'?tait pas, ce ne serait pas moi qui ferais changer le r?sultat.>>

En pr?sence de cette r?solution du mar?chal; le projet de loi cessait d'?tre, pour le cabinet, une question embarrassante; c'?tait ? lui que nous avions accord? cette tentative; sans lui, et dans la perspective de sa retraite, le d?bat n'?tait pas s?rieux. M. de Tocqueville fit, le 2 juin, au nom de la commission, un rapport dans lequel, apr?s avoir discut? les divers plans de colonisation, et en particulier celui des camps agricoles, il conclut au rejet du cr?dit demand? pour en faire l'essai. Huit jours apr?s la lecture de ce rapport, le gouvernement retira le projet de loi.

On a dit souvent que le roi Louis-Philippe avait impos? son fils au cabinet et ? l'Alg?rie, uniquement par faveur et dans un int?r?t de famille; rien n'est plus faux; le Roi d?sirait sans doute que les princes ses fils affermissent sa race en l'honorant; mais il n'a jamais eu, ? ce sujet, ni exigence, ni impatience, et il n'a mis ses fils en avant que lorsqu'il les a jug?s capables de bien servir le pays. Pour M. le duc d'Aumale en particulier, le Roi a attendu que le temps et les faits appelassent naturellement le prince au poste qu'il lui d?sirait; l'occasion ne pouvait ?tre plus favorable; c'?tait uniquement ? cause du d?saccord entre ses id?es et celles des Chambres et par un acte de sa propre volont? que le mar?chal Bugeaud se retirait; le choix du duc d'Aumale pour lui succ?der fut d?cid? uniquement par des motifs puis?s dans l'int?r?t de la France comme de l'Alg?rie, et de l'administration civile comme de l'arm?e; le cabinet en fut d'avis autant que le Roi; et quand, le 11 septembre 1847, ce prince re?ut la charge de gouverneur g?n?ral de nos possessions d'Afrique, il y fut appel? comme le successeur le plus naturel du mar?chal Bugeaud, et comme celui qu'accepteraient le plus volontiers les hommes ?minents qui auraient pu pr?tendre au pouvoir dont il fut rev?tu, comme les soldats et les peuples sur qui ce pouvoir devait s'exercer.

CHAPITRE XLII

LES MUSULMANS A PARIS.--LA TURQUIE ET LA GR?CE. .

Chefs musulmans ? Paris, de 1845 ? 1847.--Ben-Achache, ambassadeur du Maroc.--Ahmed-Pacha, bey de Tunis.--Ibrahim-Pacha, fils du vice-roi d'?gypte M?h?met-Ali.--Mirza-Mohammed-Ali-Khan, ambassadeur de Perse.--R?chid-Pacha, grand vizir.--St?rilit? des tentatives de r?forme de l'Empire ottoman.--Il ne faut pas se payer d'apparences.--Affaires de Syrie.--Progr?s dans la condition des chr?tiens de Syrie, de 1845 ? 1848.--Affaire du consulat de France ? J?rusalem en 1843.--Question des ren?gats en Turquie.--De la situation de l'Empire ottoman en Europe.--Affaires de Gr?ce.--M. Colettis et M. Piscatory.--M. Piscatory et sir Edmond Lyons.--Le roi Othon.--Mes instructions ? M. Piscatory.--R?volution d'Ath?nes .--Opinion de M. Colettis.--Assembl?e nationale en Gr?ce.--?tablissement du r?gime constitutionnel.--Sentiments des cabinets de Londres, de P?tersbourg et de Vienne.--Arriv?e de M. Colettis en Gr?ce.--Minist?re Maurocordato.--Sa chute.--Minist?re Colettis et Metaxa.--M. Metaxa se retire.--Minist?re Colettis.--Hostilit? de sir Edmond Lyons.--Ma correspondance avec M. Colettis.--Attitude de sir Edmond Lyons envers M. Piscatory.--Instructions de lord Aberdeen.--Chute du cabinet de sir Robert Peel et de lord Aberdeen.--Lord Palmerston rentre aux affaires en Angleterre.--Son attitude envers la Gr?ce et le minist?re de M. Colettis.--Fermet? de M. Colettis.--Troubles int?rieurs en Gr?ce.--M. Colettis les r?prime.--Querelle entre les cours d'Ath?nes et de Constantinople.--Maladie et mort de M. Colettis.

De 1845 ? 1847, j'ai vu arriver ? Paris les repr?sentants de toutes les grandes puissances musulmanes d'Europe, d'Afrique et d'Asie: Sidi-Mohammed-ben-Achache, ambassadeur de l'empereur du Maroc; Ibrahim-Pacha, fils a?n? et h?ritier du vice-roi d'?gypte, M?h?met-Ali; Ahmed-Pacha, bey de Tunis; Mirza Mohammed-Ali-Khan, ambassadeur du schah de Perse. A la m?me ?poque, le r?formateur de la Turquie, R?chid-Pacha, ?tait ambassadeur de la Porte en France, et quittait son poste pour aller reprendre, ? Constantinople, d'abord celui de ministre des affaires ?trang?res, puis celui de grand vizir. J'ai trait?, non-seulement de loin et par correspondance, mais de pr?s et par conversation avec ces chefs musulmans qui, par leur pr?sence presque simultan?e, rendaient tous hommage ? la politique comme ? la puissance fran?aise, et venaient rechercher, avec le gouvernement du roi Louis-Philippe, des liens plus ?troits. J'ai trouv? en eux des hommes tr?s-divers, plac?s ? des degr?s in?gaux de civilisation et de lumi?res, et souvent anim?s de desseins contraires. Mes rapports avec eux tous ont abouti ? me donner, du monde musulman en contact avec le monde chr?tien, la m?me id?e et ? me faire pressentir le m?me avenir. Il n'y a rien de s?rieux ? esp?rer du monde musulman, ni pour sa propre r?forme, ni pour les chr?tiens que le malheur des ?v?nements a plac?s sous ses lois.

Le Marocain Sidi-Mohammed-ben-Achache ?tait un jeune Arabe d'une figure charmante, grave, modeste et douce, de mani?res ?l?gantes et tranquilles, attentif ? se montrer scrupuleusement attach? ? sa foi, respectueux avec dignit? et plus pr?occup? de se faire respecter et bien venir, lui et le souverain qu'il repr?sentait, que d'atteindre un but politique d?termin?. Sa personne et son air rappelaient ces derniers Maures Abencerrages de Grenade dont sa famille perp?tuait ? T?tuan, o? elle s'?tait ?tablie en quittant l'Espagne, la grande existence et les souvenirs. Il ?tait envoy? ? Paris pour faire, entre la France et le Maroc, acte de bons rapports et pour donner au trait? du 10 septembre 1844 tout l'?clat de la paix, plut?t que pour conclure avec nous aucun arrangement sp?cial et efficace.

Le bey de Tunis, Ahmed-Pacha, se conduisit, pendant tout son s?jour en France, en politique intelligent et adroit, sans vraie ni rare distinction, mais avec un aplomb remarquable, soigneux de conserver une attitude de prince souverain en faisant sa cour ? un puissant voisin de qui il attendait sa s?ret?. Il ne cessait de se r?pandre en admiration et en flatterie sur la civilisation chr?tienne et fran?aise, tout en restant musulman de moeurs et de go?ts, quoique sans z?le. Peu avant de venir en France, il avait, pour plaire aux philanthropes chr?tiens, d?cr?t? dans sa r?gence l'abolition de l'esclavage des noirs. A Paris, ? Lyon, ? Marseille, partout o? il s'arr?tait, il faisait aux ?tablissements charitables d'abondantes largesses. Il s'empressait ? promettre des r?formes qui ne lui inspiraient ni go?t, ni confiance, et il croyait pouvoir toujours payer, avec des compliments et des pr?sents, les services dont il avait besoin.

Ibrahim-Pacha ?tait un soldat vaillant avec prudence, plus rus? que fin, et sens? avec des sentiments et des habitudes vulgaires. La haute fortune, la soci?t? intime et la forte discipline de son p?re avaient fait de lui ce qu'un homme sup?rieur peut faire d'un homme m?diocre; il savait comprendre et servir un dessein, commander des troupes, administrer des domaines; mais il ?tait ?tranger ? toute vue ?lev?e, ? toute initiative originale et hardie, plus avide qu'ambitieux, avare jusqu'? la parcimonie, pr?occup? surtout, comme il le disait lui-m?me, du d?sir de devenir le prince le plus riche du monde, sans souci et sans don de plaire, et capable de cruaut? comme de servilit? dans l'exercice d'une autorit? qu'il e?t ?t? incapable de fonder. Il subissait avec terreur l'ascendant de son p?re: lorsque, en 1844, M?h?met-Ali, dans un acc?s de col?re qui touchait ? la folie, quitta tout ? coup Alexandrie pour se rendre au Caire, en mena?ant d'un ch?timent exemplaire tous ceux qu'il laissait derri?re lui, <> Tant de docilit? ne donnait pas au vice-roi plus de confiance ou de complaisance pour son fils. Ibrahim malade eut quelque peine ? obtenir de son p?re la permission de se rendre en France, aux eaux thermales du Vernet, que lui conseillait le docteur Lallemand, son m?decin. Il y vint enfin, sans aucun but politique, et, apr?s trois mois de s?jour au Vernet, il parcourut la France et passa six semaines ? Paris, en observateur froidement curieux, plus pr?occup? de sa sant? et de ses grossiers plaisirs que de son avenir. <> disait M?h?met-Ali, et le p?re surv?cut en effet ? son fils, en m?me temps qu'? sa propre raison. L'?tablissement h?r?ditaire de sa famille en ?gypte, et l'?gypte ouverte, comme un beau et fertile champ, aux travaux et aux rivalit?s de l'Europe, le g?nie et la gloire de M?h?met-Ali ont fait cela, mais rien de plus.

L'ambassadeur persan, Mirza Mohammed Ali-Khan, ?tait un courtisan insignifiant, envoy? en France par le schah son ma?tre, plut?t par vanit? que par dessein s?rieux, peut-?tre pour satisfaire ? quelque intrigue ou ? quelque rivalit? de la cour de T?h?ran. Sa pr?sence ? Paris et sa conversation ne firent que me confirmer dans l'id?e que j'avais d?j? de l'?tat de d?cadence et d'anarchie st?rile dans lequel la Perse ?tait depuis longtemps tomb?e.

Il manquait ? R?chid-Pacha l'une des qualit?s les plus n?cessaires au succ?s de l'oeuvre qu'il tentait dans son pays; il ?tait trop peu Turc lui-m?me pour ?tre, en Turquie, un puissant r?formateur. Quand Pierre le Grand entreprit de lancer la Russie dans la civilisation europ?enne, il ?tait et resta profond?ment russe; novateur ambitieux et audacieux, il voulait grandir rapidement sa nation, mais il lui ?tait semblable et sympathique par les moeurs, les passions, les traditions, les rudes et barbares pratiques de la vie. Le sultan Mahmoud II ?tait aussi Turc que les janissaires qu'il d?truisait, et ses efforts avaient pour but de r?tablir partout son pouvoir bien plus que de r?former l'?tat social et le gouvernement de ses peuples. ?lev? d?s sa jeunesse et engag? toute sa vie dans les relations de la Turquie avec l'Europe, R?chid-Pacha devint surtout un diplomate europ?en: observateur plus fin que profond et politique adroit sans courage, il avait l'esprit frapp? des p?rils que faisaient courir ? sa patrie les entreprises et les luttes des grandes puissances europ?ennes; il s'adonna au d?sir et ? l'espoir de faire p?n?trer dans l'empire ottoman quelques-unes des conditions et des r?gles de la civilisation europ?enne: non que, dans le fond de son coeur, il l'admir?t et l'aim?t mieux que les moeurs et les traditions musulmanes: <> mais il voyait, dans une certaine assimilation du gouvernement turc aux gouvernements europ?ens, le seul moyen de conserver, ? son pays et ? son ma?tre, dans la politique europ?enne, leur place et leur poids. Satisfaire l'Europe en Turquie pour maintenir la Turquie en Europe, ce fut l? son id?e dominante et constante. Pour r?ussir dans cette difficile entreprise, il avait ? lutter d'une part contre les intrigues et les rivalit?s du s?rail, de l'autre, contre les instincts, les traditions, les pr?jug?s et les passions fanatiques de son pays. Habile dans l'int?rieur du s?rail, aussi fin courtisan qu'intelligent diplomate, il r?ussit souvent ? prendre, garder et reprendre le pouvoir aupr?s du sultan; mais quand il fallait agir sur la vieille nation turque et l'entra?ner ? sa suite, il manquait de vigueur et d'autorit?; ni guerrier, ni fanatique, plus humain qu'il n'appartenait ? sa race et craintif jusqu'? la pusillanimit?, sa personne n'accr?ditait et ne soutenait pas ses r?formes; il jetait au vent des semences ?trang?res sans poss?der ni cultiver fortement lui-m?me le sol o? elles devaient prendre racine et cro?tre.

C'est, dans la vie publique, une tentation trop souvent accept?e que de payer le public et de se payer soi-m?mes d'apparences. Peu d'hommes prennent assez au s?rieux ce qu'ils font et eux-m?mes pour avoir ? coeur d'?tre vraiment efficaces et d'avancer r?ellement vers le but qu'ils poursuivent. Quand R?chid-Pacha avait publi? en Turquie et dans toute l'Europe les r?formes ?crites dans le hatti-sch?riff de Gulhan?, il ?tait satisfait de lui-m?me et pensait que l'Europe aussi devait ?tre satisfaite. Quand les diplomates europ?ens ? Constantinople avaient obtenu dans l'administration turque quelques progr?s et en faveur des chr?tiens d'Orient quelques concessions, ils croyaient avoir beaucoup fait pour l'affermissement de l'empire ottoman et pour la paix entre les musulmans et les chr?tiens r?unis sous ses lois. Mensonge ou illusion des deux parts: ni le r?formateur turc, ni les diplomates europ?ens ne se rendaient un compte assez s?v?re des probl?mes qu'ils avaient ? r?soudre et n'?taient assez exigeants avec eux-m?mes; s'ils avaient sond? ? fond les difficult?s de leurs entreprises et pes? exactement ce qu'ils appelaient leurs succ?s, ils auraient bient?t reconnu l'immense insuffisance de leurs oeuvres. Il ne faut pas leur reprocher avec trop de rigueur leur vaine confiance; l'homme a grand'peine ? croire qu'il fait si peu quand il promet tant, et quand il a quelquefois tant de peine ? prendre pour le peu qu'il fait. Mais ceux-l? seuls sont de vrais acteurs politiques et m?ritent l'attention de l'histoire qui, soit avant d'entreprendre, soit lorsqu'ils agissent, p?n?trent au del? de la surface des choses, ne prennent pas des apparences fugitives pour des r?sultats effectifs, et poursuivent fortement dans l'ex?cution le s?rieux accomplissement de leurs desseins.

Plus j'ai caus? et trait? avec ces politiques musulmans, les plus consid?rables et les plus ?clair?s de leurs pays divers, plus j'ai ?t? frapp? du vide et de l'impuissance qu'ils r?v?laient eux-m?mes dans cet islamisme dont ils ?taient les repr?sentants. Tous ?taient, au fond, tristes et inquiets de l'?tat de leur gouvernement et de leur nation; tous se montraient pr?occup?s d'un certain besoin de r?formes; mais il n'y avait, dans leurs id?es et leurs efforts en ce sens, ni spontan?it?, ni f?condit?; ils ne pensaient point; ils n'agissaient point sous l'impulsion de la pens?e propre et de l'activit? int?rieure de la soci?t? musulmane; leurs d?sirs et leurs travaux r?formateurs n'?taient que de p?nibles emprunts ? la civilisation europ?enne et chr?tienne; emprunts contract?s uniquement pour soutenir une vie chancelante, en s'assimilant un peu ? des ?trangers au voisinage et ? la puissance desquels on ne pouvait ?chapper. L'imitation et la crainte sont deux dispositions essentiellement st?riles; l'imitation ne p?n?tre point les masses et la contrainte demeure sans sinc?rit?. Livr?s ? eux-m?mes, tous ces musulmans, Turcs, ?gyptiens, Arabes, n'auraient rien fait de ce qu'on essayait sur eux; et pour quiconque n'?tait pas enclin ou oblig? ? se payer d'apparences, tout ce qu'on essayait ?tait superficiel et vain.

Je n'eus garde de c?der ? cette m?prise. J'ai d?j? dit avec quel soin, au lieu de pr?tendre ? exercer en Syrie une action isol?e et exclusive, je m'appliquai ? m'entendre avec les autres puissances europ?ennes pr?sentes, comme nous, sur ce th??tre, et ? unir dans un but commun ces influences s?par?es. Le prince de Metternich entra le premier dans ce concert, en en acceptant hautement le principe, mais avec mollesse dans l'ex?cution. Lord Aberdeen h?sita d'abord davantage, en homme moins empress? ? d?ployer ses id?es et plus exigeant pour lui-m?me quand il se d?cidait ? agir. Il reconnut bient?t la n?cessit? comme la justice de joindre son action ? la n?tre, et son ambassadeur ? Constantinople, sir Stratford Canning, plus ?pre et aussi s?rieux que lui, ex?cutait avec une loyale ?nergie des instructions conformes ? ses propres sentiments. Si j'eusse ?t? oblig? de sacrifier ? cette entente quelque chose de la politique naturelle et nationale de la France, j'aurais regrett? le sacrifice tout en en acceptant la n?cessit?; mais je n'eus rien de semblable ? faire: c'?tait le voeu et le caract?re essentiel de la politique fran?aise en Syrie que la province du Liban f?t plac?e sous l'autorit? d'un chef unique et chr?tien, sujet de la Porte et soumis, envers elle, ? certaines conditions, mais administrant directement les diverses populations de ce qu'on appelait la Montagne, parmi lesquelles les chr?tiens maronites ?taient la plus nombreuse et l'objet particulier de notre int?r?t. Ce mode de gouvernement ?tait consacr? depuis longtemps dans le Liban comme un privil?ge traditionnel, soutenu par la France, exerc? par la famille chr?tienne des Ch?abs, et dont le chef de cette famille, l'?mir Beschir, avait ?t?, dans ces derniers temps, l'habile, dur, avide, et quelquefois peu fid?le repr?sentant. C'?tait toute l'ambition de la Porte d'abolir ce privil?ge et de ramener le Liban sous la seule et directe autorit? d'un pacha turc; et ce fut l?, quand, en 1840, elle rentra en possession de la Syrie, toute sa politique dans cette province. Malgr? les d?savantages de notre position en Orient ? cette ?poque, je repris imm?diatement, non-seulement en principe, mais dans mes d?clarations ? la tribune et dans mon travail diplomatique, la politique de la France, le r?tablissement, dans le Liban, d'une administration unique et chr?tienne. De 1840 ? 1848, la lutte de ces deux politiques a ?t? toute l'histoire de la Syrie: soit dans notre concert avec les puissances europ?ennes, soit ? Constantinople et aupr?s de la Porte elle-m?me, nous n'avons pas cess? un moment de r?clamer la politique chr?tienne et fran?aise; avec quelque h?sitation et quelque lenteur, l'Angleterre et l'Autriche l'ont accept?e comme la seule efficace contre l'absurde tyrannie turque; et, malgr? des difficult?s sans cesse renaissantes, elle n'a pas cess?, durant cette ?poque, de faire, d'ann?e en ann?e, quelque nouveau progr?s.

En m?me temps que les m?mes vices et les m?mes maux, les m?mes essais de r?paration, de r?forme et de progr?s avaient lieu dans les diverses parties de l'empire ottoman. En juillet 1843, notre consul ? J?rusalem, le comte de Lantivy, nagu?re arriv? ? son poste, ?leva un peu pr?cipitamment le pavillon fran?ais sur la maison consulaire. Aux termes des capitulations, c'?tait notre droit; mais ? J?rusalem, regard?e par les musulmans comme une de leurs villes saintes et remplie d'une populace fanatique, ce droit n'avait ?t? depuis longtemps exerc? ni par le consul de France, ni par aucun des consuls ?trangers qui y r?sidaient. Une ?meute violente ?clata; la maison consulaire fut entour?e et un moment envahie; dans toute la ville les chr?tiens furent insult?s; le consul lui-m?me, en se rendant au divan local, courut quelques risques. Le pacha de J?rusalem, tout en reconnaissant notre droit et en faisant quelques d?monstrations contre l'?meute, l'avait encourag?e sous main et n'osait la punir. Avant m?me d'avoir re?u de moi aucun ordre, notre ambassadeur ? Constantinople porta plainte ? la Porte et demanda une r?paration s?v?re. Mes instructions lui prescrivirent de la poursuivre chaudement. La Porte h?sita, discuta, tra?na, offrit des moyens termes; elle c?da enfin, reconnut formellement notre droit et admit toutes nos conditions: <>

Une question plus d?licate encore s'?leva ? Constantinople. Un chr?tien arm?nien s'?tait fait mahom?tan. Au bout d'un an, saisi de repentir, il abjura de nouveau, et revint chr?tien ? Constantinople, croyant son islamisme oubli?. Il fut reconnu, arr?t? et condamn? a mort en vertu de la loi turque contre les ren?gats, ? moins qu'il ne retourn?t ? la religion musulmane. Sir Stratford Canning, ? qui sa famille s'adressa pour obtenir sa gr?ce, fit aupr?s des ministres turcs des efforts inutiles: l'Arm?nien fut ex?cut? dans les rues de Constantinople, refusant jusqu'au dernier moment le mot qui l'e?t sauv?. En m'informant de ce fait, M. de Bourqueney m'?crivit: <> Je r?pondis imm?diatement ? l'ambassadeur: <

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Partout ainsi les habitudes turques de violence, de fanatisme, d'arbitraire et d'anarchie provoquaient imm?diatement les r?clamations europ?ennes, et partout les r?parations suivaient de pr?s les offenses que les promesses et les tentatives de r?formes n'avaient pu pr?venir. Mais promesses, r?formes et r?parations n'?taient jamais que le r?sultat de la contrainte ou l'oeuvre d'une imitation incoh?rente et st?rile; l'Europe civilis?e pesait sur le gouvernement turc, et le gouvernement turc pliait sous la pression de l'Europe; mais il n'y avait l? aucun travail int?rieur, spontan? et libre de la nation turque, par cons?quent aucun progr?s v?ritable et durable. Seize ans se sont ?coul?s depuis cette ?poque; de grands ?v?nements se sont accomplis dans l'Europe orientale: la Turquie a-t-elle fait autre chose que les subir? S'est-elle plus r?form?e et d?velopp?e elle-m?me? A-t-elle mieux r?ussi ? se suffire elle-m?me? La Syrie a-t-elle ?t? plus exempte d'oppression, de d?vastation, de guerre civile, de pillage, de massacre? Les m?mes d?sordres, les m?mes exc?s, les m?mes maux se sont renouvel?s dans le monde musulman, avec la m?me impuissance de ses ma?tres pour en tarir la source par leur propre force; la m?me intervention europ?enne, diplomatique ou arm?e, a ?t? de plus en plus n?cessaire pour en arr?ter le cours, sans ?tre plus efficace pour en pr?venir le retour. La sagesse europ?enne veille, comme une sentinelle, ? la porte de l'Empire ottoman, pour emp?cher que les diverses ambitions europ?ennes ne pr?cipitent violemment sa ruine, et pour l'obliger ? ne pas ?tre, tant qu'il vit, en d?saccord trop choquant avec l'ordre europ?en. C'est l? tout ce qu'elle fait et tout ce qu'elle obtient.

Tant que cet empire ne se d?truit pas de lui-m?me et par ses propres vices, l'Europe, a raison de pratiquer envers lui cette politique de conservation patiente; les principes du droit des gens et les int?r?ts de l'?quilibre europ?en le lui conseillent ?galement; il y a l? des probl?mes que la force ambitieuse et pr?matur?e ne saurait r?soudre, et une Pologne musulmane serait, pour le monde chr?tien, la source de d?sordres immenses en m?me temps qu'une brutale agression. Mais si l'Europe ne doit pas, de propos d?lib?r? et pour se d?livrer d'un voisin moribond, mettre ou laisser mettre en pi?ces la Turquie, elle ne doit pas non plus ?tre dupe de fausses apparences et de fausses esp?rances; elle ne r?formera pas l'Empire ottoman; elle n'en fera pas un ?l?ment r?gulier et vivant de l'ordre europ?en; elle ne d?livrera pas de leur lamentable condition six millions de chr?tiens opprim?s par trois millions de Turcs qui, non-seulement leur font subir un joug odieux, mais qui leur ferment l'avenir auquel ils aspirent et pour lequel ils sont faits. Et quand telle ou telle portion de ces chr?tiens tente courageusement de s'affranchir et de redevenir un peuple, c'est, pour l'Europe civilis?e, la seule politique sens?e et efficace de leur venir s?rieusement en aide, et d'accomplir, par des mouvements naturels et partiels, la d?livrance de ces belles contr?es, l'une des deux sources de la civilisation europ?enne.

L'Europe entra dans cette politique quand elle accepta la r?surrection de la Gr?ce. Fran?ais, Anglais, Allemands, Russes, les peuples civilis?s et chr?tiens ne purent supporter le spectacle d'une petite population chr?tienne luttant h?ro?quement, apr?s des si?cles d'oppression, pour recouvrer dans le monde civilis? sa place et son nom. Par ?lan ou par calcul, de bonne ou de mauvaise gr?ce, l'Europe tendit la main ? la Gr?ce. Mais ? ce mouvement unanime se m?l?rent aussit?t les int?r?ts et les desseins les plus divers; on ne pouvait se d?fendre de la grande et honn?te politique; on la fit incons?quente et incoh?rente. A Londres, on se r?signait ? la Gr?ce affranchie; mais on n'en soutenait que plus fortement la Turquie ?br?ch?e. A P?tersbourg, on se f?licitait d'obtenir en Gr?ce un client ennemi des Turcs; mais on n'y voulait, ? aucun prix, d'un voisin ind?pendant et capable de devenir un rival. On permettait ? la Gr?ce de rena?tre, mais ? condition qu'elle serait si petite et si faible qu'elle ne pourrait grandir ni presque vivre. On aidait ce peuple ? sortir de son tombeau; mais on l'enfermait dans une prison trop ?troite pour ses membres ranim?s: <>

Je ne m'?tonne point de ces incoh?rences et de ces contradictions; je les reproche ? peine aux cabinets de Londres et de P?tersbourg; je sais l'empire qu'exercent sur la conduite des gouvernements la complication des situations et des int?r?ts, les traditions nationales et la n?cessit? de n'accorder, ? telle ou telle question particuli?re, qu'une place mesur?e sur son importance dans la politique g?n?rale de l'?tat. Mais pour ?tre naturelle et excusable, l'erreur n'en est pas moins r?elle et funeste; ce fut un fait malhabile et malheureux que de vouer la Gr?ce ? la langueur en lui rendant la vie, et ce fait devint la source de graves embarras et de fausses d?marches pour les puissances qui ?nervaient ainsi l'oeuvre m?me qu'elles accomplissaient. La France eut le bonheur de ne trouver, dans ses int?r?ts particuliers et sa politique g?n?rale, rien qui g?n?t son bon vouloir envers la Gr?ce; nous applaudissions ? sa r?surrection, non-seulement dans le pr?sent, mais dans l'avenir et avec tout ce que l'avenir pouvait lui apporter de grandeur. Tandis qu'? Londres on acceptait l'ind?pendance de la Gr?ce comme une malencontreuse n?cessit?, nous n'acceptions ? Paris que comme une n?cessit? f?cheuse les ?troites limites dans lesquelles on resserrait cette ind?pendance. Nous ne partagions ni les r?ves, ni les impatiences des Grecs; nous ?tions bien r?solus ? observer loyalement les trait?s qui venaient de fonder la Gr?ce, et ? maintenir, sur ce point, l'accord entre les trois puissances dont la protection commune ?tait indispensable ? sa vie renaissante. Mais en repoussant toute tentative d'extension contre la Turquie dans les provinces grecques qu'elle poss?dait encore, nous n'entendions point interdire aux Grecs les grandes esp?rances, et nous nous promettions de seconder, dans le petit ?tat devenu le coeur de la nation grecque, tous les progr?s int?rieurs de prosp?rit?, d'activit?, de bon gouvernement, de libert? r?guli?re, qui pouvaient pr?parer et l?gitimer ses destin?es futures. Nous avions confiance dans la vertu f?conde du germe, et nous voulions le cultiver d'une main amie, en attendant patiemment le fruit.

Je ne me dissimulais pas les difficult?s de cette politique, la rigueur des conseils que nous aurions ? donner aux Grecs, l'importance des m?nagements que nous aurions ? garder avec les cabinets europ?ens. Quelque identique et fixe que soit, pour des alli?s, le point de d?part, on n'y demeure pas immobile; les ?v?nements surviennent, les situations se d?veloppent; il faut agir, il faut marcher; et quand on diff?re sur les perspectives, quelque lointaines qu'elles soient, il n'y a pas moyen de rester toujours unis dans la route. Mais, en d?pit de ces embarras, la politique de la France en Gr?ce avait cet immense avantage qu'elle ?tait parfaitement exempte de r?ticence et d'incons?quence, sympathique en m?me temps que prudente, et favorable ? l'avenir sans compromettre le pr?sent. Elle me plaisait ? ce double titre; j'aime les grands buts poursuivis par les moyens sens?s.

J'avais aupr?s de moi les deux hommes les plus propres ? bien comprendre et ? bien servir cette politique, M. Colettis et M. Piscatory, un glorieux chef de Pallicares et un philhell?ne ?prouv?; tous deux passionn?ment d?vou?s ? la cause grecque, tous deux en possession de la confiance du peuple grec, et tous deux d'un esprit et d'un coeur assez fermes pour ne pas se livrer aveugl?ment ? leurs propres d?sirs, et pour r?sister en Gr?ce aux tentatives chim?riques comme aux habitudes d?sordonn?es de l'insurrection et de la guerre. M. Colettis ?tait depuis sept ans ministre de Gr?ce ? Paris; il y vivait modestement, soutenant avec dignit?, sans bruit ni agitation inutile, les int?r?ts de son pays, et observant avec une curiosit? patriotique, sur le grand th??tre de la France, le travail de l'?tablissement d'un gouvernement libre et les complications de la politique europ?enne. Sa petite maison touchait ? la mienne; il venait me voir souvent, soit que je fusse ou non dans les affaires, et nous causions dans une libre intimit?. J'?tais frapp? du progr?s, je pourrais dire de la transformation qui s'op?rait en lui sous l'influence du spectacle auquel il assistait: l'audacieux conspirateur de l'?pire, le rus? m?decin du sanguinaire Ali, pacha de T?belen, le chef aventureux d'insurg?s h?ro?ques mais ? demi barbares, devenait, pour ainsi dire ? vue d'oeil, un politique sagace et judicieux, habile ? comprendre les conditions du pouvoir r?gulier comme de la libert? civilis?e, et de jour en jour plus capable de gouverner, en homme d'?tat, ce peuple encore ?pars et sans frein avec lequel il ?tait nagu?re lui-m?me plong? dans les soci?t?s secr?tes, les insurrections incessantes et les rivalit?s anarchiques.

Revenu depuis dix-huit mois de la mission dont, en 1841, je l'avais charg? en Gr?ce, M. Piscatory s'y ?tait conduit avec un rare et prudent savoir-faire; il avait repris l?, sans ?talage, sa position d'ancien champion de l'ind?pendance grecque; il avait renou?, sans s'y asservir, ses relations avec quelques-uns des principaux chefs de la lutte; il m'avait rapport? des notions pr?cises et une exp?rience toute form?e. Je demandai au Roi de le nommer ministre en Gr?ce: <> Le Roi consentit, et le 10 juin 1843, M. Piscatory partit comme ministre de France ? Ath?nes, pendant que M. Colettis restait ministre de Gr?ce ? Paris.

Mes instructions ? M. Piscatory ?taient courtes et claires: elles lui prescrivaient de soutenir le gouvernement du roi Othon en le pressant d'accomplir les r?formes administratives hautement r?clam?es par les puissances protectrices elles-m?mes comme par la Gr?ce, et de ne rien n?gliger pour vivre et agir en harmonie avec ses coll?gues, les repr?sentants de l'Europe ? Ath?nes, sp?cialement avec sir Edmond Lyons, ministre d'Angleterre. <>

J'ajoutais, dans une lettre intime: <>

De Londres, et sans que nous nous fussions concert?s, lord Aberdeen adressait ? sir Edmond Lyons des recommandations analogues. Il l'informait qu'on le trouvait trop dur envers le roi Othon, trop dominateur avec les diplomates ses coll?gues; que de Vienne et de Berlin, on avait formellement demand? son rappel, et qu'? Paris et ? P?tersbourg on avait donn? ? entendre qu'on en serait fort aise. Il lui promettait de le soutenir contre ces attaques; mais il lui prescrivait de t?moigner au roi Othon plus d'?gards, de ne point se faire en Gr?ce homme de parti, et de ne pas vivre avec ses coll?gues dans un ?tat de rivalit? et de lutte.

M. Piscatory ex?cuta fid?lement et habilement mes instructions; il ne rechercha, pas plus aupr?s des Grecs que du roi Othon, aucune occasion, aucune marque de faveur ou d'influence particuli?re; il mit tous ses soins ? calmer les craintes ou les jalousies de ses coll?gues, et ? entrer avec eux, surtout avec sir Edmond Lyons, dans des rapports confiants et intimes: <>

Sur un point, et sur un point tr?s-important, il ?tait particuli?rement difficile ? M. Piscatory d'?tre en harmonie avec ses coll?gues en s'en distinguant, et de rester en sympathie avec les Grecs en combattant leur penchant. L'impopularit? du roi Othon ?tait grande, aussi grande dans le corps diplomatique d'Ath?nes que dans le peuple. Sir Edmond Lyons disait tout haut, et avec col?re, qu'il n'y avait pas moyen de marcher avec lui; M. Catacazy en convenait avec une froide r?serve et comme indiff?rent au r?sultat. Devant cette attitude et ce langage des diplomates, les Grecs donnaient un libre cours ? leurs sentiments; ce n'?tait pas de mauvais desseins, ni de m?pris de la justice, ni de manque de foi, ni d'actes violents qu'ils accusaient le roi Othon; ils se plaignaient de son inertie, de sa manie d'attirer et de retenir ? lui toutes les questions, toutes les affaires, sans jamais les vider, de son go?t st?rile pour le pouvoir absolu, de son opposition sourde et muette ? tout mouvement ind?pendant, ? toute r?forme efficace: <>

Presque au m?me moment o? j'adressais ? M. Piscatory ces instructions, j'eus occasion d'en expliquer ? notre tribune le caract?re et les motifs. Les Chambres discutaient un projet de loi relatif au payement du semestre de l'emprunt grec et aux obligations financi?res de la France envers la Gr?ce: <>

Pendant que je tenais ? Paris ce langage, l'?tat des esprits en Gr?ce et l'imminence d'une crise frappaient les hommes qu'on devait croire les moins dispos?s ? l'accueillir; le repr?sentant ? Ath?nes du cabinet qui s'?tait le plus inqui?t? de la r?surrection de la Gr?ce, le ministre d'Autriche, M. de Prokesch, ?crivait ? l'un de ses amis en France: <>

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Ce rapport, adress? ? la conf?rence de Londres, ?tait sign? par les trois ministres des puissances protectrices de la Gr?ce, par M. Catacazy aussi bien que par MM. Piscatory et Lyons, qui attestaient ainsi les faits et avaient donn? en commun au roi Othon les conseils qu'il contenait.

D?s que ce document me fut parvenu, ainsi que les lettres de M. Piscatory qui confirmait les faits en les commentant selon ses propres impressions, je fis appeler M. Colettis, et apr?s lui avoir donn? ? lire toutes les d?p?ches: <

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