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Munafa ebook

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Read Ebook: Scènes de mer Tome II by Corbi Re Edouard

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Ebook has 654 lines and 46801 words, and 14 pages

ir le spectacle affreux qu'il n'a eu que trop long-temps sous les yeux.

Un marin s'empare, apr?s la disparition du chef, de la longue-vue que celui-ci a abandonn?e sur le pont.... Il dirige de ses mains tremblantes le fatal instrument sur le canot qui flotte encore sans direction au large.... Ses camarades rang?s autour de lui attendent en silence ce qu'il va dire, les premiers mots qu'il va prononcer...--Ils ne sont plus que quatre dans le canot! s'?crie-t-il; et il n'a plus la force d'achever....

Tous les marins se s?parent constern?s, sans oser former une conjecture, sans oser se communiquer ce qu'ils pensent sur le sort des trois malheureux qui ont disparu de l'embarcation.

La nuit descend du haut des cieux toujours immobiles, sur la mer qui se confond ? l'horizon avec la teinte p?le du firmament. Le soleil cette fois s'est couch? au milieu de vapeurs moins ?clatantes que les autres jours. Mais cet indice plus favorable est encore si vague pour des infortun?s qui ont presque cess? d'esp?rer, qu'ils craignent de se livrer de nouveau ? une vaine confiance que l'exp?rience a d?j? si souvent tromp?e. N'est-ce pas ainsi que cinq ? six fois l'astre du jour a d?j? disparu ? leurs yeux abattus, en leur faisant croire que le lendemain le temps leur permettrait de faire route? N'est-ce pas dans des nuages gris?tres, comme ceux qu'ils voient encore, que la veille le soleil s'est abaiss? sur l'horizon?

Et quelle brise est venue, et quel changement s'est op?r? dans leur situation? Quelle journ?e a succ?d? ? la journ?e pass?e? La plus cruelle de toutes celles qu'ils aient encore compt?es!... Jusque-l? ils avaient souffert, ils avaient succomb? sous les coups meurtriers d'une ?pid?mie; mais jusque-l? au moins ils ne s'?taient pas encore massacr?s de leurs propres mains....

Le capitaine revient sur le pont: l'obscurit? qui r?gne cachera du moins ? son ?quipage, d?j? trop afflig? de ses propres maux, le d?sordre de ses traits, image trop fid?le du trouble qui l'agite. Il veut parler, donner un ordre; mais il craint qu'? l'?motion de sa voix, ses gens ne reconnaissent l'alt?ration de son ?me.

Mais ses hommes ont pr?venu les d?sirs et l'ordre de leur chef. Un large fanal a ?t? hiss? au haut du grand m?t. La lumi?re qu'il r?pand, immobile comme le navire qu'il ?claire, jette sur le pont une lueur qui reste attach?e aux m?mes objets. Les p?les matelots, marchant ? pas lents ? la clart? fixe de ce fun?bre flambeau, semblent des fant?mes sortis du sein des flots pour errer sur la carcasse d'un navire abandonn?.

Le calme ?pouvantable de cette sc?ne de mort n'est interrompu de temps ? autre que par des clameurs funestes auxquelles succ?de bient?t un lugubre silence: ce sont encore les cris lamentables des hommes de l'embarcation, et la nuit pr?tant une forme nouvelle ? leurs voix et une sonorit? plus parfaite aux ondes de l'air, on entend du bord jusqu'aux mots que prononcent les canotiers expirant avec rage sous les coups qu'ils se portent dans leur homicide d?lire.

Les heures fatales de la nuit s'?coulent dans cette horrible anxi?t?. A bord, tout le monde veille, et tout le monde se tait. Les matelots n'osent s'adresser un seul mot; les passagers, dispers?s sur le pont, sont absorb?s dans leur douleur et leurs souffrances. Les malades, ?tendus sur les matelas qui les ont re?us depuis tant de jours, demandent en vain le sujet de la stupeur nouvelle de ceux de leurs amis qui les environnent.... Personne ne r?pond ? leurs questions. Ils appellent le capitaine, ils l'implorent comme un dieu aux pieds duquel ils ont plac? leur derni?re esp?rance.... si toutefois il leur est permis d'esp?rer encore....

Le capitaine, assis ? l'?cart sur le couronnement, est plong? dans le plus profond accablement, et nul n'oserait, oubliant le respect que doit inspirer son d?sespoir, interrompre la funeste m?ditation ? laquelle il s'abandonne.

Mais au moment o? la clart? du fanal va se dissiper pour toujours dans l'air sans vie comme lui, un souffle l?ger agite la lumi?re, qui pour cette fois a vacill? en jetant autour du navire sa mobile lueur.

La t?te d'un homme absorb? jusque-l? dans l'amertume de ses r?flexions s'est relev?e tout-?-coup, ses yeux se sont port?s avec la rapidit? de l'?clair sur le fanal que la brise a balanc? au haut du grand m?t.

C'est le capitaine, qui, en s'?lan?ant du couronnement sur le gaillard d'arri?re, a senti sur ses joues abattues l'impression de la fra?cheur de l'air.

Ce n'est pas de la joie qu'il ?prouve encore, c'est du d?lire, et malgr? l'esp?ce d'?garement qui s'est empar? de lui, il s'arr?te palpitant, craignant encore d'?tre abus? par un fol espoir.... Mais non, ses gens ont senti comme lui la premi?re bouff?e de la brise qui se forme. Tous ils se sont lev?s, pr?ts ? ex?cuter le commandement qu'ils attendent de leur capitaine. L'esp?rance ? laquelle s'ouvrent leurs coeurs n'est plus une illusion; le vent, sorti de gros nuages qui se sont amoncel?s ? l'horizon, a fr?mi dans les cordages, a agit? les tentes qui couvraient les gaillards du navire. La mer, recouvrant le long du bord le mouvement et la voix qu'elle avait perdus, s'est soulev?e pour clapoter ? la flottaison. Il n'y a plus ? en douter: c'est du vent qui leur vient, c'est du vent qu'ils ont senti; c'est le bonheur, c'est la joie, c'est la vie que la brise leur apporte avec la pluie et l'orage qui les inonde d?licieusement, et qui rend enfin ? leur sein alt?r? la force qu'ils ne trouvaient plus et le courage qu'ils n'avaient m?me plus pour mourir!

Les voiles serr?es pendant les cruels jours du long supplice de l'?quipage peuvent ?tre bient?t livr?es au souffle bienfaisant qui les arrondit et qui les enfle. Les matelots recouvrent, ? d?faut de vigueur encore, un peu d'?nergie, r?ussissent ? d?ferler et ? hisser les huniers, pendant que les passagers recueillent goutte ? goutte et comme une ros?e d'or l'eau qui tombe du gr?ement sur le pont. Les barriques se remplissent; les malades les moins affaiblis veulent concourir ? ce travail pieux, dussent-ils ne jamais en recueillir les fruits, et expirer du mal qui les consume, avant d'avoir atteint le rivage vers lequel recommence ? voguer le navire.

Tous ces gens-l? enfin s'abandonnent ? l'avenir qui leur sourit encore apr?s tant de maux!

Mais une autre pr?voyance que celle de la vie, un autre soin que celui de quitter ces parages funestes, occupent le capitaine, chef de cette colonie errante, pour ainsi dire proscrite sur les flots. C'est sur l'embarcation qu'il a exp?di?e au large la veille, qu'il fait diriger la route du b?timent, au premier souffle de la brise. Lui-m?me s'est plac? ? la barre du gouvernail, car plus puissant que tous les autres par le courage moral qu'il a su conserver au milieu des malheurs qui pesaient le plus violemment sur sa t?te, il se trouve encore le plus fort apr?s le combat qu'il lui a fallu livrer ? la soif, ? la faim, ? la maladie et ? la douleur.

Mais quel spectacle funeste s'offrit aux yeux du capitaine quand il put d?couvrir et retrouver son embarcation! Le silence le plus effrayant r?gnait autour d'elle: aucun des canotiers ne se montrait ? bord.... Peut-?tre, se disaient encore les hommes de l'?quipage du navire, se seront-ils couch?s sous les bancs, accabl?s qu'ils ont d? ?tre par la fatigue.... Cette lueur d'espoir avait aussi abus? le capitaine.... Bient?t la plus affreuse r?alit? ne lui permit plus de douter de tout son malheur. En approchant le canot, les matelots mont?s dans les haubans se turent, et la d?solation peinte dans leurs regards apprit assez au capitaine ce qu'il n'avait d?j? que trop redout?....

De larges taches de sang furent les seuls indices que l'on put retrouver sur le plabord et les bancs du canot, autour duquel r?daient encore d'?pouvantables requins!...

Personne, dans ce moment si fatal, n'osa proposer de reprendre l'embarcation ? bord: les forces de tout l'?quipage y auraient ? peine suffi. Et d'ailleurs, quel spectacle la vue de ce canot n'aurait-elle pas sans cesse pr?sent? au p?re qui venait de perdre son fils d'une mani?re si funeste, et aux matelots qui pleuraient ceux de leurs camarades morts avec le jeune officier qui la veille s'?tait si g?n?reusement immol? au salut commun!...

Certes, il ne fallait rien moins que l'apparence singuli?re de ce nouveau camarade de route pour arracher le capitaine anglais aux sombres r?flexions dans lesquelles il se trouvait absorb? depuis quelques heures.

Jamais navire d'un aspect aussi sombre et aussi ?trange ne s'?tait offert encore ? ses regards, depuis le temps o? pour la premi?re fois il avait parcouru les mers.

Deux ou trois fois d?j?, le capitaine anglais, cach? derri?re le bastingage de l'arri?re, avait dirig? sa longue-vue sur l'homme assis sur le d?me, pour t?cher de le reconna?tre ou de l'examiner sans pouvoir ?tre accus? de manquer aux ?gards que se doivent les capitaines entre eux.

Fatigu? enfin de l'obstination que ce brick myst?rieux paraissait mettre ? le suivre ou ? l'escorter, le capitaine anglais se d?cida ? provoquer quelques explications sur une manoeuvre aussi ?trange et une intention aussi ?vidente.

Mont? sur sa dunette, et le porte-voix ? la main, il se dispose ? interroger celui qu'il suppose ?tre le capitaine du navire qui court si pr?s de lui.

Les passagers les plus alertes et les matelots les moins abattus entourent leur chef dans le plus grand silence, et ils s'appr?tent ? recueillir les mots qui vont ?tre ?chang?s dans cet entretien si int?ressant pour eux.

Tous les yeux se portent alors sur le commandant du brick, qui, toujours assis sur son d?me, para?t ? peine avoir entendu ou avoir remarqu? les mots qui viennent de lui ?tre adress?s.

Pour toute r?ponse, celui ? qui il vient de parler se contente de prendre n?gligemment un petit porte-voix en argent, sans changer de place, et de lui faire entendre ces seuls mots:

--Parlez fran?ais. Je n'aime pas l'anglais!

--A quel homme sommes-nous donc destin?s ? avoir affaire! dit tristement le capitaine anglais aux personnes qui l'environnent et qui paraissent vouloir lire sur sa physionomie chagrine les maux auxquels il faut peut-?tre se pr?parer encore.

--Mais peu importe! ajoute le capitaine; la r?signation doit peu nous co?ter maintenant, et l'avenir ne saurait nous r?server des malheurs plus terribles que ceux qui ont d?j? ?prouv? notre courage.... Cependant n'est-il pas cruel, au moment o? nous commencions ? esp?rer, de rencontrer.... C'est ?gal: soumettons-nous jusqu'au bout ? la destin?e ou plut?t ? la Providence. Ce capitaine veut que je parle fran?ais.... Parlons-lui fran?ais, pour faire acte de soumission au sort que le ciel nous envoie.

Et le vieux marin reprend son porte-voix pour crier ? son voisin:

--Oh! du brick, oh!

--Hol?! a r?pondu enfin le capitaine inconnu, mais sans changer de place.

--D'o? vient le brick? lui demande alors le capitaine anglais un peu enhardi.

--De la mer! Et vous, depuis quand avez-vous quitt? Londres?

--H?las! capitaine, depuis cent jours, avec soixante passagers et vingt-six hommes d'?quipage.

Mais comment, se disent les passagers et les marins du trois-m?ts, sait-il que nous venons de Londres?... Silence! dit le capitaine, il va encore nous parler.

Effectivement, le capitaine ?tranger a ?lev? de nouveau son porte-voix:

--Depuis quarante-et-un jours, capitaine.

--Avez-vous assez de vivres?

--Nous avons ?puis? tous ceux que nous avions.

--Et de l'eau?

--Nous en avons recueilli quelques barriques hier pendant la pluie.

--Et vos malades?

--Nous en avons perdu quelques-uns.

--Pourquoi avez-vous abandonn? le canot que vous aviez mis hier ? la mer?

--Les malheureux qui le montaient se sont massacr?s.... Mon fils commandait ce canot, qu'il croyait pouvoir conduire jusqu'? bord de votre navire.

Un moment de silence succ?da ? ces derniers mots.... Des larmes ?touffaient la voix du malheureux qui venait de les prononcer avec effort.

Le commandant du brick reprit:....

--De quoi avez-vous le plus besoin?

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