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Munafa ebook

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Read Ebook: A Study of Pueblo Architecture: Tusayan and Cibola Eighth Annual Report of the Bureau of Ethnology to the Secretary of the Smithsonian Institution 1886-1887 Government Printing Office Washington 1891 pages 3-228 by Mindeleff Cosmos Mindeleff Victor Nichols Hobart Illustrator

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Ebook has 85 lines and 28412 words, and 2 pages

HISTOIRE DU CONSULAT

ET DE L'EMPIRE

L'auteur d?clare r?server ses droits ? l'?gard de la traduction en Langues ?trang?res, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise, Espagnole et Italienne.

Ce volume a ?t? d?pos? au Minist?re de l'Int?rieur le 10 ao?t 1861.

PARIS. IMPRIM? PAR HENRI PLON, RUE GARANCI?RE, 8.

HISTOIRE DU CONSULAT

ET DE L'EMPIRE

FAISANT SUITE

? L'HISTOIRE DE LA R?VOLUTION FRAN?AISE

PAR M. A. THIERS

PARIS LHEUREUX ET Cie, LIBRAIRES-?DITEURS 60, RUE RICHELIEU 1861

HISTOIRE DU CONSULAT

ET DE L'EMPIRE.

LIVRE CINQUANTE-SEPTI?ME.

L'?LE D'ELBE.

Mais le destin des Bourbons avait d?cid? qu'ils tomberaient avant Murat lui-m?me dans le gouffre toujours ouvert des r?volutions du si?cle, pour en sortir de nouveau, plus durables et malheureusement moins innocents. Leur situation, h?las, ne s'?tait pas plus am?lior?e que leur conduite! ? la fin de d?cembre tout ce qu'on d?sirait des Chambres ayant ?t? obtenu, on les avait ajourn?es au 1er mai 1815, et en se d?barrassant d'une g?ne apparente, la royaut? s'?tait priv?e de son meilleur appui, car la Chambre des d?put?s notamment, dans sa marche timide mais sage, ?tait l'expression exacte de l'opinion publique, qui tout en trouvant les Bourbons imprudents, souvent m?me blessants, souhaitait leur redressement et leur maintien. La Chambre des d?put?s, qui n'?tait, comme on s'en souvient, que l'ancien Corps l?gislatif continu?, en faisant quelquefois retentir ? la tribune un bl?me s?v?re contre les folies des ?migr?s, donnait ? l'opinion une satisfaction, au gouvernement un avertissement salutaire, et demeurait comme une sorte de m?diateur, qui emp?chait que d'un c?t? l'irritation ne dev?nt trop grande, et que de l'autre on ne pouss?t les fautes trop loin. L'absence des Chambres en un pareil moment ?tait donc infiniment regrettable, car la nation et l'?migration allaient s'?loigner de plus en plus l'une de l'autre, sans aucun pouvoir mod?rateur capable de les rapprocher et de les contenir.

Aussi les fautes, et l'effet des fautes augmentaient chaque jour. Les pr?tres en chaire ne cessaient de pr?cher contre l'usurpation des biens d'?glise; les la?ques, anciens propri?taires de domaines vendus, obs?daient les nouveaux acqu?reurs pour les d?cider ? restituer des biens que ceux-ci avaient souvent acquis ? vil prix, mais qu'on voulait leur arracher ? un prix plus vil encore. L'article de la Charte garantissant l'inviolabilit? des ventes nationales, aurait d? rassurer suffisamment les acqu?reurs pourvus de quelque instruction; mais on leur disait que la Charte ?tait une concession aux circonstances tout ? fait momentan?e, et au milieu de la mobilit? des temps, il ?tait naturel qu'ils s'alarmassent. D'ailleurs les journaux les plus accr?dit?s du parti royaliste tenaient sur ce sujet le langage le plus inqui?tant, et quand on leur r?pondait en citant la loi fondamentale, ils r?pliquaient que la loi avait pu garantir la mat?rialit? des ventes, mais qu'elle n'avait pu en relever la moralit?, et faire que ce qui ?tait immoral dev?nt honn?te aux yeux de la conscience publique.--La loi, disaient-ils, garantit les acquisitions nationales, l'opinion les fl?trit. On n'y peut rien, et il faut m?me s'applaudir de cette r?action de la morale universelle contre le crime et la spoliation.--Ce langage, si on avait ?t? cons?quent, aurait d? ?tre suivi de mesures spoliatrices, mais on n'osait pas se les permettre, et il ?tait, en attendant, une sorte de violence morale faite aux nouveaux acqu?reurs, pour les obliger ? se dessaisir eux-m?mes des biens contest?s. Ainsi se trouvait r?alis?e cette parole de M. Lain? dans la commission de la Charte, qu'il fallait sans doute garantir les ventes, mais pas trop, afin d'obliger les nouveaux propri?taires ? transiger avec les anciens.--

? la m?me ?poque, le clerg? c?dant cette fois non point ? ses passions, mais ? des scrupules sinc?res, faillit amener un v?ritable soul?vement dans la population parisienne. Une c?l?bre trag?dienne, mademoiselle Raucourt, venait de mourir. On pr?senta son cercueil ? l'?glise Saint-Roch, sans s'?tre d'avance entendu avec le cur?, pour obtenir de lui les pri?res des morts. Il e?t ?t? plus sage au cur? d'?viter un ?clat, et de supposer ces manifestations de repentir qui autorisent ? consid?rer les personnes vou?es ? la carri?re du th??tre comme r?int?gr?es dans le sein de l'?glise. Le cur? refusa obstin?ment de recevoir le cercueil. Bient?t la foule s'accrut, et le public, voyant dans cette sc?ne une nouvelle preuve de l'intol?rance du clerg?, for?a les portes de l'?glise. Le cercueil fut introduit violemment, et on ne sait ce qui serait arriv?, si un ordre royal, parti des Tuileries, n'avait prescrit au cur? d'accorder ? la d?funte les honneurs fun?bres.

D'apr?s les r?gles canoniques le cur? avait raison, et comme le clerg? n'a plus la tenue des registres de l'?tat civil, comme ses refus n'ont plus aucune influence sur l'?tat des personnes, et n'ont d'autre cons?quence que la privation d'honneurs que l'?glise a le droit d'accorder ou de d?nier selon ses croyances, le cur? de Saint-Roch ?tait bien autoris? ? refuser les pri?res qu'on lui demandait, et les amis de la d?funte auraient d? la conduire au cimeti?re sans la pr?senter ? l'?glise. Mais l'abus que l'on fait de ses droits prive souvent de leur exercice le plus l?gitime. Les pr?dications incendiaires du clerg? avaient tellement irrit? les esprits, qu'on ne voulait pas m?me lui pardonner ses exigences les plus fond?es, et il est probable que si le cur? n'avait pas obtemp?r? ? l'ordre royal, la foule ameut?e aurait commis quelque profanation d?plorable, que l'arm?e et m?me la garde nationale auraient mis peu d'empressement ? r?primer.

De toutes les sc?nes de cette ?poque la plus f?cheuse, celle qui produisit le plus d'?clat, fut le proc?s intent? au g?n?ral Exelmans.

D?j? nous avons fait conna?tre l'esp?ce de faute reproch?e ? cet illustre g?n?ral. Parmi les lettres saisies sur lord Oxford, et destin?es ? la cour de Naples, on en avait trouv? une dans laquelle le g?n?ral Exelmans renouvelait ? Murat, dont il ?tait l'ami et l'oblig?, l'assurance d'un absolu d?vouement, et lui disait que si son tr?ne ?tait menac?, de nombreux officiers fran?ais iraient lui offrir leur ?p?e. On savait dans le public que la cour de France s'effor?ait d'obtenir ? Vienne la d?possession de Murat, mais la guerre n'?tait pas d?clar?e contre lui, et par cons?quent il n'y avait dans la lettre saisie rien de contraire ? la discipline militaire. Seulement le g?n?ral Exelmans ayant ?t? maintenu en activit?, on pouvait lui reprocher de ne pas m?nager les dispositions fort connues d'un gouvernement qui s'?tait montr? bienveillant ? son ?gard. C'?tait tout au plus de sa part un d?faut de convenance, nullement une violation de ses devoirs. Le g?n?ral Dupont en avait jug? ainsi, et s'?tait content? de lui adresser une r?primande, et de lui enjoindre un peu plus de circonspection ? l'avenir. Mais le ministre Dupont avait ?t? remplac? au d?partement de la guerre par le mar?chal Soult, et on a vu que ce mar?chal, d'abord fort mal dispos? pour la Restauration, puis r?concili? avec elle, avait promis de r?tablir la discipline dans l'arm?e, et d'y faire rentrer la fid?lit? avec la soumission.

Un des moyens qu'il voulait employer ?tait de r?veiller l'affaire oubli?e du g?n?ral Exelmans, et en faisant sentir son autorit? ? l'un des g?n?raux les plus populaires, d'intimider tous les autres. En effet il ?tait d'usage ? cette ?poque, de dire et m?me de croire, que c'?tait la faiblesse du gouvernement qui encourageait le mauvais vouloir de l'arm?e. Le duc de Berry, irrit? de ne pas trouver chez les militaires les sentiments qu'il leur t?moignait, se montrait imbu de cette fausse pens?e, et la soutenait avec la fougue de son caract?re. Le mar?chal Soult, trop soigneux de complaire ? ce prince, avait mis le g?n?ral Exelmans ? la demi-solde, et lui avait enjoint de se rendre ? Bar-sur-Ornain, son lieu natal, dans une sorte d'exil. ? cette ?poque les officiers ? la demi-solde contestaient au ministre de la guerre le droit de leur assigner un s?jour. Ils disaient que n'ayant aucun emploi, d?s lors aucun devoir ? remplir qui exige?t leur pr?sence dans un lieu d?termin?, ils ?taient libres de choisir leur r?sidence, et que n'ayant pas les avantages de l'activit?, ils ne devaient pas en avoir les charges. De son c?t? le ministre de la guerre persistait ? soutenir son droit, et il avait des raisons d'y tenir, car dans l'?tat actuel des choses, avec le penchant que les officiers non employ?s avaient ? se rendre ? Paris, il importait de pouvoir les disperser par un simple ordre de l'administration. Cet ordre renouvel? bien souvent ?tait rest? sans ex?cution, et les officiers ? la demi-solde n'avaient pas cess? d'affluer dans la capitale, o? ils tenaient le langage le plus inconvenant et le plus s?ditieux. Mais c'?tait une maladresse que de faire r?soudre la question sur la personne d'un militaire aussi distingu? que le g?n?ral Exelmans, et pour le d?lit assez ridicule qu'on lui reprochait.

Le g?n?ral Exelmans, autour duquel s'?tait r?uni tout ce que Paris renfermait de t?tes les plus chaudes, ne se montra pas dispos? ? obtemp?rer ? un ordre qu'il qualifiait de sentence d'exil, et pour le moment s'en tint ? demander un d?lai, all?guant l'?tat de sa femme qui venait d'accoucher, et qui avait besoin de ses soins. Il e?t ?t? prudent de se contenter de cette demi-ob?issance, et de ne pas provoquer une r?sistance ouverte, par une opini?tret? outr?e dans l'exercice d'un droit contest?. Mais le mar?chal Soult insista, et exigea le d?part imm?diat du g?n?ral Exelmans. Celui-ci excit? par ses jeunes amis, refusa p?remptoirement d'ob?ir. Le mar?chal alors sans ?gard pour l'?tat o? se trouvait la jeune femme du g?n?ral, envoya chez lui pour le faire arr?ter. Le g?n?ral arr?t? et conduit ? Soissons, parvint ? se soustraire ? ses gardes, et ?crivit au ministre pour r?clamer des juges, promettant de se constituer prisonnier d?s qu'on lui aurait d?sign? un tribunal r?gulier devant lequel il p?t compara?tre.

Cette sc?ne produisit parmi les militaires et dans une grande partie du public une vive sensation. On fut profond?ment irrit? contre le mar?chal, devenu de serviteur z?l? de l'Empire, serviteur non moins z?l? des Bourbons, et pers?cuteur de ses anciens camarades beaucoup plus que le g?n?ral Dupont ne l'avait ?t?. On se mit ? raconter les violences commises envers l'un des officiers les plus brillants de l'arm?e, et surtout le trouble caus? ? sa jeune femme, tout cela pour un d?lit fort contestable, pour un souvenir donn? par lui ? Murat, son ancien chef, son bienfaiteur, et on nia, ? tort ou ? raison, que le ministre e?t ? l'?gard des militaires sans emploi le droit de fixer leur r?sidence. L'opinion ?tait donc excit?e au plus haut point, et par les stimulants les plus propres ? agir sur elle.

Cet ?clat malheureux une fois produit, il ?tait impossible de s'arr?ter, et de laisser le g?n?ral en fuite, et sans juges. Il fallait n?cessairement lui en donner. Le mar?chal fit donc au Conseil royal un rapport mal con?u et mal motiv?, qui embarrassa m?me les membres du gouvernement les moins mod?r?s. Il aurait fallu se borner ? poursuivre le g?n?ral pour d?lit de d?sob?issance, et il y avait beaucoup ? dire en faveur du droit r?clam? par le ministre de la guerre. L'?tat en effet, en accordant une demi-solde ? un nombre consid?rable d'officiers, non pas ? titre de retraite, mais ? titre de demi-activit?, en attendant l'activit? enti?re, devait cependant conserver quelques droits sur eux, et ce n'?tait pas en r?clamer un bien excessif que de pr?tendre leur assigner un s?jour, car on pouvait avoir besoin d'eux dans tel endroit ou dans tel autre, et on devait avoir l'autorit? de les y envoyer. Le ministre ne s'en tint pas ? ce grief de d?sob?issance tr?s-soutenable, et il proposa de d?f?rer le g?n?ral Exelmans au conseil de guerre de la 16e division militaire, si?geant ? Lille, comme pr?venu de correspondance avec l'ennemi, d'espionnage, de d?sob?issance, de manque de respect au Roi, et de violation du serment de chevalier de Saint-Louis. Quoiqu'on commen??t dans le gouvernement ? ?tre fort irrit? contre les militaires, on fut ?tonn? de voir accumuler de tels griefs. Le g?n?ral Dessoles d?plora la n?cessit? o? l'on s'?tait mis de s?vir contre un officier aussi distingu? que le g?n?ral Exelmans, et trouva surtout bien ?trange de l'accuser d'espionnage. Il dit du reste qu'il fallait t?cher d'obtenir pour l'exemple une condamnation, mais avec la pens?e de faire gr?ce imm?diatement. Le comte d'Artois, avec une violence peu conforme ? sa bont? ordinaire, s'?cria qu'on devait bien se garder de faire gr?ce, qu'il fallait s?vir au contraire, afin de ramener les militaires ? l'ob?issance. Le duc de Berry tint le m?me langage, et ne put toutefois s'emp?cher de consid?rer le grief d'espionnage comme peu convenable. Le Roi lui-m?me et M. de Jaucourt, qui l'un et l'autre ?taient dans le secret des affaires ?trang?res , trouv?rent hasard? non-seulement le grief d'espionnage, mais celui de correspondance avec l'ennemi. Ils savaient combien il avait ?t? difficile ? Vienne de contester le titre royal de Murat; ils savaient que jusqu'? ses derni?res imprudences ce titre ne lui avait pas ?t? d?ni?, qu'on lui avait m?me laiss? la qualification d'alli?, et qu'en ce moment encore on ne lui avait pas donn? celle d'ennemi, bien qu'on e?t menac? de le traiter comme tel, au premier mouvement de ses troupes. Le Roi et le ministre int?rimaire des affaires ?trang?res ne dissimul?rent donc pas qu'il serait difficile d'appliquer officiellement ? Murat le titre d'ennemi, ce qui r?sulterait n?cessairement de l'accusation intent?e au g?n?ral Exelmans, contre lequel on n'avait d'autre fait ? all?guer que les lettres adress?es ? la cour de Naples.

On laissa donc le ministre de la guerre intenter au g?n?ral Exelmans un proc?s qui reposait, comme on vient de le voir, sur les griefs les moins s?rieux. Lorsque le g?n?ral Exelmans apprit qu'il ?tait renvoy? devant le conseil de guerre de la 16e division militaire, il n'h?sita pas ? se constituer prisonnier, d'apr?s l'avis de ses nombreux amis, qui avec raison ne croyaient pas qu'il y e?t un seul militaire, et m?me un seul magistrat, capable de le condamner.

Ces r?ponses ?taient si naturelles, et si fond?es, qu'elles rendaient toute d?fense ? peu pr?s inutile. Le d?bat fut court, et presque sans d?lib?rer le conseil de guerre acquitta le g?n?ral ? l'unanimit?. On se figure ais?ment la joie, et surtout la manifestation de cette joie parmi les militaires accourus en foule pour accompagner le g?n?ral. Il fut ramen? chez lui en triomphe, et en quelques jours l'impression ressentie ? Lille se propagea dans toute la France parmi les nombreux ennemis du gouvernement. Ses amis ?clair?s d?plor?rent un proc?s o? l'on avait pos? d'une mani?re si maladroite, et fait r?soudre d'une mani?re si dangereuse tant de graves questions ? la fois. Les cons?quences ?videntes de ce proc?s, c'?tait que l'arm?e ne consid?rait pas Murat comme ennemi, ne reconnaissait pas au ministre de la guerre le droit d'assigner une r?sidence aux officiers ? la demi-solde, et enfin que, juges ou accus?s, tous les militaires ne craignaient pas de se mettre en opposition flagrante envers l'autorit? ?tablie.

Jamais circonstance n'avait fait ressortir en traits plus frappants la faiblesse de la royaut? restaur?e. Sur qui s'appuyer en effet, contre tant d'ennemis si maladroitement provoqu?s, lorsque la force publique ?tait manifestement hostile? Sans doute il restait la garde nationale, compos?e des classes moyennes, lesquelles souhaitaient le maintien des Bourbons contenus par une sage intervention des pouvoirs publics. Mais ? Paris la morgue des gardes du corps, dans les provinces celle des nobles rentr?s, partout l'intol?rance du clerg?, les menaces contre les acqu?reurs de biens nationaux, les souffrances de l'industrie ruin?e par l'introduction des produits anglais, les pertes de territoire injustement imput?es ? la Restauration, enfin le r?veil de l'esprit lib?ral dont les Bourbons faisaient un ennemi au lieu d'en faire un alli?, avaient fort alt?r? les dispositions de ces classes moyennes, et parmi elles ce n'?tait plus que les esprits infiniment sages qui pensaient qu'il fallait soutenir les Bourbons en essayant de les corriger. Mais ce sentiment renferm? dans un nombre de gens tr?s-restreint, suffirait-il pour soutenir les Bourbons contre tant d'hostilit?s de tout genre? Personne ne le croyait, et la pens?e d'un prochain changement, pens?e qui souvent am?ne ce qu'elle pr?voit, avait p?n?tr? dans tous les esprits. En effet, quand cette opinion fatale qu'un gouvernement ne peut pas durer, vient ? se r?pandre, les indiff?rents d?j? froids se refroidissent davantage, les int?ress?s tournent les yeux ailleurs, les amis effar?s commettent encore plus de fautes, et les fonctionnaires charg?s de la d?fense h?sitent ? se compromettre pour un pouvoir qui ne pourra les r?compenser ni de leurs efforts, ni de leurs dangers. Ces derniers surtout se montraient alors aussi mal dispos?s que possible. Ils appartenaient presque tous ? l'Empire, car les royalistes, nobles ou non nobles, ?migr?s ou demeur?s sur le sol, malgr? leur bonne volont? de prendre les places, n'avaient pu les obtenir du gouvernement, tant ils ?taient ?trangers ? la connaissance des affaires. Beaucoup s'?taient dirig?s, comme on l'a vu, vers les emplois militaires, ce qui avait produit sur l'arm?e le plus d?plorable effet. Les autres avaient song? aux emplois de finances, mais M. Louis ayant le fanatisme de son ?tat, les avait impitoyablement repouss?s. Quelques-uns aspiraient aux emplois administratifs, mais l'abb? de Montesquiou, non moins hautain avec ses amis qu'avec ses adversaires, avait dit qu'il ne suffisait pas d'avoir ?migr? pour conna?tre la France et ?tre capable de l'administrer, et par d?dain autant que par paresse, il n'avait pas chang? vingt pr?fets sur quatre-vingt-sept. Enfin quant ? ceux qui songeaient ? la magistrature, on ?tait bien d?cid? ? les y admettre, mais l'?puration depuis longtemps annonc?e de cette magistrature ?tait ? peine commenc?e, et ils n'avaient pas eu le temps d'y trouver place, tandis que la destitution de MM. Muraire et Merlin avait ?t? pour les magistrats en fonctions un v?ritable sujet d'alarme. Ainsi l'arm?e profond?ment hostile, les fonctionnaires presque tous originaires de l'Empire, suspects ? la dynastie qu'ils n'aimaient pas, travaill?s en dessous par les royalistes qui voulaient leurs emplois, et fatigu?s de l'hypocrisie ? laquelle ils ?taient condamn?s, les classes moyennes favorables d'abord, refroidies depuis, le peuple des campagnes compl?tement ali?n? ? cause des biens nationaux, le peuple des villes inclinant vers les r?volutionnaires par go?t et par habitude, enfin quelques amis peu nombreux et peu ?cout?s parmi les hommes ?clair?s qui pr?voyaient le danger du r?tablissement de l'Empire, telle ?tait en r?sum? la situation des diverses classes de la soci?t? fran?aise ? l'?gard des Bourbons, situation se dessinant plus clairement ? chacun des incidents qui se succ?daient avec une ?trange rapidit?.

Parmi toutes ces classes, ou froides ou hostiles, la plus redoutable, celle des militaires, avait le sentiment que le gouvernement d?pendait d'elle seule, et qu'il serait renvers? d?s qu'elle le voudrait. Cette disposition ne s'?tait jamais vue dans notre arm?e, et fort heureusement ne s'est pas revue depuis, car il n'y a rien de plus dangereux qu'une arm?e qui veut prendre aux r?volutions de l'?tat une autre part que celle de maintenir l'ordre au nom des lois. Elle est bient?t le plus funeste et le plus abject des instruments de r?volution, car elle devient rapidement licencieuse, indisciplin?e, insatiable, et quelquefois l?che, bonne ? opprimer l'?tat au dedans, impuissante ? le d?fendre au dehors, le d?shonorant et se d?shonorant, jusqu'? ce qu'on la d?truise par le fer et le feu, comme il est arriv? des pr?toriens dans l'antiquit?, des str?litz, des mameluks, des janissaires dans les temps modernes. Jusqu'ici en effet, les r?volutions accomplies en France n'avaient eu aucun rapport ? l'arm?e, qu'elles n'avaient eue ni pour cause, ni pour but, ni pour moyen. Mais la r?volution de 1814, accomplie par toute l'Europe en armes, contre un chef militaire qui avait abus? de son g?nie et de la bravoure de ses soldats, semblait avoir ?t? sp?cialement dirig?e contre l'arm?e fran?aise, qui l'avait profond?ment ressenti. Flatt?e un moment par les Bourbons dans la personne de ses chefs, elle n'avait pas tard? ? s'apercevoir qu'entre elle et le gouvernement il y avait toute la diff?rence imaginable entre un parti qui avait d?fendu le sol et un parti qui avait voulu l'envahir, et cette fois l'id?e lui ?tait venue de jouer un r?le politique, un r?le r?volutionnaire.--Jetons ces ?migr?s ? la porte, ?tait le propos de toute la jeunesse militaire, accumul?e ? Paris.--Soit que Napol?on rev?nt se mettre ? sa t?te, ce qu'elle souhaitait ardemment , soit qu'il ne v?nt pas, elle ?tait r?solue ? renverser le gouvernement de ses propres mains, et le plus t?t possible. Les officiers sans emploi l'annon?aient hautement, et lorsqu'ils parlaient de la sorte, ils trouvaient ceux qui ?taient employ?s, ou silencieusement ou explicitement approbateurs, et pr?ts ? les seconder. Quant aux soldats, il n'y avait pas un doute ? concevoir sur leurs sentiments, car les jeunes ayant quitt? le drapeau par suite de la d?sertion g?n?rale en 1814, et ayant ?t? remplac?s par les vieux, revenus des prisons ou des garnisons lointaines, l'arm?e ?tait, surtout dans les derniers rangs, aussi hostile aux Bourbons que d?vou?e ? Napol?on.

Un ministre de la guerre, quel qu'il f?t, ne pouvait ?tre que fort insuffisant pour vaincre de telles dispositions, et le mar?chal Soult qu'on avait choisi dans l'esp?rance qu'il en triompherait, n'y avait gu?re r?ussi. Son essai de s?v?rit? envers le g?n?ral Exelmans avait au contraire amen? les choses ? un ?tat de fermentation des plus inqui?tants. Il n'?tait pas possible que des officiers de tout grade, g?n?raux, colonels, chefs de bataillon, jusqu'? de simples sous-lieutenants, rest?s ? la demi-solde, et r?unis ? Paris au nombre de plusieurs milliers, r?p?tassent sans cesse qu'il fallait renvoyer les ?migr?s ? l'?tranger, sans que des propos ils songeassent ? passer ? l'action. Bien qu'ils fussent assez nombreux pour tenter ? eux seuls un coup de main, ils sentaient que le r?sultat serait infiniment plus assur? s'ils avaient avec eux quelques-uns de leurs camarades pourvus de commandements, et pouvant disposer de corps de troupes au signal qu'on leur donnerait. Sous ce rapport ils ?taient parfaitement servis par les circonstances, car parmi leurs camarades les plus p?tulants s'en trouvaient qui avaient des commandements ? tr?s-petite distance de Paris. Le brillant Lefebvre-Desno?ttes ?tait rest? ? la t?te de la cavalerie de la garde, stationn?e dans le Nord. Les fr?res Lallemand, officiers du plus grand m?rite et des plus anim?s contre la Restauration, commandaient, l'un le d?partement de l'Aisne, l'autre l'artillerie de La F?re. Enfin l'un des premiers divisionnaires de l'Empire, Drouet, comte d'Erlon, fils de l'ancien ma?tre de poste de Varennes, ?tait ? la t?te de la 16e division militaire ? Lille. Ils pouvaient ? eux quatre r?unir quinze ou vingt mille hommes, les amener ? Paris, les joindre aux quelques mille officiers ? la demi-solde qui s'y ?taient agglom?r?s, et n'ayant ? craindre dans cette capitale que la maison du Roi, ils avaient la presque certitude de r?ussir. Toutefois, malgr? ces conditions si mena?antes pour le gouvernement, leur succ?s ?tait moins certain qu'ils ne le croyaient, ainsi que le r?sultat le prouva bient?t, car tr?s-heureusement le sentiment de l'ob?issance est tel dans l'arm?e fran?aise, qu'il n'est pas facile d'entra?ner des troupes, m?me dans le sens de leurs passions, si c'est en sens contraire de leurs devoirs. N?anmoins, les officiers m?contents ?taient pleins de confiance, et il est vrai que jamais conspirateurs n'avaient ?t? autant fond?s ? croire au succ?s de leur entreprise. Ils s'?taient mis d'accord entre eux, officiers sans emploi, officiers en activit?, et comprenant tr?s-bien que dans les entreprises de ce genre un grand nom est une importante condition de r?ussite, ils avaient song? au seul grand nom militaire laiss? dans la disgr?ce, ? celui du mar?chal Davout. Ce personnage grave et s?v?re, le plus ferme observateur de la discipline militaire, ?tait peu propre ? conspirer. Pourtant la conduite tenue ? son ?gard l'avait profond?ment bless?, et cette conduite ?tait vraiment inqualifiable, car il ?tait proscrit ? la demande de l'ennemi, pour la d?fense de Hambourg, l'une des plus m?morables dont l'histoire ait conserv? le souvenir. Aussi n'avait-il pas repouss? les jeunes et p?tulants g?n?raux qui s'?taient adress?s ? lui. Dispos? ainsi qu'eux ? consid?rer les Bourbons comme des ?trangers, se flattant de pouvoir par un mot exp?di? ? l'?le d'Elbe faire revenir Napol?on, le remettre ? la t?te de l'Empire, l'entreprise propos?e n'?tait ? ses yeux que la substitution d'un gouvernement national ? un gouvernement antinational, impos? ? la France par l'Europe. Le mar?chal, sans s'engager pr?cis?ment avec les jeunes artisans de ce projet, leur avait montr? assez de sympathie pour leur inspirer la confiance qu'il serait leur chef, et tout joyeux d'une telle adh?sion, indiscrets comme des gens joyeux, ils n'avaient gu?re fait myst?re de leurs esp?rances.

Cependant ? travailler ainsi pour Napol?on, il fallait travailler avec lui, avec son assentiment, avec son concours, et d?s lors se mettre en communication avec ceux qui ?taient suppos?s le repr?senter. Tout en cherchant sp?cialement les grands noms militaires de l'Empire, les hommes qui voulaient se d?barrasser des Bourbons avaient song? aussi aux grands noms civils, afin d'entrer en rapport avec Napol?on par leur interm?diaire. Ils ne pouvaient recourir au prudent Cambac?r?s que sa timidit? et sa gravit? rendaient inabordable, au sauvage Caulaincourt qui fuyait toutes les relations, au trop suspect et trop surveill? duc de Rovigo qu'il ?tait impossible d'approcher sans se d?noncer soi-m?me ? la police, et ils s'?taient tourn?s vers les deux hommes qui passaient pour avoir la confiance personnelle de Napol?on, MM. Lavallette et de Bassano. Mais M. Lavallette avait re?u de Napol?on pendant la derni?re campagne un d?p?t de seize cent mille francs en esp?ces m?talliques, composant toute la fortune personnelle de l'ancien Empereur, et il l'avait soigneusement gard? pour le restituer ? la premi?re demande. Dans sa fid?lit?, craignant de trahir un d?p?t qui pouvait devenir le pain de son ma?tre, il l'avait cach? avec beaucoup de pr?cautions dans sa propre maison, et pour le mieux cacher, il se cachait lui-m?me en ne voyant personne. C'?tait donc au fid?le et toujours accessible duc de Bassano que les auteurs de l'entreprise projet?e avaient eu recours. Ils l'avaient ? la fois charm? et terrifi?, charm? en lui prouvant qu'on ne cessait pas de penser ? Napol?on, terrifi? en l'informant d'un projet compromettant pour tant de monde, particuli?rement pour Napol?on lui-m?me, qui, ? l'?le d'Elbe, restait plac? sous la main des puissances, et expos? ? subir le contre-coup de toutes leurs inqui?tudes. Ce qui contribuait ? intimider M. de Bassano, c'est que, depuis le d?part de Napol?on pour l'?le d'Elbe, il n'en avait re?u aucune communication, et n'avait os? lui en adresser aucune. Les hommes qui avaient servi Napol?on ?taient si habitu?s ? attendre son initiative, que jamais ils ne se seraient permis de la pr?venir, et depuis sa chute ils n'avaient pas chang?. Les fautes des Bourbons leur avaient rendu l'esp?rance, sans leur inspirer une spontan?it? d'action dont ils avaient toujours ?t? d?pourvus. M. de Bassano, intimement li? avec les jeunes g?n?raux qui s'agitaient en ce moment, leur avait d?clar? qu'il ?tait sans rapports avec Napol?on, qu'il ne pouvait par cons?quent leur donner ni son avis, ni son assentiment, encore moins l'autorit? de son nom, puis il les avait suppli?s de ne pas compromettre leur ancien chef, qui, toujours ? la merci de ses ennemis, pouvait, sur un mot parti de Vienne, ?tre transport? violemment dans des r?gions lointaines et sous un ciel meurtrier. Cette r?serve n'avait ?t? prise que comme une prudence ordinaire aux personnages politiques, et les jeunes t?tes impatientes de relever l'Empire n'avaient ?t? ni d?courag?es, ni jet?es dans le doute par la mani?re de s'exprimer de l'ancien confident de l'Empereur.

Ces raisons, quoique tr?s-sens?es sous plusieurs rapports, p?chaient comme toutes celles qu'on all?guait pour tenter une r?volution nouvelle, par un c?t? fondamental, c'?tait de supposer qu'on p?t donner aux Bourbons un autre rempla?ant que Napol?on. La r?gence de Marie-Louise ?tait un pur r?ve, car l'Autriche n'aurait livr? ni Marie-Louise ni son fils, et cette princesse e?t ?t? aussi incapable de ce r?le que peu d?sireuse de le remplir. M. le duc d'Orl?ans qui pouvait ?tre amen? un jour, la couronne ?tant vacante, ? c?der au voeu irr?sistible de l'opinion publique, n'aurait ni devanc? ni provoqu? ce voeu, qui alors ?tait encore tr?s-vague. Marie-Louise, le duc d'Orl?ans ?tant impossibles par des motifs diff?rents, il fallait ou se proposer Napol?on pour but, ce qui ?tait une provocation insens?e et d?sastreuse ? l'Europe, ou conserver les Bourbons en les redressant, seule chose en effet qui f?t alors honn?te et raisonnable. M. Fouch?, plus sage en apparence, ?tait donc en r?alit? aussi ?tourdi et moins innocent que les folles t?tes qu'il pr?tendait diriger. Il produisait n?anmoins par ses discours quelque impression sur beaucoup d'anciens serviteurs de l'Empire qui se rappelaient le despotisme, l'ambition de Napol?on, qui redoutaient son ressentiment , et surtout l'effet de sa pr?sence sur l'Europe. Il ?tait difficile cependant de persuader aux jeunes g?n?raux qui ?taient pr?ts ? risquer leur t?te, de songer ? d'autres qu'? Napol?on, et on avait laiss? de c?t? cette question, pour ne s'occuper que du premier but, celui de renverser les Bourbons. Les auteurs du projet de renversement ne voyaient qu'une mani?re de s'y prendre, c'?tait de r?unir les troupes dont disposaient quelques-uns d'entre eux, de les amener ? Paris, de les joindre aux officiers ? la demi-solde, et avec ces moyens d'ex?cuter un coup de main. Aux mois de janvier et de f?vrier 1815, on en ?tait venu ? parler de ce plan avec une indiscr?tion singuli?re qui choquait d?j? le mar?chal Davout, trop grave pour des entreprises conduites aussi l?g?rement, et qui alarmait M. de Bassano, craignant toujours de compromettre Napol?on sans l'avoir consult?. Aussi M. de Bassano r?p?tait-il ? ces jeunes militaires, qu'il n'avait aucune communication avec l'?le d'Elbe, que d?s lors il ne pouvait leur assurer aucun concours, et qu'il les suppliait de ne pas compromettre Napol?on, qu'une imprudence exposerait ? ?tre d?port? aux extr?mit?s du globe. M. Lavallette, bien qu'il se cach?t, avait pourtant fini par les rencontrer, et par les entretenir de ce qui les occupait. Il les avait suppli?s de se tenir tranquilles, de ne pas chercher ? devancer les volont?s de Napol?on, et ils avaient r?pondu qu'ils n'avaient besoin de l'assentiment ni du concours de personne pour renverser un gouvernement antipathique ? la nation comme ? eux, et dont l'existence ?tait enti?rement dans leurs mains. Ils avaient donc persist? dans leurs projets, et ils fr?quentaient surtout M. Fouch?, qui avait cherch? ? se les attacher parce qu'il voyait en eux un fil de plus ? mouvoir, et qui avait employ? pour y r?ussir le moyen facile de les ?couter sans les contredire.

M. de Bassano ? la fois inquiet et satisfait de ce qu'il apprenait, fr?missait cependant ? l'id?e de voir une entreprise aussi grave que celle dont il s'agissait, tent?e sans que Napol?on en f?t averti, car elle pouvait contrarier ses vues, elle pouvait l'exposer ? des mesures cruelles, et enfin, ex?cut?e sans lui, elle pouvait profiter ? d'autres qu'? lui. Ce fid?le serviteur aurait donc voulu informer Napol?on de ce qui se passait, et tandis qu'il en cherchait le moyen, l'empressement d'un jeune homme inconnu le lui offrit ? l'improviste.

Un auditeur de l'Empire, M. Fleury de Chaboulon, ayant de l'esprit, de l'ardeur, de l'ambition, s'ennuyant ? Paris de n'?tre rien, avait r?solu d'aller ? l'?le d'Elbe pour mettre son activit? inoccup?e au service de l'Empereur d?tr?n?. Mais il voulait y arriver avec une recommandation propre ? lui assurer un accueil favorable. Il s'adressa donc ? M. de Bassano, qui l'?couta d'abord avec r?serve, qui s'ouvrit davantage lorsqu'il eut reconnu sa bonne foi, et finit par lui confier la mission d'exposer verbalement ? Napol?on la v?ritable situation de la France, c'est-?-dire l'impopularit? croissante des Bourbons, le refroidissement des classes moyennes pour eux, l'irritation des acqu?reurs de biens nationaux, l'exasp?ration de l'arm?e, la disposition des jeunes militaires ? tout risquer, enfin l'opinion universellement accr?dit?e, que l'?tat des choses ne pouvait durer, et qu'il changerait ou au profit de la famille Bonaparte, ou ? celui de la famille d'Orl?ans. M. Fleury de Chaboulon pressant M. de Bassano de s'expliquer plus clairement, et d'aboutir ? un avis donn? ? Napol?on, celui par exemple de quitter l'?le l'Elbe, et de d?barquer en France, M. de Bassano r?pondit avec raison qu'il ne pouvait prendre une pareille responsabilit?, que d'ailleurs ? un homme tel que Napol?on on ne donnait pas de conseil, et surtout un semblable conseil. M. Fleury de Chaboulon fut seulement charg? de porter ? l'?le d'Elbe l'expos? exact de la situation, avec recommandation expresse de ne rien dire qui f?t une incitation ? agir dans un sens ou dans un autre. M. de Bassano refusa de lui confier aucun ?crit, mais lui remit un signe de reconnaissance qui attest?t ? Napol?on de quelle part il venait. M. Fleury de Chaboulon partit en janvier, passa par l'Italie, tomba malade en route, et ne put ?tre rendu ? l'?le d'Elbe que dans le courant du mois de f?vrier.

Avant de faire conna?tre les r?sultats de sa mission, il convient d'exposer comment Napol?on vivait ? l'?le d'Elbe, depuis qu'il avait pass? de l'empire du monde ? la souverainet? de l'une des plus petites ?les de la M?diterran?e. C'est un curieux spectacle en effet, et digne des regards de l'histoire, que celui de cette activit? prodigieuse, qui apr?s s'?tre ?tendue sur l'Europe enti?re, ?tait renferm?e maintenant dans un espace de quelques lieues, et s'exer?ait sur douze ou quinze mille sujets et un millier de soldats! Notre t?che serait incompl?tement remplie si nous n?gligions de le retracer.

Prenant avec soumission les choses qui s'offraient ? lui, ne semblant pas s'apercevoir qu'elles fussent petites, il s'?tait mis ? l'oeuvre le lendemain m?me de son arriv?e, et avait commenc? par faire ? cheval le tour de l'?le. Apr?s en avoir parcouru l'?tendue en quelques heures, il avait arr?t? le plan de son nouveau r?gne, avec le z?le que quinze ans auparavant il apportait ? r?organiser la France.

Ses premiers soins furent consacr?s ? la ville de Porto-Ferrajo, situ?e sur une hauteur, ? l'entr?e d'un beau golfe tourn? vers l'Italie, et ayant vue sur les montagnes de l'?trurie. Elle avait ?t? jadis fortifi?e, et pouvait devenir une place capable de quelque r?sistance. Napol?on s'appliqua sur-le-champ ? la mettre en complet ?tat de d?fense. En se faisant suivre ? l'?le d'Elbe par un d?tachement de sa garde, il s'?tait assur? plusieurs centaines d'hommes d?vou?s, soit pour se d?fendre contre une basse violence, soit pour servir de fondement ? quelque entreprise hasardeuse, si jamais il en voulait tenter une. Ces compagnons d'exil au nombre d'un millier, enferm?s dans une bonne place maritime avec des vivres et des munitions, pouvaient s'y d?fendre quelques semaines, et lui donner le temps de se d?rober, si les souverains regrettant de l'avoir laiss? trop pr?s de l'Europe, songeaient ? le d?porter dans l'Oc?an. Il se h?ta donc de faire r?parer les remparts de Porto-Ferrajo, d'y r?unir l'artillerie qui avait ?t? r?pandue sur les c?tes de l'?le pendant la derni?re guerre, de la hisser sur les murs, d'achever et d'armer les forts qui dominaient la rade, de pr?parer des magasins, d'y rassembler des vivres et des munitions. En tr?s-peu de semaines Porto-Ferrajo devint une place qui aurait exig? pour s'en emparer une assez grosse exp?dition. Napol?on gagnait ? ces pr?cautions, outre des moyens de d?fense tr?s-r?els, l'avantage d'?tre plus s?rement averti de ce qu'on m?diterait contre lui, par l'?tendue m?me des forces qu'il faudrait d?ployer pour le violenter. Il ne borna pas l? sa pr?voyance. Une ?le tr?s-petite, d?pendante de sa souverainet?, celle de Pianosa, distante de trois lieues, pr?sentait des circonstances favorables ? ses desseins. Cette ?le, plate, couverte de bons p?turages, tr?s-pr?cieux en ces climats, ?tait surmont?e d'un rocher taill? ? pic, et d'un fort o? cinquante hommes ?taient presque inexpugnables. Il fit mettre le fort en ?tat de d?fense, y envoya des vivres et une petite garnison, et, sans dire son secret ? personne, il disposa les choses de mani?re que du fort on p?t dans la nuit descendre au rivage, s'embarquer, et prendre le large, ce que la position de l'?le rendait facile, car elle est situ?e non pas du c?t? de la Toscane, mais du c?t? de la pleine mer. Napol?on avait donc la ressource, si on venait pour l'enlever, de se r?fugier dans cette ?le de Pianosa pendant la nuit, et puis de s'y embarquer n'importe pour quelles r?gions. Afin d'en utiliser les p?turages, il y fit transporter ses chevaux et son b?tail, de sorte qu'il ?loignait, en profitant des avantages de l'?le, toute id?e d'un ?tablissement militaire.

Apr?s avoir pourvu ? la d?fense de l'?le d'Elbe, Napol?on y organisa une police des plus vigilantes. On ne pouvait aborder qu'? Porto-Ferrajo, capitale de l'?le, ou bien ? Rio, Porto-Longone, Campo, petits ports situ?s, les uns ? l'ouest, les autres ? l'est, et destin?s ceux-ci au service des mines, ceux-l? au commerce des denr?es du pays. Des postes de gendarmes devaient interdire l'acc?s des c?tes partout ailleurs, et une police de mer bien organis?e dans chacun des ports laiss?s ouverts, soumettait les arrivants, quels qu'ils fussent, ? un examen prompt et s?r. Quatre ou cinq heures apr?s chaque arrivage sur les points les plus ?loign?s de Porto-Ferrajo, Napol?on savait qui ?tait venu dans son ?le, et pourquoi on y ?tait venu. Il avait pour en agir ainsi d'assez graves motifs. Le gouvernement fran?ais avait plac? en Corse un ancien ami de Georges, le g?n?ral Brulart, qu'on avait ?lev? ? un grade et ? un commandement sup?rieurs ? sa position, ?videmment pour en faire le surveillant de l'?le d'Elbe. Rien assur?ment n'?tait plus l?gitime qu'une semblable surveillance de la part du gouvernement fran?ais, mais des avis parvenus ? Napol?on lui avaient fait craindre que cette surveillance ne f?t pas le seul objet qu'on e?t en vue, et qu'un attentat contre sa personne n'e?t ?t? m?dit?. Au surplus, il ne ressort des documents trouv?s depuis aucun indice accusateur contre le g?n?ral Brulart; toutefois il est certain que des intrigants, correspondant avec ce qu'on appelait la police du ch?teau, se vantaient de pouvoir faire assassiner Napol?on, et m?me d'y travailler; il est certain encore que des sicaires d'origine corse furent arr?t?s, et que les motifs de leur pr?sence dans l'?le d'Elbe rest?rent fort ?quivoques. Napol?on les renvoya en leur d?clarant qu'? l'avenir le premier d'entre eux surpris dans l'?le d'Elbe serait fusill?, et il ajouta qu'au premier grief fond?, il ferait enlever le g?n?ral Brulart en pleine ville d'Ajaccio par cinquante hommes d?termin?s, et en ferait ? la face de l'Europe une justice ?clatante. Nous devons ajouter que, soit crainte, soit innocence d'intentions, le g?n?ral Brulart se tint tranquille, et que de sa part rien ne parut aller au del? d'une l?gitime surveillance.

Ainsi Napol?on avait pris ses mesures, soit contre un assassinat, soit contre un projet d'enl?vement, car ayant rendu n?cessaire pour le violenter une forte exp?dition, il ?tait assur? d'?tre toujours averti en temps utile.

Quant au personnel de ses forces, il avait montr? autant d'art ? disposer d'un millier d'hommes, que jadis ? disposer d'un million. Avant de quitter Fontainebleau, Drouot lui avait choisi avec beaucoup de soin, parmi les soldats de la vieille garde, tous pr?ts ? le suivre, environ 600 grenadiers et chasseurs ? pied, une centaine de cavaliers, et une vingtaine de marins, en tout 724 hommes d'?lite. Ayant voyag? ? pied de Fontainebleau ? Savone, embarqu?s ensuite sur des b?timents anglais, ils avaient abord? ? Porto-Ferrajo vers la fin de mai. Napol?on qui avait craint un moment qu'on ne voul?t les retenir, les avait vus arriver avec une joie dans laquelle il entrait autant de pr?voyance que de plaisir de retrouver d'anciens compagnons d'armes. Il avait casern? les hommes de son mieux, et envoy? les chevaux dans les p?turages de Pianosa. N'ayant pas dans son ?le grand usage ? faire des cavaliers, il les avait convertis en canonniers, et il employait le loisir de l'exil ? les instruire. Une soixantaine de Polonais se trouvant ? Parme, et ayant obtenu la permission de s'embarquer ? Livourne, Napol?on avait pay? le fret, et s'?tait renforc? d'un nouveau d?tachement d'hommes d?vou?s. Quelques officiers fran?ais mourant de faim ?taient aussi venus le joindre ? travers l'Italie, voyageant comme ils pouvaient, et il les avait ?galement accueillis. Sa troupe s'?tait ainsi ?lev?e ? huit cents hommes environ, malgr? quelques morts et malades manquant au nombre primitif.

? ces huit cents hommes Napol?on trouva le moyen d'ajouter un renfort de soldats durs et intr?pides. Sous son r?gne la garde des ?les avait ?t? confi?e ? des bataillons d'infanterie l?g?re, dans lesquels on pla?ait les conscrits enclins ? la d?sertion, la plupart indociles mais vigoureux et braves. Deux de ces bataillons, appartenant au 35e l?ger, et contenant des Proven?aux, des Liguriens, des Toscans, des Corses, tenaient garnison ? l'?le d'Elbe en 1814. Au moment o? ils allaient s'embarquer pour la France, Napol?on leur d?clara qu'il garderait aupr?s de lui ceux d'entre eux qui voudraient entrer ? son service. Il en retint ainsi environ trois cents, Corses pour la plupart, lesquels, sauf quelques d?serteurs peu nombreux, lui demeur?rent invariablement fid?les. Il disposait par cons?quent de 1100 hommes de troupes r?guli?res, et de la premi?re qualit?. Il y joignit quatre cents hommes du pays, organis?s de la mani?re suivante.

L'?le d'Elbe poss?dait un bataillon de milice de quatre compagnies, assez bien disciplin?, et compos? d'aussi bons soldats que les Corses. Napol?on ordonna que chacune des quatre compagnies formant ce bataillon, aurait tous les mois vingt-cinq hommes de garde, et soixante-quinze laiss?s dans leurs champs, ce qui supposait cent hommes de service, et trois cents toujours disponibles au premier appel. On ne payait que les cent hommes de service, lesquels faisaient la police dans l'int?rieur de l'?le et sur les c?tes. La nouvelle arm?e de Napol?on comptait donc 1500 soldats, valant presque tous la vieille garde par le m?lange avec elle.

Ce n'?taient point l? les vaines occupations d'un maniaque, s'amusant avec des hochets qui lui rappelaient son ancienne grandeur: c'?tait pour lui, ainsi que nous venons de le dire, un moyen de se garantir, ou contre une violence, ou contre une d?portation lointaine, laquelle ne pouvait jamais ?tre une surprise, s'il ?tait en mesure de se d?fendre quelques jours; c'?tait enfin, si un nouvel avenir s'ouvrait devant lui, un moyen de descendre sur le continent, et d'y tenter un nouveau r?le, sans s'exposer ? ?tre arr?t? par quelques gendarmes et fusill? sur une grande route.

Ces soins donn?s ? sa s?ret? et ? son avenir, quel qu'il p?t ?tre, Napol?on songea ? embellir son s?jour, ? le rendre supportable pour lui, pour sa famille, pour ses soldats, ? d?velopper la prosp?rit? de son petit peuple, et enfin ? m?nager ses finances de mani?re ? en assurer la dur?e. En arrivant il s'?tait log? d'abord ? l'h?tel de ville de Porto-Ferrajo, et s'?tait ensuite transport? dans un palais des anciens gouverneurs, fort d?labr? et fort insuffisant. Il r?solut d'y ajouter un corps de b?timent, pour le r?gulariser et l'agrandir, et pour se mettre en mesure d'y recevoir convenablement sa m?re, ses soeurs, m?me sa femme, si contre toute vraisemblance celle-ci se d?cidait ? venir. Il acheta des meubles ? G?nes, et finit par rendre ce s?jour habitable. Il construisit un b?timent pour les officiers de son bataillon, afin qu'ils fussent r?unis sous sa main, et un peu mieux log?s que dans la ville. Outre sa r?sidence ? Porto-Ferrajo, il voulut avoir une maison des champs, et il entreprit d'en construire une, ? la fois simple et d?cente, dans le val San-Martino, charmante vall?e d?bouchant sur la rade de Porto-Ferrajo, et ayant vue sur les montagnes d'Italie. Il y ex?cuta des d?frichements et des plantations, et pr?ta fort ? rire au maire, homme simple et peu habitu? ? flatter, en pr?tendant qu'il y s?merait bient?t cinq cents sacs de bl?.--Vous riez, monsieur le maire, lui dit-il vivement, c'est que vous ne savez pas comment les choses se d?veloppent et grandissent. Je s?merai cinquante sacs la premi?re ann?e, cent la seconde, deux cents la troisi?me, et ainsi de suite.--? cette entreprise agricole, comme ? son grand empire, il ne devait manquer, h?las, que le temps! Apr?s avoir pr?par? sa double r?sidence ? la ville et ? la campagne, il s'occupa de sa capitale, Porto-Ferrajo, qui ?tait une ville de trois mille habitants. Il en fit nettoyer et paver les rues; il y construisit une jolie fontaine qui versait des eaux jaillissantes; il rendit carrossables deux grandes routes traversant l'?le enti?re, et qui partant de Porto-Ferrajo allaient, l'une ? Porto-Longone, port principal pour les relations avec l'Italie, l'autre ? Campo, petit port tourn? vers l'?le de Pianosa et la grande mer.

Ses finances ne lui permettaient pas d'affecter plus de six ? sept cent mille francs ? ces divers travaux , et il parvint ? s'y renfermer, en usant des bras de ses soldats auxquels il payait un modique salaire, en fournissant la pierre, le marbre, la brique, les ciments, les bois. Montant ? cheval une partie du jour, il appliquait ? ces objets, infiniment petits, ce puissant regard nagu?re fix? sur le monde, et toujours s?r dans les moindres choses comme dans les plus grandes. Il consacra ?galement ses soins ? tout ce qui pouvait am?liorer le sol et faire prosp?rer le commerce de son ?le. Il voulait la couvrir de m?riers pour y d?velopper l'industrie de la soie, et il commen?a par planter de ces arbres pr?cieux les deux routes qu'il venait de cr?er. Pr?s de Campo se trouvaient des carri?res de beau marbre; il en ordonna l'exploitation. Les salines et les p?cheries de thon constituaient deux des plus gros revenus du pays. Il s'occupa d'en am?liorer l'exploitation et le produit. Enfin il donna toute son attention aux mines de fer, composant la principale richesse de l'?le d'Elbe. Ces mines fournissaient depuis longtemps un minerai excellent en qualit?, contenant plus de quatre-vingts pour cent de m?tal pur. Mais faute de combustible on ne pouvait le convertir en fer, et on ?tait r?duit ? le vendre aux n?gociants italiens qui se chargeaient de le traiter. Napol?on se h?ta de recommencer sur une grande ?chelle l'extraction de ce minerai presque r?duite ? rien, et dans cette vue il s'effor?a d'attirer des ouvriers en les nourrissant avec des bl?s achet?s sur le continent italien. Mais pour toutes ces entreprises, l'exigu?t? de ses finances ?tait un obstacle difficile ? surmonter. ? en croire les habitants de son ?le, ses soldats, le public europ?en, et surtout les Bourbons, il avait emport? avec lui d'immenses tr?sors, car, except? sa personne physique, on ne pouvait croire ? rien de petit lorsqu'il s'agissait de lui. En pensant ? ces tr?sors, ses ennemis tremblaient, et ses na?fs sujets tressaillaient de joie. Mais ces tr?sors n'?taient que chim?re, car cet homme, le plus ambitieux des hommes, ?tait de tous le moins occup? de ce qui le concernait personnellement. Il avait march? jusqu'au jour supr?me de son abdication sans se demander de quoi il vivrait loin du tr?ne. Ayant eu l'art d'?conomiser sur sa liste civile 150 millions, qu'il avait d?pens?s non pour lui, mais pour les besoins extraordinaires de la guerre, il compta pour la premi?re fois au moment de quitter Fontainebleau, et il se trouva qu'il n'avait que les quelques millions transport?s ? Blois, et dont la plus grande partie avait ?t? enlev?e ? l'Imp?ratrice par l'envoy? du Gouvernement provisoire, M. Dudon. Heureusement qu'avant cet enl?vement, il avait eu le temps d'envoyer chercher 2,500,000 francs, que les lanciers de la garde avaient escort?s, et d'ordonner ? l'Imp?ratrice d'en prendre 2,900,000 pour elle-m?me. Sur ces 2,900,000 francs, l'Imp?ratrice avait pu lui en exp?dier encore 900,000, ce qui portait son tr?sor lorsqu'il ?tait parti pour l'?le d'Elbe ? 3,400,000 francs. Cette somme consistant en or et en argent, suivit ses voitures et lui parvint ? Porto-Ferrajo. C'?tait l? son unique ressource pour le faire vivre ? l'?le d'Elbe, lui et ses soldats, s'il se r?signait ? y finir ses jours. En effet, le subside annuel de 2 millions, stipul? par le trait? du 11 avril, n'avait point ?t? acquitt?, et il ne lui restait d'autres revenus que ceux de l'?le. Or, ces revenus ?taient fort peu de chose. La ville de Porto-Ferrajo rapportait en droits d'entr?e et autres environ cent mille francs; l'?le elle-m?me rapportait cent autres mille francs en contributions directes. Les p?cheries, les salines, les mines, dans leur ?tat actuel, produisaient ? peu pr?s 320,000 francs, ce qui composait un total de 520,000. Sur cette somme, les d?penses municipales de Porto-Ferrajo et des autres petits bourgs de l'?le, celles des routes, dans l'?tat o? Napol?on les avait mises, absorbaient au moins 200,000 francs, ce qui laissait un produit net d'? peu pr?s 300,000 francs par an. Or, il fallait que Napol?on entret?nt sa maison, sa marine et son arm?e, et ces trois objets n'exigeaient pas moins de 15 ? 1,600,000 francs. C'?tait par cons?quent une somme de 1,200,000 francs au moins ? prendre annuellement sur son tr?sor, d?j? r?duit de 3,400,000 francs ? 2,800,000 par la d?pense des b?timents. Il ne pouvait donc pas vivre longtemps ? l'?le d'Elbe, si on ne lui payait le subside convenu, ? moins de licencier sa garde, c'est-?-dire de se priver des fid?les soldats qui l'avaient suivi, de se livrer sans d?fense ? la premi?re troupe de bandits qui voudrait l'assassiner, et de renoncer enfin ? un noyau d'arm?e dont il ne pouvait se passer, quelque entreprise qu'il f?t amen? ? tenter plus tard. Aussi, sans avoir encore form? aucune esp?ce de projet, il s'appliquait ? veiller sur ses moindres d?penses, au point d'?tonner ceux qui ?taient le plus habitu?s ? son esprit d'ordre, et m?me jusqu'? faire crier autour de lui ? l'avarice. D?s le sixi?me mois de son s?jour, il avait cess? d'exiger le service des miliciens de l'?le, lesquels, comme nous l'avons dit, avaient toujours un quart de leur effectif sous les armes. C'?tait l'entretien de cent hommes de moins ? payer. Il avait chang? la formation de son bataillon de vieille garde, et ramen? le cadre de six compagnies ? quatre. Il avait r?duit ses ?curies au plus strict n?cessaire, n'avait conserv? que les voitures indispensables pour sa m?re, sa soeur et lui-m?me, et n'avait gard? en chevaux de selle que ce qu'il lui fallait pour parcourir l'?le ? cheval avec Drouot, Bertrand et quelques hommes d'escorte. Il avait fix? ? un taux tr?s-modeste, quoique convenable, le traitement de ses principaux officiers, sans pouvoir toutefois rien faire accepter ? Drouot. Ce dernier, ayant le toit et la table de son ancien g?n?ral, n'avait nul besoin, disait-il, d'autre chose pour vivre.

Tels avaient ?t? les arrangements de Napol?on ? l'?le d'Elbe pour le pr?sent et pour l'avenir. Sa vie du reste ?tait calme et remplie, car c'est le propre des esprits sup?rieurs de savoir se soumettre aux s?v?rit?s du sort, surtout quand ils les ont m?rit?es, et de s'int?resser aux petites choses, parce qu'elles ont leur profondeur comme les grandes. Sa m?re, dure et imp?rieuse, mais exacte ? remplir ses devoirs, avait cru de sa dignit? de partager le nouveau destin de son fils, et elle ?tait ? Porto-Ferrajo l'objet des respects de la cour exil?e. La princesse Pauline Borgh?se, qui poussait jusqu'? la passion l'amiti? qu'elle ressentait pour son fr?re, n'avait pas manqu? de venir aussi, et sa pr?sence ?tait infiniment douce ? Napol?on. Elle s'?tait fort appliqu?e ? le r?concilier avec Murat, ce qui n'avait pas ?t? tr?s-difficile. Napol?on avait peu de rancune, parce qu'il connaissait les hommes. Il savait que Murat ?tait l?ger, vain, d?vor? du d?sir de r?gner, mais bon autant que brave, et il lui avait pardonn? d'avoir c?d? aux circonstances qui ?taient extraordinaires. Murat repentant, surtout depuis qu'il avait senti la duperie autant que l'ingratitude de sa conduite, avait envoy? ? l'?le d'Elbe l'expression de son repentir, et en retour Napol?on avait charg? la princesse Pauline d'aller ? Naples apporter ? Murat, avec son pardon, le conseil d'?tre prudent, et de se tenir pr?t pour les ?v?nements impr?vus qui pouvaient encore ?clater. La princesse avait port? ? Murat ce message qui l'avait ravi, et elle ?tait revenue ensuite tenir fid?le compagnie ? son fr?re. Elle ?tait le centre d'une petite soci?t?, compos?e des habitants les mieux ?lev?s de l'?le, qui vivaient autour de Napol?on comme autour de leur souverain. On avait dispos? un th??tre dans lequel Napol?on admettait cette soci?t?, et tr?s-habituellement les soldats de sa garde. Il s'y montrait doux, poli, serein, et m?me attentif, comme s'il n'e?t pas assist? jadis aux chefs-d'oeuvre de la sc?ne fran?aise repr?sent?s par les premiers acteurs du si?cle. Les devoirs de sa modeste souverainet? remplis, il passait son temps avec Bertrand et Drouot, tant?t ? cheval et courant ? travers l'?le pour inspecter ses travaux, tant?t ? pied ou en canot. Quelquefois il s'embarquait avec ses officiers dans une grande chaloupe ? demi pont?e, et allait faire en mer des courses d'une et deux journ?es, reconnu et salu? par toutes les marines. Dans ces longues promenades par terre ou par eau, il s'entretenait gaiement ou gravement selon les sujets, quelquefois avec la vive humeur d'un jeune homme, le plus souvent avec la gravit? d'un g?nie vaste et profond. Il nourrissait toujours la pens?e d'?crire l'histoire de son r?gne, et discutait les points obscurs de sa carri?re avec assez de franchise, revenant fr?quemment sur l'irr?parable refus de la paix de Prague. C'?tait la seule faute qu'il avou?t sans difficult?.--J'ai eu tort, disait-il, mais qu'on se mette ? ma place. J'avais gagn? tant de victoires, et tout r?cemment encore celles de Lutzen et de Bautzen, o? j'avais r?tabli ma puissance en deux journ?es! Je comptais sur mes soldats et sur moi-m?me, et j'ai voulu jeter une derni?re fois les d?s en l'air. J'ai perdu, mais ceux qui me bl?ment n'ont jamais bu ? la coupe enivrante de la fortune...--Drouot l'?coutait la t?te baiss?e, n'osant lui dire qu'il est peu sage de jouer ainsi sa propre existence, mais qu'il est coupable de jouer celle de ses enfants, et criminel celle de sa nation! L'honn?te homme se taisait, ne se pardonnant ce silence que parce que son ma?tre ?tait vaincu et proscrit.

Dans cette vie paisible o? il r?vait d'?lever un monument historique immortel, Napol?on ?tait presque heureux, car au calme il joignait un reste d'espoir. Il lisait les journaux avec soin, et avec une p?n?tration qui lui faisait deviner la v?rit? ? travers les mille assertions des journalistes, comme s'il avait assist? aux d?lib?rations des cabinets. Selon lui, la R?volution fran?aise, arr?t?e un moment dans sa marche, reprenait son cours irr?sistible. L'ancien r?gime et la R?volution allaient se livrer de nouveaux et terribles combats, et au milieu de ces troubles il devait trouver l'occasion de repara?tre sur la sc?ne. Il ne savait pas pr?cis?ment s'il r?gnerait encore; il ?tait certain en tout cas qu'il ne pourrait pas r?gner de la m?me mani?re, car les esprits un moment paralys?s par l'effroi de la R?volution, avaient repris leur animation et leur ind?pendance. Que serait-il encore, que deviendrait-il, quel r?le aurait-il ? jouer? Il n'en savait rien, mais ? voir la gaucherie des Bourbons ? Paris, l'ambition des puissances ? Vienne, il se disait que le monde n'?tait pas pr?s de se rasseoir, et dans le monde agit? sa place devait toujours ?tre grande comme lui. Telles ?taient ses pr?visions confuses, et elles suffisaient pour que son immense activit?, actuellement enferm?e dans son ?me, ne l'?touff?t point. Il jouissait donc d'un repos ?clair? par un rayon d'esp?rance. Quelquefois le langage outrageant des feuilles publiques finissait par le remuer. Un jour qu'il avait re?u un grand nombre de gazettes, il en avait trouv? une qui disait qu'il ?tait devenu fou, que ses plus fid?les serviteurs, Bertrand, Drouot, que ses proches les plus d?vou?s, sa m?re, sa soeur, n'avaient pu supporter la violence de son caract?re, et qu'ils l'avaient quitt?. Il se rendit dans le salon o? sa m?re, sa soeur, Bertrand, Drouot, se r?unissaient, et jetant une masse de journaux sur une table, Vous ne savez pas, leur dit-il, vous ne savez pas que je suis devenu fou.... Aucun de vous n'a pu supporter les emportements de mon caract?re, vous ma m?re, vous Drouot, vous ?tes tous partis...--Puis il leur donna ? lire ces feuilles en r?p?tant: Je suis fou! je suis fou!... Il se rassit, et se vengea en discutant les affaires du monde, les fautes des uns, les fautes des autres, avec une sagacit? merveilleuse.--Les Bourbons, l'Europe, s'?cria-t-il, n'en ont pas pour six mois de la situation actuelle.--

En ce moment on lui annon?a l'arriv?e ? Porto-Ferrajo d'un jeune homme inconnu qui se disait charg? d'une mission importante aupr?s de lui. Ce jeune homme ?tait M. Fleury de Chaboulon, dont il vient d'?tre parl?. ? peine d?barqu? ? Porto-Ferrajo il avait demand? ? ?tre conduit chez le g?n?ral Bertrand, en se donnant pour un envoy? de M. de Bassano. Napol?on l'admit sur-le-champ aupr?s de lui, l'accueillit d'abord avec une certaine m?fiance, l'observa des pieds ? la t?te, vit bient?t qu'il avait affaire ? un jeune homme plein de bonne foi et d'ardeur, et quand il en eut re?u la r?v?lation d'une circonstance secr?te, connue de M. de Bassano et de lui seul , il lui pr?ta une oreille attentive.--On se souvient donc encore de moi en France? dit-il d'un ton de m?contentement; M. de Bassano ne m'a donc pas oubli??...--M. Fleury de Chaboulon ayant donn? les motifs de la r?serve extr?me dans laquelle les plus fid?les serviteurs de l'Empire s'?taient renferm?s, Napol?on n'insista pas un instant sur ce l?ger reproche, et ?couta l'expos? de l'?tat des choses, fait avec agitation mais avec sinc?rit? par son interlocuteur. Quoique M. Fleury de Chaboulon ne lui appr?t rien, et que sur la simple lecture des journaux il e?t tout devin?, il fut charm? d'en recevoir la confirmation par un t?moin oculaire, et surtout par un t?moin qui lui rapportait les propres paroles de M. de Bassano. Ce qui le toucha, et ce qui devait le toucher particuli?rement, ce fut la r?v?lation positive des sentiments de l'arm?e, et de l'impatience qu'elle manifestait d'?chapper ? l'autorit? des Bourbons. C'?tait une forte raison de croire qu'? la premi?re apparition de son ancien g?n?ral elle ferait ?clater ses sentiments, et pour une ?me audacieuse comme celle de Napol?on, la pr?somption du succ?s suffisait pour d?cider l'entreprise. Aussi apr?s avoir entendu l'envoy? de M. de Bassano, il r?solut de partir imm?diatement. Voulant cependant le faire expliquer davantage, il lui posa la question suivante:--Concluez, lui dit-il. M. de Bassano me conseille-t-il de m'embarquer et de descendre en France?...--Le jeune homme interrog? avec ce regard per?ant auquel personne ne r?sistait, n'osa ni assumer sur lui, ni faire peser sur M. de Bassano une responsabilit? aussi grande, et il r?pondit en tremblant, que M. de Bassano ne donnait aucun conseil, et lui avait express?ment recommand? de se renfermer dans le pur expos? des faits. Napol?on n'insista pas, et, comprenant qu'on n'avait pu prendre vis-?-vis de lui une aussi lourde responsabilit?, il renvoya M. de Chaboulon sans lui annoncer ses projets, mais en les lui laissant entrevoir. Craignant que l'?motion de ce jeune homme, initi? pour la premi?re fois de sa vie ? d'importants secrets, n'amen?t quelque indiscr?tion, il lui donna une mission imaginaire pour Naples, en lui prescrivant, quand il l'aurait remplie, de se rendre en France aupr?s de M. de Bassano, qui lui transmettrait de nouveaux ordres. ? cette ?poque Napol?on devait avoir renvers? le tr?ne des Bourbons, ou succomb? sur une grande route.

Gardant son secret pour lui seul, Napol?on s'en ouvrit cependant ? sa m?re.--Je ne puis, lui dit-il, mourir dans cette ?le, et terminer ma carri?re dans un repos qui serait peu digne de moi. D'ailleurs, faute d'argent, je serais bient?t seul ici, et d?s lors expos? ? toutes les violences de mes nombreux ennemis. La France est agit?e. Les Bourbons ont soulev? contre eux toutes les convictions et tous les int?r?ts attach?s ? la R?volution. L'arm?e me d?sire. Tout me fait esp?rer qu'? ma vue elle volera vers moi. Je puis sans doute rencontrer sur mon chemin un obstacle impr?vu, je puis rencontrer un officier fid?le aux Bourbons qui arr?te l'?lan des troupes, et alors je succomberai en quelques heures. Cette fin vaut mieux qu'un s?jour prolong? dans cette ?le, avec l'avenir qui m'y attend. Je veux donc partir, et tenter encore une fois la fortune. Quel est votre avis, ma m?re?--Cette ?nergique femme ?prouva un saisissement en ?coutant cette confidence, et recula d'effroi, car elle comprenait que son fils, malgr? sa gloire, pourrait bien expirer sur les c?tes de France comme un malfaiteur vulgaire.--Laissez-moi, lui r?pondit-elle, ?tre m?re un moment, et je vous dirai ensuite mon sentiment.--Elle se recueillit, garda quelque temps le silence, puis d'un ton ferme et inspir?: Partez, mon fils, lui dit-elle, partez, et suivez votre destin?e. Vous ?chouerez peut-?tre, et votre mort suivra de pr?s une tentative manqu?e. Mais vous ne pouvez demeurer ici, je le vois avec douleur; du reste, esp?rons que Dieu, qui vous a prot?g? au milieu de tant de batailles, vous prot?gera encore une fois.--Ces paroles dites, elle embrassa son fils avec une violente ?motion.

Enfin, apr?s avoir bien rumin? sa r?solution et son plan, apr?s s'?tre dit qu'il ne pouvait finir sa carri?re dans cette ?le si voisine de France, sans ?tre bient?t seul faute de moyens pour nourrir ses soldats, et expos? aux coups des plus vulgaires assassins, sans ?tre d'ailleurs prochainement d?port? par les puissances europ?ennes; apr?s s'?tre dit que dans l'?tat de la France d'autres tenteraient peut-?tre ce qu'il allait faire, sans avoir la m?me chance de r?ussir, qu'en se montrant sa pr?sence suffirait pour attirer ? lui toute l'arm?e, et mettre les Bourbons en fuite; que les souverains ? la veille de se s?parer, ainsi que l'attestaient les nouvelles re?ues, ne seraient pas faciles ? r?unir de nouveau, qu'ils h?siteraient ? reprendre les armes pour les Bourbons, en les voyant si fragiles, et en le trouvant lui si pacifique , qu'il avait donc toute chance de r?tablir d'un coup de baguette magique le tr?ne imp?rial, qu'enfin il fallait se h?ter pendant que les nuits ?taient longues encore; apr?s s'?tre dit tout cela une derni?re fois, il adopta le 26 f?vrier pour le jour de sa fabuleuse entreprise.

Avant de partir il exp?dia un message ? Naples par l'un des deux avisos qui servaient ? ses communications avec les c?tes d'Italie. En mandant ? Murat son embarquement pour la France, Napol?on le chargeait d'envoyer un courrier ? Vienne, afin d'annoncer ? la cour d'Autriche qu'il arriverait dans peu ? Paris, mais qu'il y arriverait avec la ferme r?solution de maintenir la paix, et de se renfermer dans le trait? de Paris du 30 mai 1814. Il lui tra?ait en outre la conduite ? tenir comme roi de Naples. Il lui recommandait express?ment de pr?parer ses troupes, de les concentrer dans les Marches o? elles ?taient en partie r?unies, mais de ne pas prendre l'initiative des hostilit?s, d'attendre patiemment ce qui se passerait ? Paris et ? Vienne avant d'op?rer aucun mouvement, et s'il ?tait absolument r?duit ? combattre, de r?trograder plut?t que d'avancer jusqu'? ce qu'on p?t lui tendre la main, car plus la bataille se livrerait pr?s de Naples, plus il serait fort, et plus les Autrichiens seraient faibles.

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