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Read Ebook: Le Tour du Monde; Scandinavie Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860 by Various Charton Douard Editor
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 113 lines and 24299 words, and 3 pagesAu retour, nous touchons de nouveau ? Laerdal; nos carrioles, hiss?es ? bord, seront confi?es ? l'honn?tet? des passagers; une lettre envoy?e d'avance ? Bergen pr?viendra l'aubergiste de leur arriv?e solitaire; nous les retrouverons dans la remise sans que rien manque ? nos provisions, abandonn?es ? la bonne foi publique. Quel est le pays o? l'on pourrait en faire autant. Le steamer, qui a int?r?t ? emmener avec soi tous les passagers, se garde bien de les conduire ? l'entr?e de la route qui m?ne par terre du Sogn au Hardanger; il laisse le voyageur au fond d'un fjord voisin, ? Underdal, mis?rable hameau, o? nous trouvons au bout d'une heure une barque et deux rameurs. Une famille norv?gienne, qui se prom?ne dans le Sogn, navigue de conserve dans une autre barque. La mer est devenue calme, l'eau est de ce beau vert ?meraude qu'on ne trouve que dans le Nord. Le long des falaises g?antes du fjord roulent des chutes sans nom qui seraient c?l?bres ailleurs. Tout au haut du fjeld, si haut que l'oeil a peine ? y arriver, apparaissent quelques saeters suspendus ? quatre mille pieds au-dessus de la mer. On dit qu'en hiver de terribles avalanches roulent le long de ces pentes abruptes pour se perdre en sifflant dans les profondeurs du fjord et que plus d'une barque a ?t? victime de leur ?norme chute. Le Naer?fjord est de tous les bras du Sogn le plus ?troit et celui o? les falaises atteignent le plus de hauteur. La barque l?g?re qui file entre ces murailles de granit doit faire du haut des nuages l'effet d'une fourmi parcourant le fond d'une tranch?e de drainage. Le site sauvage au milieu duquel est assise l'?glise de Bakke et les portes de Gudvangen, ? l'extr?mit? m?me du fjord, atteignent m?me ce caract?re de sublime que le crayon rend mieux que toutes les descriptions. ? Gudvangen m?me la mer n'est pas large comme la Seine. Sur un des bords sont b?ties une douzaine de maisons qui forment le village; en face, le long de la montagne, se pr?cipite la plus haute chute d'Europe, celle de Keel, qui d'un seul jet tombe du plateau sup?rieur sur un rocher d'o? elle s'?parpille en ?cumant dans la mer. Gudvangen ?tait encombre de voyageurs. La < Le lendemain, deux stolekjaerre nous attendaient ? la porte. Quand on n'a plus de carrioles, le ma?tre de poste est tenu de vous fournir avec le cheval une lourde machine, compos?e d'une charrette ? deux roues, avec un si?ge ?troit suspendu par un ressort en bois sur le cadre m?me du v?hicule. Le fond est destin? ? vos bagages, le si?ge ? votre propre personne qui y occupe la position du monde la plus triste et la plus resserr?e. ? chaque relai, on change de stolekjaerre; ce n'est qu'une diversion au supplice; quelquefois une aristocratique courroie remplace le ressort de bois; on jouit alors de la derni?re expression du confortable. En sortant de Gudvangen nous roulions dans la vall?e de Naer?dal, arros?e par un large torrent d'un vert limpide; ? l'extr?mit? de la vall?e, qui n'a pas deux lieues de long, les falaises se rapprochent. Le torrent de Naer?dal est form? par deux ?normes chutes qu'on ne voit point encore, cach?es qu'elles sont dans les replis sym?triques de la montagne; une pente abrupte, une sorte de dos d'?ne escarp? les s?pare. C'est l?-dessus que la route monte en lacet et de telle sorte qu'? chaque tournant on domine ou la chute de droite ou la chute de gauche, enferm?es dans le puits naturel au fond duquel elles tombent d'une hauteur immense . ? chaque tournant, les ing?nieurs qui ont fait en ma?onnerie cet admirable travail, ont pos? des bancs de bois. C'est la derni?re recherche de la civilisation dans le site le plus sauvage et le plus d?sert qu'il soit possible d'imaginer. Ce travail est analogue ? l'h?lice de Vindhellen, moins saisissant de hardiesse, plus pittoresque peut-?tre ? cause des deux chutes qui attirent ? chaque instant le regard et qu'on finit, au haut de la mont?e, par embrasser d'un m?me coup d'oeil avec la vall?e enti?re qui fuit jusqu'? la mer. Vosse-Vangen. -- Le V?ringfoss. -- Le Hardangerfjord. Une fois hors du bassin du Sogn, l'aspect du paysage et des gens eux-m?mes change. Le pays, d?s qu'on, a d?pass? le lac Vinje et ses maisons aux toits empanach?s d'arbustes, para?t plus fertile; d'immenses fermes se succ?dent; on fait les foins dans des prairies qui s'?tendent ? perte de vue vers le sud. ? droite et ? gauche les montagnes ne sont plus que des croupes bois?es, sillonn?es d'?normes torrents. Quant aux costumes, ils changent aussi. Nous sommes dans la paroisse de Vangen et dans le district de Hardanger. Vers midi nous arrivons ? Vosse-Vangen; encore une petite ville toute neuve, b?tie, chose rare, au pied de son ?glise . Vosse, au bord d'un lac, dans un pays fertile, ? port?e des excursions les plus vant?es de l'?v?ch?, est un s?jour de pr?dilection pour les touristes; un h?tel, un vrai h?tel, y ?tale son enseigne. Vosse est propre; nous croisons une noce et nous profitons de la circonstance pour voir l'?glise, ancienne, assez curieuse, et assister aux appr?ts de la c?r?monie. La mari?e, ruisselante de bijoux et d'ornements, est toute jeune; les gens de la noce sont endimanch?s ? qui mieux mieux. Du reste, l?, comme partout, les vieux usages, les vieilles chansons, toutes les c?r?monies graves ou burlesques qui entouraient de temps imm?morial l'union des ?poux, tendent ? dispara?tre, et j'ai peur que bient?t la pr?sentation anglicane au ministre ne remplace les rites joyeux contemporains d'Odin. J'oubliais d'ajouter ? l'?loge de Vosse, que la p?che y est tr?s-abondante, et plus facile peut-?tre que dans les district du Nordland, o? l'autorit? locale abuse de la loi pour pressurer les ?trangers. C'est de Vosse qu'il est le plus facile d'atteindre le Hardanger, cette immense art?re qui p?n?tre de cent cinquante kilom?tres dans les terres et n'est desservie par aucun steamer; pas une route, pas un chemin de traverse n'y aboutit; c'est en barque qu'il faut y voyager si l'on veut ou y entrer ou en sortir, et encore pour cela il faut gagner Bergen et arriver au fjord par son embouchure. Mais si Ton veut visiter les fonds m?mes du Hardanger, les chutes d'Odde, le V?ringfoss, les glaciers de Justedal, force est de passer ? cheval les montagnes qui bordent la c?te septentrionale du Hardanger. En cons?quence, apr?s deux heures pass?es ? Vosse nous tournions le dos ? la grande route pour prendre une sorte de traverse qui unit le lac Vangen au lac Graven. Au bout de deux milles, franchis en pleine for?t, on d?bouche sur une vall?e fertile; une ferme consid?rable est b?tie au bord d'un torrent endigu? sur ses deux rives; des scieries, des moulins sont joints aux b?timents du Gaard; c'est tout un village; un quart d'heure apr?s, par un de ces contrastes si fr?quents en Norv?ge, le site devient sauvage, une vall?e aride, encombr?e d'un chaos de rochers, s'ouvre ? l'ouest avec des vues lointaines sur le Hardanger, la route descend ? pic au fond du pr?cipice et traverse le torrent sur un pont de pierre, jet? en face d'une chute ?norme . Le paysage vaudrait ? lui seul l'excursion. Du reste, une lieue plus loin, appara?t la maison blanche de Vasenden au bord du Gravensvand, petit bassin d'une lieue de large, entour? de collines verdoyantes; l'?glise de Graven et une sorte de maison bourgeoise, entour?e d'un parc d'?tables, sont de l'autre c?t?; une barque nous y d?pose et nous attendons deux heures qu'on ait amen? les chevaux de selle et le cheval de bagage , qui doivent nous conduire jusqu'? Ulvig sur le Hardanger. Enfin nous quittons Graven en songeant ? l'histoire d'Halgrim et d'Hildegunda, qui, au temps de la peste noire, se trouv?rent seuls au monde dans ce petit coin de montagnes; le fl?au n'avait ?pargn? qu'eux. Halgrim, venant d'Ulvik, trouva Hildegunda folle de frayeur au milieu des cadavres des siens. < Le trajet de Graven ? Ulvik prend quatre ou cinq heures ? cheval; quand on a gravi la montagne et travers? un fjeld assez long, on descend vers le Hardanger au milieu d'un pays fertile, coup? de prairies et de grands massifs de ch?nes, de fr?nes et de pins. Au bord de la mer, des fermes entour?es de vergers en plein rapport, de grandes pommeraies, des prairies d'un vert luxuriant, indiquent un sol beaucoup plus riche que celui du Sogn. En g?n?ral, le Hardanger, qui ?tend ses ?troits replis jusque sous les montagnes du m?me nom, n'a point le m?me caract?re que le Sogn; entour? de falaises moins hautes, il offre une foule de petits ports perdus dans les arbres, de maisons de p?cheurs cach?es au fond des criques. Mais si la nature m?me de ses rives est parfois moins sublime que celle du Sogn, les vall?es qui y aboutissent sont plus larges et rec?lent, ? deux ou trois milles dans les terres, les sites les plus ?tranges, les paysages les plus grandioses. C'est sur les bords du Hardanger que s'ouvrent l'abrupte vall?e de l'Heimdal, qui m?ne au V?ringfoss, puis les pentes d'Odde, dernier contre-fort du Hardangerfjeld, et enfin les ?pres d?chirures du glacier de Folgefonden, immense amas de glace, d'o? sortent des milliers de chutes, et au pied duquel se cachent les plus fertiles coins de la Norv?ge, la ferme de Bondhuus, et l'antique baronnie de Rosendal, patrimoine des Rosenkrone. Le lendemain, de bonne heure, un guide, que nous avait procur? l'h?te, nous attendait, le b?ton ? la main, et nous partions ? pied pour aller faire le p?lerinage du V?ringfoss. ? ceux qui s'?tonneraient qu'on fasse de si longues excursions, de v?ritables voyages, pour aller voir une seule chute, nous dirions que les deux ou trois cataractes renomm?es en Norv?ge sont plac?es dans des sites exceptionnellement sauvages et retir?s, aupr?s desquels on passerait sans m?me les soup?onner, et que, de plus, c'est seulement au coeur des montagnes, loin des grandes routes, que l'on trouve encore les costumes et les moeurs norv?giens dans leur antique originalit?. Enfin les chutes du V?ringfoss dans le Bergenstift, comme le Rjukanfos en T?l?mark, sont tellement imposantes et surpassent de si haut ce qu'on peut en dire, qu'? elles seules elles valent le voyage, r?compensant amplement de tous les ennuis, de tous les dangers de la route. Pour arriver au V?ringfoss il y a environ cinquante kilom?tres ? faire en pleine montagne par des sentiers pierreux; il faut ajouter ? cette distance l'ascension d'un escalier de mille sept cent cinquante marches, ? l'aide de blocs ?normes le long d'une pente presque ? pic. ? une lieue et demie d'Eidfjord, au bout d'une large vall?e, on trouve un petit lac, l'Eidfjordvand, tranquille miroir d'un vert limpide, enferm? dans de hautes montagnes. Il y a deux bateaux ? la rive, l'un d'eux appartient au propri?taire d'une cabane b?tie ? quelques pas de l?; nous montons dedans, et une heure apr?s nous voyons les gros tilleuls et l'?glise rouge de Saebo: ? droite et ? gauche, s'ouvrent d'?normes vall?es, dont les torrents se pr?cipitent dans le lac, du haut du contre-fort qui domine Saebo, c'est celle de gauche qui m?ne au V?ringfoss. On traverse une petite plaine cultiv?e, puis le sentier escalade le remblai et vient c?toyer le torrent, qui court sur les roches et serpente ? travers les bouleaux; le site est plus sauvage encore qu'avant le lac; les blocs de granit sont entass?s par amas immenses: la vall?e enti?re est une moraine. Au bout de sept ? huit kilom?tres sur un terrain presque plat, on passe la rivi?re sur un fr?le pont de sapins, et sur la rive ?troite on ne trouve plus pour sentier qu'une trace blanche laiss?e par les b?tes de somme sur de grandes roches polies. L? le torrent se pr?cipite d'une centaine de pieds. Un ?norme amas de pierres a combl? la vall?e. On l'escalade en passant sous des roches surplombantes, et, au-dessus, on se retrouve dans le m?me site qu'en bas. On a mis une heure ? monter une marche de cet amphith??tre gigantesque, et c'est ? peine si d'en haut on aper?oit la d?pression. Au fond, du c?t? du V?ringfoss, la vall?e est compl?tement ferm?e: une pente abrupte part du torrent et monte au fjeld, se creusant en une sorte de puits ?norme; ? gauche d'une fissure perpendiculaire, qui semble la trace d'un glaive g?ant dans ces murailles immuables, sort le torrent; c'est par l?, ? quelques pas, qu'est le V?ringfoss. Nous voudrions y p?n?trer, mais notre guide s'y refuse, pr?tendant qu'il n'y a point de chemin. L'habitude du pays ?tant de monter sur le plateau sup?rieur pour aller voir la chute d'en haut, il faut en passer par l? et gravir cet escalier monstrueux form? d'un lacet ? tournants brusques. ? mi-chemin de la hauteur se balancent de gros nuages; il faut les atteindre et les d?passer. La seule distraction en pareil cas, quand on a forc?ment le visage tourn? vers l'int?rieur du puits d'o? l'on cherche ? sortir, est de compter les marches et de v?rifier les assertions locales, tout compte fait, il y en a mille sept cent cinquante. En deux heures d'une vigoureuse ascension on arrive au haut. Eh bien! ce qu'il y a de plus ?tonnant, c'est qu'on fait faire aux chevaux du pays, et, qui pis est, leur changement sur le dos, cette mont?e ou cette descente horrible. Au haut du fjeld nous avisons un bonhomme avec son cheval charg? de foin; la malheureuse b?te, qui conna?t de quel supplice va ?tre pour elle la descente, quitte ? chaque instant le sentier pour remonter d'un bond au fjeld; le bonhomme la reprend patiemment par la bride et finit par l'entra?ner assez bas pour qu'elle ne puisse remonter, elle ne proteste plus alors que par de petits hennissements douloureux. Il ne faut pas croire qu'apr?s avoir escalad? l'escalier, on soit arriv? au V?ringfoss; devant vous s'?tend une plaine immense bord?e ? l'horizon par les hauts fjelds du J?kul; plus pr?s on voit serpenter le fleuve qui se pr?cipitera de neuf cents pieds au moins dans l'Heimdal. Le V?ringfoss est peut-?tre plus puissant que le Rjukandfoss, mais l'oeil et l'esprit sont moins satisfaits: on ne peut pas contempler celui-l? pleinement comme on fait de celui-ci. Je dirai pourtant que le V?ringfoss, est entour? d'un cadre plus imposant que le Rjukandfoss. Le paysage, empreint d'une grandeur plus sauvage, produit sur l'esprit une impression singuli?re. La subite disparition de cet ?norme volume d'eau, qui ne laisse de son passage d'autre trace qu'un nuage l?ger, a quelque chose qui parle ? l'imagination et qu'on ne saurait oublier. Le V?ringfoss ? aussi sa l?gende comme le Rjukandfoss, mais une l?gende toute moderne. L'histoire n'est vieille que de deux ans. Un Anglais, que je ne nommerai point, ennuy? de ne pouvoir contempler ? son aise le V?ringfoss, se fit descendre dans le gouffre avec un bateau de caoutchouc, une grande brosse et un pot de c?ruse. Arriv? au fond du pr?cipice, il chercha un remou en aval, traversa le torrent, et sur l'autre rive, escaladant une centaine de pieds de roches, il vint, sur une magnifique paroi de granit, peindre son nom en lettres de deux m?tres de haut; puis, heureux d'?tre le seul qui jusqu'alors e?t joui du spectacle dans toute sa grandeur, il se fit remonter et retourna ? Eidfjord comme il ?tait venu, laissant ses guides ?merveiller les p?cheurs du r?cit de cette ?quip?e. Les mille sept cent cinquante marches sont plus p?nibles ? descendre qu'? monter, et c'est avec un plaisir infini qu'on arrive au pont jet? au pied de la fissure sur l'Heim-Elf; ce pont que nous avions franchi en venant est d'une hardiesse et d'une solidit? surprenantes. Sur les deux bords du torrent on a jet? un amas de roches; dans chacune de ces piles naturelles on a plant? deux forts sapins inclin?s vers le lit du fleuve, et au-dessus de l'angle laiss? entre eux et la rive on a jet? deux demi-tabliers en bois brut fortement assujettis au rivage par des roches ?normes. Restait ? finir l'arche. Un troisi?me plancher form? de quatre longs sapins reli?s ensemble par des cordes d'?corces est pos? sur les deux premiers, et, pour consolider le tout, des pierres plates y forment une sorte de pavement g?n?ral. C'est sur ces sortes de ponts qu'hommes, chevaux et souvent carrioles, passent le mieux du monde, si le vent n'est point trop fort dans la vall?e. ? quatre heures du soir, apr?s douze heures et plus de marche, nous ?tions revenus ? Eidfjord-Vik, o? du poisson frais et des pommes de terre nous r?compensaient du je?ne de la journ?e. Comme je l'ai dit plus haut, le Hardanger est une impasse. On y entre plus facilement qu'on n'en sort. Le mauvais temps insolite, pr?matur?, pressant notre d?part pour le cercle polaire, il nous fallait, sous peine d'un long retard, atteindre en m?me temps que le paquebot de Hambourg l'extr?mit? du fjord, ? soixante lieues d'Eidfjord, ? Bergen. Nous avions vingt-quatre heures pour faire le trajet; quatre vigoureux rameurs se charg?rent de nous y mener. C'est alors que nous p?mes reconna?tre combien la poste d'eau norv?gienne est un moyen barbare de locomotion. Le patient, oblig? ? une position horizontale et en tout cas ? une immobilit? presque compl?te, re?oit ? plaisir la pluie et la vague. Provisions, couvertures et voyageurs, tout n'est bient?t plus qu'un triste amas de choses mouill?es. Le brouillard nous ayant pris au sortir d'Eidfjord, nous ne p?mes traverser le Hardanger, et il fallut c?toyer sa rive gauche, contre laquelle toute la force de nos rameurs emp?chait ? peine les vagues de nous jeter. Le vent, la pluie, les rafales subites, rien ne manqua ? notre odyss?e; apr?s douze heures d'efforts nous avions ? peine fait six lieues, et nous abordions ruisselants ? la petite ?le d'Heransholm, au pied du Folge jeld. Ce lieu doit ?tre enchanteur quand le soleil ?claire ses hauts sapins et son quai de pierres grises, ombrag? de sorbiers. Aujourd'hui nous avons h?te d'entrer dans la maison o? un vieux marin et sa femme nous aident ? nous s?cher. L'insucc?s de notre tentative maritime nous fait renoncer ? aller plus loin dans le fjord; nous le traverserons en droite ligne et nous gagnerons Bergen par les montagnes, comme faire se pourra. De Viko?r ? Sammanger et ? Bergen. Plusieurs voyageurs anglais parlent avec enthousiasme de l'hospitalit? que le pr?tre de Viko?r leur a largement offerte. J'aime ? croire, pour l'honneur de la v?racit? britannique, que le fonctionnaire qui occupait la cure en 1847 a ?t? chang?. Le fait est que nos marins d?posent nos paquets sous le porche d'une maison de bonne apparence qui para?t ?tre la station. La pluie tombe ? torrents; nous demandons du feu pour nous s?cher; les servantes se concertent, nous font attendre une heure, puis enfin ram?nent une sorte de bourgeois orn? d'une ?norme pipe: < En effet, apr?s deux heures pass?es de nouveau sur le fjord et sous la pluie, nous d?barquions ? Sandmo?n, transperc?s, rompus et affam?s. Voil? comment certains membres du clerg? norv?gien, clerg? bien dot?, bien pay? et confortablement log?, entendent les devoirs de l'hospitalit?. Il est heureux pour les voyageurs que le paysan n'imite point son cur?, car je ne sais comment on pourrait traverser certains districts du pays. ? Sandmo?n, tout en maudissant le pr?tre de Viko?r, nous nous s?chions au grand po?le du gjoestgifveren, qui mettait ? noire disposition tout ce qu'il avait, pas grand chose il est vrai, car, dans ces vall?es si fertiles dont le climat est celui d'Angleterre, et dont les productions sont les m?mes que celles de la Normandie, il n'y a pas m?me de pain. Notre h?te cherche ? nous d?tourner d'aller ? Bergen par terre; il nous parle de vingt-quatre heures de chemin. Je mesure la distance sur la carte, je trouve six milles; j'insiste, il finit par se d?cider et nous trouver trois chevaux, deux guides et un chien. ? neuf heures du matin, nous le quittions, comparant sa complaisance et sa franchise honn?te avec l'aigreur du pr?tre de Viko?r, et nous disions adieu au Hardanger, ? ses temp?tes et aussi ? ses jolis ports pleins de petits schooners ? l'ancre, ? ses ?glises cach?es dans les arbres, aux vall?es verdoyantes qui viennent d?boucher sur ses rives. ? Sandmo?n vont aussi cesser les costumes bariol?s du Hardanger, les tailles courtes et les jupons rouges des femmes; de l'autre c?t? des montagnes, vers Bergen, nous trouverons d'autres types moins lourds, plus gracieux, mais aussi nous ne retrouverons nulle part en Norv?ge d'aussi solides gaillards, des charpentes aussi robustes que nos guides du V?ring et nos rameurs d'Eidfjord. La vall?e de Sandmo?n est fort belle; elle contient en outre une admirable chute, Ostudfoss, derri?re laquelle on peut se glisser par un ?troit sentier. Rien d'imposant comme le mugissement des eaux qui tombent du sommet de l'?troite caverne d'o? on les contemple. C'est ? une lieue de Sandmo?n, de l'autre c?t? du fleuve, qu'on passe ? gu?, que se trouve Ostudfoss. Un peu apr?s se dresse au fond de la vall?e une ?norme croupe en forme de tour, toute couverte de bouquets de bouleaux et de pins ?pars sur une prairie d'un vert tendre. L'ascension de la montagne prend une heure sous les arbres et par un sentier praticable; au sommet commence un fjeld interminable qui, pour le moment, est compl?tement noy?; des vol?es de b?cassines partent des marais qui sont leur demeure habituelle. Les ruisseaux sont devenus des torrents et les torrents des fleuves imp?tueux. Les chevaux norv?giens traversent tout cela comme ils peuvent, portant, outre le cavalier, le guide en croupe. Quelquefois l'eau les emporte, mais ils reprennent pied et touchent la rive sans autre accident que des bains un peu trop prolong?s. La travers?e du fjeld dura quatre heures, et je crois que, sans leurs chiens, jamais nos guides n'eussent retrouv? le chemin dans les fouillis de bouleaux nains qui couvraient les roches; de temps en temps on s'arr?tait sous des abris ?tablis l? pour les tra?neaux qui l'hiver font en quelques heures cette route interminable en ?t?. En face de nous s'ouvrent trois vall?es larges, solitaires, couvertes de grands bois et sillonn?es de chutes nombreuses; au-dessus la neige des fjelds plus ?lev?s se d?coupe en taches blanch?tres sur le gris uniforme du ciel. De chemin, plus de traces. Un saeter est perch? tout en haut d'une roche; on y grimpe, et, v?rification faite, c'est dans un marais qu'il faut s'engager, puis c?toyer un lac d?bord?, puis traverser une rivi?re ?galement sortie de son lit, tant et si bien qu'on arrive ? un gaard d'assez pauvre apparence et r?pondant au nom d'Ekeland; les gens qui l'habitent parlent patois; au bout d'un quart d'heure on finit par se comprendre; il s'agit de changer de chevaux; les n?tres vont s'en retourner; en aurons-nous de nouveaux? Un vieux bonhomme, qui lit la Bible dans un coin, se m?le ? la conversation; il veut nous prouver que le chemin est long, le temps d?testable, et qu'il vaut mieux coucher sous son toit . Voyant que l'on ne se rend pas ? ses raisons, il finit par dire qu'il a deux chevaux, mais que nos couvertures mouill?es ?tant trop lourdes, il ne faut pas les prendre en croupe et qu'il nous faut rester ici: < Le site aux environs d'Ekeland commence ? ?tre fort beau, et n'?tait l'inondation g?n?rale qui nous force ? monter sur les roches pour ?viter les prairies submerg?es, nous n'aurions pas ? regretter d'?tre venus l?. Nous traversons une troisi?me rivi?re d'une largeur fort respectable, et nous commen?ons ? descendre une sorte d'escalier qui aboutit au fond d'un vaste cirque sur le versant oppos? des montagnes. Rien de s?v?re comme l'aspect de ce coin ignor? o? nos guides m?me ont peine ? trouver un chemin: au fond du cirque une chute d'un volume ?norme, Braten foss, se pr?cipite d'une hauteur d'au moins cinq cents pieds pour former une petit lac ?cumant, puis une large rivi?re que nous traversons un instant apr?s. Pendant deux ou trois lieues le chemin est encore probl?matique; c'est dans l'eau que nous marchons, mais la vall?e se resserre et devient plus profonde; le torrent grossi se contente de mugir au fond, et, sur sa rive gauche, que nous atteignons par une passerelle de bois, court un ?troit chemin couvert de roches et suspendu sur l'ab?me. Les splendides horreurs de l'Heimdal sont d?pass?es. Cette ?troite et profonde vall?e, ? peine nomm?e et toujours d?serte, gigantesque fissure cr??e par l'effort des eaux, atteint les limites du sublime. ? l'extr?mit? elle vient se r?unir ? une autre arros?e ?galement par un torrent ?cumeux; les deux masses se r?unissent et forment en tombant la chute de Maar Kolum. Sur la rive gauche de la nouvelle vall?e serpente un sentier que nous suivons pendant deux heures, et vers le soir nous arrivons dans des lieux plus civilis?s. Un petit bonhomme tout de neuf habill? s'en va gaiement, jambes nues, ses souliers dans la main, et de grosses filles rieuses reviennent des foins; plus loin est un vrai gaard au bord d'un lac sombre et solitaire. Il faut encore en c?toyer les rives; mais la pluie a cess?, et le paysage est si beau, qu'on peut oublier les fatigues de la journ?e. Le chemin suit une chauss?e de roche presque partout recouverte par l'eau; de temps en temps il faudrait pouvoir rester ? cheval, les jambes dans les mains, les brides aux dents, pour n'?tre point mouill?; mais l'important est d'arriver. Aussi, vers deux heures du matin, nous saluions avec bonheur la pauvre petite maison de Tosse, juch?e au haut de la falaise qui borde la rive m?ridionale de Sammanger-fjord. Les gens de Tosse sont pauvres, leur cabane est un galetas; cinq ou six ?tres humains y dorment. R?veill?s en sursaut, l'un allume une longue chandelle, et tous d'ouvrir leurs oreilles au r?cit anim? que les trois guides font tout ? la fois de leur travers?e par le fjeld, des rivi?res grossies, du chien qui s'est noy?, et de ces Fran?ais qui ont perdu la t?te, venant on ne sait d'o?, allant on ne sait vers quel p?le; de feu, point. Les discours termin?s, une vieille en haillons nous montre le chemin d'un grenier fait de planches disjointes; deux bottes de paille, dans un cadre de bois, y attendent les rares h?tes de ces lieux; nous y dormons d'un profond sommeil, ? c?t? de saumons en train de s?cher et de morues d?j? s?ches. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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