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Read Ebook: Jérusalem by Loti Pierre
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 456 lines and 43396 words, and 10 pagesUn peu en recul, l?-bas sur notre droite, les premi?res maisons de Bethl?em, carr?es et sans toiture, ? elles seules d?non?ant la Jud?e. Sous nos pieds, un grand panorama, qui d'abord descend en profondeur, puis qui, dans les lointains, remonte tr?s haut par plans de montagnes ?tag?es; toute une campagne paisible, m?lancolique, d'oliviers et de pierres, de pierres surtout, de pierres grises dont les p?les nuances semblent vaporeuses d?s que tombe le jour. Et, dominant tout, ? d'inappr?ciables distances, la grande ligne bleu?tre des montagnes du Moab, qui sont sur l'autre rive de la mer Morte. On entend partout sonner des clochettes de troupeaux qui reviennent des champs et, au loin, des cloches de monast?res... Ils arrivent, les troupeaux; ils commencent ? passer devant nous avec leurs bergers, et c'est un d?fil? presque biblique, qui se prolonge l? sous nos yeux, dans une lumi?re de plus en plus att?nu?e. Tr?s impr?vus, passent aussi une cinquantaine d'enfants qui dansent, en chantant cette vieille chanson de France: < Ensuite reprend le cort?ge plus grave, plus archa?que, des b?tes et des bergers... Les d?tails de ces campagnes immenses, d?roul?es devant nous, se fondent dans le cr?puscule envahissant; bient?t, les grandes lignes des horizons demeureront seules, les m?mes, immuablement les m?mes qu'aux temps des croisades et aux temps du Christ. Et c'est l?, dans ces aspects ?ternels, que r?side encore le Grand Souvenir... Bethl?em! Bethl?em!... Ce nom recommence ? chanter au fond de nos ?mes moins glac?es... Et, dans la p?nombre, les ?ges semblent remonter silencieusement leur cours, en nous entra?nant avec eux. Sur la route, des laboureurs et des bergers d?filent encore, en silhouettes antiques, devant les grands fonds des vall?es et des montagnes; vers la ville, tous les travailleurs des champs continuent de s'acheminer. Tenant leur enfant au cou, ou bien le portant ? l'?gyptienne assis sur l'?paule, passent lentement, avec leurs longs voiles, leurs longues manches, les femmes de Bethl?em... Bethl?em!... Ce nom chante ? pr?sent partout, en nous-m?mes et dans nos m?lancoliques alentours. Au bruissement des grillons, aux sonnailles des troupeaux, au tintement des cloches d'?glise, les temps semblent plus jeunes de dix-huit si?cles... Et maintenant, on dirait la Vierge Marie en personne qui vient ? nous, avec l'enfant J?sus dans ses bras... A quelques pas, elle s'arr?te, appuy?e au tronc d'un olivier, les yeux abaiss?s vers la terre, dans l'attitude calme et jolie des madones: une toute jeune femme aux traits purs, v?tue de bleu et de rose sous un voile aux longs plis blancs. D'autres saintes femmes la suivent, tranquilles et nobles dans leurs robes flottantes, coiff?es aussi du hennin et du voile; elles forment un groupe id?al, que le couchant ?claire d'une derni?re lueur frisante; elles parlent et sourient ? nos humbles muletiers, leur offrant de l'eau pour nous dans des amphores et des oranges dans des corbeilles. Sous la magie du soir, ? mesure qu'une s?r?nit? charm?e nous revient, nous nous retrouvons pleins d'indulgence, admettant et excusant tout ce qui nous avait r?volt?s d'abord.--Mon Dieu! les profanations, les innocentes petites barbaries de la crypte, nous aurions bien d? nous y attendre et ne pas les regarder de si haut avec notre d?dain de raffin?s. Les mille petites chapelles, les dorures et les grossi?res images, les chapelets, les cierges, les croix, tout cela enchante et console la foule innombrable des simples, pour lesquels aussi J?sus avait apport? l'immortel espoir. Nous qui avons appris ? ne regarder le Christ qu'au travers des ?vangiles, peut-?tre concevons-nous de Lui une image un peu moins obscurcie que ces p?lerins, qui, dans la grotte, s'agenouillent devant les petites lampes de ses autels; mais la grande ?nigme de son enseignement et de sa mission nous demeure aussi imp?n?trable. Les ?vangiles ?crits presque un si?cle apr?s lui, tout radieux qu'ils soient, nous le d?figurent sans doute ?trangement encore. Le moindre dogme est aussi inadmissible ? notre raison humaine que le pouvoir des m?dailles et des scapulaires; alors de quel droit m?priserions-nous tant ces pauvres petites choses?--Derri?re tout cela, tr?s loin,--? des distances d'ab?me si l'on veut,--il y a toujours le Christ inexpliqu? et ineffable, celui qui laissait approcher les simples et les petits enfants, et qui, s'il voyait venir ? lui ces croyants ? moiti? idol?tres, ces paysans accourus ? Bethl?em des lointains de la Russie, avec leur cierge ? la main et leurs larmes plein les yeux, ouvrirait les bras pour les recevoir... Et, maintenant, nous envisageons avec une plus impartiale douceur ce lieu unique au monde, qui est l'?glise d'ici, ce lieu empli ?ternellement d'un parfum d'encens et d'un bruit chantant de pri?res... Bethl?em! Bethl?em!... Une nuit plus tranquille qu'ailleurs nous enveloppe ? pr?sent; tout se tait, les voix, les cloches et les sonnailles des troupeaux, dans un recueillement infini, et un hymne de silence monte de la campagne antique, du fond des vall?es pierreuses, vers les ?toiles du ciel... Jeudi, 29 mars. Le jour de notre entr?e ? J?rusalem,--un jour auquel nous avons song? d'avance, un peu comme les p?lerins d'autrefois, pendant quarante jours de d?sert. Avant le soleil lev?, un vent terrible nous ?veille. Sans ces oliviers autour de nous, nos tentes auraient d?j? pris la vol?e. Vite, il faut se v?tir, faire replier toutes ces toiles tendues, corder nos bagages, et nous voil? dehors, sur les cailloux de l'enclos, au bord de la route, par un matin d?sol? et froid. Alors, en grand d?sarroi de nomades, nous montons ? cheval deux heures plus t?t que nous ne pensions, pour aller dans la ville sainte chercher un d?finitif abri. Le soleil se l?ve, p?le et sinistrement jaune, un soleil de tourmente, parmi des nuages affreux, derri?re des soul?vements de poussi?re et de sable. Tout s'enl?ve et vole, emport? par ce vent qui souffle de plus en plus fort. Une heure de route, dans des tourbillons de poussi?re alternant avec des tourbillons de pluie, sous des rafales qui d?ploient nos burnous comme des ailes et nous jettent au visage, en coup de fouet, la crini?re de nos chevaux... L?-bas, il y a une grande ville qui commence d'appara?tre, sur des montagnes pierreuses et tristes,--un amas de constructions ?parses, des couvents, des ?glises, de tous les styles et de tous les pays; ? travers la pluie ou la poussi?re cinglantes, cela se distingue d'une mani?re encore confuse, et, de temps ? autre, de grosses nu?es nous le cachent en passant devant. Vers la partie gauche des montagnes, rien que de d?cevantes b?tisses quelconques; mais vers la droite, c'est bien encore l'antique J?rusalem, comme sur les images des na?fs missels; J?rusalem reconnaissable entre toutes les villes, avec ses farouches murailles et ses toits de pierre en petites coupoles; J?rusalem sombre et haute, enferm?e derri?re ses cr?neaux, sous un ciel noir. Pendant une rafale plus violente, le chemin de fer passe, siffle, affole mon cheval, met en plus compl?te d?route mes pens?es, qui d?j? s'en allaient ?parpill?es au vent... Nous arrivons dans un creux profond, au pied d'une route ascendante, entre l'amas banal et pitoyable des constructions qui couvrent la colline de gauche,--h?tels, gare, usines,--et les t?n?breuses murailles cr?nel?es qui couvrent la colline de droite. Des gens de toutes les nationalit?s encombrent ces abords; Arabes, Turcs, B?douins; mais surtout des figures du Nord que nous n'attendions pas, longues barbes claires sous des casquettes fourr?es, p?lerins russes, pauvres moujiks v?tus de haillons. Et enfin, vers la ville aux grands murs, qui nous surplombe de ses tours, de ses cr?neaux, de sa masse ?trangement triste, nous montons au milieu de cette foule, par ce chemin glorieux des si?ges et des batailles, o? tant de Crois?s sans doute sont tomb?s pour la foi... Des instants de compr?hension du lieu o? nous sommes,--et alors, d'?motion profonde,--mais tout cela, furtif, troubl?, emport? par le bruit, par le vent, par le voisinage des locomotives et des agences... Et, arriv?s en haut, nous passons sous la grande porte ogivale de J?rusalem dans une compl?te inconscience, avec la h?te irr?fl?chie de gagner un g?te sous une pluie qui commence ? tomber, rapide, torrentielle et glac?e... Vendredi, 30 mars. La pluie, la pluie ? torrents, la pluie incessante nous avait tenus prisonniers toute la journ?e d'hier, depuis notre arriv?e jusqu'au soir. Et aujourd'hui c'est la m?me pluie encore, sous un ciel septentrional. L'impression d'?tre ? J?rusalem est perdue, dans la banalit? d'un h?tel de touristes o? nous sommes enferm?s pr?s du feu, ayant repris nos costumes et nos allures d'Occident. C'est comme un r?ve, ce souvenir d'?tre entr?s hier dans une ville sombre, par une vieille porte sarrasine, sur des chevaux que tourmentait le vent. Dans un salon quelconque, en compagnie d'Am?ricains et d'Anglais, nous regardons les images des plus r?cents journaux d'Europe, apprenant sans int?r?t les tr?s petites choses qui se sont pass?es durant notre p?riode nomade, tandis que des Syriens, marchands d'< Sur le soir, cependant, nous quittons l'h?tel pour la premi?re fois: le consul g?n?ral de France, M. L..., est venu nous offrir, avec la plus charmante bonne gr?ce, de nous mener entre deux averses chez les P?res Dominicains, qui habitent le voisinage en dehors des murailles et qui, dit-il, voudront bien sans doute consentir, sur sa pri?re, ? ?tre nos guides tr?s ?clair?s dans la ville sainte. Une banlieue, quelconque comme le salon de l'h?tel, et que bient?t la pluie recommence ? rayer de ses petites hachures grises. Pendant une ?claircie, la porte de Damas nous charme au passage. C'est la plus farouche et la plus exquise des portes sarrasines; elle d?coupe son ogive dans la grande muraille morne; elle est flanqu?e de deux sombres tours; elle est toute couronn?e et h?riss?e de pointes de pierre, aigu?s comme des fers de lance; haute et myst?rieuse, elle a pris aujourd'hui, sous le vernis de l'eau ruisselante, une intense couleur de vieux bronze vert-de-gris?. En avant, des tentes b?douines se groupent, noir?tres, tr?s basses ? ses pieds. Et derri?re, un coin de l'antique J?rusalem appara?t; un angle de remparts cr?nel?s, enfermant des maisons ? coupoles, s'avance, sous le ciel de pluie, vers le d?sert de pierres qui est la campagne; l'ensemble en est de la m?me teinte de bronze verd?tre que la porte elle-m?me; l'ensemble en para?t mill?naire, abandonn? et mort; mais c'est bien J?rusalem, la J?rusalem qu'on a vue sur les v?n?rables tableaux et images d'autrefois; au sortir de l'horrible banlieue neuve, o? fument des tuyaux d'usine, on croirait une vision sainte... Les Dominicains blancs nous re?oivent dans leur petit parloir monacal. Ils ont cette s?r?nit? d?tach?e qui est particuli?re aux religieux; on sent en eux, d?s l'abord, des hommes du meilleur monde, et, ensuite, des ?rudits. Dans leur jardin, o? ils nous m?nent ? la premi?re embellie, ils ont fait des fouilles profondes et d?couvert de pr?cieuses ruines. Toute cette terre de J?rusalem, tant de fois remu?e, retourn?e, pendant les si?ges, les assauts, les destructions, est encore pleine de d?bris et de documents inconnus. Encore une averse qui tombe, lavant ? grande eau les marbres, les mosa?ques de l'imp?ratrice Eudoxie. Alors nous courons tous nous r?fugier dans des tombeaux que les moines ont aussi d?couverts sous leur jardin: toute une petite n?cropole souterraine, avec des s?pulcres align?s et ?tag?s, o? s'?miettent des ossements deux fois mill?naires. Les Dominicains y enterrent ? pr?sent les morts de la communaut?, chr?tiens troubl?s de nos temps, qui vont l? dormir ? c?t? de leurs fr?res des premiers si?cles. Le soir, la banalit? de l'h?tel nous reprend comme hier. Aupr?s du feu, entre les journaux ? images, les touristes et les marchands de chapelets, nous songeons ? ce petit coin de J?rusalem qui nous a ?t? montr? au hasard d'une premi?re visite, et notre pens?e s'en va au Saint-S?pulcre et au Geths?mani, qui sont l? tout pr?s; nous avons d?j? perdu deux jours, dans cet ?motionnant voisinage, partag?s entre le d?sir et la crainte de voir, sous l'enveloppement triste de cette pluie, qui semble venue expr?s pour nous donner un pr?texte d'attente. Samedi, 31 mars. La pluie va finir. Le ciel s'?goutte tristement et montre de premi?res d?chirures bleues. Il fait humide et froid, l'eau ruisselle partout le long des vieilles murailles. A pied, avec un Arabe quelconque pour guide, je m'?chappe seul de l'h?tel, pour courir enfin au Saint-S?pulcre. C'est dans la direction oppos?e ? celle des Dominicains, presque au coeur de J?rusalem, par des petites rues ?troites, tortueuses, entre des murs vieux comme les croisades, sans fen?tres et sans toits. Sur les pav?s mouill?s, sous le ciel encore obscur, circulent les costumes d'Orient, turcs, b?douins ou juifs, et les femmes drap?es en fant?mes, musulmanes sous des voiles sombres, chr?tiennes sous des voiles blancs. La ville est rest?e sarrasine. Distraitement, je per?ois que nous traversons un bazar oriental, o? les ?choppes sont occup?es par des vendeurs ? turban; dans la p?nombre des ruelles couvertes, passent ? la file des chameaux lents et ?normes, qui nous obligent ? entrer sous des portes. Maintenant, il faut se ranger encore, pour un ?trange et long d?fil? de femmes russes, toutes sexag?naires pour le moins, qui marchent vite, appuy?es sur des b?tons; vieilles robes fan?es, vieux parapluies, vieilles touloupes de fourrure, figures de fatigue et de souffrance qu'encadrent des mouchoirs noirs; ensemble noir?tre et triste, au milieu de cet Orient color?. Elles marchent vite, l'allure ? la fois surexcit?e et ?puis?e, bousculant tout sans voir, comme des somnambules, les yeux anesth?si?s, grands ouverts dans un r?ve c?leste. Et des moujiks par centaines leur succ?dent, ayant les m?mes regards d'extase; tous, ?g?s, sordides, longues barbes grises, longs cheveux gris ?chapp?s de bonnets ? poil; sur les poitrines, beaucoup de m?dailles, indiquant d'anciens soldats... Entr?s hier dans la ville sainte, ils reviennent de leur premi?re visite ? ce lieu d'adoration o? je vais aller ? mon tour; pauvres p?lerins qui arrivent ici par milliers, cheminant ? pied, couchant dehors sous la pluie ou la neige, souffrant de la faim, et laissant des morts sur la route... A mesure qu'on approche, les objets d'Orient dans les ?choppes font place ? des objets d'obscure pi?t? chr?tienne: chapelets par milliers, croix, lampes religieuses, images ou icones. Et la foule est plus serr?e, et d'autres p?lerins, des vieux moujiks, des vieilles matouchkas, stationnent pour acheter d'humbles petits rosaires en bois, d'humbles petits crucifix de deux sous, qu'ils emporteront d'ici comme des reliques ? jamais sacr?es... Enfin, dans un mur vieux et fruste comme un rocher, s'ouvre une porte informe, tout ?troite, toute basse, et, par une s?rie de marches descendantes, on acc?de ? une place surplomb?e de hautes murailles sombres, en face de la basilique du Saint-S?pulcre. Sur cette place, il est d'usage de se d?couvrir, d?s que le Saint-S?pulcre appara?t; on y passe t?te nue, m?me si l'on ne fait que la traverser pour continuer sa route dans J?rusalem. Elle est encombr?e de pauvres et de pauvresses, qui mendient en chantant; de p?lerins qui prient; de vendeurs de croix et de chapelets, qui ont leurs petits ?talages ? terre, sur les vieilles dalles us?es et v?n?rables. Parmi les pav?s, parmi les marches, surgissent les socles encore enracin?s de colonnes qui jadis supportaient des basiliques, et qui ont ?t? ras?es, comme celles de l'?glise Saint-?tienne, ? de lointaines et douteuses ?poques; tout est amoncellement de d?bris, dans cette ville qui a subi vingt si?ges, que tous les fanatismes ont saccag?e. Oh! l'inattendue et inoubliable impression, p?n?trer l? pour la premi?re fois! Un d?dale de sanctuaires sombres, de toutes les ?poques, de tous les aspects, communiquant ensemble par des baies, des portiques, des colonnades superbes,--ou bien par de petites portes sournoises, des soupiraux, des trous de cavernes. Les uns, sur?lev?s, comme de hautes tribunes o? l'on aper?oit, dans des reculs impr?cis, des groupes de femmes en longs voiles; les autres, souterrains, o? l'on coudoie des ombres, entre des parois de rocher demeur?es intactes, suintantes et noires.--Tout cela, dans une demi-nuit, ? part quelques grandes tomb?es de rayons qui accentuent encore les obscurit?s voisines; tout cela ?toil? ? l'infini par les petites flammes des lampes d'argent et d'or qui descendent par milliers des vo?tes.--Et partout des foules, circulant confondues comme dans une Babel, ou bien stationnant ? peu pr?s group?es par nation autour des tabernacles d'or o? l'on officie... Des psalmodies, des lamentations, des chants d'all?gresse emplissant les hautes vo?tes, ou bien vibrant dans les sonorit?s s?pulcrales d'en dessous; les m?lop?es nasillardes des Grecques, coup?es par les hurlements des Cophtes... Et, dans toutes ces voix, une exaltation de larmes et de pri?res qui fond leurs dissonances et qui les unit; l'ensemble, finissant par devenir un je ne sais quoi d'inou?, qui monte de tout ce lieu comme la grande plainte des hommes et le supr?me cri de leur d?tresse devant la mort... La rotonde ? tr?s haute coupole, o? l'on p?n?tre d'abord et qui laisse deviner, entre ses colonnes, le chaos obscur des autres sanctuaires, est occup?e en son milieu par le grand kiosque de marbre, d'un luxe ? demi barbare et surcharg? de lampes d'argent, qui renferme la pierre du s?pulcre. Tout autour de ce kiosque tr?s saint, la foule s'agite ou stationne; d'un c?t?, des centaines de moujiks et de matouchkas, ? deux genoux sur les dalles; de l'autre, les femmes de J?rusalem, debout en longs voiles blancs,--groupes de vierges antiques, dirait-on, dans cette p?nombre de r?ve; ailleurs, des Abyssins, des Arabes en turban, prostern?s le front ? terre; des Turcs, le sabre au poing; des gens de toutes les communions et de tous les langages... On ne s?journe pas dans l'?touffant r?duit du Saint-S?pulcre, qui est comme le coeur m?me de cet amas de basiliques et de chapelles, on y d?file un ? un; en baissant la t?te, on y entre par une tr?s petite porte, en marbre fouill? et festonn?; le s?pulcre est l? dedans, ench?ss? de marbre, au milieu des icones d'or et des lampes d'or. En m?me temps que moi y passaient un soldat russe, une vieille pauvresse en haillons, une femme orientale en riches habits de brocart; tous, baisant le couvercle tombal, et pleurant. Et d'autres suivaient, d'autres ?ternellement suivent, touchant, embrassant, mouillant de larmes ces m?mes pierres... Aucun plan d'ensemble, dans le fouillis des ?glises et des chapelles qui se pressent autour de ce kiosque tr?s saint; il y en a de grandes, merveilleusement somptueuses, et de toutes petites, humbles et primitives, mourant de v?tust?, dans des recoins sinistres, creus?s en plein roc et en pleine nuit. Et, ?? et l?, le rocher du calvaire, laiss? ? nu, appara?t au milieu des richesses et des archa?ques dorures. Le contraste est ?trange, entre tant de tr?sors amoncel?s,--icones d'or, croix d'or, lampes d'or,--et les haillons des p?lerins, et le d?labrement des murailles ou des piliers, us?s, rong?s, informes, huileux au frottement de tant de chairs humaines. Tous les autels, de toutes les confessions diff?rentes, sont tellement m?l?s ici, qu'il en r?sulte de continuels d?placements de pr?tres et de cort?ges; ils fendent les foules, portant des ostensoirs et pr?c?d?s de janissaires en armes qui frappent les dalles sonores du pommeau de leur hallebarde... Place! ce sont les Latins qui passent, en chasuble d'or... Place encore! c'est l'?v?que des Syriens, longue barbe blanche sous une cagoule noire, qui sort de sa petite chapelle souterraine... Puis, ce sont les Grecs aux parures encore byzantines, ou les Abyssins au visage noir... Vite, vite, ils marchent dans leurs v?tements somptueux, tandis que, devant leurs pas, les encensoirs d'argent, que des enfants balancent, heurtent la foule qui se bouscule et s'?carte. Dans cette mar?e humaine, une esp?ce de grouillement continu, au bruit incessant des psalmodies et des clochettes sacr?es. Presque partout, il fait si sombre qu'il faut avoir, pour circuler, son cierge ? la main, et, sous les hautes colonnes, dans les galeries t?n?breuses, mille petites flammes se suivent ou se croisent. Des hommes prient ? haute voix, pleurent ? sanglots, courant d'une chapelle ? l'autre, ici pour embrasser le roc o? fut plant?e la croix, l? pour se prosterner o? pleur?rent les saintes Marie et Madeleine; des pr?tres, tapis dans l'ombre, vous appellent d'un signe pour vous mener par de petites portes fun?bres dans des trous de tombeaux; des vieilles femmes aux yeux fous, aux joues ruisselantes de larmes, remontent des souterrains noirs, venant de baiser des pierres de s?pulcres... Dans une obscurit? profonde, on descend ? la chapelle de Sainte-H?l?ne, par un large escalier d'une trentaine de marches, us?, bris?, dangereux comme une ruine ?boul?e, et bord? de spectres accroupis. Nos cierges, en passant, ?clairent ces ?tres vagues, immobiles, couleur de la paroi du rocher, qui sont des mendiants estropi?s, des fous rong?s d'ulc?res; sinistres tous, le menton dans les mains, les longs cheveux retomb?s sur le visage.--Parmi ces ?pouvantes, un jeune homme aveugle, envelopp? de ses magnifiques boucles blondes comme d'un manteau, beau comme le Christ auquel il ressemble. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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