Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: Mémoires du duc de Rovigo pour servir à l'histoire de l'empereur Napoléon Tome 2 by Savary Anne Jean Marie Ren Duc De Rovigo

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 1200 lines and 99610 words, and 24 pages

Je remis cette lettre au premier consul, qui, au cachet de v?rit? qu'elle portait, jugea que j'obtiendrais peut-?tre des d?tails sur ce qui commen?ait ? l'occuper, et que, dans tous les cas, il ?tait bon de conna?tre les dispositions politiques de la Vend?e, dans des circonstances qui pouvaient s'aggraver par suite des ?v?nemens qui se pr?paraient.

Je partis donc incognito, et j'allai retrouver mon chef vend?en, qui me donna de nouveaux d?tails; et sur ma proposition r?it?r?e, nous part?mes tous deux, apr?s m'?tre pr?alablement d?guis?, pour aller ? la recherche de la bande dont il avait parl? dans sa lettre.

Le troisi?me jour, nous v?mes des hommes de son parti, qui s'en ?taient s?par?s la veille, et de qui nous e?mes tous les d?tails qui m'?taient n?cessaires pour fixer mes id?es sur ses projets.

Cette bande avait ? sa t?te deux hommes nouvellement d?barqu?s ? la c?te; elle courait le pays pour annoncer un changement prochain dans les affaires, et avertir que l'on e?t ? se tenir pr?t pour ce moment. Effectivement, je voyais les paysans se nombrer par petits cantons, comme pour se pr?parer ? une insurrection; il y en avait m?me qui me disaient dans leur jargon: <> On sait que c'?tait sous ce nom que les Vend?ens d?signaient les r?publicains.

J'eus lieu de reconna?tre, dans ce voyage, que ce malheureux pays ?tait encore susceptible de se laisser de nouveau mettre en feu, de m?me que j'eus la conviction que beaucoup de chefs vend?ens auxquels nous supposions une grande puissance morale dans ces contr?es, y ?taient tout-?-fait tomb?s dans la d?consid?ration ? cause de leurs rapports avec le gouvernement. L'on me r?p?ta qu'aucun d'eux ne serait en ?tat de remuer le pays, mais qu'il ?tait probable que, cette fois-ci, ce serait George lui-m?me qui viendrait; et on alla jusqu'? me dire que l'on ne croyait pas qu'il s'exposerait ? venir par la Bretagne, o? tout le monde ?tait vendu ; mais que probablement il viendrait par la Normandie. Je voyais ?videmment, ? l'esp?rance qu'ils en avaient, qu'il ?tait le seul homme qui p?t leur inspirer encore quelque confiance et les porter ? un mouvement.

Nous rev?nmes ce monsieur et moi ? son ch?teau, d'o? je partis le lendemain pour Paris.

Mise en jugement de plusieurs chefs vend?ens.--Querel.--Le jeune Troche.--Mission ? la falaise de Biville.

Ces d?tails surprirent beaucoup le premier consul, qui commen?ait ? ?tre inquiet de n'avoir pas re?u de nouvelles de moi depuis que j'?tais parti de Paris; il me dit des choses obligeantes sur ma hardiesse et ma r?solution ? courir des chances aussi dangereuses, et certes il m'en a tenu compte.

Il se d?termina alors ? employer des moyens s?v?res pour faire jaillir la v?rit? des t?n?bres. Il avait un tact inconcevable pour juger quand il ?tait sur un volcan, et pour mettre le doigt pr?cis?ment l? o? il pouvait d?couvrir quelque chose.

Depuis qu'il gouvernait, les jugemens par conseil de guerre avaient ?t? fort rares; il avait m?me eu le projet de les supprimer, hors les cas de discipline militaire.

Il y avait cependant dans les prisons plusieurs individus que la police y retenait, comme pr?venus d'espionnage ou machinations politiques, et l'on n'avait pas voulu les faire juger, parce que le premier consul disait que le temps am?nerait l'?poque o? on pourrait ne plus attacher d'importance ? ces intrigues-l?, et qu'alors on les mettrait en libert?.

Dans cette occasion-ci, il se fit apporter la liste de tous ces individus, avec la date de leur arrestation, et des notes sur leurs diff?rens ant?c?dens.

Il y avait parmi eux un nomm? Picot, et un autre nomm? Le Bourgeois, qui avaient ?t? arr?t?s depuis plus d'un an ? Pont-Audemer en Normandie, comme venant d'Angleterre; ils avaient ?t? signal?s ? leur d?part de Londres par un agent que la police y entretenait, et qui avait su d'eux-m?mes le sinistre projet qui les faisait passer en France, o? ils ne se rendaient que pour attenter ? la vie du premier consul. On s'?tait jusqu'alors content? de les tenir en prison. Le premier consul les d?signa avec trois autres pour ?tre mis en jugement; ils furent livr?s ? une commission. Les deux premiers montr?rent une obstination qu'on n'attendait pas; ils refus?rent de r?pondre, et furent condamn?s, fusill?s, sans laisser ?chapper un seul aveu. Ils sembl?rent m?me vouloir d?fier l'autorit?, et p?rirent en lui annon?ant qu'elle n'attendrait pas la guerre. Cette bravade diminua l'impression p?nible que fait toujours une ex?cution. On ne fut pas plus avanc?. Le premier consul n?anmoins fit surseoir ? la mise en jugement qu'il avait ordonn?e.

Le gouvernement, oblig? de recourir aux informations sur un projet dont il pressentait l'existence, avait excit? le z?le de tous les fonctionnaires. Ceux-ci s'?taient mis en recherche, et le pr?fet du Bas-Rhin, M. Sh?e, oncle du duc de Feltre, signala une intrigue qui se pr?sentait sous des couleurs assez f?cheuses. Il s'?tait assur? que le r?sident anglais pr?s la cour de Wirtemberg entretenait une correspondance ?tendue sur la rive droite du Rhin, qu'il ?tait sans cesse en voyage, et visitait fr?quemment une troupe d'?migr?s qui venait de se jeter dans le pays de Baden et aux environs d'Offenbourg. Il les encourageait, leur donnait des secours, et leur annon?ait un changement prochain en France. Enfin il avait pour auxiliaire la baronne de Reich, qui habitait Offenbourg, et figurait depuis long-temps dans toutes les trames contre-r?volutionnaires. On savait de quoi le r?sident ?tait capable. On r?solut de p?n?trer les vues, les projets qu'il nourrissait. On lui d?p?cha un ?missaire fin, d?li?, qui l'enivra d'esp?rances, lui surprit le secret des liaisons qu'il entretenait ? l'int?rieur, et le fascina au point que le diplomate lui proposa de l'associer ? ses desseins. L'?missaire accepta. Il pesa, discuta les chances que pr?sentait l'entreprise, plaida le faux pour savoir le vrai, obtint tous les renseignemens qu'il voulait avoir, et se mit en route pour Paris, muni de fortes sommes qu'il avait eu l'adresse de soutirer au cr?dule diplomate. Les projets qu'il signalait ?taient trop mis?rables pour qu'on s'y arr?t?t. Sa mission n'apprenait rien. On fut oblig? de chercher d'autres sources d'informations.

Le premier consul revint aux poursuites qu'il avait arr?t?es. Il se fit repr?senter la liste. Elle commen?ait par un nomm? Querel. <> demanda-t-il. On lui r?pondit que c'?tait un Bas-Breton qui avait servi sous les ordres de George dans la Vend?e. Arriv? ? Paris depuis environ deux mois, il avait ?t? arr?t? sur la d?nonciation d'un cr?ancier qu'il n'avait pu satisfaire, et qui, pour se venger, l'avait signal? au gouvernement. <> Il ?tait impossible que Querel, avec des ant?c?dens comme les siens, ne f?t pas condamn?. Il le fut en effet: mais la sentence ?veilla les r?flexions, car le lendemain, lorsqu'on se pr?senta pour le conduire au supplice, il d?clara qu'il avait des r?v?lations ? faire au premier consul qui int?ressaient sa vie. On sursit ? l'ex?cution. L'officier qui commandait le piquet vint pr?venir l'aide-de-camp de service des dispositions o? se trouvait Querel. L'aide-de-camp les transmit ? son tour au premier consul, qui l'envoya recevoir la d?claration. Elle fut d?taill?e, pr?cise, dissipa les nuages qui voilaient encore l'assassinat qu'on m?ditait. En effet, Querel d?clara qu'il ?tait ? Paris depuis six mois, qu'il ?tait venu d'Angleterre avec George Cadoudal et six autres personnes qu'il nomma. Ils avaient ?t? joints depuis par quatorze autres personnes ?galement venues d'Angleterre, d?barqu?es sur un cutter de la marine royale anglaise. Ils avaient tous ?t? d?pos?s au pied de la falaise de Biville, pr?s de Dieppe; ils avaient ?t? re?us par un homme d'Eu ou de Tr?port, qui les avait conduits ? quelque distance de la c?te, dans une ferme dont il ne savait pas le nom. Ils ?taient ensuite venus de ferme en ferme ? Paris, o? ils ?taient entr?s isol?ment, et o? ils ne se voyaient que quand George les faisait appeler. Ainsi George ?tait ? Paris depuis six mois; ce qui n'avait jusque-l? paru que du verbiage insignifiant acqu?rait par cette r?v?lation une importance toute particuli?re.

Depuis le r?tablissement de la tranquillit? int?rieure, la police avait fait le relev? de tous les individus qui avaient pris part aux discordes civiles, ou s'?taient fait remarquer dans les contr?es o? les vols de diligences et autres actes semblables avaient eu lieu; ces ?tats ?taient divis?s en plusieurs classes, 1? les excitateurs, 2? les acteurs, 3? les complices, 4? enfin ceux qui avaient favoris? l'?vasion de quelqu'un de ces individus.

Le tableau d'Eu et de Tr?port d?signait un horloger, nomm? Troche, comme un ancien ?missaire du parti. ? la v?rit?, il avait vieilli, mais son fils ?tait en ?tat de le remplacer. On ordonna ? la gendarmerie de l'arr?ter sans bruit et de l'amener ? Paris. On avait devin? juste. Ce jeune homme, ?g? de dix-huit ou dix-neuf ans y fut reconnu par Querel, et comme il avait autant de finesse que d'ing?nuit?, il se douta bien, en voyant ce dernier, de ce qu'on avait ? lui demander. Il ne chercha pas ? nier un fait qui ?tait trop palpable pour ?tre contest?; d'ailleurs son r?le avait ?t? si simple, qu'il ne voulut pas s'exposer ? devenir plus coupable par une d?n?gation qui, dans tous les cas, ne lui aurait servi personnellement ? rien. Il raconta tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait vu ou appris; qu'il avait conduit MM. de Polignac ? Biville, o? ils avaient pass? la journ?e dans la maison d'un matelot; qu'il ?tait all? les reprendre ? la nuit pour les mener ? la ferme qui formait la premi?re station pour se rendre ? Paris. Les d?tails fix?rent l'opinion qu'on devait se former de cette entreprise.

Troche avait d?clar? que trois d?barquemens avaient d?j? eu lieu, et qu'il devait s'en faire un quatri?me le lendemain soir du jour o? il parlait. On donna sur-le-champ avis de cette circonstance au premier consul. Il me fit appeler dans son cabinet, o? je le trouvai qui mesurait au compas les distances des diff?rens points de la c?te de Normandie ? Paris.

Il m'expliqua de quoi il ?tait question, et me fit partir de suite pour aller m'emparer de ce nouveau d?barquement; il me chargea ensuite de revenir par la route qu'avaient suivie ces petites bandes, et de reconna?tre moi-m?me ces divers foyers de troubles.

Je partis ? sept heures du soir, suivi d'une grosse guimbarde des ?curies du premier consul, qui ?tait pleine de gendarmes d'?lite.

J'avais amen? le jeune Troche avec moi, parce que le transport n'e?t pas pris terre, s'il ne l'e?t aper?u sur le rivage. Chemin faisant, il me conta son aventure avec une v?ritable ing?nuit?. Il venait seulement de s'apercevoir qu'on l'avait employ? ? des intrigues qui pouvaient le conduire ? l'?chafaud; il mettait autant de z?le ? aller tendre un pi?ge ? ceux qui arrivaient qu'il avait pu en mettre ? servir ceux qui avaient pass?.

J'avais des pouvoirs du ministre de la guerre pour tous les cas qui pourraient survenir; je ne craignais aucune entrave. J'arrivai ? Dieppe le lendemain ? la nuit close, c'est-?-dire vingt-quatre heures apr?s mon d?part de Paris.

Je demandai de suite les signaux de la c?te. Ils n'apprenaient rien, si ce n'est qu'un cutter ennemi continuait ? se tenir en croisi?re pr?s de Tr?port; j'en fis part ? Troche, qui me dit que c'?tait celui qui portait le d?barquement et le m?me qui avait amen? les trois autres. Il se tenait dans cette position afin de pouvoir, dans une seule bord?e, arriver au pied de la falaise o? il avait coutume de d?barquer; au surplus, il promettait, quand il l'aurait vu au jour, de me donner des indications plus positives. La mer ?tait assez forte et peu propre ? favoriser l'?chouage d'une chaloupe sur une c?te sem?e de r?cifs. N?anmoins je ne m'arr?tai pas ? Dieppe. Je me d?guisai et partis ? cheval pour me rendre ? Biville, o? j'emmenai le jeune Troche, ainsi que mes gendarmes, qui ?taient aussi d?guis?s. Tous ?taient des hommes d'un courage ?prouv?. On pouvait avec eux courir sans inqui?tude tous les hasards. Je fis mettre pied ? terre ? quelque distance de Biville. J'envoyai les chevaux ? l'auberge, et attendis, pour pousser plus avant, que ma petite troupe, qui avait ordre de ne pas se montrer, m'e?t rejoint. Elle ne tarda pas; nous nous rem?mes en route sous la conduite de Troche, qui nous mena ? une maison o? entraient habituellement les ?missaires que les paquebots anglais jetaient sur la c?te. C'?tait l? qu'ils se r?chauffaient, se d?lassaient, se disposaient ? gagner la premi?re station, qui, plac?e ? plusieurs lieues dans les terres, ?tait hors du cercle de la surveillance habituelle des autorit?s. Situ?e ? l'extr?mit? du village qui regarde la mer, la maison offrait ? ceux qui la fr?quentaient l'avantage de pouvoir entrer et sortir sans que personne les aper??t.

Je me pla?ai avec mon monde dans le jardin de cette chaumi?re; je cherchais ? recueillir le bruit qui pouvait d?celer des pas d'hommes, lorsque j'aper?us, ? travers une petite fen?tre, une large table charg?e de vin, de grandes tartines toutes coup?es, ainsi qu'un gros pain de beurre. J'appelai Troche et lui fis remarquer ces appr?ts. <> Le temps pressait; je me d?terminai ? entrer dans la maison, sans trop savoir ce que contenait la seconde pi?ce dont je voyais la porte.

J'avais avec moi un gendarme d'un sang-froid ? toute ?preuve. Je lui ordonnai de me suivre, de se jeter sur cette porte et de ne pas la laisser ouvrir que tous ses camarades ne fussent entr?s. J'?tais d?cid? ? fermer aussit?t la premi?re, bien persuad?, quoi que renferm?t la chaumi?re, qu'avec des hommes aussi d?termin?s, j'en viendrais ? bout. Mes dispositions prises, je fis entrer Troche, que je ne quittais pas des yeux, afin de m'assurer si quelque regard, quelque signe ne nous trahissait pas. La pr?caution ?tait inutile; la femme du matelot ne douta pas un moment que nous ne fussions des d?barqu?s, et demanda ? Troche combien il en amenait; Troche r?pondit qu'il ne venait pas de la c?te, qu'il y allait: <> Je fus curieux de savoir quel ?tait ce petit Pageot: c'?tait un comp?re de Troche qui venait quelquefois ? la falaise, mais dont les fonctions se bornaient ordinairement ? conduire les d?barqu?s ? la seconde station, et ? porter leurs paquets.

La bonne femme ignorait ?galement ce qui ?tait arriv? ? Troche et qui j'?tais. Je me h?tai de quitter sa maison pour aller ? la c?te o? le d?barquement devait s'effectuer pendant que j'?tais chez elle. De Biville ? la c?te il n'y a que pour quelques minutes de chemin. La terre ?tait couverte de neige, le vent nous donnait au visage; nous marchions avec pr?caution, lorsque nous entend?mes parler ? quelques pas en avant de nous. Troche crut reconna?tre la voix de Pageot; mais, comme la nuit ?tait noire et que la conversation se tenait dans un chemin creux, il ?tait impossible de juger du nombre des interlocuteurs. J'embusquai mes gendarmes derri?re l'avenue par laquelle ils arrivaient, et me pla?ai de ma personne ? l'endroit o? ils devaient d?boucher pour gagner la maison du matelot. Ils n'?taient que deux. Je donnai n?anmoins le signal. Mes hommes sortirent d'embuscade et les saisirent. Cette brusque apparition effraya les villageois: ils se crurent morts; mais Pageot aper?ut Troche, il se rassura et nous apprit qu'il revenait de la c?te, que la chaloupe n'avait pu aborder, parce que la lame ?tait trop grosse, qu'elle les avait pr?venus qu'elle prendrait terre le lendemain. Il y avait d?j? deux ou trois jours qu'elle essayait chaque soir d'aborder, mais la mer avait constamment ?t? mauvaise. Le pied de la falaise ?tant couvert de r?cifs, une embarcation ne pouvait approcher que pendant la mar?e haute, et lorsque les eaux sont tranquilles.

Je passai le reste de la nuit dans la maison du matelot, et j'allai au jour reconna?tre, avec Troche, le cutter ennemi, qu'il connut pour ?tre celui auquel j'avais affaire. Ce b?timent gagnait le large d?s que l'aurore commen?ait ? poindre; mais il revenait louvoyer d?s que le jour tombait, et se pla?ait en face d'une tour de signaux de c?te, que baignait un large et profond ravin, ? l'extr?mit? duquel ?tait fix?e une corde, connue dans le canton sous le nom de corde des contrebandiers.

Cette corde, de la grosseur d'un c?ble de vaisseau marchand, ?tait appliqu?e perpendiculairement le long de la falaise, qui, en cet endroit, a plus de deux cent cinquante pieds d'?l?vation ? pic. Elle ?tait amarr?e ? de gros pieux fich?s profond?ment dans la terre, et dispos?s de six pieds en six pieds. Celui qui montait le dernier la repliait et l'accrochait ? un piquet destin? ? cet usage, afin de la d?rober aux patrouilles qui pouvaient circuler le long de la c?te. Ce moyen d'introduire de la contrebande devait ?tre bien ancien, car cette corde me parut ?tre un ?tablissement tout-?-fait organis?. Elle avait ses surveillans qui ?taient charg?s de l'entretenir, et les contrebandiers payaient fort exactement la r?tribution qui leur ?tait impos?e pour la passe.

Jamais p?ril ne m'avait paru aussi imminent que celui que courait un homme gravissant ainsi la falaise, un fardeau sur les ?paules. Il suffisait qu'un pieu d'amarrage manqu?t pour qu'il ne f?t plus question de la contrebande ni du contrebandier. C'?tait par l? que George et ses compagnons ?taient venus en France, et assur?ment on ?tait loin de penser ? un passage qui s'effectuait ? moins de cent pas d'une tour de signaux, habit?e par les gu?teurs, qui ? la v?rit? se retiraient la nuit. Je fis de p?nibles r?flexions en voyant les mille dangers qu'on ne craignait pas d'affronter, pour vendre quelques denr?es prohib?es, et surtout pour venir commettre un crime qui, en r?sultat, ne devait changer la position d'aucun de ceux qui s'en chargeaient. Cela me donna la curiosit? d'approfondir jusqu'? quel point ces gens savaient ce qu'on leur faisait faire, et je fus bient?t convaincu qu'ils se doutaient bien qu'ils faisaient mal, mais aucun n'avait eu la pens?e de faire la moindre question l?-dessus. Cette corde ?tait un revenu pour les plus n?cessiteux: comme elle leur rapportait beaucoup, ils l'entretenaient avec soin, mais pas un d'eux n'avait cherch? ? p?n?trer ce qu'on ne lui avait pas dit. Ils respectaient tous les secrets des autres, pour que l'on respect?t celui qui les faisait vivre, et ils furent plus affect?s de la suppression de cette corde que d'avoir servi ? introduire George en France; du reste, tous croyaient fermement n'avoir favoris? que des contrebandiers. Aussi n'essaya-t-on pas de les punir d'une complicit? qu'ils ne soup?onnaient pas.

Je retournai le soir ? la c?te, et me pla?ai moi-m?me ? l'issue du d?bouch?, mais la mer fut constamment grosse. Je passai six ou sept nuits ? attendre un d?barquement qui ne put s'effectuer.

J'?tais depuis vingt-huit jours dans cette position, lorsque je re?us ordre de retourner ? Paris.

Activit? de la police.--Mesures diverses.--Moreau.--Personnage myst?rieux.--Conjectures ? ce sujet.--Famille royale.--L'attention se porte sur le duc d'Enghien.--Envoi d'un ?missaire sur les bords du Rhin.

Pendant que j'?tais ? Dieppe, la police avait continu? les recherches qu'elle faisait ? Paris. Elle avait non seulement acquis la connaissance individuelle de tous les ?missaires qui avaient suivi George, mais elle ?tait parvenue ? les arr?ter tous, depuis le chef jusqu'au plus simple individu de l'exp?dition.

Les arrestations avaient rompu le silence dont on s'?tait envelopp? en les commen?ant; les journaux qui en avaient parl? ?taient parvenus en Angleterre, d'o? l'on avait promptement envoy? pr?venir le cutter qui croisait devant Dieppe, o?, heureusement pour les passagers, le mauvais temps l'avait emp?ch? de les mettre ? terre.

Le cutter gagna les c?tes du Morbihan o? nous allons le retrouver tout ? l'heure. Je restai quelques jours aux environs de Dieppe, et rentrai ? Paris. Je fus surpris en arrivant de voir l'activit? que l'on avait d?ploy?e pour s'assurer de George et des siens. La cavalerie de la garde, celle de la garnison, fournissait des grandes-gardes qui ?taient post?es sur les boulevards ext?rieurs, et tenaient des vedettes autour du mur d'enceinte de la capitale. Continuellement en mouvement de l'une vers l'autre, celles-ci formaient des patrouilles permanentes qui avaient ordre d'arr?ter tout ce qui cherchait ? escalader les murs pour gagner la campagne.

Une mesure correspondante avait ?t? prise aux barri?res. On visitait avec la derni?re s?v?rit? tout ce qui en sortait.

On ne s'en ?tait pas tenu l?: on avait rendu une loi qui prescrivait ? chaque citoyen de d?clarer les personnes qui ?taient log?es chez lui, et qui pronon?ait la peine de mort contre quiconque donnerait asile aux complices de George. De semblables mesures devaient amener des r?v?lations; elles en amen?rent en effet.

On connut bient?t tous les individus qui avaient appartenu ? cette association. On en dressa une liste avec leur signalement, et on la placarda dans Paris, ainsi que dans toute la France, o? l'on ne pouvait plus voyager, m?me avec des passe-ports, sans ?tre examin? de la t?te aux pieds. Ce fut par les r?v?lations de quelques individus arr?t?s, qu'on d?couvrit que le g?n?ral Moreau n'?tait pas ?tranger ? l'entreprise.

La pr?sence de George, celle de diverses personnes, que l'?l?vation de leur naissance devait ?loigner d'un tel homme, ne permettaient plus de douter de l'existence d'une conspiration, ni du but qu'elle se proposait. Elle semblait assez grave pour ne pas repousser l'id?e que les conjur?s n'avaient rien n?glig? pour s'associer le g?n?ral Moreau. Cela parut d'autant moins invraisemblable, que la conduite que ce g?n?ral affectait de tenir fortifiait les soup?ons qui s'?levaient d?j? sur sa fid?lit? ? ses anciens principes politiques.

Le domestique de George d?clara qu'un soir il ?tait sorti en fiacre avec son ma?tre, qui avait avec lui un petit g?n?ral boiteux dont il ne savait pas le nom, ainsi qu'un autre personnage qui lui ?tait ?galement inconnu. Il ajouta qu'arriv?s au boulevard de la Madeleine, le petit g?n?ral ?tait descendu, et avait ?t? chercher le g?n?ral Moreau chez lui, rue d'Anjou; qu'alors son ma?tre, avec l'autre personnage, avaient mis pied ? terre, et que tous deux s'?taient promen?s avec le g?n?ral Moreau, pendant que lui et le petit g?n?ral boiteux se tenaient dans le fiacre. Quand ils remont?rent en fiacre, il entendit dire au personnage qui accompagnait son ma?tre, en parlant du g?n?ral Moreau: <>

Le grand-juge fit en conseil un rapport officiel sur cette circonstance, et l'arrestation du g?n?ral Moreau fut ordonn?e. Elle eut lieu sur le pont de Charenton; Moreau fut arr?t? comme il revenait de son ch?teau de Gros-Bois, et conduit au Temple; on s'assura ?galement de son secr?taire: mais Fouch?, qui probablement avait ses raisons pour qu'on ne scrut?t pas trop s?v?rement la conduite de Fr?ni?re , mit tout en mouvement pour lui faire rendre la libert?; il feignit le z?le, affecta le respect des formes et dit au premier consul que, <>

Le premier consul donna dans le pi?ge; malgr? les instances de la police, qui demandait ? retenir huit jours Fr?ni?re, il le fit mettre en libert?. Il y ?tait ? peine, qu'il fut vivement compromis par les d?positions de tous ceux que George avait mis en contact avec les entourages du g?n?ral Moreau. On chercha ? le reprendre, mais trop tard, il ?tait d?j? en s?ret?. Cette circonstance fit na?tre des soup?ons sur M. Fouch?; mais comme il ?tait d?j? connu pour ?tre d'un caract?re fort l?ger, on ne s'y arr?ta pas.

Fouch? suivait avec une sollicitude toute particuli?re les recherches que dirigeait M. R?al, et quand il avait surpris quelque nouvel incident, il courait le raconter aux Tuileries. Le premier consul qu'amusait quelquefois son esprit, lui disait: <> <> La conversation s'engageait ainsi sur l'entreprise de George, dont les ramifications ne laissaient pas que d'occuper le premier consul, qui aimait ? en parler de confiance. Fouch? s'emparait de tout ce qui lui ?chappait pour aller puiser de nouvelles informations.

Il ?tait difficile qu'en se pla?ant ainsi entre le chef de l'?tat et celui qui dirigeait les recherches, il ne trouv?t pas ? faire ses affaires personnelles; et peu lui importait aux d?pens de qui il les ferait. Mais en flattant le pouvoir, il n'oubliait pas ses fr?res et amis du bon temps, et r?pandait que <> et autres propos de cette esp?ce, qui trouvent toujours ? se placer dans une ville o? rien n'est perdu.

Cette tentative contre la vie du premier consul produisit une impression profonde sur l'opinion publique. On ?tait r?volt? ? la seule id?e d'un projet dont les moindres cons?quences eussent ?t? de replonger la France dans l'ab?me de malheurs auxquels elle ?tait ? peine ?chapp?e. On ?tait indign? des moyens d'ex?cution qui avaient ?t? adopt?s, parce qu'en France on n'aime pas les assassinats. Chaque d?partement, chaque ville un peu consid?rable, la Vend?e m?me envoya une d?putation particuli?re au premier consul pour le f?liciter de la d?couverte d'une trame aussi odieuse. Ces d?putations ne trouvaient pas d'expressions assez fortes pour rendre l'indignation qui les animait, et le d?vouement qu'elles portaient ? un homme dont la conservation int?ressait la France enti?re. On invoquait la vengeance des lois; on suppliait le premier consul de fermer l'oreille ? la cl?mence dans l'int?r?t de l'avenir. Ce cri ?tait unanime dans toute la r?publique. Chaque fonctionnaire, ?loign? ou pr?sent; chaque officier, de quelque grade qu'il f?t, et particuli?rement tout ce qui aspirait ? la faveur, ne r?vait qu'au moyen de saisir cette circonstance, pour signaler son d?vouement ? la personne du premier consul.

Je l'ai vu souvent fatigu? de tout ce qu'on lui disait ? cet ?gard; n?anmoins il fut vivement touch? des marques d'attachement qui lui furent donn?es de tous les points de la France, ainsi que cela avait d?j? eu lieu lors de la machine infernale. Il ?tait au temps de sa plus grande puissance sur la nation. L'arm?e r?unie dans les camps fr?missait de rage ? la seule pens?e qu'on avait voulu ?ter la vie ? celui qu'elle regardait comme son g?nie tut?laire. Si le lendemain du rapport du grand-juge, le g?n?ral Moreau e?t ?t? envoy? devant un conseil de guerre, c'e?t ?t? fait de lui.

On proposa de l'y traduire; mais le premier consul repoussa cette id?e, parce qu'il jugeait froidement de l'?tat des choses. Il eut raison; car, dans le fait, il ne s'agissait pas d'un d?lit militaire, et d'ailleurs la pr?sence de Moreau ?tait n?cessaire pour la suite de l'instruction du proc?s. Cette instruction se faisait au Temple m?me, et presque publiquement, car on y entrait sans difficult?. Le juge-instructeur s'y ?tait lui-m?me ?tabli, tant les confrontations ?taient nombreuses. Ind?pendamment de cela, la police continuait ses recherches. On ne voyait dans George qu'un chef d'ex?cution: l'on se demandait pour qui, au nom de qui, il aurait agi le lendemain du jour o? il aurait abattu le premier consul. L'on ?tait naturellement amen? ? conclure qu'un personnage plus important ?tait cach? quelque part, o? il attendait que le coup f?t port? avant de se faire reconna?tre. On jetait les yeux partout, on interrogeait les gens de George, ceux de la maison o? il avait demeur?, et on ne trouvait rien. Enfin, deux de ses domestiques, interrog?s s?par?ment, d?clar?rent que tous les dix ou douze jours il venait chez leur ma?tre un monsieur dont ils ne savaient pas le nom, qui pouvait ?tre ?g? de 34 ? 35 ans, qui avait le front chauve, les cheveux blonds, la taille m?diocre et une corpulence ordinaire. Ils rapport?rent qu'il ?tait toujours tr?s-bien mis, soit en linge, soit en habits; qu'il fallait que ce f?t un grand personnage, car leur ma?tre allait toujours le recevoir ? la porte; quand il ?tait dans l'appartement, tout le monde, MM. de Polignac et de Rivi?re, comme les autres, se levaient et ne s'asseyaient plus qu'il ne se f?t retir?, et que toutes les fois qu'il venait voir George, ils passaient ensemble dans un cabinet o? ils restaient seuls jusqu'au moment o? il se retirait, et qu'alors George le reconduisait jusqu'? la porte.

Cette d?claration, que l'on fit r?p?ter et circonstancier avec soin, augmenta encore l'anxi?t?. On chercha quel pouvait ?tre ce personnage, objet des respects de George et de ses complices; les d?posans ne pouvaient le dire. Ils ne l'avaient jamais vu avant qu'il v?nt voir leur ma?tre. On ne savait que conjecturer; on poussa d'autant plus vivement les recherches, on s'enquit si on ne frottait pas quelques vieux appartemens ? lambris dor?s dans les h?tels du Marais ou du faubourg Saint-Germain, qui presque tous ?taient depuis long-temps inhabit?s; mais on n'apprit rien. Il r?sultait des diff?rentes d?positions faites par les premiers individus qui avaient ?t? arr?t?s, que tous avaient ?t? embarqu?s en Angleterre sur un cutter de la marine royale qui les avait d?barqu?s sur nos c?tes; en outre, les sommes consid?rables dont ils ?taient porteurs au moment de leur arrestation, George surtout, d?montraient que cette entreprise ?tait celle d'un gouvernement qui n'avait rien n?glig? pour la faire r?ussir. On resta convaincu, malgr? la r?v?lation de quelques subordonn?s de George, qui donnaient des d?tails sur des poignards qu'ils portaient sur eux au moment de leur arrestation, que cette entreprise n'?tait que l'oeuvre du minist?re anglais qui voulait, ? tout prix, abattre le premier consul. On pensait qu'effray? de la sagesse avec laquelle il avait tout r?par?, tout calm?, il voulait le faire p?rir, mais que, pour ?loigner l'odieux d'un pareil attentat, il avait imagin? de le faire ex?cuter par les malheureux d?bris d'un parti qu'il n'avait cess? de nourrir de fausses esp?rances. Il abusa de leur infortune en les trompant ? l'aide de rapports que lui fournissaient les agens qu'il entretenait en France; il viola l'hospitalit? en faisant tenter en leur nom un crime qui devait tarir l'int?r?t qu'inspirait leur malheur.

Heureusement pour eux, cette conception exigeait des moyens qu'ils n'avaient plus; car rarement l'infortune rencontre autre chose que de l'abandon et de la perfidie.

La question de l'enl?vement du duc d'Enghien s'agite en conseil.--Opposition du consul Cambac?r?s.--L'ordre de l'enl?vement est donn?.--Le duc d'Enghien est amen? ? Paris.--Je re?ois le commandement des troupes envoy?es ? Vincennes.--S?ance de la commission militaire.

On commen?ait ? ?tre assez g?n?ralement d'accord sur la vraie source de cette entreprise, et l'on ?tait fort impatient d'arriver ? la d?couverte du personnage myst?rieux, qui n'?tait encore qu'un sujet de conjectures, et dont la connaissance devait fixer toutes les opinions. Chacun cherchait, se creusait la t?te, sans pouvoir fixer ses id?es; grands et petits, chacun montrait son d?vouement. Le premier consul ?tait peut-?tre de tous, celui qui s'abandonnait le moins ? son imagination: Il ne cessait de r?p?ter que ce n'?tait pas ? lui ? d?couvrir la trame qui le mena?ait. C'est, je crois, de ce moment que datent les combinaisons de quelques hommes d?cid?s ? exploiter cette circonstance ? leur profit. De toutes les conjectures qu'on lui soumit, celle qui parut le frapper le plus est la suivante. Elle ?tait tout ? la fois vraisemblable et perfide. On lui dit que le parti de la r?volution pouvait, tout aussi bien que la maison de Bourbon, profiter du coup que m?ditait George. Celle-ci n'avait s?rement pas manqu? de prendre ses mesures pour contenir les jacobins, elle avait infailliblement envoy? sur les lieux quelqu'un de ses membres pour rallier tout le monde, aussit?t que le coup aurait ?t? port?; le membre, ajoutait-on, ne serait-il pas le personnage myst?rieux qui s'?tait montr? chez George, et non chez Moreau, peu traitable alors, d?s qu'on attaquait le r?publicanisme?

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Back to top Use Dark Theme