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Read Ebook: Expéditions autour de ma tente: Boutades militaires by Chartrand Joseph Damase
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 2206 lines and 53955 words, and 45 pagesAlexis! ? Alexis! as-tu pu fabriquer mes 28, et vivre encore! Bien des travaux fameux furent abattus dans les temps hom?riques! Hercule nettoya les classiques ?curies d'Augias et vainquit l'hydre de Lerne; Achille fit des prodiges devant Troie, Alexandre conquit l'Asie; C?sar, les Gaules, et Annibald se maintint quatorze ans en Italie. Mais toi, seul d'entre tous les Alexis, tu fis mes godillots, ce qui est bigrement fort, je te le jure! Ils d?but?rent ? mon service le 11 juin 1879, ? dix heures du matin, et deux fois depuis le cordonnier eut ? leur donner du coeur au ventre, ? raison de trois francs chaque fois. Ces d?tails ?cart?s, je me plais ? constater qu'ils se conduisirent consciencieusement. En tout temps ils rest?rent attach?s ? mes pas, et ce septi?me jour, d?j? dit, les trouve aussi fermes que jamais, si ce n'est un peu fatigu?s. Quelle ?pop?e que leur existence! Un exemple seul d?montrera l'importance de leurs fonctions: pendant onze mois ils firent cent soixante-quatorze ?tapes, ce qui, avec une moyenne de trente kilom?tres par ?tapes, leur donne un actif de cinq mille deux cent vingt kilom?tres, soit pr?s de quinze cents lieues. Aussi, je serais embarrass? s'il me fallait ?crire leur histoire en un seul volume. Je pr?f?re leur accorder un chapitre unique, dont le laconisme donnera plus de poids aux quelques lignes que je leur consacrerai. On a os? attaquer la valeur du godillot. On a ?t? jusqu'? lui opposer le brodequin napolitain, que les d?cisions minist?rielles appellent ? lui succ?der. O ingratitude militaire, o? descends-tu te loger! quel est le vieux troupier qui aura le courage de conspirer contre toi, l?gendaire soulier de France! Il faut avoir l'?me bien mal ?quilibr?e pour oublier le bonheur que tout soldat ?prouve ? la vue d'un godillot, par? d'une gu?tre, ? laquelle il ne manque pas m?me un bouton. Je sens une profonde ?motion s'emparer de mon ?me. Et je jure ici, par les milliers de kilom?tres foul?s par eux, par les innombrables ?corchures qu'ils engendr?rent, par leur air b?te, enfin par tout ce qu'il y a de plus sacr? chez une na?ve chaussure, je jure donc que, tant qu'une goutte d'un sang pur et clair colorera mes veines, je d?fendrai les godillots. Apr?s cette exclamation passionn?e, je redeviens calme, et je continue. Dans un moment d'humeur noire, je pourrais leur reprocher d'avoir trop facilement offert l'hospitalit? aux sables du d?sert et aux boues des marais. Mais, revenant ? de plus tendres sentiments, je leur pardonne pour ne me rappeler que les brillants jours de revue. Alors, comme mes souliers se paraient d'une aur?ole pure et sans tache! Reluisant d'un cirage glac?, entour?s de gu?tres bien blanches, il me semble encore entendre la musique de leurs clous, battant all?grement le pav?. H?las! ces agr?ables visions sont d?j? loin dans l'oubli des si?cles, car les derni?res phases de notre liaison viennent de se d?rouler dans l'alfa des hauts plateaux. Depuis mon installation de trois mois, ils prennent un repos bien acquis, mais certains signes caract?ristiques annoncent chez eux un ennui remarquable. Devenus durs et tordus par suite d'une non-activit? aid?e du soleil, ils rechignent ? couvrir mes pieds pour de simples promenades. Un peu de suif de chandelle les ram?ne vite au sentiment du devoir, mais ils retombent bient?t dans une apathie mals?ante. Ce qui prouve que les godillots sont dignes de chausser nos braves militaires, et que les longues routes peuvent seules les satisfaire. Je r?p?te encore: En moi, ? ins?parables compagnons de mes courses, vous trouverez toujours un admirateur, outr? de voir le brodequin d?sign? pour vous remplacer! Il me r?pugne beaucoup de faire ces tristes pronostics. Que voulez-vous cependant, ces braves chaussures vont dispara?tre des traditions, et, fid?le aux principes de la chevalerie fran?aise, je salue ceux qui tombent. LE K?PI Du soulier passer au k?pi, sans transition aucune, est quelque peu illogique, et je laisse la responsabilit? de ce fait aux ?v?nements qui permirent ? mon k?pi de s'accoler ? mes godillots. En voyageant autour de ma tente, le sort a voulu qu'un rapprochement aussi baroque qu'un soulier fraternisant avec un k?pi se produisit. En effet, presque ? l'est de l'auteur, repose son k?pi, recouvert du couvre-nuque traditionnel. Le k?pi a du bon. Malgr? la sagesse des commissions d'habillement, aucune d?cision grave n'est encore venue le troubler. On l'a bien orn? d'une visi?re laide et excellente, mais enfin rien encore pour sa suppression. On a parl? du casque allemand comme devant lui succ?der; quelques r?giments seuls eurent le plaisir de l'essayer. Le casque indo-anglais montra quelque temps des vell?it?s de vouloir couronner la t?te de nos troupiers, mais il ne tint pas ferme. Le shako fran?ais a aussi ?t? fortement ?branl? dans ses bases. A l'heure o? j'?cris cependant, je ne sais encore rien de positif sur son sort futur. Enfin, sans arri?re-pens?e, le k?pi existe, et j'en ai un. Je me rappelle toujours, avec une certaine horreur, le premier jour de mon installation militaire. On me conduisit au magasin d'habillements. Ma tenue comportait le k?pi qui, couvrant consciencieusement ma t?te, l'aurait enti?rement fait dispara?tre sous sa large structure, si mes oreilles, naturellement bien d?velopp?es, ne l'avaient arr?t? dans sa marche descendante. Ma malheureuse t?te, orn?e d'un pareil appendice, pr?sentait une piteuse apparence. Le bas du visage et le nez seuls ?taient visibles. Quant aux yeux, il ?tait permis de pr?sumer qu'ils existaient; mais l'?norme abat-jour qui me servait de visi?re emp?chait tout oeil indiscret de les voir. En entrant dans la chambr?e, mon premier soin fut d'?ter mon k?pi et de l'examiner avec un int?r?t bien l?gitime. J'?tais pein? de le voir si grand, et je me disais que le diam?tre de son ouverture aurait pu satisfaire une t?te de g?ant de bonne famille. Un troupier, bien intentionn? sauva la situation en trempant mon k?pi dans l'eau, et je fus fort ?tonn?, quand il fut sec, de le voir pr?sentable. De l? date mon attachement pour ce m?morable couvre-chef. Lui aussi m'accompagna partout, et s'il n'emp?cha pas le soleil de me cuire le visage, du moins fit-il son possible. Dans nos derni?res excursions, il ne marchait jamais seul. Toujours il r?clamait,--aid? en cela des ordres du colonel,--le couvre-nuque, qui jadis ?tait blanc. Un endroit quelconque de la tente le satisfait la nuit, et jamais il ne fut nuisible. Depuis que j'ai entrepris le r?cit de mon voyage circulaire, une tendance marqu?e de se loger ? l'est s'annonce chez lui. Ce qui explique sa proximit? de rapport avec mes godillots. La provenance de cette estimable coiffure est encore incertaine dans ma pens?e. Cependant, je la soup?onne, ? certains airs maladroits de sortir des ateliers d'Alburac. Ce dernier monsieur est un excellent tailleur militaire, et, comme sp?cialiste, il est fort. Dans le genre k?pi, sauf un ?crasement particulier des parois, il ne se distingue que m?diocrement. Quelques trous inutiles, pr?pos? ? introduire l'air au cr?ne, semblent bien ?tre perc?s sur les c?t?s. Mais cela demande l'oeil d'un scrutateur convaincu pour le constater. Des passe-poils, bleus dans leur d?but, parent le k?pi; mais ils manquent vite ? leur mission, et ils ne deviennent pas bleus du tout au bout d'un mois de service. Le couvre-nuque, tout en faisant fonction de protecteur contre le soleil, r?ussit ?norm?ment ? bosseler le k?pi. Enfin, tout conspire pour le rendre insignifiant, et le mien, plus que tous, est mal partag?. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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