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Munafa ebook

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Read Ebook: Mémoires authentiques de Latude écrites par lui au donjon de Vincennes et à Charenton by Latude Henri Masers De

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Ebook has 880 lines and 80883 words, and 18 pages

M?MOIRES ET SOUVENIRS

publi?s sous la direction de

F. FUNCK-BRENTANO

M?MOIRES AUTHENTIQUES

LATUDE

?CRITS PAR LUI AU DONJON DE VINCENNES ET A CHARENTON

Publi?s d'apr?s le manuscrit de SAINT-P?TERSBOURG

PAR

F. FUNCK-BRENTANO.

ARTH?ME FAYARD, ?DITEUR

PARIS

M?MOIRES AUTHENTIQUES DE LATUDE

LA VIE DE LATUDE

Le 23 mars 1725, ? Montagnac, en Languedoc, une pauvre fille, Jeanneton Aubrespy, mettait au monde un enfant qui fut baptis? trois jours plus tard. Jean Bonhour et Jeanne Boudet, les parrain et marraine, donn?rent au nouveau-n? les pr?noms de Jean-Henri. Quant ? un nom de famille, le pauvret n'en avait pas, enfant d'un p?re inconnu.

En 1747, Danry est ? Bruxelles employ? dans l'h?pital ambulant des arm?es de Flandre, aux appointements de 50 livres par mois. Il assista au fameux assaut de Berg-op-Zoom, que les colonnes fran?aises enlev?rent avec tant de bravoure sous le commandement du comte de Loewendal. Mais la paix d'Aix-la-Chapelle fut sign?e, les arm?es furent licenci?es et Danry vint ? Paris. Il avait en poche une recommandation pour le chirurgien du mar?chal de Noailles, Descluzeaux, et un certificat sign? par Guignard de la Garde, commissaire des guerres, qui t?moignait de la bonne conduite et des capacit?s <>. Ces deux certificats composaient le plus clair de sa fortune.

Danry arriva ? Paris ? la fin de l'ann?e 1748. On le voyait se promener les apr?s-midi au Tuileries en habit gris et veste rouge, portant bien ses vingt-trois ans. De moyenne taille, un peu fluet, ses cheveux bruns <>, il avait l'oeil vif et la physionnomie intelligente. Peut-?tre aurait-il ?t? joli gar?on si des traces de petite v?role n'eussent gr?l? sa figure. Une pointe d'accent gascon assaisonnait son langage, et nous voyons, par l'orthographe de ses lettres, que, non seulement il n'avait gu?re d'?ducation litt?raire, mais qu'il parlait ? la mani?re du peuple. N?anmoins, actif, habile dans son m?tier, bien vu de ses chefs, il ?tait en passe de se faire une situation honorable et d'arriver ? soutenir sa m?re, qui vivait d?laiss?e ? Montagnac concentrant sur lui dans son abandon, son affection et tout son espoir.

Paris, retentissant et joyeux, ?blouit le jeune homme. La vie brillante et luxueuse, les robes de soie et de dentelles le faisaient r?ver. Il trouvait les Parisiennes charmantes. Il leur donnait de son coeur sans compter et, de sa bourse, sans compter aussi. Le coeur ?tait riche: la bourse l'?tait moins. Danry eut bient?t d?pens? ses modestes ?conomies et tomba dans la mis?re. Il fit de mauvaises connaissances. Son meilleur ami, un nomm? Binguet, gar?on apothicaire, partage avec lui un taudis, cul-de-sac du Coq, chez Charmeleux, qui tient chambres garnies. On ne trouverait pas plus grands coureurs, libertins et mauvais sujets que nos deux amis. Danry, col?re, fanfaron, batailleur, s'est rapidement fait conna?tre de tout le quartier. Mourant de faim, menac? d'?tre jet? ? la porte du logement dont il ne paie pas les termes, il ?crit ? sa m?re pour demander quelque argent; mais ? peine la pauvre fille peut-elle se suffire ? elle-m?me.

Nous sommes loin, comme on voit, du bel officier de g?nie que chacun a dans sa m?moire, loin aussi du brillant tableau que Danry tracerait plus tard de ces ann?es de jeunesse pendant lesquelles il aurait re?u, <>

Chacun parlait de la lutte entre le ministre et la marquise de Pompadour. Celle-ci venait de triompher, Maurepas partait en exil; mais on le croyait homme ? tirer vengeance de son ennemie. La favorite elle-m?me avouait sa crainte d'?tre empoisonn?e. Une lueur se fit dans l'esprit du gar?on chirurgien: il se vit tout ? coup, lui aussi, en habit dor?, roulant carrosse sur la route de Versailles.

Le 27 avril 1749, sous l'arcade du Palais-Royal attenant le grand escalier, il acheta ? un marchand, qui ?talait en cet endroit, six de ces petites bouteilles, appel?es larmes bataviques, dont s'amusaient les enfants. C'?taient des bulles de verre fondu qui, jet?es dans l'eau froide, y avaient pris la forme de petites poires. Elles ?clatent avec bruit quand on en brisait la queue en crochet. Il en disposa quatre dans une bo?te de carton et en relia les petites queues par une ficelle fix?e au couvercle. Il r?pandit par-dessus de la poudre ? poudrer, qu'il recouvrit d'un lit de poussi?re de vitriol et d'alun. Le paquet fut entour? d'une double enveloppe. Sur la premi?re il ?crivit: <>; et, sur la seconde, qui recouvrait la premi?re: <>.

Puis il courut jeter son paquet, le 28 avril, ? huit heures du soir, ? la grand'poste, et partit imm?diatement pour Versailles. Il esp?rait parvenir jusqu'? la favorite, mais fut arr?t? par son premier valet, Gourbillon. D'une voix ?mue, Danry conta une histoire effrayante: il s'?tait trouv? aux Tuilleries et avait aper?u deux hommes qui causaient avec animation; il s'?tait approch? et les avait entendus prof?rer contre Mme de Pompadour des menaces effroyables; les hommes lev?s, il les avait suivis; ils s'en ?taient all?s droit ? la grand'poste, o? ils avaient jet? un paquet dans la grille. Quels ?taient ces hommes? quel ?tait ce paquet?--Il ne pouvait le dire. Mais, d?vou? aux int?r?ts de la marquise, il ?tait accouru imm?diatement pour r?v?ler ce qu'il avait vu.

Le paquet, mis ? la poste par Danry, arriva ? Versailles le 29 avril. Quesnay, m?decin du roi et de la marquise,--le c?l?bre fondateur de la doctrine des physiocrates--fut pri? de l'ouvrir. Il le fit avec une grande prudence, reconnut la poudre ? poudrer, le vitriol et l'alun, et d?clara que toute cette machine n'avait rien de redoutable; que, n?anmoins, le vitriol et l'alun ?tait mati?res pernicieuses, et qu'il ?tait possible que l'on se trouv?t en face d'une tentative criminelle maladroitement ex?cut?e.

Aussit?t l'on chercha ? d?couvrir les auteurs du complot. Le lieutenant de police choisit le plus habile, le plus intelligent de ses officiers, l'exempt du guet Saint-Marc et celui-ci se mit en rapport avec Danry. Mais Saint-Marc n'avait pas pass? deux jours en compagnie du gar?on chirurgien, qu'il r?digeait un rapport demandant son arrestation. <>

Danry fut men? ? la Bastille le 1er mai 1749; on s'?tait assur? de Binguet le m?me jour. Saint-Marc avait pris la pr?caution de demander au gar?on chirurgien d'?crire le r?cit de son aventure. Il remit ce texte ? un expert, qui en compara l'?criture avec l'adresse du paquet envoy? ? Versailles: Danry ?tait perdu. Les perquisitions op?r?es dans sa chambre confirm?rent les soup?ons. Enferm? ? la Bastille, Danry ignorait ces circonstances, et quand, le 2 mai, le lieutenant g?n?ral de police vint l'interroger, il ne r?pondit que par des mensonges.

Le lieutenant de police, Berryer, ?tait un homme ferme, mais honn?te et bienveillant. <> Berryer se chagrinait de l'attitude que prenait Danry, il lui montrait le danger auquel il s'exposait, le conjurait de dire la v?rit?. Dans un nouvel interrogatoire Danry persista ? mentir. Puis, tout ? coup, il changea de tactique et refusa de r?pondre aux questions qu'on lui posait. <> Mais les pri?res ne firent pas mieux que les menaces; l'accus? gardait un silence obstin?. D'Argenson ?crivait ? Berryer: <>.

Danry, par ses mensonges, puis par son silence, avait trouv? le moyen de donner un air de complot t?n?breux ? une tentative d'escroquerie sans grande cons?quence.

Il ne se d?cida que le 15 juin ? faire un r?cit ? peu pr?s exact, dont le proc?s-verbal fut imm?diatement envoy? au roi, qui le relut plusieurs fois et <> toute la journ?e. Ce d?tail montre l'importance que l'affaire avait prise. Les soup?ons ne furent pas dissip?s par la d?claration du 15 juin. Danry avait alt?r? la v?rit? dans les deux premiers interrogatoires, on avait lieu de croire qu'il l'alt?rait ?galement dans le troisi?me. Ce fut ainsi que son silence et ses d?positions contradictoires le perdirent. Six mois plus tard, le 7 octobre 1749, le docteur Quesnay, qui avait t?moign? beaucoup d'int?r?t au jeune chirurgien, fut envoy? aupr?s de lui ? Vincennes afin qu'il lui r?v?l?t le nom de celui qui l'avait pouss? au crime. Au retour, le docteur ?crit ? Berryer: <> Et deux ann?es se sont ?coul?es que le lieutenant de police ?crira encore ? Quesnay: <<25 f?vrier 1751.--Vous feriez grand plaisir ? Danry si vous vouliez lui rendre une visite, et par cette complaisance vous pourriez peut-?tre l'engager ? vous d?couvrir enti?rement son int?rieur, et ? vous faire un aveu sinc?re de ce qu'il m'a voulu cacher jusqu'? pr?sent.>>

Quesnay se rend imm?diatement ? la Bastille, promet au prisonnier la libert?. Danry se d?sesp?re, jure que <>. Quand le docteur a pris cong? de lui, il ?crit au ministre: <>

Dans la pens?e des ministres, Danry, avait ?t? l'agent d'un complot contre la vie de la marquise de Pompadour dirig? par quelque grand personnage; au dernier moment il aurait pris peur, ou bien, dans l'espoir de tirer profit des deux c?t?s ? la fois, il serait venu ? Versailles se d?noncer lui-m?me. Il faut tenir exactement compte de ces faits pour comprendre la vraie cause de sa d?tention. Danry fut donc maintenu ? la Bastille. Il subit des interrogatoires dont les proc?s-verbaux furent r?dig?s r?guli?rement et sign?s par le lieutenant de police. Nous avons vu que celui-ci, sous l'ancien r?gime, ?tait un v?ritable magistrat--les documents de l'?poque ne le d?signent pas autrement,--il rendait des arr?ts et punissait au nom de la coutume qui, ? cette ?poque, comme aujourd'hui encore en Angleterre, faisait loi.

L'apothicaire Binguet avait ?t? remis en libert? imm?diatement apr?s la d?claration faite par Danry, le 14 juin. A la Bastille celui-ci ne laissait pas d'?tre entour? d'?gards. Les ordres de Berryer sur ce sujet ?taient formels. On lui avait donn? livres, pipe et tabac; on lui permettait de jouer de la fl?te; et, comme il exprimait son ennui de vivre seul, on lui donnait deux compagnons de chambre. Il recevait chaque jour la visite des officiers du ch?teau. Le 25 mai, le lieutenant du roi vint lui r?p?ter les ordres du Magistrat: <>. Le lieutenant de police esp?rait sans doute, ? force de bont?s, le d?terminer ? d?voiler les auteurs du malheureux complot qu'il avait imagin? lui-m?me.

Danry ne demeura pas longtemps dans la prison du faubourg Saint-Antoine; d?s le 28 juillet, Saint-Marc le transf?ra ? Vincennes, et nous voyons, par le rapport que l'exempt r?digea, combien le marquis Du Ch?telet, gouverneur du donjon, s'?tonna <>. C'est que Vincennes ?tait, comme la Bastille, r?serv? aux prisonniers de bonne soci?t?: notre compagnon y fut mis par faveur. Le chirurgien qui a soin de lui le lui r?p?te pour le consoler. <> Danry est, en effet, trait? comme un gentilhomme. La meilleure chambre lui est r?serv?e, il peut jouir du parc, o? il se prom?ne chaque jour deux heures. Lors de son entr?e ? la Bastille, il souffrait d'une infirmit?, dont il attribua plus tard la cause ? sa longue d?tention. A Vincennes il s'en plaignit, il pr?tendit ?galement que le chagrin l'avait rendu malade. Un sp?cialiste et le chirurgien du donjon le soign?rent.

Cependant le lieutenant de police revenait le voir, lui renouvelait l'assurance de sa protection et lui conseillait d'?crire directement ? Mme de Pompadour. Voici la lettre du prisonnier:

A Vincennes, 4 novembre 1749.

<

<

<>

<>

Nous avons cit? cette lettre avec plaisir; elle se distingue avantageusement de celles que le prisonnier ?crirait plus tard et que l'on a publi?es. Il est vrai que Danry ne voulait pas attenter aux jours de la favorite. Bient?t, devenant plus hardi, il ?crira ? Mme de Pompadour que, s'il lui a adress? cette bo?te ? Versailles, c'?tait par d?vo?ment pour elle, pour la mettre en garde contre les entreprises de ses ennemis, <>.

La lettre du prisonnier fut remise ? la marquise, mais demeura sans effet. Danry perdit patience, il r?solut de se procurer lui-m?me la libert? qu'on lui refusait: le 15 juin 1750, il s'?tait ?vad?.

Il resta dans cette situation jusqu'? neuf heures du soir. Puis il prit le chemin de Paris et passa la nuit sur le bord de l'aqueduc du c?t? de la porte Saint-Denis. Au point du jour il entra dans la ville.

Nous savons quelle importance la cour attachait ? la d?tention du prisonnier: elle esp?rait encore qu'il se d?ciderait ? parler de ce grave complot dont il poss?dait le secret. D'Argenson ?crit imm?diatement ? Berryer: <> Et toute la police se met sur pied: le signalement du fugitif est imprim? ? grand nombre d'exemplaires. L'inspecteur Rulhi?re l'envoie ? toutes les mar?chauss?es.

En se sauvant de Vincennes, Danry avait doubl? la gravit? de sa faute. Les r?glements voulaient qu'il f?t descendu au cachot, r?serv? aux prisonniers insubordonn?s. <> Le lieutenant de police ordonna que le prisonnier f?t nourri aussi bien que par le pass?, qu'on lui laiss?t ses livres, du papier, ses bibelots, et les deux heures de promenade dont il jouissait ? Vincennes. En retour de ces bont?s, le gar?on chirurgien envoya au magistrat <>. Il demandait en m?me temps qu'on lui perm?t d'?lever des petits oiseaux dont le gazouillis et l'animation le distrairaient. La demande fut accord?e; Mais au lieu de prendre sa peine en patience, Danry s'irritait de jour en jour, il se laissait aller ? sa nature violente, faisait du vacarme, criait, se d?menait, ? faire croire qu'il devenait fou. Sur les livres de la biblioth?que de la Bastille, qui passaient de chambre en chambre, il ?crivait des po?sies injurieuses contre la marquise de Pompadour. Il prolongeait ainsi son s?jour dans le cachot. Peu ? peu ses lettres changeaient de ton. <>

Cependant Berryer le remit dans une bonne chambre vers la fin de l'ann?e 1751. En m?me temps, il lui donna, aux frais du roi, un domestique pour le servir. Quant ? Annette Benoit, elle avait ?t? mise en libert? apr?s quinze jours de d?tention. Le domestique de Danry tomba malade; comme on voulait pas que le prisonnier manqu?t de soci?t?, on lui donna un compagnon de chambre. C'?tait un nomm? Antoine All?gre, d?tenu depuis le 29 mai 1750. Les circonstances qui avaient d?termin? son incarc?ration avaient ?t? ? peu pr?s les m?mes que celles qui avaient fait enfermer Danry. All?gre ?tait ma?tre de pension ? Marseille lorsqu'il apprit que les ennemis de la marquise de Pompadour cherchaient ? la faire p?rir. Il imagina un complot o? il m?la Maurepas, l'archev?que d'Albi et l'?v?que de Lod?ve, envoya la d?nonciation de ce complot ? Versailles, et, pour y donner de la vraisemblance, adressa au valet de la favorite une lettre d'une ?criture contrefaite, qui commen?ait par ces mots: <> Il esp?rait obtenir par ce moyen un bon emploi ou la r?ussite d'un projet qu'il avait fait sur le commerce.

Intelligents l'un et l'autre, instruits et entreprenants, Danry et All?gre ?taient faits pour s'entendre, d'autant mieux que le ma?tre de pension, tr?s sup?rieur ? son camarade, le dirigeait. Les ann?es que Danry passa en compagnie d'All?gre exerc?rent sur toute sa vie une influence si grande, que le lieutenant de police Lenoir pourrait dire un jour: <>. Les lettres de ce dernier qui nous sont conserv?es en grand nombre, t?moignent de l'originalit? et de la vivacit? de son esprit: le style en est fin et rapide, du fran?ais le plus pur, les id?es exprim?es ont de la distinction et sont parfois singuli?res sans ?tre extravagantes. Il travaillait sans cesse et fut, tout d'abord, ennuy? d'avoir un compagnon. <> C'?tait une nature mystique, mais de ce mysticisme froid et amer que nous trouvons quelquefois chez les hommes de science, les math?maticiens en particulier. Car All?gre ?tudiait principalement les math?matiques, la m?canique, la science des ing?nieurs. Le lieutenant de police lui fit acheter des ouvrages traitant des fortifications, de l'architecture civile, de la m?canique, des travaux hydrauliques. Le prisonnier les consultait pour r?diger des m?moires sur les questions les plus diverses, qu'il envoyait au lieutenant de police dans l'espoir qu'ils lui procureraient sa libert?. Ces m?moires, que nous poss?dons, montrent encore l'?tendue de son intelligence et de son instruction. Danry l'imita dans la suite, en cela comme en tout le reste, mais grossi?rement. All?gre ?tait ?galement tr?s habile de ses doigts, dont il faisait, disent les officiers du ch?teau, tout ce qu'il voulait.

All?gre ?tait un homme dangereux: les porte-cl?s en avaient peur. Quelque temps apr?s son entr?e ? la Bastille il tomba malade; un garde fut plac? pr?s de lui; les deux hommes firent mauvais m?nage. All?gre envoyait ? la lieutenance de police plaintes sur plaintes. On fit une enqu?te qui ne fut pas d?favorable au garde-malade, et celui-ci fut laiss? aupr?s du prisonnier; lorsqu'un matin, le 8 septembre 1751, les officiers de la Bastille entendirent dans la tour du Puits des cris et du bruit. Ils mont?rent en h?te et trouv?rent All?gre occup? ? percer d'un couteau son compagnon, qu'il tenait ? la gorge, renvers? dans son sang, le ventre ouvert. Si All?gre n'avait ?t? ? la Bastille, le Parlement l'aurait fait rouer en place de Gr?ve; la Bastille le sauva; mais il ne pouvait plus esp?rer que sa libert? f?t prochaine.

Quant ? Danry, il lassa ? son tour la patience de ses gardiens. Le major Chevalier, qui ?tait la bont? m?me, ?crivit au lieutenant de police: <> Le m?decin de la Bastille, le docteur Boyer, membre de l'Acad?mie, ?crit ?galement: <>. Le caract?re de Danry s'aigrissait. Il injuriait ses porte-cl?s. Un matin, on est oblig? de lui enlever un couteau et des instruments tranchants qu'il a d?rob?s. Il se sert du papier qu'on lui donne pour se mettre en relation avec d'autres d?tenus et des personnes du dehors. Le papier est supprim?: Danry ?crit avec son sang sur des mouchoirs; le lieutenant de police lui fait d?fendre de lui ?crire avec du sang: Danry ?crit sur des tablettes de mie de pain qu'il fait presser furtivement entre deux assiettes.

L'usage du papier lui fut rendu, ce qui ne l'emp?che pas d'?crire ? Berryer: <> Berryer, surpris de cette missive, fait des observations au major, qui lui r?pond: <>.

Mais subitement, au grand ?tonnement des officiers du ch?teau, nos deux amis am?liorent leur caract?re et leur conduite. On n'entendait plus de bruit dans leur chambre, et quand on leur venait parler ils r?pondaient poliment. En revanche, ils ?taient d'allure plus bizarre encore que par le pass?. All?gre se promenait dans sa chambre, ? moiti? nu, pour m?nager ses hardes, disait-il, et adressait lettres sur lettres ? son fr?re et au lieutenant de police pour qu'on lui envoy?t des nippes, des chemises surtout et des mouchoirs. Danry de m?me. <> Mais pourquoi refuser ? un prisonnier de lui passer ses fantaisies? Et le commissaire de la Bastille fit confectionner deux douzaines de chemises de prix--chacune revint ? vingt livres, plus de quarante francs de notre monnaie, et des mouchoirs de la batiste la plus fine.

Si la ling?re du ch?teau avait fait attention, elle aurait remarqu? que les serviettes et les draps qui entraient dans la chambre des deux compagnons, en sortaient raccourcis dans tous les sens. Nos amis s'?taient mis en rapport avec leurs voisins de prison, qui demeuraient en-dessous et au-dessus d'eux, mendiant des ficelles et du fil, donnant du tabac en ?change. Ils ?taient parvenus ? desceller les barres de fer qui emp?chaient de grimper dans la chemin?e; la nuit, ils montaient jusque sur les plates-formes, d'o? ils conversaient par les chemin?es, avec les prisonniers des autres tours. L'un de ces malheureux se croyait proph?te de Dieu: il entendit la nuit ce bruit de voix qui tombait sur le foyer ?teint; il r?v?la le prodige aux officiers qui le regard?rent comme plus fou encore qu'auparavant. Sur la terrasse, All?gre et Danry trouv?rent les outils que des ma?ons et des herbiers employ?s au ch?teau y laissaient le soir. Ils se procur?rent ainsi un maillet, une tari?re, deux esp?ces de moufles et des morceaux de fer pris aux aff?ts des canons. Ils cachaient le tout dans le tambour existant entre le plancher de leur chambre et le plafond de la chambre inf?rieure.

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