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Read Ebook: Lélia by Sand George Johannot Tony Illustrator Sand Maurice Illustrator
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1601 lines and 156532 words, and 33 pagesIllustrator: Tony Johannot Maurice Sand Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e. GEORGE SAND ILLUSTR? PAR TONY JOHANNOT ET MAURICE SAND L?LIA PREFACE ET NOTICE NOUVELLE Prix: 1 franc 95 centimes PARIS MICHEL L?VY FR?RES, LIBRAIRES ?DITEURS 2 BIS, RUE VIVIENNE, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE CALMANN L?VY, ?DITEUR 3. RUE AUBER. NOUVELLE ?DITION LIBRAIRIE NOUVELLE 15, BOULEVARD DES ITALIENS L?LIA NOTICE ?tait-ce modestie? Je puis affirmer que oui, bien qu'il ne paraisse gu?re modeste de s'attribuer une vertu si rare. Mais comme, chez moi, ce n'?tait pas vertu, je dis la chose comme elle est. Ce n'?tait pas un effort de ma raison, un triomphe remport? sur la vanit? naturelle ? notre esp?ce, mais bien une insouciance du fait, une impr?voyance inn?e, une tendance ? m'absorber dans une occupation de l'esprit, sans me souvenir qu'au del? du monde de mes r?ves, il existait un monde de r?alit?s sur lequel ma pens?e, sereine ou sombre, pouvait avoir une action quelconque. Je fus donc tr?s-?tonn?e du retentissement de ce livre, des partisans et des antagonistes qu'il me cr?a. Je n'ai point ? dire ce que je pense moi-m?me du fonds de l'ouvrage: je l'ai dit dans la pr?face de la deuxi?me ?dition, et je n'ai pas vari? d'opinion depuis cette ?poque. Le livre a ?t? ?crit de bonne foi, sous le poids d'une souffrance int?rieure quasi mortelle, souffrance toute morale, toute philosophique et religieuse, et qui me cr?ait des angoisses inexplicables pour les gens qui vivent sans chercher la cause et le but de la vie. D'excellents amis qui m'entouraient, avec lesquels j'?tais gaie ? l'habitude , furent frapp?s de stupeur en lisant des pages si am?res et si noires. Ils n'y comprirent goutte, et me demand?rent o? j'avais pris ce cauchemar. Ceux qui liront plus tard l'histoire de ma vie intellectuelle ne s'?tonneront plus que le doute ait ?t? pour moi une chose si s?rieuse et une crise si terrible. Pourtant je n'ai pas ?t? une exception aux yeux de tous. Beaucoup ont souffert devant le probl?me de la vie, mille fois plus que devant les faits et les maux r?els dont elle nous accable. De faux d?vots ont dit que c'?tait un crime d'exhaler ainsi une plainte contre le myst?re dont il pla?t ? Dieu d'envelopper sa volont? sur nos destin?es. Je ne pense pas comme eux; je persiste ? croire que le doute est un droit sans lequel la foi ne serait pas une victoire ou un m?rite. GEORGE SAND. Nohant, 13 janvier 1854. PR?FACE. Il est rare qu'une oeuvre d'art soul?ve quelque animosit? sans exciter d'autre part quelque sympathie; et si, longtemps apr?s ces manifestations diverses du bl?me et de la bienveillance, l'auteur, m?ri par la r?flexion et par les ann?es, veut retoucher son oeuvre, il court risque de d?plaire ?galement ? ceux qui l'ont condamn?e et ? ceux qui l'ont d?fendue: ? ceux-ci, parce qu'il ne va pas aussi loin dans ses corrections que leur syst?me le comporterait; ? ceux-l?, parce qu'il retranche parfois ce qu'ils avaient pr?f?r?. Entre ces deux ?cueils, l'auteur doit agir d'apr?s sa propre conscience, sans chercher ? adoucir ses adversaires ni ? conserver ses d?fenseurs. Cette pr?diction pour le personnage fier et souffrant de L?lia m'a conduit ? une erreur grave au point de vue de l'art: c'est de lui donner une existence tout ? fait impossible, et qui, ? cause de la demi-r?alit? des autres personnages, semble choquante de r?alit?, ? force de vouloir ?tre abstraite et symbolique. Ce d?faut n'est pas le seul de l'ouvrage qui m'ait frapp?, lorsqu'apr?s l'avoir oublie durant des ann?es, je l'ai relu froidement. Trenmor m'a paru con?u vaguement, et, en cons?quence, manqu? dans son ex?cution. Le d?no?ment, ainsi que de nombreux d?tails de style, beaucoup de longueurs et de d?clamations, m'ont choqu? comme p?chant contre le go?t. J'ai senti le besoin de corriger, d'apr?s mes id?es artistiques, ces parties essentiellement d?fectueuses. C'est un droit que mes lecteurs bienveillants ou hostiles ne pouvaient me contester. Mais si, comme artiste, j'ai us? de mon droit sur la forme de mon oeuvre, ce n'est pas ? dire que comme homme j'aie pu m'arroger celui d'alt?rer le fond des id?es ?mises dans ce livre, bien que mes id?es aient subi de grandes r?volutions depuis le temps o? je l'ai ?crit. Ceci soul?ve une question plus grave, et sans laquelle je n'aurais pas pris le soin pu?ril d'?crire une pr?face en t?te de cette seconde ?dition. Apr?s avoir examin? cette question, les esprits s?rieux me pardonneront de les avoir entretenus de moi un instant. Dans le temps o? nous vivons, les ?l?ments d'une nouvelle unit? sociale et religieuse flottent ?pars dans un grand conflit d'efforts et de voeux dont le but commence a ?tre compris et le lien ? ?tre forg? par quelques esprits sup?rieurs seulement; et encore ceux-la ne sont pas arriv?s d'embl?e ? l'esp?rance qui les soutient maintenant. Leur foi a pass? par mille ?preuves; elle a ?chapp? ? mille dangers; elle a surmont? mille souffrances; elle a ?t? aux prises avec toutes les ?l?ments de dissolution au milieu desquels elle a pris naissance; et encore aujourd'hui, combattue et refoul?e par l'?go?sme, la corruption et la cupidit? des temps, elle subit une sorte de martyre, et sort lentement du sein des ruines, qui s'efforcent de l'ensevelir. Si les grandes intelligences et les grandes ?mes de ce si?cle ont eu ? lutter contre de telles ?preuves, combien les ?tres d'une condition plus humble et d'une trempe plus commune n'ont-ils pas d? douter et trembler en traversant cette ?re d'ath?isme et de d?sespoir! Reconnaissons donc que nous n'avons pas le droit de reprendre et de transformer, par un l?che repl?trage, les h?r?sies sociales ou religieuses que nous avons ?mises. Si reconna?tre une erreur pass?e et confesser une foi nouvelle est un devoir, nier cette erreur ou la dissimuler pour rattacher gauchement les parties disloqu?es de l'?difice de sa vie, est une sorte d'apostasie non moins coupable, et plus digne de m?pris que les autres. La v?rit? ne peut pas changer de temple et d'autel suivant le caprice ou l'int?r?t des hommes; si les hommes se trompent, qu'ils avouent leur ?garement; mais qu'ils ne fassent point ? la d?esse nue l'outrage de la rev?tir du manteau rapi?c? qu'ils ont tra?n? par le chemin. Et nous, qui avons os? invoquer leurs noms et marcher dans la poussi?re de leurs pas, respectons dans nos oeuvres le p?le reflet que leur ombre y avait jet?. Essayons de progresser comme artistes, et, en ce sens, corrigeons nos fautes humblement; essayons surtout de progresser comme membres de la famille humaine, mais sans folle vanit? et sans hypocrite sagesse: souvenons-nous bien que nous avons err? dans les t?n?bres, et que nous y avons re?u plus d'une blessure dont la cicatrice est ineffa?able. PREMI?RE PARTIE. Quand la cr?dule esp?rance hasarde un regard confiant parmi les doutes d'une ?me d?serte et d?sol?e pour les sonder et les gu?rir, son pied chancelle sur le bord de l'ab?me, son oeil se trouble, elle est frapp?e de vertige et de mort. PENS?ES IN?DITES D'UN SOLITAIRE. Qui es-tu? et pourquoi ton amour fait-il tant de mal? Il doit y avoir en toi quelque affreux myst?re inconnu aux hommes. A coup s?r, tu n'es pas un ?tre p?tri du m?me limon et anim? de la m?me vie que nous! Tu es un ange ou un d?mon, mais tu n'es pas une cr?ature humaine. Pourquoi nous cacher ta nature et ton origine? Pourquoi habiter parmi nous qui ne pouvons te suffire ni te comprendre? Si tu viens de Dieu, parle, et nous t'adorerons. Si tu viens de l'enfer... Toi venir de l'enfer! toi si belle et si pure! Les esprits du mal ont-ils ce regard divin, et cette voix harmonieuse, et ces paroles qui ?l?vent l'?me et la transportent jusqu'au tr?ne de Dieu! Et cependant, L?lia, il y a en toi quelque chose d'infernal. Ton sourire amer d?ment les c?lestes promesses de ton regard. Quelques-unes de tes paroles sont d?solantes comme l'ath?isme: il y a des moments o? tu ferais douter de Dieu et de toi-m?me. Pourquoi, pourquoi, L?lia, ?tes-vous ainsi? Que faites-vous de votre foi, que faites-vous de votre ?me, quand vous niez l'amour? O ciel! vous, prof?rer ce blasph?me! Mais qui ?tes-vous donc si vous pensez ce que vous dites parfois? L?lia, j'ai peur de vous. Plus je vous vois, et moins je vous devine. Vous me ballottez sur une mer d'inqui?tudes et de doutes. Vous semblez vous faire un jeu de mes angoisses. Vous m'?levez au ciel, et vous me foulez aux pieds. Vous m'emportez avec vous dans les nu?es radieuses, et puis vous me pr?cipitez dans le noir chaos! Ma faible raison succombe ? de telles ?preuves. ?pargnez-moi, L?lia! Hier, quand nous nous promenions sur la montagne, vous ?tiez si grande, si sublime, que j'aurais voulu m'agenouiller devant vous et baiser la trace embaum?e du vos pas. Quand le Christ fut transfigur? dans une nu?e d'or et sembla nager aux yeux de ses ap?tres dans un fluide embras?, ils se prostern?rent et dirent: < Mais le Christ! cette grande pens?e personnifi?e, ce type sublime de l'?me immat?rielle, il ?tait toujours au-dessus de la nature humaine qu'il avait rev?tue. Il avait beau redevenir homme, il ne pouvait se cacher si bien qu'il ne f?t toujours le premier entre les hommes. Vous, L?lia, ce qui m'effraie, c'est que, quand vous descendez de vos gloires, vous n'?tes plus m?me ? notre niveau, vous tombez au-dessous de nous-m?mes, et vous semblez ne plus chercher ? nous dominer que par la perversit? de votre coeur. Par exemple, qu'est-ce donc que cette haine profonde, cuisante, inextinguible, que vous avez pour notre race? Peut-on aimer Dieu comme vous faites, et d?tester si cruellement ses oeuvres? Comment accorder ce m?lange de foi sublime et d'impi?t? endurcie, ces ?lans vers le ciel, et ce pacte avec l'enfer? Encore une fois, d'o? venez-vous, L?lia? Quelle mission de salut ou de vengeance accomplissez-vous sur la terre? Mais, h?las! quand le froid qui commen?ait ? souffler sur la bruy?re nous eut forc?s de chercher un abri dans la ville; quand, attir? par les vibrations de cette cloche, je vous priai d'entrer dans l'?glise avec moi et d'assister ? la pri?re du soir, pourquoi, L?lia, ne m'avez-vous pas quitt?? Pourquoi, vous qui pouvez certainement des choses plus difficiles, n'avez-vous pas fait descendre d'en haut un nuage pour me voiler votre face? H?las! pourquoi vous ai-je vue ainsi, debout, le sourcil fronc?, l'air hautain, le coeur sec? Pourquoi ne vous ?tes-vous pas agenouill?e sur les dalles moins froides que vous? Pourquoi n'avez-vous pas crois? vos mains sur ce sein de femme que la pr?sence de Dieu aurait d? remplir d'attendrissement ou de terreur? Pourquoi ce calme superbe et ce m?pris apparent pour les rites de notre culte? N'adorez-vous pas le vrai Dieu, L?lia? Venez-vous des contr?es br?lantes o? l'on sacrifie ? Brama, ou des bords de ces grands fleuves sans nom o? l'homme implore, dit-on, l'esprit du mal? car nous ne savons ni votre famille, ni les climats qui vous ont vue na?tre. Nul ne le sait, et le myst?re qui vous environne nous rend superstitieux malgr? nous! Mais votre pens?e est si intimement li?e dans mon ?me ? toutes les grandes pens?es, que je me retournai presque aussit?t vers vous pour partager avec vous cette ?motion d?licieuse, ou peut-?tre, que Dieu maintenant me le pardonne, pour vous adresser la moiti? de ces humbles adorations. Mais vous, vous ?tiez debout! vous n'avez pas pli? le genou; vous n'avez pas baiss? les yeux! Votre regard superbe s'est promen? froid et scrutateur sur le pr?tre, sur l'hostie, sur la foule prostern?e: rien de tout cela ne vous a parl?. Seule, toute seule parmi nous tous, vous avez refus? votre pri?re au Seigneur. Seriez-vous donc une puissance au-dessus de lui? Eh bien, L?lia, que Dieu me le pardonne encore! pendant un moment je l'ai cru et j'ai failli lui retirer mon hommage pour vous l'offrir. Je me suis laiss? ?blouir et subjuguer par la puissance qui ?tait en vous. H?las! il faut l'avouer, je ne vous vis jamais si belle. P?le comme une des statues de marbre blanc qui veillent aupr?s des tombeaux, vous n'aviez plus rien de terrestre. Vos yeux brillaient d'un feu sombre; et votre vaste front, dont vous aviez ?cart? vos cheveux noirs, s'?levait, sublime d'orgueil et de g?nie, au-dessus de la foule, au-dessus du pr?tre, au-dessus de Dieu m?me. Cette profondeur d'impi?t? ?tait effrayante, et, ? vous voir ainsi toiser du regard l'espace qui est entre nous et le ciel, tout ce qui ?tait l? se sentait petit. Milton vous avait-il vue quand il fit si noble et si beau le front foudroy? de son ange rebelle? Faut-il vous dire toutes mes terreurs? Il m'a sembl? qu'? l'instant o? le pr?tre debout, ?levant le symbole de la foi sur nos t?tes inclin?es, vous vit devant lui, debout comme lui, seule avec lui au-dessus de tous; oui, il m'a sembl? qu'alors son regard profond et s?v?re, rencontrant votre impassible regard, s'est baiss? malgr? lui. Il m'a sembl? que ce pr?tre p?lissait, que sa main tremblante ne pouvait plus soutenir le calice, et que sa voix s'?teignait dans sa poitrine. Est-ce l? un r?ve de mon imagination troubl?e, ou bien en effet l'indignation a-t-elle suffoqu? le ministre du Tr?s-Haut lorsqu'il vous a vue ainsi r?sister ? l'ordre ?man? de sa bouche? Ou bien, tourment? comme moi par une ?trange hallucination, a-t-il cru voir en vous quelque chose de surnaturel, une puissance ?voqu?e du sein de l'ab?me, ou une r?v?lation envoy?e du ciel? Que t'importe cela, jeune po?te? Pourquoi veux-tu savoir qui je suis et d'o? je viens?... Je suis n?e comme toi dans la vall?e des larmes, et tous les malheureux qui rampent sur la terre sont mes fr?res. Est-elle donc si grande, cette terre qu'une pens?e embrasse, et dont une hirondelle fait le tour dans l'espace de quelques journ?es? Que peut-il y avoir d'?trange et de myst?rieux dans une existence humaine? Quelle si grande influence supposez-vous ? un rayon de soleil plus ou moins vertical sur nos t?tes? Allez! ce monde tout entier est bien loin de lui; il est bien froid, bien p?le, et bien ?troit. Demandez au vent combien il lui faut d'heures pour le bouleverser d'un p?le ? l'autre. Fuss?-je n?e ? l'autre extr?mit?, il y aurait encore peu de diff?rence entre toi et moi. Tous deux condamn?s ? souffrir, tous deux faibles, incomplets, bless?s par toutes nos jouissances, toujours inquiets, avides d'un bonheur sans nom, toujours hors de nous, voil? notre destin?e commune, voil? ce qui fait que nous sommes fr?res et compagnons sur la terre d'exil et de servitude. Vous demandez si je suis un ?tre d'une autre nature que vous! Croyez-vous que je ne souffre pas? J'ai vu des hommes plus malheureux que moi par leur condition, qui l'?taient beaucoup moins par leur caract?re. Tous les hommes n'ont pas la facult? de souffrir au m?me degr?. Aux yeux du grand artisan de nos mis?res, ces vari?t?s d'organisation sont bien peu de chose sans doute. Pour nous dont la vue est si born?e, nous passons la moiti? de notre vie ? nous examiner les uns les autres, et ? tenir note des nuances que subit l'infortune en se r?v?lant ? nous. Tout cela qu'est-ce devant Dieu? Ce qu'est devant nous la diff?rence entre les brins d'herbe de la prairie. C'est pourquoi je ne prie pas Dieu. Que lui demanderais-je? Qu'il change ma destin?e? Il se rirait de moi. Qu'il me donne la force de lutter contre mes douleurs? Il l'a mise en moi, c'est ? moi de m'en servir. Vous demandez si j'adore l'esprit du mal! L'esprit du mal et l'esprit du bien, c'est un seul esprit, c'est Dieu; c'est la volont? inconnue et myst?rieuse qui est au-dessus de nos volont?s. Le bien et le mal, ce sont des distinctions que nous avons cr??es. Dieu ne les conna?t pas plus que le bonheur et l'infortune. Ne demandez donc ni au ciel ni ? l'enfer le secret de ma destin?e. C'est ? vous que je pourrais reprocher de me jeter sans cesse au-dessus et au-dessous de moi-m?me. Po?te, ne cherchez pas en moi ces profonds myst?res; mon ?me est soeur de la v?tre, vous la contristez, vous l'effrayez en la sondant ainsi. Prenez-la pour ce qu'elle est, pour une ?me qui souffre et qui attend. Si vous l'interrogez si s?v?rement, elle se repliera sur elle-m?me, et n'osera plus s'ouvrir ? vous. L'?pret? de mes sollicitudes pour vous, je l'ai trop franchement exprim?e; L?lia; j'ai bless? la sublime pudeur de votre ?me. C'est qu'aussi, L?lia, je suis bien malheureux! Vous croyez que je porte sur vous l'oeil curieux d'un philosophe, et vous vous trompez. Si je ne sentais pas que je vous appartiens, que d?sormais mon existence est invinciblement li?e ? la v?tre, si en un mot je ne vous aimais pas avec passion, je n'aurais pas l'audace de vous interroger. Ainsi ces doutes, ces inqui?tudes que j'ai os? vous dire, tous ceux qui vous ont vue les partagent. Ils se demandent avec ?tonnement si vous ?tes une existence maudite ou privil?gi?e, s'il faut vous aimer ou vous craindre, vous accueillir ou vous repousser; le grossier vulgaire m?me perd son insouciance pour s'occuper de vous. Il ne comprend pas l'expression de vos traits ni le son de votre voix, et, ? entendre les contes absurdes dont vous ?tes l'objet, on voit que ce peuple est ?galement pr?t ? se mettre ? deux genoux sur votre passage, ou ? vous conjurer comme un fl?au. Les intelligences plus ?lev?es vous observent attentivement, les unes par curiosit?, les autres par sympathie; mais aucune ne se fait comme moi une question de vie et de mort de la solution du probl?me; moi seul j'ai le droit d'?tre audacieux et de vous demander qui vous ?tes; car, je le sens intimement, et cette sensation est li?e ? celle de mon existence: je fais d?sormais partie de vous, vous vous ?tes empar?e de moi, ? votre insu peut-?tre, mais enfin me voil? asservi, je ne m'appartiens plus, mon ?me ne peut plus vivre en elle-m?me. Dieu et la po?sie ne lui suffisent plus; Dieu et la po?sie, c'est vous d?sormais, et sans vous il n'y a plus de po?sie, il n'y a plus de Dieu, il n'y a plus rien. Dis moi donc, L?lia, puisque tu veux que je te prenne pour une femme et que je te parle comme ? mon ?gale, dis-moi si tu as la puissance d'aimer, si ton ?me est de feu ou de glace, si en me donnant ? toi, comme j'ai fait, j'ai trait? de ma perte ou de mon salut; car je ne le sais pas, et je ne regarde pas sans effroi la carri?re inconnue o? je vais te suivre. Cet avenir est envelopp? de nuages, quelquefois brillants comme ceux qui montent ? l'horizon au lever du soleil, quelquefois sombres comme ceux qui pr?c?dent l'orage et rec?lent la foudre. Ai-je commenc? la vie avec toi, ou l'ai-je quitt?e pour te suivre dans la mort? Ces ann?es de calme et d'innocence qui sont derri?re moi, vas-tu les faner ou les rajeunir? Ai-je connu le bonheur et vais-je le perdre, ou, ne sachant ce que c'est, vais-je le go?ter? Ces ann?es furent bien belles, bien fra?ches, bien suaves! mais aussi elles furent bien calmes, bien obscures, bien st?riles! Qu'ai-je fait, que r?ver et attendre, et esp?rer, depuis que je suis au monde? Vais-je produire enfin? Feras-tu de moi quelque chose de grand ou d'abject? Sortirai-je de cette nullit?, de ce repos qui commence ? me peser? En sortirai-je pour monter, ou pour descendre? Voil? ce que je me demande chaque jour avec anxi?t?, et tu ne me r?ponds rien, L?lia, et tu sembles ne pas te douter qu'il y a une existence en question devant toi, une destin?e inh?rente ? la tienne, et dont tu dois d?sormais rendre compte ? Dieu! Insoucieuse et distraite, tu as saisi le bout de ma cha?ne, et ? chaque instant tu l'oublies, tu la laisses tomber! Add to tbrJar First Page Next Page |
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