Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: Le Tour du Monde; Dauphiné Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860 by Various Charton Douard Editor

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 190 lines and 47727 words, and 4 pages

Les gorges d'Ombl?ze. -- Die. -- La vall?e de Roumeyer. -- La for?t de Saou. -- Le col de la Cochette. 385

EXCURSIONS DANS LE DAUPHIN?, par M. ?lis?e RECLUS .

La Grave. -- L'Aiguille du midi. -- Le clapier de Saint-Christophe. -- Le pont du Diable. -- La B?rarde. -- Le col de la Tempe. -- La Vallouise. -- Le Pertuis-Rostan. -- Le village des Claux. -- Le mont Pelvoux. -- La Balme-Chapelu. -- Moeurs des habitants. 402

LISTE DES GRAVURES. 417

LISTE DES CARTES. 422

ERRATA. 427

EXCURSIONS DANS LE DAUPHIN?,

PAR M. ADOLPHE JOANNE.

Le pic de Belledonne.

Avant d'entrer ? Grenoble, la route de Paris gravit un petit escarpement au pied duquel coule l'Is?re et que domine le village de Saint-Martin-le-Vinoux. Du sommet de cette c?te on d?couvre un des plus beaux paysages de la France. Jamais je n'ai pu me lasser de l'admirer. Les vastes plaines du Drac et de l'Is?re, bien que trop souvent ravag?es par ces rivi?res qui les f?condent, sont couvertes d'une v?g?tation si luxuriante et si vari?e; les hautes montagnes, entre lesquelles elles s'?tendent ou se resserrent tour ? tour, pr?sentent des aspects si divers, des formes si diff?rentes, des teintes si oppos?es et si harmonieusement fondues ensemble, que la critique la plus difficile ne trouverait aucun trait, aucune couleur ? modifier dans ce merveilleux tableau. Rien n'y manque de ce qui peut charmer les yeux: eaux abondantes et rapides, vertes prairies, vergers touffus, immenses for?ts o? toutes les essences prosp?rent ?galement, rochers bizarres souvent visit?s par les nuages, neiges et glaces que ne parviennent point ? fondre les plus fortes chaleurs de l'?t?, et dont la blancheur fait para?tre plus bleu l'azur d'un ciel d?j? m?ridional.... Heureux ceux qui savent appr?cier ces chefs-d'oeuvre de la cr?ation! Quant ? moi, je retournerais chaque ann?e ? Grenoble, si je le pouvais, ne f?t-ce que pour contempler, n'importe ? quelle heure du jour, le panorama qu'offre aux touristes qui ont le bonheur de la gravir, la petite c?te de Saint-Martin-le-Vinoux.

Quelques minutes apr?s avoir d?pass? ce village si bien situ?, en contourne le dernier escarpement du mont Radiais, pour entrer ? Grenoble par la porte de France. Le paysage change tout ? coup; il est moins vari?, mais plus grandiose. La gravure plac?e en t?te de cet article me dispense de le d?crire. Au-dessus du groupe pittoresque des maisons et des monuments publics de Grenoble se dresse la grande cha?ne des Alpes dauphinoises, ?tincelante de neiges et de glaces ?ternelles, et dont les cr?tes dentel?es atteignent la hauteur de deux mille cinq cents ? trois mille m?tres.

Tout enfant, je m'?tais senti attir? par ces montagnes. Mon instinct ne me trompait pas: je pressentais, en les admirant pour la premi?re fois, que je passerais sur leurs sommets quelques-unes des plus belles heures de ma vie. Bien des ann?es cependant devaient s'?couler avant que je pusse satisfaire ces d?sirs de ma jeunesse. Devenu homme, je les avais vus s'accro?tre au lieu de diminuer. Ce n'?tait pas un caprice, c'?tait une passion; plus je m'y abandonnais, plus elle me poss?dait. J'en avais fait l'exp?rience dans les Alpes de la Suisse et du Tyrol; toutefois, par suite de circonstances inutiles ? rappeler ici, je n'avais pas encore escalad? les Alpes du Dauphin?. Stupide vanit?! diront les promeneurs des plaines. On n'entreprend de pareilles courses que pour s'en vanter au retour. Erreur profonde! Loin de moi la pr?tention d'excuser ni d'encourager des exp?ditions dangereuses o? l'on compromet par orgueil, non-seulement sa vie, mais l'existence des guides que l'app?t du gain d?termine ? vous accompagner. On n'est absous de pareilles tentatives que si elles ont pour but une observation ou une d?couverte scientifique. Elles m?ritent un bl?me s?v?re toutes les fois que l'amour-propre est leur seul mobile. Mais, quand on aime vraiment la nature, quand on sait en comprendre les charmes, les splendeurs, les harmonies, les enseignements, on ?prouve des jouissances infinies ? s'?lever sur les hautes montagnes. La sant? de l'?me y gagne autant que celle du corps. On y prend, en fatiguant ses membres pour les fortifier, ces bains d'air vivifiant que recommandait avec tant d'?loquence Jean-Jacques Rousseau; les sentiments s'y ?purent comme l'atmosph?re; les id?es y grandissent; on y d?couvre, ? mesure qu'on monte, des beaut?s inconnues de ceux qui se contentent de les contempler des vall?es ou des plaines; tout change, en effet, formes, couleurs, aspects, horizons; on ?prouve enfin un plaisir ind?finissable ? dominer, ? perdre de vue, en paraissant se rapprocher du ciel, ces bas-fonds de la terre, o? la triste humanit? se livre ? son travail forc?, plus occup?e malheureusement ? satisfaire de mauvaises et honteuses passions qu'? d?velopper les facult?s intellectuelles et morales qui devraient ?tre la source unique de ses plaisirs et de son bonheur!

Le 11 septembre 1852, le temps paraissant assur? pour le lendemain, je r?solus de tenter l'escalade de la plus haute sommit? de la cha?ne des Alpes dauphinoises qui dominent la rive gauche de l'Is?re. Cette sommit?,--on ne la voit pas de Grenoble,--se nomme le pic de Belledonne. La carte du d?p?t de la guerre, dont j'avais eu la pr?caution de me munir, lui donne une ?l?vation totale de deux mille neuf cent quatre-vingt-un m?tres. C'?tait tout ce que je savais. Vainement j'avais feuillet? et refeuillet? le petit nombre d'ouvrages publi?s soit ? Paris, soit ? Grenoble, sur le Dauphin?. Aucun d'eux ne consacrait une seule ligne ? cette montagne. Seulement, un botaniste qui ne l'avait pas gravie, mais qui s'?tait aventur? jusqu'? sa base, m'avait appris que l'ascension de Belledonne ?tait possible. Je devais aller coucher au village de Revel, o? je trouverais un guide nomm? Marquet.

Vers quatre heures de l'apr?s-midi je partis donc pour Revel avec un jeune compagnon qui d?sirait tenter aussi l'aventure. Nous remont?mes jusqu'? Dom?ne la rive gauche de l'Is?re, dans la c?l?bre vall?e du Graisivaudan, si belle ? cette ?poque de l'ann?e, mais trop infect?e par les mares pestilentielles o? rouit le chanvre. Aussi h?tions-nous le pas pour fuir l'odeur d?sagr?able et malsaine qui nous poursuivait depuis notre d?part de Grenoble, et, malgr? les admirables paysages que nous offraient incessamment les deux versants de la grande vall?e, nous v?mes s'ouvrir avec plaisir, ? Dom?ne, le vallon lat?ral que nous devions remonter.

De ce vallon sort un torrent qui descend du lac Robert et d'autres petits lacs sup?rieurs. L'entr?e en est ?troite et bois?e. Au lieu de s'engager dans cette gorge pittoresque, le chemin s'?l?ve en zigzags au-dessus de la rive droite. ? chaque contour on d?couvre de plus beaux points de vue sur la vall?e du Graisivaudan. Quand on a gravi ce premier escarpement, on se trouve dans une grande vall?e aux pentes fortement inclin?es, parsem?e de bois et de cultures vari?es, domin?e par un cirque immense de montagnes dentel?es qui relie Chanrousse ? Belledonne. Le premier plan est charmant. Sur un promontoire de rochers, ? la base duquel le torrent creuse incessamment son lit encaiss?, apparaissent au milieu d'un bouquet d'arbres les ruines d'un vieux ch?teau. Mais nous ?tions trop press?s d'arriver au village que nous voyions ? une petite distance pour aller explorer le manoir de Revel.

Le guide qui nous avait ?t? indiqu?, M. Marquet, ?tait heureusement chez lui, lorsque nous nous pr?sent?mes ? son d?bit de tabac. Je le trouvai, au premier abord, intelligent, complaisant et grand amateur de courses alpestres. Il paraissait aimer avec passion ses montagnes; plusieurs fois d?j? il ?tait mont? au sommet du Belledonne. Le temps, compl?tement au beau, ne devait nous inspirer aucune inqui?tude pour le lendemain. En cons?quence, nos petites conventions furent bient?t r?gl?es, ? notre satisfaction commune. Nous partirions ? trois heures du matin, afin d'arriver ? la cime avant dix heures. Restait cependant une question importante ? r?soudre: o? pourrions-nous trouver ? d?ner, un g?te pour la nuit et des provisions pour notre exp?dition.

Le village de Revel, situ? ? quinze kilom?tres seulement de Grenoble et peupl? de plus de neuf cents habitants, ne poss?de aucune auberge. Quand on veut y coucher, il faut demander l'hospitalit? au boulanger, M. Belot, qui l'accorde avec un empressement et une amabilit? dont on doit lui garder une reconnaissance ?ternelle, mais qui malheureusement manque de tout ce qui lui serait n?cessaire pour ?quilibrer le r?sultat avec sa bonne volont?. La maison de M. Belot m?rite une courte description. Le rez-de-chauss?e consistait en une pi?ce, tout ? la fois ou tour ? tour boutique, cuisine, salle ? manger, cabaret et four. Au fond, un escalier de bois, noirci par la fum?e comme les murs et le plafond, donnait acc?s ? une grande salle d'un aspect non moins sombre, mal ?clair?e d'ailleurs par une fen?tre dont les vitres ?taient en partie bris?es. De longs bancs de bois et des tables de bois, qui portaient les traces trop ?videntes de tr?s-nombreuses libations, en formaient tout le mobilier. Une chambre, ouvrant sur cette salle, servait de logement ? toute la famille compos?e alors du p?re, de la m?re et de deux enfants.

Mme Belot ?tait une petite femme active, intelligente et complaisante jusqu'au d?vouement. Soit qu'elle se f?t priv?e des deux paillasses sur lesquelles elle couchait, soit qu'elle en e?t emprunt? d'autres ? quelque voisine, en moins d'une demi-heure elle nous eut install? ? chacun un lit aux extr?mit?s sup?rieures des deux tables, et mis un double couvert au milieu de l'une d'elles. En attendant le d?ner, qu'elle nous promettait toutefois le plus t?t possible, nous descend?mes dans la rue pour respirer ? notre aise l'air ext?rieur, car l'atmosph?re de cette pi?ce avait ?t? tellement vici?e, pendant je ne sais combien d'ann?es, par une si grande vari?t? d'odeurs et d'?manations f?tides, et se renouvelait en outre si difficilement, qu'on s'y sentait pr?t ? suffoquer. Mais le rez-de-chauss?e nous pr?senta un spectacle qui devait nous y retenir assez longtemps.

Sept ou huit villageoises, l'aristocratie financi?re du village, ?taient group?es devant la gueule du four de M. Belot. Le boulanger, pour le moment l'arbitre de leur destin?e, semblait comprendre la hauteur de la mission qu'il ?tait appel? ? remplir. Le monde entier avait cess? d'exister pour elles; elles n'avaient plus qu'une seule pens?e: leur pogne serait-elle cuite ? point, de mani?re ? satisfaire tout ? la fois les yeux, l'odorat et le go?t. En v?rit?, leur physionomie r?v?lait une si poignante inqui?tude et un m?lange si expressif d'esp?rance et de crainte, qu'elles se transfiguraient ? mes propres yeux. Ce n'?taient plus de grosses, laides et malpropres paysannes avides d'un g?teau pr?f?r?, je voyais en elles de v?ritables artistes tremblant pour la r?alisation de leur r?ve favori, pour la r?ussite d'une oeuvre dont d?pendait leur fortune ou leur r?putation. M. Belot s'?levait presque au sublime quand il ?tait ? demi la plaque qui fermait la gueule du four afin de s'assurer si son exp?rience ne le trompait point. Sa pose, ses gestes, ses regards semblaient leur dire: C'est pour calmer votre impatience que je consens ? jeter un coup d'oeil furtif sur vos pognes, car je suis certain du succ?s de l'op?ration. Malgr? son sang-froid et son assurance, elles se dressaient toutes sur la pointe des pieds pour t?cher d'apercevoir au fond du four entr'ouvert l'?tat inqui?tant ou consolant de la p?te qu'elles avaient p?trie avec tant d'amour.

L'heure si vivement attendue arriva enfin. Tous les yeux se fix?rent sur le m?me point; les poitrines ?taient haletantes; l'anxi?t? atteignait son paroxysme. M. Belot, compl?tement ma?tre de lui, enleva la cendre br?lante qui fermait herm?tiquement la porte mobile du four, retira cette porte qu'il d?posa ? terre, et, saisissant avec vivacit? sa meilleure pelle, il la plongea d'un air triomphant jusqu'au fond de l'antre br?lant. L'habile boulanger de Revel avait eu raison de d?daigner les appr?hensions de ses pratiques. Jamais pogne mieux r?ussie n'avait r?joui leurs yeux charm?s. ?videmment il tenait ? se distinguer devant les ?trangers auxquels il avait accord? l'hospitalit?. Un cri d'enthousiasme et de joie s'?chappa de toutes les bouches, et nous m?l?mes d'instinct nos applaudissements ? ceux de la foule, s?rs que, cette fois du moins, on pouvait se fier ? son approbation.

Cette fourn?e, ? jamais m?morable dans l'histoire de Revel, ne pouvait ?videmment pas se passer d'une c?l?bration solennelle. ? la demande de son mari, Mme Belot apporta sur la table une bouteille de liqueur et douze petits verres. Il nous fallut trinquer avec les paysannes ? la sant? du boulanger, qui buvait ? la n?tre, en nous remerciant de nos ?loges, dont il paraissait vraiment heureux et fier. Ce tableau villageois avait, dans sa vulgarit?, un caract?re primitif que le souvenir a rev?tu d'une certaine po?sie.

Cependant les paysannes emport?rent leurs pognes, et nous remont?mes dans notre galetas. Le d?ner fut excellent, gr?ce ? un ?norme gigot cuit ? point, dont nous devions emporter le lendemain les restes dans notre exp?dition, et ? une grosse pogne qui nous parut un peu fade. La nuit, au contraire, devait ?tre terrible. La salle o? nous ?tions couch?s sur deux tables ressemblait ? une arche de No?: non-seulement elle servait d'asile ? la volaille de la maison, mais un grand nombre d'animaux nuisibles, quoique domestiques, y venaient prendre leurs ?bats. Il y avait des souris, il y avait des rats, il y avait des araign?es, des papillons de nuit, peut-?tre des chauves-souris, ? coup s?r des myriades de ces jolis, mais ex?crables, petits insectes que T?pffer a surnomm?s kangurous. ? peine notre chandelle fut-elle ?teinte que le sabbat commen?a. Les rats se distingu?rent par leurs ?volutions fantastiques, auxquelles je m'effor?ais vainement de donner un sens. Ils couraient ? droite, ils couraient ? gauche comme des insens?s, ils dansaient sur les bancs et sur les tables, ils grimpaient le long des murs, ils se promenaient, je crois, au plafond. Pour comble de malheur, deux ivrognes s'?taient attabl?s dans la boutique, et, comme tous les ivrognes, se r?p?taient incessamment les m?mes banalit?s sans se comprendre; plus ils buvaient, plus ils criaient, moins ils s'entendaient. Mme Belot n'osa pas les mettre ? la porte avant que l'horloge du village e?t sonn? minuit, puis la pauvre femme, qui devait se lever avec le jour, lava et rangea un peu trop bruyamment sa vaisselle, et elle monta enfin, vers une heure du matin, dans la petite chambre s?par?e de notre salle par une mince cloison, que faisaient vibrer les ronflements de son mari. Ses deux enfants, afflig?s pour le moment de la coqueluche, pleuraient ou criaient en fausset; elle dut les apaiser et les endormir. Enfin je l'entendis tomber ?puis?e sur je ne sais quel grabat. Bien que les rats et les souris, un moment troubl?s par son passage, se fussent empress?s de r?parer le temps perdu, vaincu par la fatigue, ? demi-asphyxi? d'ailleurs, je fermai les yeux et m'assoupis dans cet ?tat de veille qui n'est ni la vie ni la mort, o? l'on conserve le sentiment de l'existence, mais o? l'on perd la force de manifester sa volont?. Tous les bruits se confondirent en une vague rumeur qui devint une note monotone. Je regardais, sans la voir, la fen?tre par laquelle glissait un faible rayon lumineux, je devins m?me insensible aux caresses sans cesse r?p?t?es des kangurous, et, quand un rat, plus hardi que ses compagnons, se permit de venir chanter je ne sais quelle romance tout pr?s de mon oreille, je voulus en vain le prier poliment de s'?loigner....

Je ne dormais pas cependant, car, d?s que le pas de Marquet retentit dans la rue, je l'entendis. Dix minutes apr?s, nous ?tions, mon compagnon et moi, aux deux c?t?s de notre guide. La lune s'?tait couch?e, si mes souvenirs ne me trompent pas, et, bien que le ciel f?t sans nuages, l'obscurit? ?tait profonde, surtout au sortir du village, le chemin que nous suivions serpentant sous de grands arbres. Nous marchions d?j? depuis assez longtemps lorsque quatre heures sonn?rent ? l'horloge de Revel. Bient?t l'aurore aux doigts de rose--jamais elle n'avait mieux m?rit? cette qualification--nous apparut ? l'horizon, et peu ? peu tous les objets dont nous ?tions entour?s sortirent des t?n?bres pour s'?clairer de cette lumi?re vague et terne qui pr?c?de le v?ritable jour.

Nous gravissions des pentes douces couvertes de cultures vari?es. Chaque champ est entour? d'une haie et souvent s?par? du champ voisin par une ligne de grands arbres. De distance en distance, en nous retournant, nous apercevions, ? travers les brumes du matin, qui en cette saison s'?l?vent de tous les bas-fonds, la grande vall?e o? l'Is?re, libre encore de toutes digues, d?roulait ses longs et gracieux rubans d'argent.... Cependant, ? mesure que nous nous ?levions, les cultures devenaient plus rares et plus maigres. Nous entr?mes dans une for?t compos?e en grande partie de sapins, puis les arbres eux-m?mes disparurent peu ? peu, et deux heures environ apr?s notre d?part de Revel, nous atteign?mes la r?gion des p?turages.

Cependant Marquet s'?tait baiss?, et, ramassant une pierre, il la lan?a sur un tas d?j? consid?rable d'autres pierres qui s'?levait au fond d'un petit ravin enti?rement aride et nu. ? la gravit? de son maintien, ? la solennit? de son geste, je compris qu'il venait d'accomplir une sorte d'acte religieux.

<

Plus d'une fois dans les Alpes de la Suisse, de la Savoie ou du Tyrol, j'avais ?t? sollicit? par mes guides de rendre ainsi les derniers devoirs ? quelque victime de la fureur des ?l?ments ou de la perversit? des hommes. Cette pratique, aussi touchante dans l'intention qu'absurde dans la forme, ne m'?tonna donc pas; je m'empressai de m'y soumettre, et, quand ma pierre se fut arr?t?e sur le tas ainsi form? par tous les voyageurs qui avaient avant moi travers? ce passage, je demandai ? Marquet quel ?tait le mercier mort au fond de ce ravin solitaire, et comment il avait p?ri.

<>

? l'extr?mit? sup?rieure du lac du Crozet, le sentier que nous avions suivi cesse d'?tre praticable aux chevaux; il dispara?t m?me enti?rement. On passe o? l'on veut, c'est-?-dire o? l'on peut, en remontant la gorge sauvage au fond de laquelle les eaux des lacs Domeynon se frayent un passage ? travers les rochers jusqu'au lac du Crozet. Apr?s trente minutes de marche environ, on d?couvre sur la droite un vallon ?lev? , souvent visit? par les botanistes, qui sont certains d'y trouver un grand nombre de plantes rares. Mais, quand on veut faire l'ascension de Belledonne, il ne faut pas se laisser s?duire par les gazons et les fleurs de ces prairies alpestres. On doit, inclinant sur la gauche, s'?lever, de rochers en rochers, au haut de la pente escarp?e d'o? le torrent se pr?cipite en formant une cascade. Cette chute m?rite, ? un double titre, d'attirer l'attention. Quand il a plu abondamment sur la montagne ou quand le soleil a fait fondre les neiges, elle offre vraiment un bel aspect; en outre ses eaux se divisent: une partie va se jeter dans l'Is?re par la Combe de Lancey; l'autre arrose au contraire la vall?e de Dom?ne, apr?s avoir form? cette magnifique cascade de l'Oursi?res que ne manquent pas d'aller admirer tous les baigneurs d'Uriage.

Mais ces derniers pas sont plus nombreux qu'on ne le croirait d'abord; ils sont plus p?nibles, surtout si l'on suit le chemin que je me suis trac?. D?s que nous e?mes atteint l'extr?mit? sup?rieure du vallon de Domeynon, je demandai ? Marquet quelle direction il se proposait de prendre. Il me montra de la main les montagnes qui s'?levaient ? notre droite et qui paraissaient en effet d'un abord relativement facile.

<

--Une heure et demie, me r?pondit-il.

--C'est bien long. Pourquoi ne monterions-nous pas en suivant la ligne droite?

--La pente est trop roide.>>

Il s'agissait en effet de gravir une pente de quarante-cinq degr?s environ, recouverte d'une couche ?paisse de cette neige grenue et durcie qui n'est plus de la neige ? proprement parler, mais qui n'est pas encore de la glace et qu'on appelle dans les Alpes le nev?.

<

--Je n'oserais pas y conduire des voyageurs. Ce serait une trop grande responsabilit?.

--Si les voyageurs vous y conduisent, les suivrez-vous?

--Peut-?tre.>>

J'avais explor? assez de glaciers dans les Alpes de la Suisse, de la Savoie et du Tyrol pour savoir que je ne courais aucun danger en tentant de gravir cette pente de neige un peu trop roide. Puisque ce n'?tait pas un glacier, il n'y avait aucune crevasse ? redouter. D'ailleurs, avec une pareille inclinaison, les crevasses, ?tant toujours visibles, sont faciles ? ?viter. Le seul risque auquel on s'exposait ?tait une chute. Or on peut tomber partout si l'on manque de prudence ou de solidit?. Mon parti fut bient?t pris. J'en avertis mon compagnon qui n'h?sita pas ? me suivre. En me voyant si r?solu, Marquet hocha la t?te et s'assit sur un bloc de rocher.

Le nev? se trouvait dans d'excellentes conditions; il n'?tait ni trop dur ni trop ramolli. En y enfon?ant quatre ou cinq fois de suite avec vigueur l'extr?mit? de mon gros soulier ferr?, je formais facilement un degr? qui offrait toute la solidit? d?sirable. Mon compagnon n'avait qu'? monter cet escalier improvis? que je tra?ais parfois en zigzag pour diminuer la roideur de la pente. Nous nous ?levions rapidement, et d?j? nous avions atteint la moiti? environ de la rampe, lorsque Marquet se d?cida ? profiter de mon chemin. Il fut bient?t aupr?s de nous, c'est-?-dire derri?re nous. Nous arriv?mes ainsi ? la file, non sans fatigue mais sans accident, sur un vaste plateau de nev? en pente douce, d'o? une demi-heure nous suffit pour nous ?lever jusqu'? celui des pics de Belledonne que couronne une croix de bois. Le grand pic, haut de quelques m?tres seulement au-dessus du point o? nous ?tions parvenus, est si escarp? qu'aucun ?tre humain n'a pu le gravir.

Quelques nuages avaient malheureusement, pendant la derni?re partie de notre ascension, mont? du fond des vall?es sur un certain nombre de sommit?s qu'ils nous cachaient. Toutefois le panorama que nous d?couvrions encore r?pondait enti?rement ? nos esp?rances. J'en connais peu de plus grand, de plus vari?, de plus beau. Un pareil tableau ne saurait ni se peindre ni se d?crire. Je ne ferai donc pas ici une tentative inutile. J'indiquerai seulement en quelques lignes les points les plus importants ou les plus ?loign?s qu'embrassaient nos regards.

Oui, l'homme est trop petit, ce spectacle l'?crase; Il sent, dans les transports de sa premi?re extase, Sa raison s'?garer. En vain il veut parler, sa voix tremblante expire; ?bloui, haletant, il regarde, il admire, Et se prend ? pleurer.

Le Dauphin?.

Je visitais un jour l'?tablissement thermal de la Motte sous la conduite d'un vieux m?decin qui se montrait fort peu satisfait des impressions que trahissaient ma physionomie et mon langage. Son m?contentement ?tait tel qu'il ?tait pr?t ? d?passer les bornes de la politesse.

<

--Connaissez-vous la Suisse? lui r?pondis-je avec le plus grand calme.

--Non, monsieur, mais....>>

Il allait continuer, je l'interrompis.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Back to top Use Dark Theme