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Munafa ebook

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Read Ebook: Discours par Maximilien Robespierre — 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792 by Robespierre Maximilien Vellay Charles Editor

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Ebook has 203 lines and 39756 words, and 5 pages

S'il est vrai que le courage des ?crivains d?vou?s ? la cause de la justice et de l'humanit? soit la terreur de l'intrigue et de l'ambition des hommes en autorit?, il faut bien que les lois contre la presse deviennent entre les mains de ces derniers une arme terrible contre la libert?. Mais tandis qu'ils poursuivront ses d?fenseurs, comme des perturbateurs de l'ordre public, et comme des ennemis de l'autorit? l?gitime, vous les verrez caresser, encourager, soudoyer ces ?crivains dangereux, ces vils professeurs de mensonge et de servitude, dont la funeste doctrine, empoisonnant dans sa source la f?licit? des si?cles, perp?tue sur la terre les l?ches pr?jug?s des peuples et la puissance monstrueuse des tyrans, les seuls dignes du titre de rebelles, puisqu'ils osent lever l'?tendard contre la souverainet? des nations, et contre la puissance sacr?e de la nature. Vous les verrez encore favoriser, de tout leur pouvoir, toutes ces productions licencieuses qui all?rent les principes de la morale, corrompent les moeurs, ?nervent le courage et d?tournent les peuples du soin de la chose publique, par l'app?t des amusements frivoles, on par les charmes empoisonn?s de la volupt?. C'est ainsi que toute entrave mise ? la libert? de la presse est entre leurs mains un moyen de diriger l'opinion publique au gr? de leur int?r?t personnel, et de fonder leur empire sur l'ignorance et sur la d?pravation g?n?rale. La presse libre est la gardienne de la libert?; la presse g?n?e en est le fl?au. Ce sont les pr?cautions m?mes que vous prenez contre ses abus qui les produisent presque tous; ce sont ces pr?cautions qui vous en ?tent tous les heureux fruits, pour ne vous en laisser que les poisons. Ce sont ces entraves qui produisent ou une timidit? servile, ou une audace extr?me. Ce n'est que sous les auspices de la libert? que la raison s'exprime avec le courage et le calme qui la caract?risent. C'est ? elles encore que sont dus les succ?s des ?crits licencieux, parce que l'opinion y met un prix proportionn? aux obstacles qu'ils ont franchis, et ? la haine qu'inspire le despotisme qui veut ma?triser jusqu'? la pens?e. Otez-lui ce mobile, elle les jugera avec une s?v?re impartialit?, et les ?crivains dont elle est la souveraine ne brigueront ses faveurs que par des travaux utiles: ou plut?t soyez libres; avec la libert? viendront toutes les vertus, et les ?crits que la presse mettra au jour seront purs, graves et sains comme ses moeurs.

Mais pourquoi prendre tant de soin pour troubler l'ordre que la nature ?tablissait d'elle-m?me? Ne voyez-vous pas que, par le cours n?cessaire des choses, le temps am?ne la proscription de l'erreur et le triomphe de la v?rit?? Laissez aux opinions bonnes ou mauvaises un essor ?galement libre, puisque les premi?res seulement sont destin?es ? rester. Avez-vous plus de confiance dans l'autorit?, dans la vertu de quelques hommes, int?ress?s ? arr?ter la marche de l'esprit humain, que dans la nature m?me? Elle seule a pourvu aux inconv?nients que vous redoutez; ce sont les hommes qui les feront na?tre.

L'opinion publique, voil? le seul juge comp?tent des opinions priv?es, le seul censeur l?gitime des ?crits. Si elle les approuve, de quel droit, vous, hommes en place, pouvez-vous les condamner? Si elle les condamne, quelle n?cessit? pour vous de les poursuivre? Si, apr?s les avoir d'abord improuv?s, elle doit, ?clair?e par le temps et par la r?flexion, les adopter t?t au tard, pourquoi vous opposez-vous aux progr?s des lumi?res? Comment osez-vous arr?ter ce commerce de la pens?e, que chaque homme a le droit d'entretenir avec tous les esprits, avec le genre humain tout entier? L'empire de l'opinion publique sur les opinions particuli?res est doux, salutaire, naturel, irr?sistible; celui de l'autorit? et de la force est n?cessairement tyrannique, odieux, absurde, monstrueux.

A ces principes ?ternels, quels sophismes objectent les ennemis de la libert?? La soumission aux lois: il ne faut point permettre d'?crire contre les lois.

Ob?ir aux lois est le devoir de tout citoyen: publier librement ses pens?es sur les vices ou sur la bont? des lois est le droit de tout homme et l'int?r?t de la soci?t? enti?re; c'est le plus digne et le plus salutaire usage que l'homme puisse faire de sa raison; c'est le plus saint des devoirs que puisse remplir, envers les autres hommes, celui qui est dou? des talents n?cessaires pour les ?clairer. Les lois, que sont-elles? L'expression libre de la volont? g?n?rale, plus ou moins conforme aux droits et ? l'int?r?t des nations, selon le degr? de conformit? qu'elles ont aux lois ?ternelles de la raison, de la justice et de la nature. Chaque citoyen a sa part et son int?r?t dans cette volont? g?n?rale; il peut donc, il doit m?me d?ployer tout ce qu'il a de lumi?res et d'?nergie pour l'?clairer, pour la r?former, pour la perfectionner. Comme, dans une soci?t? particuli?re, chaque associ? a le droit d'engager ses co-associ?s ? changer les conventions qu'ils ont faites, et les sp?culations qu'ils ont adopt?es pour la prosp?rit? de leurs entreprises; ainsi, dans la grande soci?t? politique, chaque membre peut faire tout ce qui est en lui pour d?terminer les autres membres de la cit? ? adopter les dispositions qui lui paraissent les plus conformes ? l'avantage commun.

S'il en est ainsi des lois qui ?manent de la soci?t? elle-m?me, que faudra-t-il penser de celles qu'elle n'a point faites, de celles qui ne sont que la volont? de quelques hommes, et l'ouvrage du despotisme? C'est lui qui inventa cette maxime qu'on ose r?p?ter encore aujourd'hui pour consacrer ses forfaits. Que dis-je? Avant la r?volution m?me, nous jouissions, jusqu'? un certain point, de la libert? de disserter et d'?crire sur les lois. S?r de son empire, et plein de confiance dans ses forces, le despotisme n'osait point contester ce droit ? la philosophie aussi ouvertement que ces modernes Machiavels, qui tremblent toujours de voir leur charlatanisme anticivique d?voil? par la libert? enti?re des opinions. Du moins faudra-t-il qu'ils conviennent que, si leurs principes avaient ?t? suivis, les lois ne seraient encore, pour nous, que des cha?nes destin?es ? attacher les nations au joug de quelques tyrans, et qu'au moment o? je parle, nous n'aurions pas m?me le droit d'agiter cette question.

Mais, pour obtenir cette loi tant d?sir?e contre la libert?, on pr?sente l'id?e que je viens de repousser, sous les termes les plus propres ? r?veiller les pr?jug?s, et ? inqui?ter le z?le pusillanime et peu ?clair?: car, comme une pareille loi est n?cessairement arbitraire dans l'ex?cution, comme la libert? des opinions est an?antie d?s qu'elle n'existe point enti?re, il suffit aux ennemis de la libert? d'en obtenir une, quelle qu'elle soit. On vous parlera donc d'?crits qui excitent les peuples ? la r?volte, qui conseillent la d?sob?issance aux lois; on vous demandera une loi p?nale pour ces ?crits-l?. Ne prenons point le change; et attachons-nous toujours ? la chose, sans nous laisser s?duire par les mots. Croyez-vous, d'abord, qu'un ?crit plein de raison et d'?nergie, qui d?montrerait qu'une loi est funeste ? la libert? et au salut public, ne produirait pas une impression plus profonde que celui qui, d?nu? de force et de raison, ne contiendrait que des d?clamations contre cette loi, ou le conseil de ne point la respecter? Non sans doute. S'il est permis de d?cerner des peines contre ces derniers ?crits, une raison plus imp?rieuse encore les provoquerait donc contre les autres, et le r?sultat de ce syst?me serait, en derni?re analyse, l'an?antissement de la libert? de la presse; car c'est le fond de la chose qui doit ?tre le motif de la loi, et non les formes. Mais voyons les objets tels qu'ils sont, avec les yeux de la raison, et non avec ceux des pr?jug?s que le despotisme a accr?dit?s. Ne croyons pas que, dans un Etat libre, ni m?me dans aucun Etat, des ?crits remuent si facilement les citoyens, et les portent ? renverser un ordre de choses ciment? par l'habitude, par tous les rapports sociaux, et prot?g? par la force publique. En g?n?ral, c'est par une action lente et progressive qu'ils influent sur la conduite des hommes. C'est le temps, c'est la raison qui d?termine cette influence. Ou bien ils sont contraires ? l'opinion et ? l'int?r?t du plus grand nombre, et alors ils sont impuissants; ils excitent m?me le bl?me et le m?pris publics, et tout reste calme: ou bien ils expriment le voeu g?n?ral, et ne font qu'?veiller l'opinion publique, et alors qui oserait les regarder comme des crimes? Analysez bien tous ces pr?textes, toutes ces d?clamations contre ce que quelques-uns appellent ?crits incendiaires, et vous verrez qu'elles cachent le dessein de calomnier le peuple, pour l'opprimer et pour an?antir la libert? dont il est le seul appui; vous verrez qu'elles supposent d'une part une profonde ignorance des hommes, de l'autre un profond m?pris de la partie de la nation la plus nombreuse et la moins corrompue.

Cependant, comme il faut absolument un pr?texte de soumettre la presse aux poursuites de l'autorit?, on nous dit: Mais, si un ?crit a provoqu? des d?lits, une ?meute, par exemple, ne punira-t-on pas cet ?crit? Donnez-nous au moins une loi pour ce cas-l?. Il est facile, sans doute, de pr?senter une hypoth?se particuli?re, capable d'effrayer l'imagination; mais il faut voir la chose sous des rapports plus ?tendus. Consid?rez combien il serait facile de rapporter une ?meute, un d?lit quelconque, ? un ?crit qui n'en serait cependant point la v?ritable cause; combien il est difficile de distinguer si les ?v?nements qui arrivent dans un temps post?rieur ? la date d'un ?crit en sont v?ritablement l'effet; comment, sous ce pr?texte, il serait facile aux hommes en autorit? de poursuivre tous ceux qui auraient exerc? avec ?nergie le droit de publier leur opinion sur la chose publique ou sur les hommes qui gouvernent. Observez, surtout, que, dans aucun cas, l'ordre social ne peut ?tre compromis par l'impunit? d'un ?crit qui aurait conseill? un d?lit.

Pour que cet ?crit fasse quelque mal, il faut qu'il se trouve un homme qui commette le d?lit. Or, les peines que la loi prononce contre ce d?lit sont un frein pour quiconque serait tent? de s'en rendre coupable; et, dans ce cas-l? comme dans les autres, la s?ret? publique est suffisamment garantie, sans qu'il soit n?cessaire de chercher une autre victime. Le but et la mesure des peines est l'int?r?t de la soci?t?. Par cons?quent, s'il importe plus ? la soci?t? de ne laisser aucun pr?texte d'attenter arbitrairement ? la libert? de la presse, que d'envelopper dans le ch?timent du coupable un ?crivain r?pr?hensible, il faut renoncer ? cet acte de rigueur, il faut jeter un voile sur toutes ces hypoth?ses extraordinaires qu'on se pla?t ? imaginer, pour conserver, dans toute son int?grit?, un principe qui est la premi?re base du bonheur social.

Cependant, s'il ?tait prouv? d'ailleurs que l'auteur d'un semblable ?crit f?t complice, il faudrait le punir, comme tel, de la peine inflig?e au crime dont il serait question, mais non le poursuivre comme auteur d'un ?crit, en vertu d'aucune loi sur la presse.

J'ai prouv? jusqu'ici que la libert? d'?crire sur les choses doit ?tre illimit?e: envisageons-la maintenant par rapport aux personnes.

Je distingue ? cet ?gard les personnes publiques et les personnes priv?es; et je me propose cette question: les ?crits qui inculpent les personnes publiques peuvent-ils ?tre punis par les lois? C'est l'int?r?t g?n?ral qui doit la d?cider. Pesons donc les avantages et les inconv?nients des deux syst?mes contraires.

Une importante consid?ration, et peut-?tre une raison d?cisive, se pr?sente d'abord. Quel est le principal avantage, quel est le but essentiel de la libert? de la presse? C'est de contenir l'ambition et le despotisme de ceux ? qui le peuple a commis son autorit?, en ?veillant sans cesse son attention sur les atteintes qu'ils peuvent porter ? ses droits. Or, si vous leur laissez le pouvoir de poursuivre, sous le pr?texte de calomnie, ceux qui oseront bl?mer leur conduite, n'est-il pas clair que ce frein devient absolument impuissant et nul? Qui ne voit combien le combat est in?gal entre un citoyen faible, isol?, et un adversaire arm? des ressources immenses que donne un grand cr?dit et une grande autorit?? Qui voudra d?plaire aux hommes puissants, pour servir le peuple, s'il faut qu'au sacrifice des avantages que pr?sente leur faveur, et au danger de leurs pers?cutions secr?tes, se joigne encore le malheur presque in?vitable d'une condamnation ruineuse et humiliante?

Mais, d'ailleurs, qui jugera les juges eux-m?mes? Car, enfin, il faut bien que leurs pr?varications ou leurs erreurs ressortissent, comme celles des autres magistrats, au tribunal de la censure publique. Qui jugera le dernier jugement qui d?cidera ces contestations? Car il faut qu'il y en ait un qui soit le dernier; il faut bien aussi qu'il soit soumis ? la libert? des opinions. Concluons qu'il faut toujours revenir au principe, que les citoyens doivent avoir la facult? de s'expliquer et d'?crire sur la conduite des hommes publics, sans ?tre expos?s ? aucune condamnation l?gale.

Attendrai-je des preuves juridiques de la conjuration de Catilina, et n'oserai-je la d?noncer au moment o? il faudrait d?j? l'avoir ?touff?e? Comment oserai-je d?voiler les desseins perfides de tous ces chefs de parti, qui s'appr?tent ? d?chirer le sein de la r?publique, qui tous se couvrent du voile du bien public et de l'int?r?t du peuple, et qui ne cherchent qu'? l'asservir et le vendre au despotisme? Comment vous d?velopperai-je la politique t?n?breuse de Tib?re? Comment les avertirai-je que ces pompeux dehors de vertus, dont il s'est tout ? coup rev?tu, ne cachent que le dessein de consommer plus s?rement cette terrible conspiration qu'il trame depuis longtemps contre le salut de Rome? Eh! devant quel tribunal voulez-vous que je lutte contre lui? Sera-ce devant le Pr?teur? Mais s'il est encha?n? par la crainte, ou s?duit par l'int?r?t? Sera-ce devant les Ediles? Mais s'ils sont soumis ? son autorit?, s'ils sont ? la fois ses esclaves et ses complices? Sera-ce devant le S?nat? Mais si le S?nat lui-m?me est tromp? ou asservi? Enfin, si le salut de la patrie exige que j'ouvre les yeux ? mes concitoyens sur la conduite m?me du S?nat, du Pr?teur et des Ediles, qui jugera entre eux et moi?

Mais une autre raison sans r?plique semble achever de mettre cette v?rit? dans tout son jour. Rendre les citoyens responsables de ce qu'ils peuvent ?crire contre les personnes publiques, ce serait n?cessairement supposer qu'il ne leur serait pas permis de les bl?mer, sans pouvoir appuyer leurs inculpations par des preuves juridiques. Or, qui ne voit pas combien une pareille supposition r?pugne ? la nature m?me de la chose, et aux premiers principes de l'int?r?t social? Qui ne sait combien il est difficile de se procurer de pareilles preuves; combien il est facile au contraire ? ceux qui gouvernent d'envelopper leurs projets ambitieux des voiles du myst?re, de les couvrir m?me du pr?texte sp?cieux du bien public? N'est-ce pas m?me l? la politique ordinaire des plus dangereux ennemis de la patrie? Ainsi ce seraient ceux qu'il importerait le plus de surveiller, qui ?chapperaient ? la surveillance de leurs concitoyens. Tandis que l'on chercherait les preuves exig?es pour avertir de leurs funestes machinations, elles seraient d?j? ex?cut?es, et l'Etat p?rirait avant que l'on e?t os? dire qu'il ?tait en p?ril. Non, dans tout Etat libre, chaque citoyen est une sentinelle de la libert?, qui doit crier, au moindre bruit, ? la moindre apparence du danger qui la menace. Tous les peuples qui l'ont connue n'ont-ils pas craint pour elle jusqu'? l'ascendant m?me de la vertu?

Aristide, banni par l'ostracisme, n'accusait pas cette jalousie ombrageuse qui l'envoyait ? un glorieux exil. Il n'e?t point voulu que le peuple ath?nien f?t priv? du pouvoir de lui faire une injustice. Il savait que la m?me loi qui e?t mis le magistrat vertueux ? couvert d'une t?m?raire accusation aurait prot?g? l'adroite tyrannie de la foule des magistrats corrompus. Ce ne sont pas ces hommes incorruptibles, qui n'ont d'autre passion que celle de faire le bonheur et la gloire de leur patrie, qui redoutent l'expression publique des sentiments de leurs concitoyens. Ils sentent bien qu'il n'est pas si facile de perdre leur estime, lorsqu'on peut opposer ? la calomnie une vie irr?prochable et les preuves d'un z?le pur et d?sint?ress?; s'ils ?prouvent quelquefois une pers?cution passag?re, elle est pour eux le sceau de leur gloire et le t?moignage ?clatant de leur vertu; ils se reposent, avec une douce confiance, sur le suffrage d'une conscience pure, et sur la force de la v?rit? qui leur ram?ne bient?t ceux de leurs concitoyens.

Qui sont ceux qui d?clament sans cesse contre la licence de la presse, et qui demandent des lois pour la captiver? Ce sont ces personnages ?quivoques, dont la r?putation ?ph?m?re, fond?e sur les succ?s du charlatanisme, est ?branl?e par le moindre choc de la contradiction; ce sont ceux qui, voulant ? la fois plaire au peuple et servir ses tyrans, combattus entre le d?sir de conserver la gloire acquise en d?fendant la cause publique, et les honteux avantages que l'ambition peut obtenir en l'abandonnant, qui, substituant la fausset? au courage, l'intrigue au g?nie, tous les petits man?ges des cours aux grands ressorts des r?volutions, tremblent sans cesse que la voix d'un homme libre vienne r?v?ler le secret de leur nullit? ou de leur corruption, qui sentent que pour tromper ou pour asservir leur patrie il faut, avant tout, r?duire au silence les ?crivains courageux qui peuvent la r?veiller de sa funeste l?thargie, ? peu pr?s comme on ?gorge les sentinelles avanc?es pour surprendre le camp ennemi; ce sont tous ceux enfin qui veulent ?tre impun?ment faibles, ignorants, tra?tres ou corrompus. Je n'ai jamais ou? dire que Caton, traduit cent fois en justice, ait poursuivi ses accusateurs; mais l'histoire m'apprend que les d?cemvirs ? Rome firent des lois terribles contre les libelles.

C'est en effet uniquement aux hommes que je viens de peindre, qu'il appartient d'envisager avec effroi la libert? de la presse; car ce serait une grande erreur de penser que dans un ordre de choses paisible, o? elle est solidement ?tablie, toutes les r?putations soient en proie au premier qui veut les d?truire.

Que sous la verge du despotisme, o? l'on est accoutum? ? entendre traiter de libelles les justes r?clamations de l'innocence outrag?e et les plaintes les plus mod?r?es de l'humanit? opprim?e, un libelle m?me digne de ce nom soit adopt? avec empressement et cru avec facilit?, qui pourrait en ?tre surpris? Les crimes du despotisme et la corruption des moeurs rendent toutes les inculpations si vraisemblables! Il est si naturel d'accueillir comme une v?rit? un ?crit qui ne parvient ? vous qu'en ?chappant aux inquisitions des tyrans! Mais sous le r?gime de la libert?, croyez-vous que l'opinion publique, accoutum?e ? la voir s'exercer en tout sens, d?cide en dernier ressort de l'honneur des citoyens, sur un seul ?crit, sans peser ni les circonstances, ni les faits, ni le caract?re de l'accusateur, ni celui de l'accus?? Elle juge en g?n?ral et jugera surtout alors avec ?quit?: souvent m?me les libelles seront des titres de gloire pour ceux qui en seront les objets, tandis que certains ?loges ne seront ? ses yeux qu'un opprobre: et, en dernier r?sultat, la libert? de la presse ne sera que le fl?au du vice et de l'imposture, et le triomphe de la vertu et de la v?rit?.

Le dirai-je enfin? Ce sont nos pr?jug?s, c'est notre corruption qui nous exag?re les inconv?nients de ce syst?me n?cessaire. Chez un peuple o? l'?go?sme a toujours r?gn?, o? ceux qui gouvernent, o? la plupart des citoyens qui ont usurp? une esp?ce de consid?ration ou de cr?dit, sont forc?s ? s'avouer int?rieurement ? eux-m?mes qu'ils ont besoin non seulement de l'indulgence, mais de la cl?mence publique, la libert? de la presse doit n?cessairement inspirer une certaine terreur, et tout syst?me qui tend ? la g?ner trouve une foule de partisans qui ne manquent pas de le pr?senter sous les dehors sp?cieux du bon ordre et de l'int?r?t public.

A qui appartient-il plus qu'? vous, l?gislateurs, de triompher de ce pr?jug? fatal qui ruinerait et d?shonorerait ? la fois votre ouvrage? Que tous ces libelles r?pandus autour de vous par les factions ennemies du peuple ne soient point pour vous une raison de sacrifier aux circonstances du moment les principes ?ternels sur lesquels doit reposer la libert? des nations. Songez qu'une loi sur la presse n'arr?terait point, ne r?parerait point le mal, et vous enl?verait le rem?de. Laissez passer ce torrent fangeux, dont il ne restera bient?t plus aucune trace, pourvu que vous conserviez cette source immense et ?ternelle de lumi?res qui doit r?pandre sur le monde politique et moral la chaleur, la force, le bonheur et la vie. N'avez-vous pas d?j? remarqu? que la plupart des d?nonciations qui vous ont ?t? faites ?taient dirig?es non contre ces ?crits sacril?ges o? les droits de l'humanit? sont attaqu?s, o? la majest? du peuple est outrag?e, au nom des despotes, par des esclaves l?chement audacieux, mais contre ceux que l'on accuse de d?fendre la cause de la libert? avec un z?le exag?r? et irrespectueux envers les despotes? N'avez-vous pas remarqu? qu'elles vous ont ?t? faites par des hommes qui r?clament am?rement contre des calomnies que la voix publique a mises au rang des v?rit?s, et qui se taisent sur les blasph?mes s?ditieux que leurs partisans ne cessent de vomir contre la nation et contre ses repr?sentants? Que tous mes concitoyens m'accusent et me punissent comme un tra?tre ? la patrie, si jamais je vous d?nonce aucun libelle, sans en excepter ceux o?, couvrant mon nom des plus inf?mes calomnies, les ennemis de la r?volution me d?signent ? la fureur des factieux comme l'une des victimes qu'elle doit frapper! Eh! que nous importent ces m?prisables ?crits! Ou bien la nation fran?aise approuvera les efforts que nous avons faits pour assurer sa libert?, ou elle les condamnera. Dans le premier cas, les attaques de nos ennemis ne seront que ridicules; dans le second cas, nous aurons ? expier le crime d'avoir pens? que les Fran?ais ?taient dignes d'?tre libres, et pour mon compte je me r?signe volontiers ? cette destin?e.

Enfin faisons des lois, non pour un moment, mais pour les si?cles; non pour nous, mais pour l'univers; montrons-nous dignes de fonder la libert?, en nous attachant invariablement ? ce grand principe, qu'elle ne peut exister l? o? elle ne peut s'exercer avec une ?tendue illimit?e sur la conduite de ceux que le peuple a arm?s de son autorit?. Que devant lui disparaissent tous ces inconv?nients attach?s aux plus excellentes institutions, tous ces sophismes invent?s par l'orgueil et par la fourberie des tyrans. Il faut, vous disent-ils, mettre ceux qui gouvernent ? l'abri de la calomnie; il importe au salut du peuple de maintenir le respect qui leur est d?. Ainsi auraient raisonn? les Guises contre ceux qui auraient d?nonc? les pr?paratifs de la Saint-Barth?l?my; ainsi raisonneront tous leurs pareils, parce qu'ils savent bien que tant qu'ils seront tout-puissants, les v?rit?s qui leur d?plaisent seront toujours des calomnies, parce qu'ils savent bien que ce respect superstitieux qu'ils r?clament pour leurs fautes et pour leurs forfaits m?mes leur assure le pouvoir de violer impun?ment celui qu'ils doivent ? leur souverain, au peuple qui m?rite sans doute autant d'?gards que ses d?l?gu?s et ses oppresseurs. Mais qui voudra ? ce prix, osent-ils dire encore, qui voudra ?tre roi, magistrat, qui voudra tenir les r?nes du gouvernement? Qui? Les hommes vertueux, dignes d'aimer leur patrie et la v?ritable gloire, qui savent bien que le tribunal de l'opinion publique n'est redoutable qu'aux m?chants. Qui encore? Les ambitieux m?mes. Eh! pl?t ? Dieu qu'il y e?t sur la terre un moyen de leur faire perdre l'envie ou l'espoir de tromper ou d'asservir les peuples!

En deux mots, il faut ou renoncer ? la libert?, ou consentir ? la libert? ind?finie de la presse. A l'?gard des personnes publiques, la question est d?cid?e.

Il ne nous reste plus qu'? la consid?rer par rapport aux personnes priv?es. On voit que cette question se confond avec celle du meilleur syst?me de l?gislation sur la calomnie, soit verbale, soit ?crite, et qu'ainsi elle n'est plus uniquement relative ? la presse.

II est juste sans doute que les particuliers attaqu?s par la calomnie puissent poursuivre la r?paration du tort qu'elle leur a fait; mais il est utile de faire quelques observations sur cet objet.

Il faut d'abord consid?rer que nos anciennes lois sur ce point sont exag?r?es, et que leur rigueur est le fruit ?vident de ce syst?me tyrannique que nous avons d?velopp?, et de cette terreur excessive que l'opinion publique inspire au despotisme qui les a promulgu?es. Comme nous les envisageons avec plus de sang-froid, nous consentirons volontiers ? mod?rer le code p?nal qu'il nous a transmis; il me semble du moins que la peine qui sera prononc?e contre les auteurs d'une inculpation calomnieuse doit se borner ? la publicit? du jugement qui la d?clare telle et ? la r?paration p?cuniaire du dommage qu'elle aura caus? ? celui qui en ?tait l'objet. On sent bien que je ne comprends pas dans cette classe le faux t?moignage contre un accus?, parce que ce n'est point ici une simple calomnie, une simple offense envers un particulier; c'est un mensonge fait ? la loi pour perdre l'innocence, c'est un v?ritable crime public.

En g?n?ral, quant aux calomnies ordinaires, il y a deux esp?ces de tribunaux pour les juger, celui des magistrats et celui de l'opinion publique. Le plus naturel, le plus ?quitable, le plus comp?tent, le plus puissant, c'est sans contredit le dernier; c'est celui qui sera pr?f?r? par les hommes les plus vertueux et les plus dignes de braver les attaques de la haine et de la m?chancet?; car il est ? remarquer qu'en g?n?ral l'impuissance de la calomnie est en raison de la probit? et de la vertu de celui qu'elle attaque; et que plus un homme a le droit d'en appeler ? l'opinion, moins il a besoin d'invoquer la protection du juge: il ne se d?terminera donc pas facilement ? faire retentir les tribunaux des injures qui lui auront ?t? adress?es, et il ne les occupera de ses plaintes que dans les occasions importantes o? la calomnie sera li?e ? une trame coupable ourdie pour lui causer un grand mal, et capable de ruiner la r?putation m?me la plus solidement affermie. Si l'on suit ce principe, il y aura moins de proc?s ridicules, moins de d?clamations s?r l'honneur, mais plus d'honneur, surtout plus d'honn?tet? et de vertu.

Je borne ici mes r?flexions sur cette troisi?me question, qui n'est pas le principal objet de cette discussion, et je vous propose de cimenter la premi?re base de la libert? par le d?cret suivant.

L'Assembl?e nationale d?clare:

Messieurs,

Les plus grands l?gislateurs de l'antiquit?, apr?s avoir donn? une constitution ? leur pays, se firent un devoir de rentrer dans la foule des simples citoyens, et de se d?rober m?me quelquefois ? l'empressement de la reconnaissance publique. Ils pensaient que le respect des lois nouvelles d?pendait beaucoup de celui qu'inspirait la personne des l?gislateurs, et que le respect qu'imprime le l?gislateur est attach? en grande partie ? l'id?e de son caract?re et de son d?sint?ressement. Du moins faut-il convenir que ceux qui fixent la destin?e des nations et des races futures doivent ?tre absolument isol?s de leur propre ouvrage; qu'ils doivent ?tre comme la nation enti?re, et comme la post?rit?. Il ne suffit pas m?me qu'ils soient exempts de toute vue personnelle et de toute ambition; il faut encore qu'ils ne puissent pas en ?tre soup?onn?s. Pour moi, je l'avoue, je n'ai pas besoin de chercher dans des raisonnements bien subtils la solution de la question qui vous occupe; je la trouve dans les premiers principes de la droiture et dans ma conscience. Nous allons d?lib?rer sur la partie de la Constitution qui est la premi?re base de la libert? et du bonheur public, l'organisation du Corps l?gislatif; sur les r?gles constitutionnelles des ?lections, sur le renouvellement des corps ?lectoraux. Avant de prononcer sur ces questions, faisons qu'elles nous soient parfaitement ?trang?res: pour moi, du moins, je crois pouvoir m'appliquer ce principe. En effet, je suppose que je ne fusse pas inaccessible ? l'ambition d'?tre membre du Corps l?gislatif, et certes, je d?clare avec franchise que c'est peut-?tre le seul objet qui puisse exciter l'ambition d'un homme libre; je suppose que les chances qui pourraient me porter ? cet emploi fussent li?es ? la mani?re dont les grandes questions nationales dont j'ai parl? seraient r?solues; serais-je dans cet ?tat d'impartialit? et de d?sint?ressement absolu qu'exige une t?che aussi importante? Et si un juge se r?cuse lorsqu'il tient par quelque affection, par quelque int?r?t, m?me indirect, ? une cause particuli?re, serais-je moins s?v?re envers moi-m?me, lorsqu'il s'agit de la cause des peuples? Non. Et puisqu'il n'existe pour tous les hommes qu'une m?me morale, qu'une m?me conscience, je conclus que cette opinion est celle de l'Assembl?e nationale tout enti?re. C'est la nature m?me des choses qui a ?lev? une barri?re entre les auteurs de la Constitution et les assembl?es qui doivent venir apr?s eux. En fait de politique, rien n'est utile que ce qui est juste et honn?te; et rien ne prouve mieux cette maxime que les avantages attach?s au parti que je propose.

Concevez-vous quelle autorit? imposante donnerait ? votre Constitution le sacrifice prononc? par vous-m?mes des plus grands honneurs auxquels vos concitoyens puissent vous appeler? Combien les efforts de la calomnie seront faibles, lorsqu'elle ne pourra pas reprocher ? un seul de ceux qui l'ont ?lev?e d'avoir voulu mettre ? profit le cr?dit que leur mission m?me leur donne sur leurs commettants, pour prolonger son pouvoir; lorsqu'elle ne pourra pas m?me dire que ceux qui passent pour avoir exerc? une tr?s grande influence sur vos d?lib?rations ont eu la pr?tention de se faire de leur r?putation et de leur popularit? un moyen d'?tendre leur empire sur une Assembl?e nouvelle; lorsqu'enfin on ne pourra pas les soup?onner d'avoir pli? au d?sir tr?s louable en soi de servir la patrie sur un grand th??tre, les principes des importantes d?lib?rations qui nous restent ? prendre!

Cependant, si, incapables de tout retour personnel sur eux-m?mes, ils ?taient attach?s au syst?me contraire, par des scrupules purement relatifs ? l'int?r?t public, il me semble qu'il serait facile de les dissiper.

Plusieurs semblent croire ? la n?cessit? de conserver dans la l?gislature prochaine une partie des membres de l'Assembl?e actuelle; d'abord, parce que, pleins d'une juste confiance en vous, ils d?sesp?rent que nous puissions ?tre remplac?s par des successeurs ?galement dignes de la confiance publique.

En partageant le sentiment, honorable pour l'Assembl?e actuelle, qui est la base de cette opinion, je crois exprimer le v?tre, en disant que nous n'avons ni le droit, ni la pr?somption de penser qu'une nation de vingt-cinq millions d'hommes, libre et ?clair?e, est r?duite ? l'impuissance de trouver facilement 720 d?fenseurs qui nous vaillent. Et si, dans un temps o? l'esprit public n'?tait point encore n?, o? la nation ignorait ses droits et ne pr?voyait point encore sa destin?e, elle a pu faire des choix dignes de cette r?volution, pourquoi n'en ferait-elle pas de meilleurs encore, lorsque l'opinion publique est ?clair?e et fortifi?e par une exp?rience de deux ann?es si f?condes en grands ?v?nements et en grandes le?ons?

Les partisans de la r??lection disent encore qu'un certain nombre de membres, et m?me que certains membres de cette Assembl?e sont n?cessaires pour ?clairer, pour guider la l?gislature suivante par les lumi?res de leur exp?rience, et par la connaissance plus parfaite des lois qui sont leur ouvrage.

Pour moi, sans m'arr?ter ? cette id?e qui a peut-?tre quelque chose do sp?cieux, je pense d'abord que ceux qui, hors de cette Assembl?e, ont lu, ont suivi nos op?rations, qui ont adopt? nos d?crets, qui les ont d?fendus, qui ont ?t? charg?s par la confiance publique de les faire ex?cuter, que cette foule de citoyens dont les lumi?res et le civisme fixent les regards de leurs compatriotes, connaissent aussi les lois et la Constitution; je crois qu'il n'est pas plus difficile de les conna?tre qu'il ne l'a ?t? de les faire. Je pourrais m?me ajouter que ce n'est pas au milieu de ce tourbillon immense d'affaires o? nous nous sommes trouv?s, qu'on a ?t? le plus ? port?e de reconna?tre l'ensemble et les d?tails de toutes nos op?rations; je pense d'ailleurs que les principes de notre Constitution sont grav?s dans le coeur de tous les hommes, et dans l'esprit de la majorit? des Fran?ais; que ce n'est point de la t?te de tels ou tels orateurs qu'elle est sortie, mais du sein m?me de l'opinion publique qui nous avait pr?c?d?s et qui nous a soutenus. C'est ? elle, c'est ? la volont? de la nation, qu'il faut confier sa dur?e et sa perfection, et non ? l'influence de quelques-uns de ceux qui la repr?sentent en ce moment. Si elle esl votre ouvrage, n'est-elle pas le patrimoine des citoyens qui ont jur? de la d?fendre contre tous ses ennemis? N'est-elle pas l'ouvrage de la nation qui l'a adopt?e? Pourquoi les assembl?es de repr?sentants choisis par elle n'auront-elles pas droit ? la m?me confiance? Et quelle est celle qui oserait renverser la Constitution contre sa volont?? Quant aux pr?tendus guides qu'une assembl?e pourrait transmettre ? celles qui la suivent, je ne crois point du tout ? leur utilit?. Ce n'est point dans l'ascendant des orateurs qu'il faut placer l'espoir du bien public, mais dans les lumi?res et dans le civisme de la masse des assembl?es repr?sentatives: l'influence de l'opinion publique et de l'int?r?t g?n?ral diminue en proportion de celle que prennent les orateurs; et quand ceux-ci parviennent ? ma?triser les d?lib?rations, il n'y a plus d'assembl?e, il n'y a plus qu'un fant?me de repr?sentation. Alors se r?alise le mot de Th?mistocle, lorsque, montrant son fils enfant, il disait: "Voil? celui qui gouverne la Gr?ce; ce marmot gouverne sa m?re, sa m?re me gouverne, je gouverne les Ath?niens, et les Ath?niens gouvernent la Gr?ce." Ainsi une nation de vingt-cinq millions d'hommes serait gouvern?e par l'Assembl?e repr?sentative, celle-ci par un petit nombre d'orateurs adroits, et par qui ces orateurs seraient-ils gouvern?s quelquefois?... Je n'ose le dire, mais vous pourrez facilement le deviner. Je n'aime point cette science nouvelle qu'on appelle la tactique des grandes assembl?es: elle ressemble trop ? l'intrigue: la v?rit? et la raison doivent seules r?gner dans les assembl?es l?gislatives. Je n'aime pas que des hommes habiles puissent, en dominant une assembl?e par ces moyens, pr?parer, assurer leur domination sur une autre, et perp?tuer ainsi un syst?me de coalition qui est le fl?au de la libert?. J'ai de la confiance en des repr?sentants qui, ne pouvant ?tendre au del? de deux ans les vues de leur ambition, seront forc?s de la borner ? la gloire de servir leur pays et l'humanit?, de m?riter l'estime et l'amour des citoyens dans le sein desquels ils sont s?rs de retourner ? la fin de leur mission. Deux ann?es de travaux aussi brillants qu'utiles sur un tel th??tre suffisent ? leur gloire. Si la gloire, si le bonheur de placer leurs noms parmi ceux des bienfaiteurs de la patrie ne leur suffit pas, ils sont corrompus, ils sont au moins dangereux; il faut bien se garder de leur laisser les moyens d'assouvir un autre genre d'ambition. Je me d?fierais de ceux qui, pendant quatre ans, resteraient en butte aux caresses, aux s?ductions royales, ? la s?duction de leur propre pouvoir, enfin ? toutes les tentations de l'orgueil ou de la cupidit?. Ceux qui me repr?sentent, ceux dont la volont? est cens?e la mienne, ne sauraient ?tre trop rapproch?s de moi, trop identifi?s avec moi; sinon la loi, loin d'?tre la volont? g?n?rale, ne sera plus que l'expression des caprices ou des int?r?ts particuliers de quelques ambitieux; les repr?sentants, ligu?s contre le peuple, avec le minist?re et la cour, deviendront des souverains, et bient?t des oppresseurs. Ne nous dites donc plus que s'opposer ? la r??lection, c'est violer la libert? du peuple. Quoi! est-ce violer la libert? que d'?tablir les formes, que de fixer les r?gles n?cessaires pour que les ?lections soient utiles ? la libert?? Tous les peuples n'ont-ils pas adopt? cet usage? n'ont-ils pas surtout proscrit la r??lection dans les magistratures importantes, pour emp?cher que, sous ce pr?texte, les ambitieux ne se perp?tuassent par l'intrigue et par la facilit? des peuples? N'avez-vous pas vous-m?mes d?termin? des conditions d'?ligibilit?? Les partisans de la r??lection ont-ils alors r?clam? contre ces d?crets? Or, faut-il que l'on puisse nous accuser de n'avoir cru ? la libert? ind?finie en ce genre que lorsqu'il s'agissait de nous-m?mes, et de n'avoir montr? ce scrupule excessif que lorsque l'int?r?t public exigeait la plus salutaire de toutes les r?gles qui peuvent en diriger l'exercice? Oui, sans doute, toute restriction injuste, contraire aux droits des bommes, et qui ne tourne point au profit de l'?galit?, est une atteinte port?e ? la libert? du peuple: mais toute pr?caution sage et n?cessaire, que la nature m?me des choses indique, pour prot?ger la libert? contre la brigue et contre les abus du pouvoir des repr?sentants, n'est-elle pas command?e par l'amour m?me de la libert??

Et d'ailleurs, n'est-ce pas au nom du peuple que vous faites ces lois? C'est mal raisonner que de pr?senter vos d?crets comme des lois dict?es par des souverains ? des sujets; c'est la Nation qui les porte elle-m?me, par l'organe de ses repr?sentants. D?s qu'ils sont justes et conformes aux droits de tous, ils sont toujours l?gitimes. Or, qui peut douter que la Nation ne puisse convenir des r?gles qu'elle suivra dans ses ?lections pour se d?fendre elle-m?me contre l'erreur et contre la surprise?

Au reste, pour ne parler que de ce qui concerne l'Assembl?e actuelle, j'ai fait plus que prouver qu'il ?tait utile de ne point permettre la r??lection; j'ai fait voir une v?ritable incompatibilit?, fond?e sur la nature m?me de ses droits. S'il ?tait convenable de para?tre avoir besoin d'insister sur une question de cette nature, j'ajouterais encore d'autres raisons.

Je dirais qu'il importe de ne point donner lieu de dire que ce n'?tait point la peine de tant presser la fin de notre mission, pour la continuer, en quelque sorte, sous une forme nouvelle. Je dirais surtout une raison qui est aussi simple que d?cisive. S'il est une assembl?e dans le monde ? qui il convienne de donner le grand exemple que je propose, c'est, sans contredit, celle qui, durant deux ann?es enti?res, a support? des travaux dont l'immensit? et la continuit? semblaient ?tre au-dessus des forces humaines.

Il est un moment o? la lassitude affaiblit n?cessairement les ressorts de l'?me et de la pens?e; et lorsque ce moment est arriv?, il y aurait au moins de l'imprudence, pour tout le monde, ? se charger encore, pour deux ans, du fardeau des destin?es d'une nation. Quand la nature m?me et la raison nous ordonnent le repos, pour l'int?r?t public autant que pour le n?tre, l'ambition ni m?me le z?le n'ont point le droit de les contredire. Athl?tes victorieux, mais fatigu?s, laissons la carri?re ? des successeurs frais et vigoureux, qui s'empresseront de marcher sur nos traces, sous les yeux de la nation attentive, et que nos regards seuls emp?cheront de trahir leur gloire et leur patrie. Pour nous, hors de l'Assembl?e l?gislative, nous servirons mieux notre pays qu'en restant dans son sein. R?pandus sur toutes les parties de cet Empire, nous ?clairerons ceux de nos concitoyens qui ont besoin de lumi?res; nous propagerons partout l'esprit public, l'amour de la paix, de l'ordre, des lois et de la libert?. Oui, voil?, dans ce moment, la mani?re la plus digne de nous, et la plus utile ? nos concitoyens, de signaler notre z?le pour leurs int?r?ts. Rien n'?l?ve les ?mes des peuples, rien ne forme les moeurs publiques comme les vertus des l?gislateurs. Donnez ? vos concitoyens ce grand exemple d'amour pour l'?galit?, d'attachement exclusif au bonheur de la patrie, donnez-le ? vos successeurs, ? tous ceux qui sont destin?s ? influer sur le sort des nations. Que les Fran?ais comparent le commencement de votre carri?re avec la mani?re dont vous l'aurez termin?e, et qu'ils doutent quelle est celle de ces deux ?poques o? vous vous serez montr?s plus purs, plus grands, plus dignes de leur confiance.

Je souhaite que ce parti soit agr?able ? ceux m?mes qui croiraient avoir les pr?tentions les plus fond?es aux honneurs de la l?gislature. S'ils ont toujours march? d'un pas ferme vers le bien public et vers la libert?, il ne leur reste rien de plus ? d?sirer: si quelqu'un aspirait ? d'autres avantages, ce serait une raison pour lui de fuir une carri?re o? peut-?tre l'ambition pourrait ? la fin rencontrer des ?cueils. Au reste, je pense que toutes les ressources de l'?loquence et de la dialectique seraient ici inutiles pour obscurcir des v?rit?s que le sentiment, autant que le bon sens, d?couvre ? tous les hommes honn?tes; et s'il est facile en g?n?ral de tenir l'opinion suspendue par des raisonnements plus ou moins sp?cieux, il est au moins dangereux, dans certaines occasions, qu'un oeil attentif ne voie l'int?r?t personnel percer ? travers les plus beaux lieux communs sur les droits et sur la libert? du peuple. Je suis loin de pr?voir ici de pareils obstacles pour une proposition qui, par sa nature, semble appeler un assentiment aussi prompt que g?n?ral; mais, si elle en ?prouvait, je la crois tellement n?cessaire ? l'int?r?t de la nation et li?e ? la gloire de ses repr?sentants, que je n'h?siterais pas ? leur demander une permission qu'ils n'ont jamais refus?e ? personne: celle de dire quelques mois pour r?pondre aux objections que ma motion pourrait essuyer.

Je finis par une d?claration franche: ce qui a achev? de me convaincre de la v?rit? de l'opinion que je soutiens, ce qui m'y a invariablement attach?, c'est ? la fois et la vivacit? des efforts et la faiblesse des raisons par lesquels on s'est efforc? de pr?parer de longue main les esprits au syst?me contraire. Cette curiosit? inqui?te avec laquelle on interrogeait les opinions particuli?res; ces insinuations adroites, ces propos r?p?t?s ? l'oreille pour d?cr?diter d'avance ceux ? qui l'on croyait une opinion contraire, en assurant qu'il n'y avait que des ennemis de l'ordre ou de la libert? qui pussent la soutenir; cet art de remplir les esprits de terreur par les mots d'anarchie, d'aristocratie; ces inqui?tudes, ces mouvements, ces coalitions: enfin j'ai vu que ce syst?me se r?duisait tout entier ? cette id?e pusillanime, fausse et injurieuse ? la nation, de regarder le sort de la r?volution comme attach? ? un certain nombre d'individus; et j'ai dit: la raison et la v?rit? ne combattent point avec de pareilles armes, et ne d?ploient point ce genre d'activit?. J'ai cru sentir qu'il importait infiniment de d?truire la cause de toutes ces agitations; il m'a paru que, dans un temps o? nous devons tous r?unir toutes nos forces pour terminer nos travaux d'une mani?re ?galement prompte et r?fl?chie, ce serait un grand malheur que des hommes ?clair?s fussent en quelque sorte partag?s entre les soins qu'ils exigent et l'attention qu'ils pourraient donner ? ce qui se passerait au dehors, dans le temps des assembl?es et des ?lections dont le moment approche. Quel scandale si ceux qui doivent faire des lois contre la brigue pouvaient en ?tre eux-m?mes accus?s! Et combien n'importe-t-il pas de faire cesser certains bruits, mal fond?s sans doute, qui se sont d?j? r?pandus et m?me accr?dit?s! Enfin, et ce seul mot suffisait peut-?tre: puisque nous allons fixer d?finitivement les rapports, le pouvoir des l?gislatures, la mani?re m?me d'y ?tre ?lu, proc?dons ? ce grand travail, non comme des hommes destin?s ? en ?tre membres, mais comme des hommes qui doivent redevenir de simples citoyens. Pour nous garantir ? nous-m?mes, pour garantir ? la nation enti?re que nous serons tous anim?s d'un tel esprit, le moyen le plus s?r est de nous placer, en effet, nous-m?mes dans cette condition. Il faut donc, avant tout, d?cider la question qui concerne les membres de 'Assembl?e actuelle.

Je demande que l'on d?cr?te que les membres de l'Assembl?e actuelle ne pourront ?tre r??lus ? la suivante.

Tout prouve l'importance de la question que vous agitez, tout, jusqu'? la mani?re dont on a d?fendu le syst?me de la r??lection. Quelles qu'aient ?t? les circonstances qui ont pr?c?d? et accompagn? cette discussion, je ne veux voir, je ne veux examiner que les principes de l'int?r?t g?n?ral, qui doit ?tre la r?gle de votre d?cision.

Quel est le principe, quel est le but des lois ? faire sur les ?lections? L'int?r?t du peuple. Partout o? le peuple n'exerce pas son autorit?, et ne manifeste pas sa volont? par lui-m?me, mais par des repr?sentants, si le corps repr?sentatif n'est pas pur et presque identifi? avec le peuple, la libert? est an?antie. Le grand principe du gouvernement repr?sentatif, l'objet essentiel des lois, doit ?tre d'assurer la puret? des ?lections et l'incorruptibilit? des repr?sentants. Si la r??ligibilit? va ? ce but, elle est bonne; si elle s'en ?loigne, elle est mauvaise. Je ne sais si c'est s?rieusement que les partisans de la r??lection ont pr?tendu que le syst?me contraire blessait la libert? du peuple. Toute entrave mise ? la libert? des choix, d?s qu'elle est inutile, est injuste; ? plus forte raison, si elle est nuisible ou dangereuse: mais toute r?gle qui tend ? d?fendre le peuple contre la brigue, contre les malheurs des mauvais choix, contre la corruption de ses repr?sentants, est juste et n?cessaire. Voil?, ce me semble, les vrais principes de cette question.

Vous avez cru me mettre en contradiction avec moi-m?me, en observant que j'avais manifest? une opinion contraire ? la condition prescrite par le d?cret du marc d'argent; et cet exemple m?me est la preuve la plus sensible de la v?rit? de la doctrine que j'expose ici. Si plusieurs ont adopt? une opinion contraire au d?cret du marc d'argent, c'est parce qu'ils le regardaient comme une de ces r?gles fausses qui offensent la libert? au lieu de la maintenir; c'est parce qu'ils pensaient que la richesse ne pouvait pas ?tre la mesure ni du m?rite, ni des droits des hommes; c'est qu'ils ne trouvaient aucun danger ? laisser tomber le choix des ?lecteurs sur des hommes qui, ne pouvant subjuguer les suffrages par les ressources de l'opulence, ne les auraient obtenus qu'? force de vertus; c'est parce que loin de favoriser la brigue, la concurrence des citoyens qui ne payaient point cette contribution ne favorisait que le m?rite. Mais de ce que je croirais que le d?cret du marc d'argent n'est pas utile, s'ensuit-il que je bl?merais ceux qui repoussent les hommes fl?tris, ceux qui d?fendent la r??lection des membres des corps administratifs?

Mais si, lorsque r?ellement les principes de la libert? ?taient attaqu?s, vous aviez montr? beaucoup moins de disposition ? vous alarmer; si ce m?me d?cret du marc d'argent avait obtenu votre suffrage, n'est-ce pas moi qui pourrais dire que vous ?tes en contradiction avec vous-m?mes, et qui aurais le droit de m'?tonner que les exc?s de votre z?le datent pr?cis?ment du moment o? il ?tait question d'assurer ? des repr?sentants, et m?me sans aucune exception, la perspective d'une r??lection ?ternelle?

Laissez donc cette extr?me d?licatesse de principes, et examinons sans partialit? le v?ritable point de la question, qui consiste ? savoir si la r??ligibilit? est propre ou non ? assurer au peuple de bons repr?sentants. C'est d'apr?s les vices des hommes qu'il faut en calculer les effets; car ce n'est que contre ces vices que les lois sont faites. Or, l'exp?rience a toujours prouv? qu'autant les peuples sont indolents ou faciles ? tromper, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs pour ?tendre leur pouvoir et opprimer la libert? publique: c'est cette double cause qui a fait que les magistratures ?lectives sont devenues perp?tuelles et ensuite h?r?ditaires. C'est l'histoire de tous les si?cles qui a prouv? qu'une loi prohibitive de la r??lection est le plus s?r moyen de conserver la libert?. Parlez-vous d'un corps de repr?sentants destin?s ? faire des lois, ? ?tre les interpr?tes de la volont? g?n?rale? La nature m?me de leurs fonctions les rappelle imp?rieusement dans la classe des simples citoyens. Ne faut-il pas en effet qu'ils se trouvent dans la situation qui confond le plus leur int?r?t et leur voeu personnel avec celui du peuple? Or, pour cela, il faut que souvent ils redeviennent peuple eux-m?mes. Mettez-vous ? la place des simples citoyens, et dites de qui vous aimeriez mieux recevoir des lois, ou de celui qui est s?r de n'?tre bient?t plus qu'un citoyen, ou de celui qui tient encore ? son pouvoir par l'esp?rance de le perp?tuer.

Vous dites que le Corps l?gislatif sera trop faible pour r?sister ? la force du pouvoir ex?cutif, si tous les membres sont renouvel?s tous les deux ans: mais ? quoi tient donc la v?ritable force du Corps l?gislatif? Est-ce ? la puissance, au cr?dit, ? l'importance de tels ou tels individus? Non: c'est ? la Constitution sur laquelle il est fond?; c'est ? la puissance, ? la volont? de la nation qu'il repr?sente et qui le regarde lui-m?me comme le boulevard n?cessaire de la libert? publique. Croyez-vous que la nation consentira encore ? reprendre ses premi?res cha?nes, et ? voir le despotisme minist?riel se relever seul sur les d?bris des anciennes corporations, ou ces corporations elles-m?mes rena?tre de leurs propres cendres? Si telle est sa volont?, vos efforts sont superflus; mais s'il est ?vident aux yeux de tout homme raisonnable que sa volont? est diff?rente, n'est-il pas ridicule de croire que le pouvoir de ses repr?sentants dispara?tra devant le pouvoir ex?cutif, si tel individu c?de sa place ? un autre repr?sentant qu'elle aura choisi? Le pouvoir du Corps l?gislatif est immense par sa nature m?me: il est assur? par sa permanence, par la facult? de s'assembler sans convocation, par la loi qui refusera au roi le pouvoir de le dissoudre. Le respect, l'amour qu'inspireront les collections d'hommes qui le composeront successivement, d?pendront des vertus, de la justice de ces hommes. Or, croyez-vous qu'ils seront plus incorruptibles sous la loi de la r??ligibilit?, que sous celle qui la proscrira?

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