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Read Ebook: Sainte Beuve et ses inconnues by Pons A J
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 211 lines and 26868 words, and 5 pagesm'?tre assez compl?tement remis ? mon penchant, pour ne ralentir qu'? peine une assiduit? aussi d?sir?e que combattue. Mais, vous l'avouerai-je? si je dissimulais au dehors, je le payais trop au dedans. Vous le comprendrez sans que je l'?tale ici. D'une part, ?tre re?u avec toute la bonne gr?ce du monde et m?me de ce qu'on appelle amiti?; de l'autre, ?touffer et irriter en soi un sentiment d?savou?, une souffrance qui tout bas s'ulc?re, et remporter un long trouble qui se prolonge bien avant ? travers les seuls rem?des possibles de l'?tude et de l'isolement: je n'ai pu y suffire, et, ? partir d'un certain jour, je me suis dit, avec la seule force que je retrouvais en moi, de m'abstenir d?sormais et de fuir dans mon ombre... Devant d?sormais avoir tr?s-peu l'honneur de vous voir ou m?me de vous rencontrer, souffrez, g?n?ral, que je vous assure ici des sentiments de respect et d'inviolable souvenir qui, de ma part, ne cesseront de s'attacher ? vous et ? ce qui vous entoure.>> Il n'?prouva, d'ailleurs, aucun d?pit de sa d?ception et voua m?me une vive gratitude ? la jeune fille qui l'avait ainsi emp?ch? d'encha?ner son existence. Nul doute, en effet, que cette union avec une famille bourgeoise n'e?t exig? de lui bien des concessions, des renoncements, et le sacrifice d'id?es auxquelles il tenait par-dessus tout. Une fois mari?, il e?t fallu compter avec la soci?t? et subir ces m?mes pr?jug?s, qu'il ?tait d?cid? ? combattre. Son seul regret, vers la fin, ?tait de n'avoir pas d'enfants: <> Le jour o? il eut quarante-quatre ans, il ?crivit sur ce sujet une page touchante, qu'il faut citer: < Oserai-je dire toute l'impression que produit sur moi ce morceau? La fin me r?concilie un peu avec le commencement. Toutefois, j'en suis certain, jamais homme, ayant eu des enfants autrement qu'en hypoth?se, ne d?taillera d'une fa?on si sensuelle le sentiment paternel qui, en soi, ne peut et ne doit avoir rien que de sobre. Sainte-Beuve, estimant sans doute qu'il avait pay? sa dette au monde en ce qui regarde le mariage par les tentatives o? son bon vouloir avait ?chou?, ne songea plus qu'? se m?nager un de ces arrangements ? la fois commodes et honorables, o? l'amour se voile sous les ?gards, o? il entre plus d'estime pour le sexe et de reconnaissance que d'ardeur des sens, et que la jalousie ne tourmente ni n'aiguillonne. Le dernier biographe de celui-ci, M. Othenin d'Haussouville, ayant ? parler de leur liaison, l'a fait de ce ton pinc? qui appartient aux doctrinaires: < Qu'en sait-il? De tous les jeux o? de notre temps s'amuse le paradoxe, un des plus futiles est celui qui vise ? refaire une couronne de puret? et d'innocence ? toutes les femmes, ? commencer par les reines, et ? finir par les com?diennes. Que de livres n'a-t-on pas ?crits pour justifier Marie-Antoinette, Marie Stuart et tant d'autres? ? entendre ces historiens d'un nouveau genre, historiens amoureux d'illusions et sujets aux chim?res, il semble vraiment que le malheur de ces reines serait moins ? plaindre et leur martyre digne de moins de piti?, si elles n'avaient pas toujours gard? la fid?lit? conjugale. < Quel est le r?sultat le plus clair de toutes ces apologies, si ce n'est de donner un croc-en-jambe ? la v?rit? historique et d'inaugurer une fausse morale? Une belle femme qui rit au soleil est, ce me semble, aussi respectable et, en tout cas, plus naturelle qu'une madone qui prie dans l'ombre. Pauvres ?tres qui rachetez par la ruse ce que la nature vous a refus? de force et savez si bien vous relever de votre inf?riorit?, va-t-on vous punir de mort pour nous avoir donn? la vie, et serons-nous ? votre ?gard d'autant plus s?v?res que vous aurez ?t? plus indulgentes? Si pr?cieuse que soit la virginit?, Bayle soutient avec raison qu'il n'y a boulanger ni boucher qui voul?t sur cette perle faire cr?dit de cinq sols. Quand cessera-t-on de vanter, outre mesure, la continence et la chastet?, ces vertus de moine, si n?gatives, si inf?condes? Le meilleur moyen de faire porter ses fruits ? l'arbre de la vie ne sera jamais d'en couper les branches. Mettez cette th?se ? c?t? de celle qui donne la vertu pour fondement aux r?publiques: les deux font la paire. Le tout se termine par une m?prise assez na?ve chez un futur acad?micien. Il pr?tend en un endroit que Mme d'Arbouville exer?a sur le talent de Sainte-Beuve une influence ?lev?e, morale, chr?tienne, dont la trace se retrouve dans les portraits de Mlle Aiss?, de Mme de Kr?dner. Or, ouvrez le volume ? l'endroit indiqu? et vous ne tarderez pas ? rencontrer ceci: Veut-on s'?difier sur le genre d'attachement qui lia Sainte-Beuve ? Mme d'Arbouville? On n'a qu'? lire les r?gles de conduite qu'il professait en telle mati?re, car il avait ses principes, lui aussi: <<--Avec les femmes aim?es qui nous ont repouss?, rompre: mieux vaut une rancune aimante. Avec les femmes amies qui nous ont souri, continuer de vivre dans un doux oubli reconnaissant.>> Rapprochez de ces sentences l'affirmation suivante: <<--Elle a ?t? pendant dix ans ma meilleure amie, j'ai ?t? son meilleur ami.>> Et vous comprendrez la large place qu'il a occup?e dans le coeur et dans les affections d'une personne si aimante et d'un esprit si cultiv?. Un jour que son secr?taire exposait devant lui, avec la candeur de la jeunesse, une de ces th?ories sur le platonisme et l'amour pur auxquelles le beau sexe applaudit volontiers, quitte ? pratiquer le contraire, il perdit patience et riposta: <<--On se demande toujours si l'amiti? sinc?re, forte, durable, est possible entre un homme et une femme. Oui, je le crois, cela se peut, mais ? une condition: il faut qu'il n'y ait pas toujours eu amiti? pure et simple; qu'? un moment aussi court, aussi fugitif que vous voudrez, la passion ait parl?; qu'il y ait eu abandon, faiblesse.>> On dirait que le sceptique a ?t? d?sarm? cette fois par le charme qu'embellissait une bonne gr?ce perp?tuelle; il redevient jeune, il croit ? l'amour et ? sa dur?e. < En r?alit?, les choses se pass?rent un peu autrement. Mme d'Arbouville, ? la fin de ses jours, ?tait revenue aux pratiques de d?votion et avait confi? la direction de sa conscience au p?re de Ravignan. Elle alla s'?teindre ? Lyon le 22 mars 1850, refusant, dit-on, de recevoir l'ami qui, malgr? leur rupture, ?tait accouru ? la nouvelle du danger pour la revoir une derni?re fois, ? l'instant de la s?paration et de l'adieu supr?me, et qui priait qu'on lui perm?t du moins de presser les l?vres que la mort allait fl?trir. Quoi qu'il en soit, et nonobstant cette brouille finale, il lui dut les dix ann?es les plus heureuses de sa vie , celles du moins o? son existence fut arrang?e le plus ? son gr?, selon son r?ve. La matin?e, racontent ses biographes, ?tait consacr?e au travail courant; l'apr?s-midi, ? quelque lecture de choix ou ? quelque fl?nerie po?tique. Le soir, il allait dans les salons, chez Mme de Broglie, chez Mme de Boigne; causait avec esprit, avec feu; observait, et, rentr? chez lui, notait dans son journal intime mille souvenirs int?ressants, des anecdotes curieuses, de fines remarques morales. L'?t?, il passait ses vacances dans un des ch?teaux de M. Mol?, oncle de Mme d'Arbouville, ? Pr?cy, au Thil, ? Champl?treux ou au Marais. Il avait si bien pris ses habitudes dans cette hospitali?re demeure du Marais que, pour go?ter les douceurs de la soci?t? sans en souffrir la d?pendance, il avait lou? en 1847 une petite maison dans le village et pouvait ainsi travailler et d?ner chaque jour au ch?teau. On ne produit pas un effet brillant dans notre pays si l'on n'est homme du monde et si l'on ne fr?quente les salons. Il faut t?cher seulement que le talent s'y perfectionne sans s'y user. Au milieu de ce cercle aristocratique, Sainte-Beuve payait par les bonnes gr?ces de l'esprit ce que la fortune lui refusait de rendre sous une autre forme. Il y ?tait, d'ailleurs, fort go?t? et appr?ci?. Le comte Mol? surtout para?t l'avoir conquis et charm? par la d?licatesse de ses flatteries. Lorsqu'il s'entretenait avec lui de quelqu'un des hommes distingu?s, comme Fontanes, de Dalmas, de Beausset, Melzi, qu'il avait autrefois connus, il ne manquait jamais d'ajouter: < Confondu dans la foule de ceux qui subissent les r?volutions sans les provoquer et sans se croire non plus d'?toffe ? les conjurer, Sainte-Beuve n'a jamais aspir? ? la direction des affaires publiques. Loin d'y mettre la main ou m?me le doigt, il se contente d'en saisir le jeu, d'en tout comprendre et d'en extraire, s'il se peut, quelques le?ons de philosophie ? notre usage. Que d'autres s'appliquent ? diriger et ? manier le monde, lui ne se soucie que de l'?clairer. ? peine si vers la fin, lorsque l'exp?rience eut m?ri sa raison, il e?t ambitionn? l'honneur d'?tre quelquefois consult?. Des cinq gouvernements sous lesquels il a v?cu, tr?s-fran?ais en ce point comme sur beaucoup d'autres, il n'a cordialement accept? que les deux derniers. Et m?me, dans les derniers temps, semblait-il s'en d?tacher pour rentrer dans l'opposition qui convenait mieux ? son temp?rament de frondeur. Sur le moment, ses ennemis, heureux du pr?texte, essay?rent de le fl?trir. Parmi eux, le philologue G?nin se distingua par son acharnement. Bondissant d'indignation, sous un outrage si imm?rit?, Sainte-Beuve s'adressa de toutes parts aux anciens et aux nouveaux ministres, pour qu'on ?clairc?t le fait. < Depuis quinze ans, j'ai eu des liens de soci?t? et m?me d'amiti? avec bien des ministres et personnages consid?rables du dernier r?gime; ils savent tous quelle a ?t?, ? leur ?gard, mon attitude constante de d?licatesse et de discr?tion, et si j'ai jamais rien demand? ? aucun d'eux.--Non, quoi que vous en disiez, je ne suis pas tomb? dans quelque guet-apens. Un homme assis, et qui se tient immobile ? l'?cart, n'y tombe pas.>> ? M. Cr?mieux, qui ?tait alors garde des sceaux, il ?crivait: < Enfin, de guerre lasse, voyant qu'on refusait de l'entendre, et ne voulant conserver aucun lien d'obligation envers un gouvernement si peu soucieux de l'honneur et de la dignit? des ?crivains, Sainte-Beuve donna sa d?mission de biblioth?caire et s'en alla professer un cours ? l'universit? de Li?ge. L'ann?e qu'il y passa fut tout enti?re consacr?e aux travaux litt?raires, sans aucune distraction amoureuse; fid?le ? son attachement pour Mme d'Arbouville, qui vivait encore, il s'y refit une virginit?, comme nous l'apprend un de ses sonnets: Non, je n'ai point perdu mon ann?e en ces lieux: Dans ce paisible exil mon ?me s'est calm?e; Une absente ch?rie et toujours plus aim?e A seule, en les fixant, ?pur? tous mes feux. Et tandis que des pleurs mouillaient mes tristes yeux, J'avais sous ma fen?tre, en avril embaum?e, Des pruniers blanchissant la plaine clairsem?e; Sans feuille, et rien que fleurs, un verger gracieux! J'avais vu bien des fois mai brillant de verdure, Mais avril m'avait fui dans sa tendre peinture. Non, ce temps de l'exil, je ne l'ai point perdu! Car ici j'ai v?cu fid?le dans l'absence, Amour! et sans manquer au chagrin qui t'est d?, J'ai vu la fleur d'avril et rappris l'innocence. Son adh?sion ? la pr?sidence du prince Louis Bonaparte fut sinc?re et d?gag?e d'arri?re-pens?e, quoique tacite et indirecte; il n'y mit pas la main, comme faisaient ces m?mes partis monarchiques, dans l'esp?rance d'y trouver une planche pourrie pour arriver ? leurs fins. Lui, accepta franchement l'id?e et le fait d'une restauration napol?onienne. Dans les conjonctures difficiles, on prend l'habilet? o? elle se rencontre, et de deux maux on est bien forc? d'opter pour le moindre. Apr?s tout, il suivit le courant et sentit comme le peuple. Je ne suis pas imp?rialiste, et oncques ne le fus; mais toutes les d?clamations entass?es les unes sur les autres ne me feront pas admettre qu'un gouvernement ait dur? vingt ann?es, malgr? le crime d'o? il ?tait issu, si la grande majorit? de la nation n'en e?t pas voulu. Le fait serait trop d?shonorant pour nous. Quant ? la corruption, c'est depuis la chute du r?gime qu'elle a surtout frapp? les yeux; de pr?s, on y ?tait moins sensible. Il serait temps, peut-?tre, d'abandonner un th?me qui ne signifie rien et qui nous ridiculise aux yeux de l'Europe. Ceux qui s'en font l'?cho oublient sans doute que le m?me reproche a ?t? constamment adress? au pouvoir, et, chaque parti l'ayant exerc? ? son tour, il s'en suivrait que la corruption serait universelle. Cela est absurde; nous avons aujourd'hui des r?publicains, dit-on, ? notre t?te, et l'on ne se fait pas faute de crier contre la cur?e des places, l'avidit?, l'insolence et l'incapacit? des fonctionnaires. Je ne vois pas qu'ils soient plus incapables ni moins arrogants qu'autrefois; il me semble que ce sont toujours les m?mes. J'en dirai bien autant des criminels, que les journaux de nuances oppos?es se jettent dans les jambes les uns aux autres. On est assassin, voleur ou sodomiste par intemp?rance et par vice d'?ducation, et non parce qu'on est r?publicain, l?gitimiste ou m?me bonapartiste. Laissez donc l? ce jeu hypocrite et combattez-vous ? armes courtoises. Ma digression est faite; je reviens ? Sainte-Beuve. ? aucun moment, ce n'a ?t? un courtisan de l'Empire; ce r?gime avait ? ses yeux trop peu de souci des lettres et trop peu d'?gards pour ceux qui les cultivent. Alors que beaucoup d'autres r?glaient leur montre sur le cadran des Tuileries ou prenaient l'heure ? leur paroisse, il alla de l'avant, ne pensant et ne parlant qu'? son gr?. < < < Inutile de nommer l'?crivain dont il s'agit, tout le monde aura reconnu Granier de Cassagnac. LA MAITRESSE FAVORITE.--UN TRAVAILLEUR ? L'OEUVRE.--DIFF?RENDS AVEC LES ?CRIVAINS ET AVEC LES FAMILLES.--AVANIE AU COLL?GE DE FRANCE. Toutes les femmes aim?es de Sainte-Beuve rencontr?rent dans son coeur une rivale pr?f?r?e, ?tablie ? demeure d?s l'enfance, qui ne perdit jamais ses droits, n'eut pas ? souffrir d'infid?lit? et vit plut?t son influence grandir avec les ann?es. Cette rivale, h?tons-nous de le dire, c'est l'?tude. M?me en ses plus vives ardeurs, il pr?f?rait feuilleter de vieux livres que caresser de frais appas. Une des sup?riorit?s de ce rare esprit fut, nous dit Mme Colet, de se ressaisir tout entier par le travail. Sit?t qu'il reprenait sa t?che de chaque jour, t?che r?guli?re, scrupuleuse, obstin?e, et que la mort seule interrompit, ses passions ch?maient; la belle du moment ?tait mise en oubli. Chateaubriand avait dit: < Le pur lettr? e?t bien voulu n'avoir pas ? songer au profit et ne chercher dans l'?tude que ce qui est agr?ment, douceur, oubli, passe-temps et d?lices. Mais il faut vivre. Sa fortune, il est vrai, le mettait au-dessus du besoin, lui assurait l'ind?pendance; elle ?tait trop modeste pour satisfaire ? ses instincts de g?n?rosit?. De plus, il aimait la gloire, qui ne s'acquiert pas en se jouant et r?clame une application constante et de chaque jour; sinon tout s'en va en fum?e et en r?ve. Ajoutez-y le go?t de la galanterie et les d?penses qu'il entra?ne. Qui veut vivre pour plaire doit plaire pour vivre. Force fut donc ? son esprit de produire et de se plier au travail. D'un autre c?t?, les conditions du go?t se sont fort modifi?es. Pour ?tre digne de pr?senter aux autres les fruits de la litt?rature, il ne suffit plus de les sentir soi-m?me avec ?me, il faut encore en avoir fait une patiente ?tude et s'?tre entour? de plus de notions possible, afin de saisir et de d?rober le secret du g?nie: Rien n'y ressemble moins que d'?tre toujours sur les ?pines comme aujourd'hui en lisant, de prendre garde ? chaque pas, de se questionner sans cesse, de se demander si c'est le bon texte, s'il est bien original... et mille autres questions qui g?tent le plaisir, engendrent le doute, vous font gratter le front, vous obligent ? monter ? votre biblioth?que, ? grimper aux plus hauts rayons, ? remuer tous vos livres, ? consulter, ? compulser, ? redevenir un travailleur et un ouvrier enfin, au lieu d'un voluptueux et d'un d?licat.>> Il a l'air de s'en plaindre, mais qui l'a vu chez lui sait bien que cette application acharn?e lui ?tait devenue une seconde nature et qu'il s'y d?lectait comme dans son ?l?ment. 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