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Read Ebook: Récit d'une excursion de l'impératrice Marie-Louise aux glaciers de Savoie en juillet 1814 by M Neval Claude Fran Ois Baron De
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 132 lines and 21259 words, and 3 pagesNous h?tions le pas, esp?rant arriver ? temps ? Chamouni; mais les l?g?res vapeurs dont l'aspect nous avait inqui?t?s ? Servoz, s'?taient condens?es. Elles formaient des nu?es mena?antes qui venaient s'amonceler sur les cimes, comme ? un sinistre rendez-vous. La faible lueur du cr?puscule laissait entrevoir sur le bord de la route des croix plant?es en m?moire de tragiques accidents. Ces avertissements donn?s par la mort nous paraissaient de funeste pr?sage. Nous passions silencieusement aupr?s de ces muets t?moins, en leur jetant un coup-d'oeil furtif. Un autre genre d'inqui?tude avait gagn? notre princesse, et nous-m?mes par contre-coup. En traversant un carrefour, Dans notre p?nible odyss?e, Nous avions rencontr? vers le d?clin du jour, Par de vagues terreurs ayant l'?me oppress?e, Des gens dont les grossiers et sales v?tements Les faisaient ressembler ? de vrais garnements, Et qui signalaient leur passage, Par des coups de sifflets ? l'envi r?p?t?s. Sans doute un innocent ?cho du voisinage Nous renvoyait ces sons bien ? tort suspect?s; Mais la peur sugg?rait ? notre ?me inqui?te, Que l'?cho n'?tait pas leur passif interpr?te, Et qu'en ces lieux infr?quent?s, Ces sifflets s'adressaient ? de vivants complices, Et d'un complot sinistre ?taient de s?rs indices. Quoique les individus qui nous semblaient si suspects, fussent des ouvriers du pays, comme l'assuraient nos guides, leur rencontre dans ces lieux solitaires, avec accompagnement de sifflets, n'arrivait pas pr?cis?ment ? propos pour nous rassurer. Cependant nous faisions la meilleure contenance; mais nous ?prouvions ce trouble instinctif que cause l'approche de l'orage au voyageur attard?. Un malin esprit errait sans doute en ce moment autour des ruines de Saint-Michel. Ainsi que le lion en qu?te d'une proie, Notre aspect le remplit d'une infernale joie. D'un vol rapide il s'?lance, et soudain Les nuages press?s renferment dans leur sein La foudre et les ?clairs, les vents et les temp?tes; Et sa puissante main les suspend sur nos t?tes. Le signal de l'orage fut donn? par un coup de tonnerre qui retentit dans le lointain, et parcourut, en grondant, les ?chos des montagnes. Les nuages s'?paississaient; le vent commen?ait ? s'engouffrer, en sifflant, dans les sapins qu'il faisait ployer sous son effort. Quelques ?clairs sillonnaient l'horizon. Bient?t les mouvements encore sourds du tonnerre se firent entendre avec plus de force, et ?clat?rent en d?tonations r?p?t?es. La pluie tomba par torrents. Le Naut-de-Nayin ?tait d?j? enfl? par l'affluence des eaux, quand nous le travers?mes. ? neuf heures nous entrions dans la vall?e du Prieur?, poursuivis par l'orage, dont la voix mena?ante se rapprochait de nous, et hurlait, comme si un coeur de d?mons s'y f?t m?l?. Le d?sir de lui ?chapper nous aurait donn? des ailes; mais l'obscurit? nous for?ait ? marcher avec pr?caution. Nous n'apercevions ni le ciel ni la terre. La nuit nous avait surpris dans les pas les plus dangereux, o? nous aurions eu besoin de toute la clart? du jour. ? nos sujets d'inqui?tude r?els ou imaginaires se joignait l'alarme que nous causait chaque passage des torrents que la pluie grossissait de moments en moments, quand subitement illumin?s par les ?clairs, ils nous montraient des ab?mes effrayants, dans lesquels la moindre h?sitation de nos mulets aurait pu nous pr?cipiter nous et nos montures. Pour surcro?t de malheurs et pour mettre le comble ? nos anxi?t?s, le ciel embras? jeta inopin?ment un si vif ?clat de lumi?re, que nous f?mes ?blouis. Au m?me instant, une explosion formidable, prolong?e et multipli?e par les ?chos, agita l'air avec violence. Une tra?n?e de feu s'abattit sur une roche voisine qu'elle sillonna jusqu'? sa base; puis elle disparut ? nos yeux stup?faits. La foudre venait de tomber ? quelques pas de nous. La proximit? du danger nous avait rendus insensibles ? la majest? du spectacle, et nous rest?mes constern?s, les pieds attach?s ? la place o? nous nous ?tions arr?t?s, il nous restait encore deux lieues ? faire. Le d?sordre se mit dans notre petite troupe. Je me trouvai seul avec la duchesse et ses guides. L'abondance de la pluie, le fracas des torrents, les ?clats du tonnerre r?p?t?s par les rochers, nous causaient une terreur muette: Quand un ?clair ?chapp? de la nue, Des cieux au loin sillonnant l'?tendue, R?pandait une p?le et livide clart?, Autour de nous la nature ?perdue Se peignait plus affreuse ? notre oeil attrist?. Un sentiment confus de confiance et d'inqui?tude m'attachait aux pas de mon auguste compagne de voyage. Si la crainte vague d'un danger venait me troubler quelquefois, son courage me rassurait. Deux guides dirigeaient sa marche au milieu des t?n?bres. Nous parv?nmes dans cet ?tat sur les bords du torrent de la Griaz, dont les mugissements entendus de loin, augmentaient notre anxi?t?. Nous h?sitions, incertains si nous n'allions pas nous pr?cipiter dans quelqu'ab?me, lorsque la lueur d'un ?clair nous d?couvrit moins un torrent qu'un fleuve, bondissant sur de gros quartiers de rochers qu'il ?branlait par la rapidit? de son cours. Mais de ces eaux la Nayade orageuse, ? l'aspect de la jeune et noble d?it?, Suspend soudain sa course imp?tueuse, Et sur l'ab?me redout? ?tendant sa main g?n?reuse, Encha?ne le flot irrit?. Ainsi quand d'Isra?l les tribus fugitives, Se d?robant aux fers d'un tyran inhumain, Du Nil abandonnaient les rives, De Mo?se autrefois la secourable main Dans l'ab?me des mers leur ouvrit un chemin; Tandis que Pharaon et sa horde cruelle Trouv?rent sous les eaux une nuit ?ternelle. Pour ?viter le destin de Pharaon, je m'empressai de profiter de la protection d'une nymphe aussi g?n?reuse, et j'eus le bonheur de franchir l'ab?me sans accident. Les torrents de Nayin et de la Griaz, s'ils pouvaient parler, auraient ? raconter plus d'un naufrage. Nous gagn?mes le long village des Ouches. L'orage continuait avec violence, et la pluie redoublait. Nous nous arr?t?mes sous l'auvent d'une maison qui nous offr?t un refuge momentan?, pendant le temps qu'un des guides allait frapper ? toutes les portes, pour implorer le secours d'une lumi?re; mais partout on r?pondit par un silence obstin?. Nous ?tions trop pr?occup?s de nos mis?res, pour r?fl?chir ? notre bizarre position. En effet quel ?pisode tragi-comique d'une merveilleuse histoire! Une grande princesse, accoutum?e avoir tous ses d?sirs pr?venus, dont les pas ?taient nagu?re suivis par les populations accourant en foule sur son passage, avides de la voir et de la saluer de leurs acclamations, aujourd'hui d?laiss?e, errait dans le d?sordre d'une fugitive, mais sans les honneurs de la proscription, poursuivie par la temp?te, oubli?e par ses amis comme par ses ennemis, et n'ayant pour cort?ge que deux humbles guides, auxquels elle s'?tait confi?e. Elle ne pouvait se faire ouvrir, dans sa d?tresse, la porte d'une chaumi?re. Un asile lui ?tait refus? dans une des plus pauvres contr?es du grand Empire, sur lequel elle r?gnait trois mois auparavant! Les simples habitants de ces apr?s contr?es, Des r?volutions et du monde ignor?es, Oubliant dans les bras d'un tranquille sommeil, Qu'arrach?e ? C?sar, la victoire ?perdue, Jette ? des fronts sans gloire une palme vendue, N'auront pu croire ? leur r?veil, Qu'errant sans suite et sans escorte, Celle qui fut leur reine, arr?t?e ? leur porte, Avait implor? vainement, Sous leurs modestes toits un abri d'un moment! Ces f?cheux souvenirs ont souvent attrist? notre voyage. Le moindre incident les r?veillait en nous. Ils d?frayaient nos entretiens habituels avec notre princesse qui avait toujours quelque trait ? y ajouter. Elle se plaisait ? honorer d'?loges m?rit?s la conduite loyale de quelques fonctionnaires, nagu?res attach?s ? sa maison, et fl?trissait d'un bl?me s?v?re la d?sertion de tant d'autres qui s'?taient h?t?s d'outrager l'idole qu'ils venaient d'encenser. Je tomberais dans de continuelles redites, si je rapportais toutes les r?flexions que ces souvenirs faisaient na?tre. Je reviens ? mon r?cit, dont cette digression m'a ?cart?. Nous n'avions pas un lieu de refuge. La duchesse de Colorno n'avait pour se garantir de l'orage, que la vo?te mobile d'un parapluie, fr?le abri, que les rafales mena?aient ? chaque instant de renverser. D'?paisses t?n?bres nous environnaient. Notre situation devenait intol?rable. Nous maudissions le sommeil l?thargique de ces montagnards, aussi engourdis que leurs marmottes. Dans l'exc?s de notre ressentiment, nous cherchions des yeux quelqu'instrument de dommage, pour battre en br?che leurs maisons inhospitali?res, quand nous aper??mes un point brillant qui scintillait dans l'extr?me lointain, comme une ?toile imperceptible perdue dans l'Empir?e. ?tait-ce un secours que le ciel nous envoyait? Ou ?tions-nous le jouet d'un de ces esprits follets qui font briller des feux perfides aux yeux du voyageur ?gar?, Pour l'attirer dans quelque fondri?re, Et d'un rire moqueur insulter sa mis?re? Plusieurs heures se pass?rent, avant que quelqu'un de sa suite put la rejoindre. Elle soupa ? peine. La fatigue lui avait ?t? l'app?tit. Enfin, ? une heure du matin, elle alla se coucher, et j'en fis autant, esp?rant que la journ?e du lendemain nous d?dommagerait des m?saventures de la veille. Une de nos compagnes de voyage n'avait pu se r?soudre ? quitter la retraite qu'elle avait trouv?e dans une humble cabane. La pauvre comtesse Brignole y passa la nuit sur un banc qui lui servit de lit, peu ?difi?e de notre agreste promenade. Elle ne nous revint que le lendemain, n'ayant pris aucune nourriture depuis vingt-quatre heures, et demi morte de fatigue. Ah! quelles voix assez fid?les, De la plus aventureuse des nuits Rediront tous les longs ennuis, Les f?cheux accidents, les alarmes mortelles! La duchesse de Colorno ?tait infatigable et hardie jusqu'? la t?m?rit?. On eut dit qu'elle cherchait ? s'?tourdir. Elle montrait une ?galit? d'humeur et une constance qui ?tonnaient ses guides. La comtesse Brignole lui ressemblait peu. Habitu?e aux d?licatesses de sa molle Italie, et aux douces promenades des belles campagnes de G?nes, que baignent les ti?des vapeurs d'une atmosph?re embaum?e, l'escalade des rochers et la travers?e des torrents, lui souriaient peu. Mais elle cachait sous une gracieuse nonchalance une ?me forte et un caract?re ?nergique. Nous esp?rions une meilleure journ?e pour le lendemain: notre attente fut tromp?e. Notre chagrin fut extr?me en voyant au lever du jour, des nuages ?pais descendant des hautes montagnes qui nous entouraient, et s'?tendant comme un voile sur l'?troite vall?e du Prieur?. Ces sombres nu?es y r?pandaient une demi obscurit? qui rev?tait de ses teintes gris?tres tous les objets environnants. Le glacier des Bois, avec sa bruyante et monotone cascade, et le glacier des Bossons formaient tout notre horizon. Le mont Blanc, envelopp? d'un manteau de brouillard, y cachait sa t?te et ses vastes contours. La matin?e se passa ? observer le ciel, et ? acqu?rir la triste certitude que la pluie durerait pendant toute la journ?e. Le mauvais temps continua en effet sans interruption. Notre impatience nous ramenait sans cesse aux ?troites fen?tres de nos cellules; et nous nous en ?loignions chaque fois plus d?courag?s. Nous rest?mes ainsi dans un d?soeuvrement plein d'ennui, jusqu'? deux heures de l'apr?s-midi, ?piant toujours une ?claircie, Lorsque, glissant ? travers un nuage, Vint enfin du soleil luire un p?le rayon. La duchesse se fie ? ce trompeur pr?sage; Et sans consulter l'horizon, Se h?te de sortir de sa triste prison. Elle porte ses pas vers un bazar rustique, O? gisaient ?tal?s dans une humble boutique, Des min?raux qu'annon?aient des dessins, Sur l'enseigne trac?s par d'inhabiles mains. Des cristaux transparents, produit des rocs humides, Dressaient sur des rayons leurs blanches pyramides. D'autres s'y remarquaient, en bijoux fa?onn?s, Mais qu'un go?t ?l?gant n'avait pas dessin?s. Il fallut se contenter de cette excursion insignifiante, et revenir, accompagn?s par une nouvelle dose de pluie, ? notre g?te, o? nous ?tions de retour ? cinq heures. La soir?e se passa ? d?plorer l'inconstance du temps et ? faire des projets pour le lendemain. Mais ces petites contrari?t?s qui affectent si ?minemment le touriste, ?taient domin?es par une pens?e plus grave, qui ?tait l'objet de nos fr?quentes pr?occupations. C'?tait le souvenir de l'Empereur, dont l'Imp?ratrice devait trouver des nouvelles ? son arriv?e ? Aix. Que faisait-il dans ce moment? Retir? dans une ?le qui n'?tait pour lui qu'une prison, sa pens?e se reportait sans doute vers sa femme et son fils, dont une politique sans g?n?rosit? l'avait s?par?. ? l'?troit dans ses modestes ?tats, o? son g?nie ne pouvait d?ployer ses ailes, pouvait-il trouver dans l'humilit? et dans le cercle resserr? de ses occupations pr?sentes l'aliment dont sa prodigieuse activit? avait besoin? Priv? des premi?res consolations de la vie, isol? des siens dans ces circonstances douloureuses, o? l'?me la plus fortement tremp?e a besoin de l'ineffable douceur des affections de famille, quel soulagement pouvait ?tre apport? aux peines cruelles dont ce noble coeur ?tait afflig?? Puis faisant un retour sur elle-m?me, la duchesse de Colorno trouvait que, jusqu'? pr?sent, ma?tresse en apparence de ses actions, il lui ?tait au moins permis de chercher dans la libert? d'un voyage une distraction ? ses chagrins. Mainte fois un doute venait traverser son esprit. Lui serait-il accord? de se r?unir ? l'Empereur, et de remettre son fils dans ses bras? Pourrait-elle se partager entre ses ?tats de Parme et l'?le d'Elbe? Que l'avenir se d?roulait obscur devant elle! Quelle impatience elle avait de voir son sort enfin fix?! Ces m?lancoliques pens?es occupaient son esprit, et d?celaient une peine int?rieure qui se trahissait souvent par des larmes. Il s'y m?lait d'am?res r?flexions sur la condition des princesses, qui ne sont compt?es dans les calculs des cabinets, que comme des instruments de l'ambition de leurs maisons. Une journ?e aussi m?diocrement remplie ne laissait que des regrets. Le barom?tre avait ?t? souvent consult?, et l'exp?rience des gens du pays mise plus d'une fois ? l'?preuve. Leurs observations contradictoires entretenaient notre anxi?t?; mais l'esp?rance nous soutint. J'avais le pressentiment qu'un bon vent du Nord viendrait chasser les nuages qui obscurcissaient notre horizon, et ne nous laissaient voir que le pied des montagnes qui enfermaient notre petite vall?e. Je fus berc? dans mon sommeil par un r?ve agr?able qui se r?alisa le lendemain. Avant que de Ph?bus la p?le messag?re Eut dissip? les ombres de la nuit, Des songes la troupe l?g?re Par la porte d'ivoire entra dans mon r?duit. Il me sembla qu'un jour pur et limpide Se levait sur le flanc de ces monts sourcilleux; Et que leur haute pyramide Se couronnait de mille feux. Je vis notre reine entour?e, Comme autrefois Diane ou Cyth?r?e, D'un cort?ge nombreux de nymphes, de Sylvains, Accourant ? l'envi du fond des Apennins. Des monts les cimes abaiss?es S'aplanissaient devant ses pas; Et des lacs azur?s les surfaces glac?es Sous des fleurs cachaient leurs frimats. Le superbe Mont-Blanc lui-m?me, De tous ces monts monarque redout?, D?posant de son front la sombre majest?, De pourpre et d'or parait son diad?me. D?s l'aube du jour, le ciel avait de nombreux observateurs. ? six heures, le soleil fit un effort pour se d?gager des nuages qui le couvraient. Nous suivions des yeux les progr?s de ses rayons qui, per?ant les brouillards de leurs traits de feu, inond?rent bient?t tout l'espace d'une lumi?re ?clatante. Il annon?ait la plus belle journ?e; il tint parole. ? son aspect, tout fut pr?t en un instant. La duchesse de Colorno descendit de son appartement, radieuse comme l'astre qui s'?levait sur l'horizon. Mont?e sur sa fid?le Marquise, elle se dirigea sur le Montanvers, accompagn?e des personnes de sa suite, pr?c?d?e et suivie par Jacques Crotet, chef de ses guides et par dix-huit autres guides, portant presque tous des noms fameux, tels que les fr?res Terraz, Cachat dit le G?ant, Jacques des Dames, Coutet, Balmat, Paccard, qui avaient fait plusieurs fois le voyage du mont Blanc, du Montanvers et des principaux glaciers avec de Saussure, Duluc, Bourrit et autres savants et curieux. Nous n'avions pas oubli? de nous munir de la fid?le compagne du voyageur dans les montagnes, la longue canne ferr?e, surmont?e d'une corne de chamois.--Chamouni est ordinairement dans cette saison un rendez-vous pour les touristes. Nous nous y trouv?mes cependant seuls, de sorte que la duchesse eut l'avantage de n'?tre pas troubl?e par des importuns, et d'avoir une enti?re libert? dans ses promenades. Qui de Claudine ? la m?moire Rappelle le malheur et la touchante histoire. L?, de jeunes enfants un essaim curieux, Dont la candeur est peinte en la mine ing?nue, La joie et l'espoir dans les yeux, De notre reine attendaient la venue. Tous sur ses pas se pressent ? la fois. Ils n'ont point de repos que ne soient accueillies Les simples fleurs que, pour elle, en ces bois, Leur diligente main, d?s l'aurore, a cueillies. Autour de ce groupe enfantin, Errait mainte jeune innocente, Dont la rougeur, l'air timide, incertain, Les yeux furtifs et la d?marche lente D?celaient le d?sir qui tourmentait son sein. Ces mots semblaient sortir de sa bouche ?bahie: < Par un contraste ?trange ces rocs de glace, ces champs de neige servaient de cadre ? une verte prairie bord?e de buissons fleuris de rhododendrons, comme une ?meraude entour?e de rubis et d'opales. Les feuilles toujours vertes et les fleurs ?panouies de ce beau laurier-rose des Alpes resplendissaient au milieu des glaces, rest?es insensibles aux ardeurs d'un soleil qui faisait ?clore des fleurs du coloris le plus vermeil et des fruits parfum?s. L'?motion que cause cet imposant spectacle ne peut s'exprimer. Telle a d? ?tre la terre avant la cr?ation. Le premier aspect de ces grands ph?nom?nes jette dans une surprise qui suspend la pens?e. On reste absorb? dans une contemplation muette et comme fascin?. Ces groupes monstrueux, l'?normit? de leurs masses, leur immobilit?, le morne silence qui les environne inspirent une r?verie pleine de tristesse. On attend avec anxi?t? l'apparition d'une cr?ature vivante qui jette une ?tincelle de vie sur cette nature inanim?e. Mais aucun oiseau n'ose essayer ses ailes dans l'atmosph?re de cette zone glaciale. L'imagination craint d'aborder ces solitudes dont la pompe sauvage l'?pouvante; et si, prenant un essor timide, elle s'enhardit ? en mesurer les hauteurs, ? en interroger les ab?mes, elle n'y trouve que des r?gions inconnues, st?riles, inhospitali?res. Semblable ? la colombe sortie de l'arche, ne trouvant o? se poser, elle replie ses ailes, ?puis?e par son vol solitaire, et retombe d?courag?e. ? mesure que ces impressions s'effacent, l'esprit est assi?g? par des pens?es confuses. Il est tour-?-tour exalt? par le grandiose des objets qui le frappent, humili? par le sentiment de son impuissance, p?n?tr? de la vanit? des illusions. Les passions qui s'agitent sur la sc?ne du monde et qui ma?trisent ses destin?es paraissent mesquines devant ces ?tonnants effets d'une puissance infinie. Que la prosp?rit? des cit?s les plus anciennes et les plus florissantes semble courte; que nos plus solides monuments sont fragiles, compar?s ? ces indestructibles colosses, ? ces premiers ?l?ments de la formation du monde qui, sans doute, dureront autant que lui! Puis, quand la vue s'arr?te sur cette puissante v?g?tation qui semble d?fier les ?ternels frimats qui l'enserrent, ? l'imposante gravit? des r?flexions que fait na?tre un si merveilleux spectacle, succ?dent des ?motions plus douces. Dans ces r?gions ?th?r?es o? l'air est d?gag? de grossi?res vapeurs, l'esprit et les sens s'?purent ? ses ?manations vivifiantes et s'y fortifient. On ?prouve une s?r?nit? int?rieure. Les chagrins, les soucis, les peines morales disparaissent devant des pens?es qui n'ont rien de mat?riel. L'?me s'?l?ve, comme si elle se rapprochait de la Divinit?; et les m?ditations auxquelles elle se sent port?e ont quelque chose de sublime. J'?tais absorb? dans la contemplation d'une sc?ne qui est sans point de comparaison. Que de si?cles, que d'?v?nements, que de gloires jadis retentissantes, aujourd'hui oubli?es, avaient pass? devant ces muets t?moins! Des migrations de peuples conduits par des chefs renomm?s, des arm?es command?es par de grands capitaines, les avaient salu?s ? leur passage, pour aller s'ensevelir dans la nuit des temps! Pouvais-je oublier la contre-r?volution qui venait de s'op?rer, les ?v?nements qui s'?taient pass?s la veille? Je me repr?sentais cette p?riode de vingt ans, sujet d'une magnifique ?pop?e. Ma pens?e se reportait vers cette ?poque de grandeur, vers ces sublimes cr?ations du g?nie, ouvrage d'un mortel privil?gi?, que la rapidit? de son passage sur la terre laissait inachev?es. Et ces masses gigantesques restaient debout, comme pour attester qu'elles seules ?taient durables. Ah! m'?criai-je: Qu'ont de commun avec ces vieux d?bris Les monuments d'une gloire immortelle, Dont les derniers descendants de nos fils Conserveront la m?moire fid?le Par une ?clipse d'un instant Leur splendeur n'est point effac?e! Et mon esprit repoussait la pens?e Que des Gaules l'astre ?clatant, Subitement tomb? de son char de lumi?re, E?t vu clore ? jamais sa brillante carri?re! Apr?s le d?jeuner, nous all?mes visiter la mer de glace. Ses bords sont couverts de blocs de granit vomis par le glacier. Des buissons de rhododendron croissent dans les intervalles. Un sentier presqu'? pic nous conduisit sur cette mer qui, bien qu'exempte d'orages, n'en a pas moins ses dangers. La duchesse de Colorno voulut y descendre pour voir de plus pr?s ses grandes vagues immobiles. Nous l'y suiv?mes, arm?s de nos cannes ferr?es, en franchissant les crevasses dont nous pouvions atteindre l'enjamb?e, et en c?toyant celles qui ?taient infranchissables. Ces puits, dont le bleu transparent laissait voir le fond, ?taient les uns ? sec, les autres remplis d'une eau limpide. Quand nous passions au pied de quelque gigantesque colonne de glace, notre princesse, toute grande imp?ratrice qu'elle ?tait, et nous, qui cheminions ? sa suite, nous nous trouvions r?ciproquement bien petits. Enfin, prenant leurs airs les plus modestes, Nos deux virtuoses agrestes Se gliss?rent timidement Sous l'humble toit du rustique ?difice, Lieu de repos, qu'une main protectrice A plac? l? tout pr?s du firmament. Leur trouble se lisait sur leur mine inqui?te. Ainsi de Polymnie un novice interpr?te, Que des bancs de l'?cole un vol ambitieux Conduit sur une sc?ne en naufrages fertile, Vient d'un public capricieux Affronter la faveur mobile. Pour obtenir son avare int?r?t, Il salue humblement, compose son visage, Et d'un oeil suppliant parcourt l'ar?opage, Dont il attend l'irr?vocable arr?t. Nos jeunes artistes trouv?rent un auditoire plus b?n?vole. L'indulgence avec laquelle ils furent accueillis les mit tout-?-fait ? leur aise. Ils s'interrog?rent un moment des yeux pour se mettre d'accord ou pour s'encourager, puis ils entonn?rent d'une voix retentissante leur chanson d'apparat. L'harmonie y fut un peu en d?faut; mais ils y suppl??rent par la vigueur de leurs poumons. Apr?s avoir lou? leurs efforts, on les cong?dia, aussi contents de l'effet qu'ils avaient produit que de la r?compense qu'ils avaient re?ue. Avant de partir, la duchesse de Colorno voulut honorer de son nom le registre de l'hospice. Nous obt?nmes la permission d'inscrire les n?tres ? la suite du sien, dans ces glorieuses archives, pour les signaler ? l'admiration ou ? l'envie de ceux qui viendraient apr?s nous. Nous retrouv?mes nos mulets au bas de la montagne, et nous repr?mes le chemin de Chamouni. Le d?bordement des torrents qui avaient inond? la voie ordinaire nous obligea ? faire un d?tour par le bois du Bouclier. La caravane, en cheminant paisiblement, arriva sur le bord d'un ruisseau assez large et assez profond pour qu'il f?t n?cessaire de chercher un gu?. Je ne sais quelle mouche piqua la grave Marquise, que montait la duchesse de Colorno; mais, Tandis que du rivage Chacun cherche de l'oeil un facile passage, Notre animal capricieux Du guide inattentif surprend la vigilance, Et d'un essor audacieux, Dans l'onde ?tourdiment s'?lance. On s'?crie, on accourt, quand une agile main Saisit la bride et l'arr?te soudain. Nous v?mes en passant au village des Pr?s un pauvre albinos, qui s'y ?tait transport? du hameau des Bois, o? il faisait sa demeure, attir? par le passage de la princesse. Les cheveux argent?s, le teint blafard et les yeux roses et bleus de ce vieillard pr?coce excitaient un sentiment p?nible. Il avait environ quarante-cinq ans; mais sa figure et son ext?rieur accusaient la caducit?. Nous ?tions de retour ? l'auberge de la Ville-de-Londres ? sept heures du soir, peu fatigu?s d'une assez p?nible excursion que la duchesse de Colorno soutint avec une constance qui ne s'?tait pas d?mentie. Elle avait voulu faire toutes les courses ? pied ou ? l'aide de sa mule, sans permettre qu'on la port?t. Cependant nous avions fait pr?s de neuf lieues, en gravissant des pentes qui nous avaient conduits ? une hauteur d'environ six mille pieds. Le lendemain 14, le d?part eut lieu ? six heures, la travers?e du col exigeant dix heures de marche. L'air vif du matin obligea la duchesse ? descendre de sa mule aux Pr?s, pour gagner ? pied le hameau des Tines. ? gauche r?gnait une cha?ne de collines bois?es, et ? droite une prairie. Nous v?mes ? la mont?e de l'Avencher une belle chute de l'Arve. Nous remont?mes le cours de cette rivi?re, en la c?toyant d'abord ? gauche et ensuite ? droite, apr?s l'avoir travers?e sur un pont n?gligemment construit avec des troncs d'arbres qu'assemblaient de simples liens d'osier, Au village d'Argenti?res, on d?couvre le glacier qui descend de l'aiguille du m?me nom. C'est aupr?s d'Argenti?res que la route se divise: ? droite, elle m?ne au mont de Balme que nous devions traverser, ? gauche, au val d'Orsine. L? commencent les rampes de Balme. Nous laiss?mes derri?re nous la vall?e de Chamouni qu'?clairaient d'une lumi?re dor?e les premiers rayons du soleil. Ses paisibles chaumi?res se d?tachaient sur la fra?che verdure de prairies. Les sommit?s et les ar?tes des glaciers scintillaient comme des point?s de diamants, tandis que les masses des bois reposaient encore dans l'obscurit?. Nous commen??mes ? gravir la montagne, en remontant les sources de l'Arve, dont nous pr?mes cong? ? son humble berceau. L'aspect du pays prit une teinte plus sauvage. Nous suiv?mes un sentier qui serpentait sur le dos arrondi de la montagne, partout recouvert d'une herbe ?paisse, sem?e de gentianes aux fleurs bleu-c?leste, et dont aucun arbuste n'interrompait l'uniformit?. Un calme profond r?gnait dans cette vaste solitude. Tout s'y taisait; et, sans le cri fid?le D'une marmotte en sentinelle Qui, d'un oeil vigilant, observait l'ennemi, Aucun bruit, dans ces lieux, domaine du silence, Veut ?veill? l'?cho dans son antre endormi, Ni d'un ?tre anim? r?v?l? la pr?sence. Arriv?s au chalet de Charamillan, alors inhabit?e on mit pied ? terre. Nous jetions souvent les yeux en arri?re, pour consid?rer le mont Blanc qui paraissait grandir et s'?lever vers nous, ? mesure que nous montions. On distinguait dans l'?loignement sur la gauche les chalets de Balme, et de nombreux troupeaux diss?min?s sur le revers de la montagne. Cet asile protecteur ?tait le chalet des Herbag?res, alors inhabit?. Remis de cette alerte, nous p?mes consid?rer plus ? l'aise le vaste tableau expos? sous nos yeux. La vall?e du Valais se d?roulait devant nous, sillonn?e par les eaux du Rh?ne et de la Drance, et bord?e d'une cha?ne continue de monts inaccessibles, tant?t arides ou verdoyants, tant?t couverts d'une neige ?blouissante. On pouvait compter les bourgs et les hameaux group?s sur les bords des deux rivi?res. On d?couvrait le commencement de la belle route du Simplon, ouvrage empreint du caract?re de grandeur qui distingue les conceptions d'un g?nie incomparable, et le mont du grand Saint-Bernard, autre th??tre de sa gloire. Si l'on reportait les yeux en arri?re, on planait sur la vall?e de Chamouni, et l'on pouvait saluer d'un dernier regard les monts glac?s qui s'?lancent de son sein, au-dessus desquels dominait le mont Blanc, p?re de tous les glaciers de Savoie et roi de toutes les montagnes de l'Europe. Rien n'?gale la magnificence de ce double tableau. Les cinq ou six maisons de Trient, couvertes de larges ardoises dont les avances les cachent ? la vue, sont ?parses dans une ?troite et profonde vall?e, resserr?e entre de hautes montagnes qui y projettent leur ombre, tellement que le soleil au milieu de sa course, ne peut en ?clairer qu'une partie. Lorsqu'arriv? sur le sommet du mont, On abaisse les yeux sur ce petit vallon, Les maisons de Trient sont ? peine visibles; Ses rares habitants semblent imperceptibles. Et l'on croirait en v?rit?, Que ce village en miniature Est, sans vouloir lui faire injure, Par les myrmidons habit?. Les eaux qui s'?chappent en tourbillons du glacier de Trient forment un ruisseau dont le cours tranquille contraste avec la turbulence de sa source. Ce ruisseau, cette ombre perp?tuelle entretiennent dans ce vallon une verdure d'une fra?cheur ?clatante. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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