Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: Les Tourelles: Histoire des châteaux de France volume I by Gozlan L On

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 945 lines and 75104 words, and 19 pages

LES TOURELLES.

Romans du m?me Auteur:

LE NOTAIRE DE CHANTILLY, 2 vol. in-8. 15 fr.

LES M?ANDRES, 2 vol. in-8. 15

WASHINGTON LEVERT ET SOCRATE LEBLANC, 2 vol. in-8. 22 50

LE M?DECIN DU PECQ, 3 vol. in-8. 15

Sous Presse:

LA CONJURATION DU SOULIER, roman historique, 2 vol. in-8.

UNE NUIT BLANCHE, 2 vol. in-8.

PARIS.--Imprimerie de Ve DONDEY-DUPR?, rue Saint-Louis, 46, au Marais

LES TOURELLES

HISTOIRE DES CHATEAUX DE FRANCE,

PAR

M. L?ON GOZLAN.

PARIS.

Dumont, Libraire-?diteur, PALAIS-ROYAL, 88, AU SALON LITT?RAIRE.

LES CHATEAUX DE FRANCE.

INTRODUCTION.

Tant que durera en France l'esprit conservateur cr?? par la Restauration, les vieux monumens qui nous restent seront respect?s. Par une cons?quence imm?diate de son retour syst?matique aux affections du pass?, la Restauration, en relevant la pierre de l'autel et en restituant au tr?ne la majest? antique, ne pouvait manquer de songer ? la r??dification du temple et du palais. On interpr?tera, si l'on veut, dans toutes les proportions du bl?me et de l'?loge, la cause de ce service int?ress? rendu ? la nation; il n'y aurait que de l'ingratitude ? en nier les r?sultats. Demanderions-nous jamais au d?sert de couvrir de sable les pyramides, quand m?me il serait vrai que ce f?t au singulier caprice d'une courtisane ?gyptienne que nous devrions de les admirer? Ne sommes-nous pas tout dispos?s au contraire ? pardonner aux flatteurs de N?ron les statues, les temples, les arcs de triomphe que leur bassesse lui a ?lev?s? Quel est le syst?me, quelle est d'ailleurs l'opinion dont on tenterait de se faire, ? cinquante ans de distance, le d?fenseur officieux, qui durera autant que la pierre miliaire de la grande route, que la borne grossi?re du coin de la rue? Pour notre part, nous ne tairons pas que nous pr?f?rerions, si nous avions un choix ? faire, les ?ges de despotisme qui fondent, aux ?poques de libert? dont il ne reste rien. Il est bien entendu que nous nous pla?ons, en raisonnant ainsi, sur un terrain d'o? l'on ne d?couvre aucune question d'int?r?t social essentielle au bonheur de l'humanit?, lequel passe avant tout et n'admet aucune comparaison. Seulement on ose penser que si les trois si?cles de compression morale qui ont pes? sur Venise ont compt? plus de monumens en tout genre que n'en verront jamais peut-?tre les si?cles d'ind?pendance promis ? New-York et ? Philadelphie, le souvenir de la post?rit? sera plus vif pour les si?cles et pour le peuple glorieux avec un peu moins de libert?, que pour les g?n?rations libres avec beaucoup moins de gloire.

La Restauration cependant ne put exprimer qu'une tendance isol?e en tournant des regards exclusifs d'attachement vers les reliques du pass?; elle ?veilla m?me beaucoup de pr?ventions f?cheuses contre elle en laissant trop croire au peuple qu'elle n'avait des ?lans r?trogrades que parce qu'elle ?tait mue par des doctrines surann?es. Son bon vouloir pour les arts faillit ?tre pris en aversion ? cause de cette solidarit? pr?sum?e entre sa conduite et ses principes; solidarit? qu'elle ne chercha pas assez peut-?tre ? nier. Bient?t on imputa au z?le d'une d?votion outr?e, et fort peu en harmonie avec la tol?rance d'une ?poque qui n'avait jamais cess? d'?tre sceptique, les r?parations faites aux anciens ?difices religieux du royaume. Ces r?parations, il est vrai, ne s'effectu?rent qu'? c?t? de la cr?ation simultan?e d'une foule de privil?ges en faveur du clerg?. N'y e?t-il en cela qu'un tort irr?fl?chi, il n'en fut pas moins tenu compte par l'opinion publique.

Heureusement que la litt?rature vint ?pouser une question si belle, la d?gager des caresses d'une protection qui l'?touffait, et la d?cider dans le sens le moins hostile ? l'esprit de libert? qui circulait alors. Quand d'illustres po?tes eurent ?lev? un cri unanime entre le tr?ne et le peuple pour demander gr?ce en faveur de nos vieilles cath?drales sur le point de dispara?tre, tant la r?volution les avait min?es en y trouant des clubs, l'opinion nationale, mieux invoqu?e, fut gagn?e ? la cause de nos monumens; l'ode et l'?l?gie nouvelles achev?rent le miracle de conservation. Ainsi la royaut?, la religion et la litt?rature, comme un triple lierre, s'enlac?rent pour cimenter des ruines et les raffermir contre le pied de la barbarie qui les foulait.

Cette croisade forma une esp?ce d'esprit nouveau qui s'empara de la jeunesse, de jour en jour moins attentive aux rauques d?clamations du jacobinisme expirant. Ceux qui ne voulurent pas entrer dans l'?glise ? la voix des missionnaires, ? tort ou ? raison affubl?s du titre de j?suites, ceux-l? du moins, sans ?tre accus?s de fanatisme, purent entourer de leur adoration les merveilles ext?rieures des basiliques. A d?faut de ferveur, ils eurent de l'admiration ? ?pancher, rachet?s, par la po?sie, du p?ch? de d?molition, invent? et commis par leurs p?res.

Du haut du tr?ne et des classes intelligentes, le respect pour nos vieilles pierres descendit chez les masses, qu'on ne remue, quoi qu'on en dise, qu'avec le levier inflexible des principes, qui ne marchent qu'avec le mot d'ordre, promptes ? ?lever jusqu'aux nues des basiliques, si la foi l'ordonne, avec un Jules II, aussi promptes ? les d?molir de fond en comble avec un Carlostadt, si une doctrine iconoclaste les y porte.

Les choses ont ainsi march?; la d?molition s'est arr?t?e; la halte est consolante. Il s'agit maintenant d'entretenir et d'am?liorer encore une situation que seraient capables de changer un r?gne mauvais, une opinion nouvelle, une mode peut-?tre. Sans doute les moyens de perp?tuer l'esprit de conservation qui r?gne ne sont ni nombreux ni faciles. Comme je n'ai pas eu un choix ais? ? faire parmi ceux qui se sont pr?sent?s en petit nombre au bout de mes recherches, on me pardonnera de n'avoir pas ?t? plus heureux en m'arr?tant au moyen que je ne tarderai pas ? proposer.

Si l'on n'aimait pas les ch?teaux avant la r?volution, ce n'?tait pas du moins sans raisonner la haine qu'on leur portait. On ha?ssait l'institution de la f?odalit? dans la forme mat?rielle qu'elle avait adopt?e. Quoique affaiblie, languissante, dess?ch?e et m?connaissable, la f?odalit? palpitait et vivait derri?re son ?pais v?tement de pierre. A force d'absorber en lui la vitalit? redoutable de la souverainet? et tous ses attributs,--le seigneur, le ma?tre, le juge, le ge?lier, le bourreau,--le ch?teau ?tait devenu un ?tre anim?, vivant, qu'on d?couvrait de tous les points, du bout de la plaine, du haut de la montagne ou du fond du vallon; debout hiver ou ?t?; qu'avaient vu les vieux, que verraient les jeunes. On naissait, on vivait, on mourait sous son ombre et sous sa menace. Il planait sur la terre et sur l'existence. Il ?tait la clef de la ville et du bourg; il en ?tait l'ornement et la terreur. Sous le ciel rien n'?tait plus ?lev? et plus connu. La justice n'?tait pas, comme de nos temps surcharg?s de lois, un livre inintelligible; la punition n'?tait pas une menace probl?matique, cach?e dans les replis d'un homme vivant quelque part. La justice et la punition, c'?tait cet amas de pierres anguleuses dress?es et immobiles, si?geant toujours en plein air; c'?tait le ch?teau. De l? un respect h?r?ditaire, un effroi pass? dans le sang de ceux qui en d?pendaient, et plus tard une horreur universelle pour tant d'obsession.

On explique d?s lors le peu de cas que devaient faire de l'architecture des ch?teaux des hommes qui les maudissaient ainsi avec tant de raison. Il y avait peu de place dans leur coeur ulc?r? pour une admiration qu'il leur aurait fallu acheter par l'abandon de la vengeance. Les vo?tes d'une prison, quelque belle qu'en soit la coupe, touchent peu le prisonnier qu'elles ?crasent. Quand les ch?teaux furent d?sign?s au marteau, on crut moins abattre des pierres que frapper un monstre, un g?ant, un fl?au, un d?mon de dix si?cles, ayant corps de rocher, bras de fer nou?s en cha?nes, tourelles perc?es pour yeux, pont rouge pour langue, cr?neaux pour dents, foss?s pour ceinture. Je n'exag?re en rien. On ne renversa pas les ch?teaux; non! le mot est impropre, on les tua.

Si un principe de haine abattit les ch?teaux, qu'un sentiment de curiosit? rel?ve ceux qui ont ?chapp? ? l'extermination. On aime ou l'on d?teste les embl?mes ? raison des souvenirs qu'ils ?veillent. Embl?mes de domination avant leur chute, depuis leur chute les ch?teaux ne sont plus que des pierres m?moratives sur lesquelles le feu de la vengeance a pass?. Ce sont choses vaincues, curieuses et respectables ? la fois, et qui le deviendront d'ann?e en ann?e davantage, si l'on invite ? les conna?tre, ? les parcourir, ? les toucher. Le moyen de conserver les ch?teaux est donc de faire de leur conservation une vanit? nationale, pareille ? celle qui nous grandit ? nos propres yeux quand nous parlons du Louvre ou de la Colonne. Lorsque ce nouvel orgueil si justifiable et si utile existera, la France se sera cr?? un motif de plus de s'aimer dans sa dignit? et dans ses richesses arch?ologiques; un motif de plus pour accro?tre la sainte d?fiance o? il lui est command? de vivre sans cesse en face de l'?tranger. Plus le sol est aim?, plus on le d?fend; plus il se distingue par sa valeur territoriale, plus on l'aime. Retranchez de Paris la coupole du Panth?on, le d?me des Invalides, les tours de Notre-Dame, le Louvre et la Biblioth?que royale, et vous ?tez ? la d?fense de Paris, dans l'hypoth?se d'une invasion, plus de trente mille combattans.

J'estime que les nombreux ch?teaux encore debout sur le sol de la France ne m?ritent pas moins que les principaux monumens de Paris la faveur d'?tre mis au rang des causes sacr?es dont la patrie doit se souvenir quand elle s'arme pour repousser l'ennemi. Est-ce que la perte du ch?teau d'Amboise ou de Chenonceaux ne serait pas aussi vivement sentie que la perte bien plus r?parable d'un pont sur la Seine, f?t-ce celui d'Austerlitz ou d'I?na? Quand je dis le ch?teau d'Amboise, n'est-ce pas indiff?remment que je le nomme entre d'innombrables r?sidences, telles que le ch?teau d'Anet, le ch?teau de Saint-Germain-en-Laye, les ch?teaux de Maisons, de Grosbois, de Chantilly, de Rosny, d'?couen, de la Roche-Guyon, d'Ancy-le-Franc, de Vaux, de Mouchy, de Savigny-sur-Orge, de Rambouillet, etc.?

Il est sans doute tr?s-m?ritoire de grouper sur un point les mille esp?ces d'armes dont les hommes ont fait usage, pour s'entretuer, depuis qu'ils vivent en soci?t?; de flatter le c?t? guerrier de leur instinct par l'?talage ?blouissant, complet et sym?trique de tous les instrumens de mort dont ils disposent, depuis la masse d'armes, la hache au double tranchant, les armes d'hast, les espadons et les flamberges; depuis l'arc sauvage, la fl?che empoisonn?e et l'arbal?te grossi?re; depuis la carabine ? rouet et l'espingole jusqu'aux pistolets de luxe mont?s sur ?b?ne et diamans; depuis le canon jusqu'au mortier; depuis l'armure pesante de Bayard jusqu'au sabre vaincu du dey d'Alger. C'est tr?s-louable. L'histoire de l'homme marche c?te ? c?te avec l'histoire de tout ce qu'il a fa?onn? pour sa d?fense. Aucun essai des civilisations violentes par lesquelles nous sommes pass?s, et dont nous ne sommes pas encore sortis peut-?tre, n'est ? d?daigner. Ne rejetons rien; classons et comparons. Conservons d'abord. Mettre en regard les oeuvres des si?cles, c'est le seul moyen de juger le progr?s; c'est pouvoir ?tre modeste ou fier avec raison pour son propre si?cle. De l'exactitude et de la confrontation des t?moignages na?t l'impartialit? de l'opinion. On est bien pr?s d'?tre meilleur quand on se compare, sans la contrainte du moraliste.

Cette intelligente patience, qui associe pi?ce ? pi?ce les morceaux ?pars des si?cles bris?s par l'action du temps, est la manifestation ?vidente du besoin qu'a l'homme de se conna?tre tout entier, ? travers ses transformations. Sa vanit? personnelle y est plus int?ress?e qu'il ne croit. En r?compense de l'immortalit? qu'il m?nage aux oeuvres des races ant?rieures, il attend la perp?tuit? des siennes; il h?rite et il l?gue dans un esprit d'?go?sme qui aspire ? un but obscur. La solution des probl?mes de l'humanit? lui ?chappe, mais il en arrange les chiffres avec un infatigable z?le.

Et quand il a artificieusement ?chafaud? des armes, des cottes de maille, des gantelets, des mitres, des casques et des brassarts, il fait passer le souffle de l'histoire par la bouche sonore de son fant?me. Et combien l'histoire semble alors une voix humaine, ainsi exprim?e. Lire Brant?me dans le cabinet de M. du Sommerard, n'est-ce pas comprendre Brant?me comme si le personnage dont il est l'historien vous parlait face ? face? Ce vieux, ce raide, ce color?, ce bavard, cet interminable langage, affect? comme une flatterie de cour, libre au m?me instant comme un propos de camp, parfum? ? chaque p?riode, italien par la pointe de libertinage, gascon avant tout, espagnol par la redondance, fran?ais par ses bouff?es de vanterie; eh bien! ce langage devient la v?rit? m?me au pied de cette armure de Fran?ois Ier, le h?ros de Brant?me; devant la longue ?p?e de Pavie qu'empoigne une manchette brod?e ? mille points, toute dentel?e de festons; poignet aventureux, terrible et galant, qui e?t ?crit le livre de Brant?me, si Brant?me ne l'e?t d?crit. Et comme ce lit d'or et de brocart, ? colonnettes ?vid?es, bien soyeux, bien bas, ouvert de tous c?t?s comme le coeur du grand roi, tr?ne, si?ge et lit ? la fois, ajoute encore ? la crudit? de Brant?me nous montrant les amours royales assises et couch?es, et nous les disant effront?ment par leurs noms et par leurs qualit?s. Le lit est un commentaire naturel ? la phrase. Il compl?te le livre du sire de Bourdeille.

Toujours fier de vos conqu?tes incompl?tes sur la destruction et l'oubli, vous ajoutez: voil? le baron; sa cotte de maille, son pourpoint; voil? le seigneur et la tapisserie or et soie de ses appartemens; ses fauteuils brod?s ? ses armes, ses meubles ?caill?s de nacre et d'?b?ne, aux pieds fourchus de cerf, aux rev?temens de citron o? ramagent des oiseaux, ses tables de marbre fa?onn?es en mosa?que; voil? le seigneur sans doute, mais o? est le ch?teau?

Est-ce que le ch?teau n'a pas ?t? balay? comme l'abbaye, le monast?re, la ville antique et forte, le manoir et la tour? Le ch?teau aurait-il ?t? trouv? plus dur dans le mortier o? l'on a tout pil??

Sans passer d'un oeil sec sur des pertes nombreuses, il faut s'avouer que le mal fait aux ch?teaux aurait pu ?tre et plus grand et plus irr?parable. Impatiente et aveugle, la col?re s'?gare. Elle frappe souvent ? faux et s'?br?che.--Intention de la Providence, ou lassitude des d?molisseurs, quelques-unes des plus caract?ristiques demeures f?odales sont encore debout sur le sol de la France. Probablement elles ne renfermaient pas, pour ?tre vendues, les conditions n?cessaires ? un march? avantageux. Beaucoup d'entre elles ont oppos? une r?sistance presque intelligente ? la rage de la mine; elles se sont d?fendues. La d?pouille n'aurait pas valu l'assassinat. De guerre lasse, on les a laiss?es vivre apr?s les avoir mutil?es au front et aux extr?mit?s.

N'y a-t-il aucune question d'?tonnement ? s'adresser lorsqu'on voit d'un c?t? le soin qu'on prend de conserver les monumens romains dont nous sommes rest?s en possession, et d'un autre c?t? l'indiff?rence o? l'on est ? l'?gard des monumens, autrement nationaux, en faveur desquels je r?clame? Certes, nous ne nous ?levons pas contre l'attention particuli?re dont les d?bris de l'?poque romaine sont l'objet de la part des inspecteurs officiels du gouvernement, mais nous d?sirerions seulement que cette attention f?t moins exclusive, moins partiale; qu'elle se d?tourn?t un peu des ruines d'un temps sans doute ? jamais v?n?rable, mais, on en convient, un peu effac? dans nos affections, pour se porter vers les restes d'une civilisation plus voisine de notre ?re. Il est bien de rattacher le respect pour l'antiquit? aussi haut que possible: ne repoussons m?me pas dans l'oubli ces ?nigmes de pierre dont la vieille Gaule est sem?e, d?sespoir de l'?rudition qui s'?mousse ? les soulever. Que les dolmens de Carnac, que les menhirs, que les cromlechs dru?diques occupent une place, la premi?re, par ordre des temps, sur l'?chelle des monumens religieux et politiques, personne ne s'en plaindra. Dans cette galerie pratiqu?e au coeur de la Gaule, qui ne voudrait voir figurer ?galement la Maison-Carr?e de N?mes et le Cirque, les restes du palais Galien ? Bordeaux, les belles portes de Saint-Andr? et d'Arroux ? Autun, l'arc de triomphe et l'amphith??tre de Saintes, le gigantesque pont du Gard, l'?l?gant aqu?duc de Jouy-les-Arches, la pile de Cinq-Mars sur la Loire, ?pitaphe de l'Armorique? et ce ch?teau de Lourdes, ?lev? roches sur roches par les Romains au milieu de la cha?ne des Pyr?n?es? Vincennes des aigles, tour ? tour goth, vandale, anglais, aux comtes de Bigorre, ? ceux du B?arn, pierre ?ternelle, comme ces diamans monstrueux qui ne quittent jamais la royaut?, dot d'Henri IV, prison d'?tat sous Napol?on. Mais n'avons-nous ?t? que des colonies romaines? Nous avons ?t? aussi, si nous ne nous trompons, des communes affranchies, des pays diff?remment gouvern?s, partag?s, domin?s; nous avons ?t? d?coup?s par le sabre de la conqu?te, en duch?s, en comt?s, en seigneuries, en baronnies, en ch?tellenies, titres de possession l?gitimes ou usurp?s, taill?s ? vif dans le roc, dessin?s sur le sol.

Je dis encore que la nation, et en cela je la bl?me moins que je ne divulgue son aveugle g?n?rosit?, envoie chaque ann?e des vaisseaux en exp?ditions lointaines dont la plus ?conomique ne co?te pas moins d'un million. Et qu'arrive-t-il? Que ces vaisseaux, de retour au port, rapportent ? la nation deux plantes inconnues, deux papillons mal d?crits auparavant; deux plantes et deux papillons,--un million! Encore si cette plante ?tait la pomme de terre ou le th?!

Je conclus d?s lors que la nation, si d?pensi?re pour des raret?s probl?matiques, mais cependant, je l'avoue, difficiles ? n?gliger dans l'?tat de rivalit? scientifique o? vivent les peuples les uns ? l'?gard des autres, peut ?galement se sacrifier pour des acquisitions plus personnelles au pays et bien plus en danger d'?tre perdues ? tout jamais, si on ne se h?te de les sauver.

Je ne demande pas qu'on ach?te tous les ch?teaux ?pars sur le territoire; ce serait agir avec la prodigalit? ?pici?re des marchands de bric-?-brac, et non avec le discernement exquis qu'il importerait de rencontrer chez ceux qui seraient charg?s de la d?licate mission de faire un choix. Le choix porterait sur les ch?teaux bien caract?ristiques d'une ?poque; parmi ceux-l? on s'approprierait les mieux conserv?s. Nous indiquerons bient?t ceux qui, ? notre avis, m?riteraient d'?tre acquis ? cette incomparable collection, destin?e ? ?tre l'unique dans le monde. Notre liste sera sans doute imparfaite, mais nous demandons qu'on y voie seulement la gradation chronologique qu'il serait utile d'?tablir entre les ch?teaux, afin que jalonn?s par ?poque ils marquassent la voie par o? les ?v?nemens ont d? passer depuis neuf ou dix si?cles. Je trace avec le doigt sur le sable; les habiles apporteront la science et l'?querre.

Quel est, apr?s la moralit? qu'on en tire ou qu'il est impos? d'en tirer, le but des ?tudes historiques? N'est-ce pas de ressusciter pour l'intelligence l'?difice ?croul? du monde, sa couleur et sa forme? Ainsi consid?r?e, l'histoire n'est-elle pas l'exhumation d'une statue, la restauration d'un tableau? Quelle ?vidence plus grande n'a-t-elle pas quand elle s'inf?ode avec t?nacit? sur la terre! Qu'elle se localise, comme dans certaines peintures de Walter Scott, en se pla?ant au bord d'un fleuve, sur la pente de la montagne et ? tel angle sous le soleil!

Ne sommes-nous pas heureux de n'avoir pas besoin de recourir aux efforts toujours d?cevans de l'imagination, aux emprunts, rarement complets, faits ? l'?rudition, pour b?tir notre grande cit? f?odale?

Elle existe; je vous la montre: elle est debout; la voil?. Aimeriez-vous mieux qu'elle f?t an?antie, pour avoir le triste avantage de la recr?er selon vos fictions? Vous faut-il de la m?lancolie ou de la r?alit?? ?tre de regret et de destruction, l'homme aurait-il besoin d'abattre pour ob?ir ? la n?cessit? de pleurer ensuite sur les ruines qu'il a faites?

On rattacherait d'abord ? ce mus?e les plus vieux manoirs de la monarchie, ceux qui lui furent d'abord une d?fense, puis une tyrannie, semblables ? ces anciens boucliers dont le milieu ?tait un dard et avec lesquels on tuait en se couvrant.

Pr?voyant les difficult?s que doit rencontrer notre projet aupr?s des autres et de nous-m?me, nous sommes plut?t arr?t? qu'effray? par un doute qui nous vient; ce doute le voici. Ce mus?e se composera-t-il de ch?teaux plac?s dans un rayon de quelques lieues, tir? de Paris? sera-t-il form? de maisons historiques ? la port?e des ?trangers qui visitent la capitale? ou bien, sans avoir ?gard ? leur ?loignement, ? leur diss?mination, s'appropriera-t-on les ch?teaux plac?s ? toutes les distances, au centre de nos diverses provinces? Notre avis demeure suspendu; car, si nous sommes s?r qu'il reste assez de ch?teaux sur le sol de la France pour avoir une repr?sentation fid?le du caract?re de chaque ?poque, depuis la fin de la seconde race jusqu'? nous, nous ne sommes pas ?galement convaincu qu'on arriverait au m?me r?sultat en ne tenant compte que des ch?teaux b?tis dans la circonscription de l'ancienne Ile-de-France ou peu en dehors. Cependant, si l'on se confirmait dans la possibilit? de concentrer les domaines seigneuriaux autour de Paris, nous pr?f?rerions ce dernier parti au premier, parce que les ?trangers et les nationaux seraient plus facilement ? port?e de satisfaire leur curiosit?. Les chemins de fer trancheraient victorieusement l'objection des distances. Dans le cas o? il serait bien d?montr? que cette collection monumentale n'est possible qu'en acceptant les distances qu'elle oppose ? sa r?alisation, il faudrait subir l'obstacle sans pr?tendre le vaincre. Alors on s'adresserait aux sympathies locales, on mettrait sous les yeux des habitans de nos provinces qu'il d?pend d'eux de contribuer ? l'ex?cution d'un projet qui leur vaudrait un double honneur: celui de se montrer fid?les au souvenir de leur origine de famille et celui de doter la France d'un ?tablissement national de plus.

Nous rentrons dans la voie de notre sujet.

Nous n'en voudrons qu'? notre maladresse si l'on sent rompre dans la main, ? travers notre biographie lapidaire, le fil que nous avons tress? d'histoire et de chronologie afin d'arriver ? la compr?hension de notre projet. Cependant qu'on accueille nos r?serves. Nos ?pisodes intercalaires sont des lavis et non des peintures. Leur demander l'int?r?t qu'ils auraient peut-?tre sous une forme plus ample serait une rigueur ? laquelle nous ne sommes pas habitu?; dans tous les cas, nous doutons qu'une insistance plus laborieuse sur des points de simple rappel f?t avantageuse ? la clart? de notre proposition.

La p?riode romaine r?clamerait encore les fortifications aujourd'hui ruin?es qui enveloppent la vieille ville de Provins, et principalement la tour qui porte le nom de C?sar. La nomenclature ne serait pas compl?te si l'on omettait de mentionner ce que renferment de richesses monumentales Aix, Arles et tant d'autres villes du midi de la France.

L'?poque m?rovingienne ne nous a rien l?gu?. Occup?s ? se disputer la terre qu'ils avaient usurp?e, les Francs ne songeaient gu?re ? la parer de monumens. Peuple sans nationalit?, ils tenaient moins ? fixer le souvenir de leurs conqu?tes par des t?moignages de marbre ou de bronze qu'? an?antir les traces de civilisation de la Gaule vaincue. Au surplus, comment les M?rovingiens, d?nomination collective d'un peuple et non particuli?re ? une race des rois, auraient-ils ?t? port?s ? b?tir sur un sol dont rien n'assurait, m?me pour la plus faible dur?e de temps, la possession et l'int?grit? immobili?res? Cinq partages d'?tats, on le sait, eurent lieu sous les M?rovingiens, qui v?curent et moururent, cela n'est pas douteux, dans les b?timens romains, assez beaux et assez spacieux pour des barbares. S'ils en bris?rent beaucoup, on doit consid?rer que, pour l'homme qui n'est pas de moiti? dans la confidence d'un monument, dans l'inspiration religieuse ou politique qui l'a ?lev?, un monument n'est qu'une pierre, et cette pierre insulte ? la nullit? naturelle de son intelligence; il n'aura pas plus de respect pour les livres. Aux yeux de celui qui n'en poss?de pas la clef, un livre est une ?nigme d?courageante, une ironie muette contre laquelle on se venge pour l'avoir subie sans la m?riter.

Quoique mieux assise sur le territoire mouvant dont elle d?pouilla la premi?re race, la race dite carlovingienne ne nous a pas transmis de preuves plus significatives de son occupation. On ne comparera sous aucun rapport les invasions normandes dont elle eut ? souffrir dans quelques-unes de ses provinces au d?bordement de barbares que Charlemagne, ? son av?nement, refoula ? leur source. Charlemagne fut un ?clair dans la nuit, illuminant le monde entre les t?n?bres qui l'avaient pr?c?d? et les t?n?bres qui le suivirent. Comme tous les g?nies qui paraissent dans les temps st?riles, il eut l'orgueil de ne puiser qu'en lui-m?me les ressources de ses entreprises. La force lui manqua; car la force en politique n'est que la dur?e; et Charlemagne ne v?cut pas assez. G?ant dont les jours d'existence auraient d? se compter par si?cles, ? sa mort, qui ne se fit pas plus attendre que celle d'un autre homme, son empire descendit dans la tombe avec lui. Les marbres d'Aix-la-Chapelle scell?rent sous un m?me couvercle et la boule du monde, symbole de son pouvoir, et la main qui l'avait enferm?e.

A c?t? de ce formidable t?moignage de la vigueur f?odale, il faut placer les tours de Coucy et de Montlh?ry, gigantesques ruines arriv?es jusqu'? nous, et dont nous conseillons imp?rieusement la conservation. On grouperait autour de ces deux pierres ?tag?es de tant de souvenirs les ch?teaux forts construits ? la m?me ?poque. Viendraient ensuite les ch?teaux ? grand caract?re b?tis sous la branche opulente des Valois et sous celle des Bourbons.

Les deux tours de Coucy et de Montlh?ry peuvent se comparer ? ces pics ?lev?s qui ont d? voir sous eux les eaux du d?luge sans en ?tre couverts ni renvers?s. Les guerres civiles qui lient la seconde race ? la troisi?me, et tous les troubles n?s sous celle-ci, se sont ru?s comme de l'?cume et du sable aux pieds de ces deux tours; mais les hommes et leurs machines de guerre, toutes puissantes qu'elles fussent, leur ont caus? moins de dommages que les oiseaux de proie. De leur bec de fer, ils d?chiqu?tent chaque jour ces Babel si lentes ? s'?crouler. Coucy n'a plus aucune marque des blessures que lui porta Thibault-le-Tricheur, comte de Blois, ni de celles que lui firent si profond?ment, pour la poss?der et la baptiser de leur nom, les sires de Coucy; mais cette tour s'?miette, bribe ? bribe, sous la serre des corbeaux. Voil? ? qui elle est rest?e depuis ces terribles seigneurs dont chaque membre osait dire en face du tr?ne:

Sous la Fronde, le mar?chal d'Estr?es fit le si?ge du ch?teau de Coucy sans parvenir ? s'en rendre ma?tre, malgr? son vif d?sir de le remettre au roi. Il rentra cependant dans l'ob?issance quelques mois apr?s; Mazarin y envoya des ing?nieurs avec ordre d'en ruiner la tour et de la pulv?riser. Gr?ce ? un tremblement de terre arriv? en 1692, le ministre ?conomisa la moiti? de sa poudre. La commotion souterraine fut si violente, que les vo?tes de la plupart des appartemens s'?croul?rent; et quelles vo?tes que celles du ch?teau de Coucy! et que la grosse tour fut fendue comme une cloche de haut en bas. Mais toute fendue qu'elle est, depuis pr?s de deux si?cles, la tour de Coucy est encore debout pour un autre ministre ou pour un autre tremblement de terre.

Add to tbrJar First Page Next Page

Back to top Use Dark Theme