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Read Ebook: Lélia by Sand George Johannot Tony Illustrator Sand Maurice Illustrator
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1601 lines and 156532 words, and 33 pagesVoil? ce que je me demande chaque jour avec anxi?t?, et tu ne me r?ponds rien, L?lia, et tu sembles ne pas te douter qu'il y a une existence en question devant toi, une destin?e inh?rente ? la tienne, et dont tu dois d?sormais rendre compte ? Dieu! Insoucieuse et distraite, tu as saisi le bout de ma cha?ne, et ? chaque instant tu l'oublies, tu la laisses tomber! Il faut qu'? chaque instant, effray? de me voir seul et abandonn?, je t'appelle et te force ? descendre de ces r?gions inconnues o? tu t'?lances sans moi. Cruelle L?lia! que vous ?tes heureuse d'avoir ainsi l'?me libre et de pouvoir r?ver seule, aimer seule, vivre seule! Moi je ne le peux plus, je vous aime. Je n'aime que vous. Tous ces gracieux types de la beaut?, tous ces anges v?tus en femmes qui passaient dans mes r?ves, me jetant des baisers et des fleurs, ils sont partis. Ils ne viennent plus ni dans la veille ni dans le sommeil. C'est vous d?sormais, toujours vous, que je vois p?le, calme et silencieuse, ? mes c?t?s ou dans mon ciel. O L?lia! cette fois r?pondrez-vous? A pr?sent je fr?mis de vous avoir interrog?e. Demain j'aurais pu vivre encore de doutes et de chim?res. Demain peut-?tre il ne me restera rien ni ? craindre ni ? esp?rer. Enfant que vous ?tes! A peine vous ?tes n?, et d?j? vous ?tes press? de vivre! car il faut vous le dire, vous n'avez pas encore v?cu, St?nio. Pourquoi donc tant vous h?ter? Craignez-vous de ne pas arriver ? ce but maudit o? nous ?chouons tous? Vous viendrez vous y briser comme les autres. Prenez donc votre temps, faites l'?cole buissonni?re, et franchissez le plus tard que vous pourrez le seuil de l'?cole o? l'on apprend la vie. Heureux enfant, qui demande o? est le bonheur, comment il est fait, s'il l'a go?t? d?j?, s'il est appel? ? le go?ter un jour! O profonde et pr?cieuse ignorance! Je ne te r?pondrai pas, St?nio. Ne crains rien, je ne te fl?trirai pas au point de te dire une seule des choses que tu veux savoir. Si j'aime, si je puis aimer, si je te donnerai du bonheur, si je suis bonne ou perverse, si tu seras fait grand par mon amour, ou an?anti par mon indiff?rence: tout cela, vois-tu, c'est une science t?m?raire que Dieu refuse ? ton ?ge et qu'il me d?fend de te donner. Attends! Je te b?nis, jeune po?te, dors en paix. Demain viendra beau comme les autres jours de ta jeunesse, par? du plus grand bienfait de la Providence, le voile qui cache l'avenir. Voil? comme vous r?pondez toujours! Eh bien! votre silence me fait pressentir de telles douleurs, que je suis r?duit ? vous remercier de votre silence. Pourtant cet ?tat d'ignorance que vous croyez si doux, il est affreux, L?lia; vous le traitez avec une d?daigneuse l?g?ret?, c'est que vous ne le connaissez pas. Votre enfance a pu s'?couler comme la mienne; mais la premi?re passion qui s'alluma dans votre sein n'y fut pas en lutte, j'imagine, avec les angoisses qui sont en moi. Sans doute, vous f?tes aim?e avant d'aimer vous-m?me. Votre coeur, ce tr?sor que j'implorerais encore ? genoux si j'?tais roi de la terre, votre coeur fut ardemment appel? par un autre coeur; vous ne conn?tes pas les tourments de la jalousie et de la crainte; l'amour vous attendait, le bonheur s'?lan?ait vers vous, et il vous a suffi de consentir ? ?tre heureuse, ? ?tre aim?e. Non, vous ne savez pas ce que je souffre, sans cela vous en auriez piti?, car enfin vous ?tes bonne, vos actions le prouvent, en d?pit de vos paroles qui le nient. Je vous ai vue adoucir de vulgaires souffrances, je vous ai vue pratiquer la charit? de l'?vangile avec votre m?chant sourire sur les l?vres; nourrir et v?tir celui qui ?tait nu et affam?, tout en affichant un odieux scepticisme. Vous ?tes bonne, d'une bont? native, involontaire, et que la froide r?flexion ne peut pas vous ?ter. Si vous saviez comme vous me rendez malheureux, vous auriez compassion de moi; vous me diriez s'il faut vivre ou mourir; vous me donneriez tout de suite le bonheur qui enivre ou la raison qui console. Quel est donc cet homme p?le que je vois maintenant appara?tre comme une vision sinistre dans tous les lieux o? vous ?tes? Que vous veut-il? d'o? vous conna?t-il? o? vous a-t-il vue? D'o? vient que, le premier jour qu'il parut ici, il traversa la foule pour vous regarder, et qu'aussit?t vous ?change?tes avec lui un triste sourire? Cet homme m'inqui?te et m'effraie. Quand il m'approche, j'ai froid; si son v?tement effleure le mien, j'?prouve comme une commotion ?lectrique. C'est, dites-vous un grand po?te qui ne se livre point au monde. Son vaste front r?v?le en effet le g?nie; mais je n'y trouve pas cette puret? c?leste, ce rayon d'enthousiasme qui caract?rise le po?te. Cet homme est morne et d?solant comme Hamlet, comme Lara, comme vous, L?lia, quand vous souffrez. Je n'aime point ? le voir sans cesse ? vos c?t?s, absorbant votre attention, accaparant, pour ainsi dire tout ce que vous r?serviez de bienveillance pour la soci?t? et d'int?r?t pour les choses humaines. Je sais que je n'ai pas le droit d'?tre jaloux. Aussi, ce que je souffre parfois, je ne vous le dirai pas. Mais je m'afflige de vous voir entour?e de cette lugubre influence. Vous, d?j? si triste, si d?courag?e, vous qu'il ne faudrait entretenir que d'espoir et de douces promesses, vous voil? sous le contact d'une existence fl?trie et d?sol?e. Car cet homme est dess?ch? par le souffle des passions; aucune fra?cheur de jeunesse ne colore plus ses traits p?trifi?s, sa bouche ne sait plus sourire, son teint ne s'anime jamais; il parle, il marche, il agit par habitude, par souvenir. Mais le principe de la vie est depuis longtemps ?teint dans sa poitrine. Je suis s?r de cela, madame; j'ai beaucoup observ? cet homme, j'ai perc? le myst?re dont il s'enveloppe. S'il vous dit qu'il vous aime, il ment! Il ne peut plus aimer. Mais celui qui ne sent rien ne peut-il rien inspirer? C'est une terrible question que je d?bats depuis longtemps, depuis que je vis, depuis que je vous aime. Je ne puis me d?cider ? croire que tant d'amour et de po?sie ?mane de vous sans que votre ?me en rec?le le foyer. Cet homme jette tant de froid par tous les pores, il imprime ? tout ce qui l'approche une telle r?pulsion, que son exemple me console et m'encourage. Si vous aviez le coeur mort comme lui, je ne vous aimerais pas, j'aurais horreur de vous, comme j'ai horreur de lui. Et cependant, oh! dans quel inextricable d?dale ma raison se d?bat! vous ne partagez pas l'horreur qu'il m'inspire. Vous semblez, au contraire, attir?e vers lui par une invincible sympathie. Il y a des instants o?, le voyant passer avec vous au milieu de nos f?tes, vous deux si p?les, si graves, si distraits au milieu de la danse qui tournoie, des femmes qui rient, et des fleurs qui volent, il me semble que, seuls parmi nous tous, vous pouvez vous comprendre. Il me semble qu'une douloureuse ressemblance s'?tablit entre vos sensations et m?me entre les traits de votre visage. Est-ce le sceau du malheur qui imprime ? vos sombres fronts cet air de famille; ou cet ?tranger, L?lia, serait-il vraiment votre fr?re? Tout, dans votre existence, est si myst?rieux que je suis pr?t ? toutes les suppositions. Oui, il y a des jours o? je me persuade que vous ?tes sa soeur. Eh bien! je veux le dire, pour que vous compreniez que ma jalousie n'est ni ?troite ni pu?rile, je ne souffre pas moins avec cette id?e. Je ne suis pas moins bless? de la confiance que vous lui montrez et de l'intimit? qui r?gne entre lui et vous, vous si froide, si r?serv?e, si m?fiante parfois, et qui ne l'?tes jamais pour lui. S'il est votre fr?re, L?lia, quel droit a-t-il de plus que moi sur vous? Croyez-vous que je vous aime moins purement que lui? Croyez-vous que je pourrais vous aimer avec plus de tendresse, de sollicitude et de respect, si vous ?tiez ma soeur? Oh! que ne l'?tes-vous! vous n'auriez de moi nulle d?fiance, vous ne m?conna?triez pas ? chaque instant le sentiment chaste et profond que vous m'inspirez! N'aime-t-on pas sa soeur avec passion, quand on a l'?me passionn?e et une soeur comme vous, L?lia! Les liens du sang, qui ont tant de poids sur les natures vulgaires, que sont-ils au prix de ceux que nous forge le ciel dans le tr?sor de ses myst?rieuses sympathies? J'ai montr? votre lettre ? l'homme qu'on nomme ici Trenmor, et dont moi seule connais le vrai nom. Il a pris tant d'int?r?t ? votre souffrance, et c'est un homme dont le coeur est si compatissant qu'il m'a autoris?e ? vous confier son secret. Vous allez voir que l'on ne vous traite pas comme un enfant, car ce secret est le plus grand qu'un homme puisse confier ? un autre homme. Et d'abord sachez la cause de l'int?r?t que j'?prouve pour Trenmor. C'est que cet homme est le plus malheureux que j'aie encore rencontr?; c'est que, pour lui, il n'est point rest? au fond du calice une goutte de lie qu'il n'ait fallu ?puiser; c'est qu'il a sur vous une immense, une incontestable sup?riorit?, celle du malheur. Savez-vous ce que c'est que le malheur, jeune enfant? Vous entrez ? peine dans la vie, vous en supportez les premi?res agitations, vos passions se soul?vent, acc?l?rent les mouvements de votre sang, troublent la paix de votre sommeil, ?veillent en vous des sensations nouvelles, des inqui?tudes, des tourments, et vous appelez cela souffrir! Vous croyez avoir re?u le grand, le terrible, le solennel bapt?me du malheur! Vous souffrez, il est vrai, mais quelle noble et pr?cieuse souffrance que celle d'aimer! De combien de po?sie n'est-elle pas la source! Qu'elle est chaleureuse, qu'elle est productive, la souffrance qu'on peut dire et dont on peut ?tre plaint! Mais celle qu'il faut renfermer sous peine de mal?diction, celle qu'il faut cacher au fond de ses entrailles comme un amer tr?sor, celle qui ne vous br?le pas, mais qui vous glace; qui n'a pas de larmes, pas de pri?res, pas de r?veries; celle qui toujours veille froide et paralytique au fond du coeur! celle que Trenmor a ?puis?e, c'est celle-l? dont il pourra se vanter devant Dieu au jour de la justice! car devant les hommes il faut s'en cacher. ?coutez l'histoire de Trenmor. Il entra dans la vie sous de funestes auspices, quoique aux yeux des hommes son destin f?t digne d'envie. Il naquit riche, mais riche comme un prince, comme un favori, comme un juif. Ses parents s'?taient enrichis par l'abjection du vice; son p?re avait ?t? l'amant d'une reine galante; sa m?re avait ?t? la servante de sa rivale; et comme ces turpitudes ?taient habill?es de pompeuses livr?es, comme elles ?taient rev?tues de titres pompeux, ces courtisans abjects avaient caus? beaucoup plus d'envie que de m?pris. Trenmor aborda donc le monde de bonne heure et sans obstacle: mais, ? l'?ge o? une sorte de honte na?ve et de crainte modeste fait h?siter au seuil, son ?me sans jeunesse s'approchait du banquet sans trouble et sans curiosit?; c'?tait une ?me inculte, ignorante, et d?j? pleine d'insolents paradoxes et d'aveuglements superbes. On ne lui avait pas donn? la connaissance du bien et du mal: sa famille s'en f?t bien gard?e, dans la crainte d'?tre par lui m?pris?e et reni?e. On lui avait appris comment on d?pense l'or en plaisirs frivoles, en ostentation stupide. On lui avait cr?? tous les faux besoins, enseign? tous les faux devoirs qui causent et alimentent la mis?re des riches. Mais si on put le tromper sur les vertus n?cessaires ? l'homme, on ne put du moins changer la nature de ses instincts. L? le travail d?moralisateur fut forc? de s'arr?ter; l? le souffle humain de la corruption vint ?chouer contre la divine immortalit? de la cr?ation intellectuelle. Le sentiment de la fiert?, qui n'est autre que le sentiment de la force, se r?volta contre les faits ext?rieurs. Trenmor vit le spectacle de la servitude, et il ne put le souffrir, parce que tout ce qui ?tait faible lui faisait horreur. Forc? d'accepter l'ignorance de toute vertu, il trouva en lui-m?me de quoi repousser tout ce qui sentait le mensonge et la peur. Nourri dans les faux biens, il n'apprit que la d?bauche et la vanit? qui servent ? les perdre; il ne comprit ni ne tol?ra l'infamie qui les amasse et les renouvelle. La nature a ses myst?rieuses ressources, ses tr?sors in?puisables. De la combinaison des plus vils ?l?ments elle fait sortir souvent ses plus riches productions. Malgr? l'avilissement de sa famille, Trenmor ?tait n? grand, mais ?pre, rude et terrible comme une force destin?e ? la lutte, comme un de ces arbres du d?sert qui se d?fendent des orages et des tourbillons, gr?ce ? leur ?corce rugueuse, ? leurs racines obstin?es. Le ciel lui donna l'intelligence; l'instinct divin ?tait en lui. Les influences domestiques s'efforc?rent d'an?antir cet instinct de spiritualit?, et, chassant par la raillerie les fant?mes c?lestes errant autour de son berceau, lui enseign?rent ? chercher le sentiment de l'existence dans les satisfactions mat?rielles. On d?veloppa en lui l'animal dans toute sa fougue sauvage, on ne put pas faire autre chose. L'animal m?me ?tait noble dans cette puissante cr?ature: Trenmor ?tait tel, que les amusements d?sordonn?s produisaient plut?t chez lui l'exaltation que l'?nervement. L'ivresse brutale lui causait une souffrance furieuse, un besoin inextinguible des joies de l'?me: joies inconnues et dont il ne savait m?me pas le nom! C'est pourquoi tous ses plaisirs tournaient ais?ment ? la col?re, et sa col?re ? la douleur. Mais quelle douleur ?tait-ce? Trenmor cherchait vainement la cause de ces larmes qui tombaient au fond de sa coupe dans le festin, comme une pluie d'orage dans un jour br?lant. Il se demandait pourquoi, malgr? l'audace et l'?nergie d'une large organisation, malgr? une sant? inalt?rable, malgr? l'?pret? de ses caprices et la fermet? de son despotisme, aucun de ses d?sirs n'?tait apais?, aucun de ses triomphes ne comblait le vide de ses journ?es. Il ?tait si ?loign? de deviner les vrais besoins et les vraies facult?s de son ?tre, qu'il avait d?s son enfance une ?trange folie. Il s'imaginait qu'une fatalit? haineuse pesait sur lui, que le moteur inconnu des ?v?nements l'avait pris en aversion dans le sein de sa m?re, et qu'il ?tait destin? ? expier des fautes dont il n'?tait pas coupable. Il rougissait de devoir la naissance ? des courtisans, et il disait quelquefois que la seule vertu qu'il e?t, la fiert?, ?tait une mal?diction, parce que cette fiert? serait fatalement bris?e un jour par la haine du destin. Ainsi l'effroi et le blasph?me ?taient les seuls reflets qu'il e?t gard?s des lueurs c?lestes: reflets affreux, ouvrage des hommes, maladie d'un cerveau vaste et noble qu'on avait comprim? sous le diad?me ?troit et lourd de la mollesse. Les esprits vulgaires qui ont assist? ? la catastrophe de Trenmor ont ?t? frapp?s de l'esp?ce de proph?tie qu'il avait eue sur les l?vres et qui s'est r?alis?e. Ils n'ont pu accepter comme un ordre naturel des choses, comme un pressentiment et une fin in?vitables, cette histoire tragique et douloureuse dont ils n'ont vu que les faces externes, le palais et le cachot; l'un qui n'avait montr? que la prosp?rit? bruyante, l'autre qui ne r?v?la pas l'angoisse cach?e. Dompter des chevaux, dresser des piqueurs, s'entourer sans discernement et sans appr?ciation des oeuvres d'art les plus h?t?rog?nes, nourrir avec luxe une livr?e vicieuse et fain?ante, avec moins de soin et d'amour pourtant qu'une meute f?roce; vivre dans le bruit et dans la violence, dans les hurlements des limiers ? la gueule sanglante, dans les chants de l'orgie et dans l'affreuse gaiet? des femmes esclaves de son or; parier sa fortune et sa vie pour faire parler de soi: tels furent d'abord les amusements de ce riche infortun?. Sa barbe n'?tait pas encore pouss?e que ces amusements l'avaient lass? d?j?. Le bruit ne chatouillait plus son oreille, le vin n'?chauffait plus son palais, le cerf aux abois n'?tait plus un spectacle assez ?mouvant pour ses instincts de cruaut?, instincts qui sont chez tous les hommes, et qui se d?veloppent et grandissent avec les satisfactions qu'une certaine position ind?pendante et forte semble placer ? l'abri des lois et de la honte. Il aimait ? battre ses chiens, bient?t il battit ses prostitu?es. Leurs chansons et leurs rires ne l'animaient plus, leurs injures et leurs cris le r?veill?rent un peu. A mesure que l'animal se d?veloppait dans son cerveau appesanti, le dieu s'?teignait dans tout son ?tre. L'intelligence inactive sentait des forces sans but, le coeur se rongeait dans un ennui sans terme, dans une souffrance sans nom. Trenmor n'avait rien ? aimer. Autour de lui tout ?tait vil et corrompu: il ne savait pas o? il e?t pu trouver des coeurs nobles, il n'y croyait pas. Il m?prisait ce qui ?tait pauvre, on lui avait dit que la pauvret? engendre l'envie; et il m?prisait l'envie, parce qu'il ne comprenait pas qu'elle support?t la pauvret? sans se r?volter. Il m?prisait la science, parce qu'il ?tait trop tard pour qu'il en compr?t les bienfaits; il n'en voyait que les r?sultats applicables ? l'industrie, et il lui paraissait plus noble de les payer que de les vendre. Les savants lui faisaient piti?, et il e?t voulu les enrichir pour leur donner les jouissances de la vie. Il m?prisait la sagesse, parce qu'il avait des forces pour le d?sordre et qu'il prenait l'aust?rit? pour de l'impuissance; et, au milieu de toute cette v?n?ration pour la richesse, de tout cet amour du scandale, il y avait une incons?quence inexplicable; car le d?go?t ?tait venu le chercher au sein de ses f?tes. Tous les ?l?ments de son ?tre ?taient en guerre les uns contre les autres. Il d?testait les hommes et les choses qui lui ?taient devenus n?cessaires; mais il repoussait tout ce qui e?t pu le d?tourner de ses voies maudites et calmer ses angoisses secr?tes. Bient?t il fut pris d'une sorte de rage, et il sembla que son temple d'or, que son atmosph?re de volupt?s lui fussent devenus odieux. On le vit briser ses meubles, ses glaces et ses statues au milieu de ses orgies et les jeter par les fen?tres au peuple ameut?. On le vit souiller ses lambris superbes et semer son or en pluie sans autre but que de s'en d?barrasser, couvrir sa table et ses mets de fiel et de fange et jeter loin de lui dans la boue des chemins ses femmes couronn?es de fleurs. Leurs larmes lui plaisaient un instant, et quand il les maltraitait il croyait trouver l'expression de l'amour dans celle d'une douleur cupide et d'une crainte abjecte; mais, bient?t revenu ? l'horreur de la r?alit?, il fuyait ?pouvant? de tant de solitude et de silence au milieu de tant d'agitation et de rumeur. Il s'enfuyait dans ses jardins d?serts, d?vor? du besoin de pleurer; mais il n'avait plus de larmes, parce qu'il n'avait plus de coeur; de m?me qu'il n'avait pas d'amour parce qu'il n'avait pas de Dieu; et ces crises affreuses se terminaient, apr?s des convulsions fr?n?tiques, par un sommeil pire que la mort. Je m'arr?te ici pour aujourd'hui. Votre ?ge est celui de l'intol?rance, et vous seriez trop violemment ?tourdi si je vous disais en un seul jour tout le secret de Trenmor. Je veux laisser cette partie de mon r?cit faire son impression: demain je vous dirai le reste. Vous avez raison de me m?nager: ce que j'apprends m'?tonne et me bouleverse. Mais vous me supposez bien de l'int?r?t de reste si vous croyez que je suis ainsi ?mu des secrets de Trenmor. C'est votre jugement sur tout ceci qui me trouble. Vous ?tes donc bien au-dessus des hommes pour traiter si l?g?rement les crimes que l'on commet envers eux? Cette question est peut-?tre injurieuse, peut-?tre l'humanit? est-elle si m?prisable que moi-m?me je vaux mieux qu'elle; mais pardonnez aux perplexit?s d'un enfant qui ne sait rien encore de la vie r?elle. Tout ce que vous dites produit sur moi l'effet d'un soleil trop ardent sur des yeux accoutum?s ? l'obscurit?. Et pourtant je sens que vous me m?nagez beaucoup la lumi?re, par amiti? ou par compassion... O Dieu! que me reste-t-il donc ? apprendre? Quelles illusions ont donc berc? ma jeunesse? Trenmor n'est pas m?prisable, dites-vous; ou, s'il l'est aux yeux des ?tres sup?rieurs, il ne peut l'?tre aux miens. Je n'ai pas le droit de le juger et de dire: < Mais si cet homme est grand, s'il a en lui un tel luxe d'?nergie, que ne s'en sert-il pour r?primer de si funestes penchants? pourquoi fait-il un mauvais usage de sa force? Les pirates et les bandits sont donc grands aussi? Celui qui se distingue par des crimes audacieux ou des vices d'exception est donc un homme devant qui la foule ?mue doit s'ouvrir avec respect? Il faut donc ?tre un h?ros ou un monstre pour vous plaire?... Peut-?tre. Quand je songe ? la vie pleine et agit?e que vous devez avoir eue, quand je vois combien d'illusions sont mortes pour vous, combien de lassitude et d'?puisement il y a dans vos id?es, je me dis qu'une destin?e obscure et terne comme la mienne ne peut ?tre pour vous qu'un fardeau inutile et qu'il faut des impressions insolites et violentes pour r?veiller les sympathies de votre ?me blas?e. Eh bien! dites-moi un mot qui m'encourage, L?lia! dites-moi ce que vous voulez que je sois, et je le serai. Vous croyez peut-?tre que l'amour d'une femme ne peut donner la m?me ?nergie que l'amour de l'or... Continuez, continuez cette histoire; elle m'int?resse horriblement, car c'est une r?v?lation de votre ?me, apr?s tout; de cette ?me profonde, mobile, insaisissable, que je cherche toujours et que je ne p?n?tre jamais. Sans doute vous valez beaucoup mieux que nous, jeune homme; que votre orgueil se rassure. Mais dans dix ans, dans cinq ans m?me, vaudrez-vous Trenmor, vaudrez-vous L?lia? Cela est une question. Tel que vous voil?, je vous aime, ? jeune po?te! Que ce mot ne vous effraie, ni ne vous enivre. Je ne pr?tends pas vous donner ici la solution du probl?me que vous attendez. Je vous aime pour votre candeur, pour votre ignorance de toutes les choses que je sais, pour cette grande jeunesse morale dont vous ?tes si impatient de vous d?pouiller, imprudent que vous ?tes! Je vous aime d'une autre affection que Trenmor; malgr? ses malheurs, je trouve moins de charme dans l'entretien de cet homme que dans le v?tre, et je vous expliquerai tout ? l'heure pourquoi je me sacrifie au point de vous quitter quelquefois pour ?tre avec lui. Avant de continuer mon r?cit pourtant, je r?pondrai ? une de vos questions. Pourquoi, dites-vous, cet homme si puissant de volont? n'a-t-il pas employ? sa force ? se r?primer? Pourquoi!... heureux St?nio!--Mais comment donc concevez-vous la nature de l'homme? Qu'augurez-vous de sa puissance?--Qu'attendez-vous donc de vous-m?me, h?las! St?nio, tu es bien imprudent de venir te jeter dans notre tourbillon! Vois ce que tu me forces ? te dire!... Les hommes qui r?priment leurs passions dans l'int?r?t de leurs semblables, ceux-l?, vois-tu, sont si rares que je n'en ai pas encore rencontr? un seul.--J'ai vu des h?ros d'ambition, d'amour, d'?go?sme, de vanit? surtout!--De philanthropie?... Beaucoup s'en vant?rent ? moi, mais ils mentaient par la gorge, les hypocrites! Mon triste regard plongeait au fond de leur ?me et n'y trouvait que vanit?. La vanit? est, apr?s l'amour, la plus belle passion de l'homme, et sache, pauvre enfant, qu'elle est encore bien rare. La cupidit?, le grossier orgueil des distinctions sociales, la d?bauche, tous les vils penchants, la paresse m?me, qui est pour quelques-uns une passion st?rile, mais opini?tre, voil? les ambitions qui meuvent la plupart des hommes. La vanit?, au moins, c'est quelque chose de grand dans ses effets. Elle nous force ? ?tre bons, par l'envie que nous avons de le para?tre; elle nous pousse jusqu'? l'h?ro?sme, tant il est doux de se voir port? en triomphe, tant la popularit? a de puissantes et adroites s?ductions! Et la vanit? est quelque chose qui ne s'avoue jamais. Les autres passions ne peuvent se donner le change: la vanit? peut se cacher derri?re un autre mot, que les dupes acceptent.--La philanthropie!--O mon Dieu! quelle pu?rile fausset?! O? est-il l'homme qui pr?f?re le bonheur des autres hommes ? sa propre gloire? Le christianisme lui-m?me, qui a produit ce qu'il y a eu de plus h?ro?que sur la terre, le christianisme, qu'a-t-il pour base? L'espoir des r?compenses, un tr?ne ?lev? dans le ciel. Et ceux qui ont fait ce grand code, le plus beau, le plus vaste, le plus po?tique monument de l'esprit humain, savaient si bien le coeur de l'homme, et ses vanit?s, et ses petitesses, qu'ils ont arrang? en cons?quence leur syst?me de promesses divines. Lisez les ?crits des ap?tres, vous y verrez qu'il y aura des distinctions dans le ciel, diff?rentes hi?rarchies de bienheureux, des places choisies, une milice organis?e r?guli?rement avec ses chefs et ses degr?s. Adroit commentaire de ces paroles du Christ:--Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers! Mais pour ceux qui rentrent en eux-m?mes, et qui s'interrogent s?rieusement, pour ceux qui se d?pouillent de ces chim?res dor?es de la jeunesse et qui entrent dans l'aust?re d?senchantement de l'?ge m?r, pour les humbles, pour les tristes, pour les exp?riment?s, la parole du Christ semble se r?aliser d?s cette vie. Apr?s s'?tre cru fort, l'homme tomb? s'avoue ? lui-m?me son n?ant. Il se r?fugie dans la vie de la pens?e; il acquiert, par la patience et le travail, ce qu'il a cru poss?der dans l'ignorance et la vanit? des jeunes ann?es. Si vous vous enfoncez dans les campagnes d?sertes au lever du soleil, les premiers objets de votre admiration sont les plantes qui s'entr'ouvrent au rayon matinal. Vous choisissez parmi les plus belles fleurs celles que le vent d'orage n'a pas fl?tries, celles que l'insecte n'a pas rong?es, et vous jetez loin de vous la rose que la cantharide a infect?e la veille, pour respirer celle qui s'est ?panouie dans sa virginit? au vent parfum? de la nuit. Mais vous ne pouvez vivre de parfums et de contemplation. Le soleil monte dans le ciel: La journ?e s'avance; vos pas vous ont ?gar? loin des villes. La soif et la faim se font sentir. Alors vous cherchez les plus beaux fruits, et oubliant les fleurs d?j? fl?tries et d?sormais inutiles sur le premier gazon venu, vous choisissez sur les arbres la p?che que le soleil a rougie, la grenade dont la gel?e d'hiver a fendu l'?pre ?corce, la figue dont une pluie bienfaisante a d?chir? la robe satin?e. Et souvent le fruit que l'insecte a piqu?, ou que le bec de l'oiseau a entam?, est le plus vermeil et le plus savoureux. L'amande encore laiteuse, l'olive encore am?re, la fraise encore verte, ne vous attirent pas. Au matin de ma vie, je vous eusse pr?f?r? ? tout. Alors tout ?tait r?verie, symbole, espoir, aspiration po?tique. Les ann?es de soleil et de fi?vre ont pass? sur ma t?te, et il me faut des aliments robustes; il faut ? ma douleur, ? ma fatigue, ? mon d?couragement, non le spectacle de la beaut?, mais le secours de la force; non le charme de la gr?ce, mais le bienfait de la sagesse. L'amour e?t pu remplir autrefois mon ?me tout enti?re: aujourd'hui, il me faut surtout l'amiti?, une amiti? chaste et sainte, une amiti? solide, in?branlable. Cinq ans apr?s, le hasard me fit rencontrer, dans un sentier des montagnes, au bord de la mer, un homme p?le et grave qui marchait lentement, la t?te nue, le regard lev? vers le ciel. Je ne le reconnus pas, tant l'expression de sa figure avait chang?. Il vint ? moi et me parla. Sa voix ?tait chang?e aussi. Il se nomma, je lui tendis la main, et nous nous ass?mes sur un des rochers du rivage. Il me parla longtemps, et, en le quittant, j'avais jur? une ?ternelle piti?, comme j'ai jur? depuis un ?ternel respect ? l'infortun? qu'on appelle aujourd'hui Trenmor, et qui, durant cinq ann?es... En effet, c'est un secret terrible, et je dois sentir en mon coeur une grande reconnaissance pour l'homme qui n'a pas craint de me le confier! Vous m'estimez donc bien, L?lia, et il vous estime donc bien aussi, pour que ce secret soit venu de lui ? moi en si peu de temps? Eh bien! voil? qu'un lien sacr? est ?tabli entre nous trois, un lien dont j'ai frayeur pourtant, je ne vous le dissimule pas, mais que je n'ai plus le droit de d?nouer. Malgr? toutes vos pr?cautions oratoires, L?lia, je n'ai pu m'emp?cher d'?tre ?cras?. Quand je me suis souvenu qu'une heure avant le moment o? je lisais cela, j'avais vu cet homme presser votre main, votre main que je n'ai jamais os? toucher et que je ne vous ai encore vue offrir ? nul autre que lui, j'ai senti comme un froid de glace qui me tombait sur le coeur. Vous, faire alliance avec cet homme fl?tri! Vous ang?lique, vous ador?e ? genoux, vous la soeur des blanches ?toiles, je vous ai suppos?e un instant la soeur d'un...! Je n'?crirai pas ce mot.--Et voil? que maintenant vous ?tes plus que sa soeur! Une soeur n'e?t fait que son devoir en lui pardonnant. Vous vous ?tes faite volontairement son amie, sa consolation, son ange; vous avez ?t? vers lui, vous avez dit: < Quant ? vous! L?lia, je vous plains, et je me plains aussi d'?tre votre disciple et votre esclave. Vous connaissez beaucoup trop la vie pour ?tre heureuse; j'esp?re encore que le malheur vous a aigrie, que vous exag?rez le mal; je repousse encore cette accablante insinuation de votre lettre:--que les meilleurs parmi les hommes sont les plus vains, et que l'h?ro?sme est une chim?re! Tu le crois, pauvre L?lia! pauvre femme! tu es malheureuse, je t'aime! Trenmor n'avait qu'un moyen de m?riter mon amiti?: c'?tait de l'accepter, et il l'a fait. Il n'a pas craint de se fier ? mes promesses, il n'a pas cru que cette g?n?rosit? serait au-dessus de mes forces. Au lieu d'?tre humble et craintif devant moi, il est calme, il se repose sur ma d?licatesse, il n'est pas sur la d?fensive, et ne suppose pas que je puisse l'humilier et lui faire sentir le poids de ma protection. Vraiment, cet homme a l'?me noble et grande, et nulle amiti? ne m'a plus flatt?e que la sienne. Jeune orgueilleux, car c'est vous qui l'?tes! osez-vous bien vous ?lever au-dessus de cet homme que la foudre a renvers?? Parce qu'il a ?t? entra?n? par la fatalit?, parce que, n? sous une ?toile funeste, il s'est ?gar? ? travers les ?cueils, vous lui reprochez sa chute, vous vous d?tournez de lui alors que, sanglant et bris?, vous le voyez sortir de l'ab?me! Ah! vous ?tes du monde, vous! Vous partagez bien ses inexorables pr?jug?s, ses ?go?stes vengeances! Quand le p?cheur est encore debout, vous le tol?rez encore; mais sit?t qu'il est ? terre, vous le foulez aux pieds, vous ramassez les pierres et la boue du chemin pour faire comme fait la foule, pour qu'en voyant votre cruaut? les autres bourreaux croient ? votre justice. Vous auriez peur de lui montrer un peu de piti?, car on pourrait l'interpr?ter mal, et croire que vous ?tes le fr?re ou l'ami de la victime. Et si l'on supposait que vous ?tes capable des m?mes forfaits, si l'on disait de vous: < N'ayez-vous pas pleur? chaque fois que vous avez lu l'histoire de cette jeune fille qui, voyant marcher ? la mort un illustre infortun?, fendit la presse des curieux indiff?rents, et ne sachant quel t?moignage d'int?r?t lui donner, pauvre et simple enfant qu'elle ?tait, lui offrit une rose qu'elle avait ? la main, une rose pure et suave comme elle, une rose que son amant peut-?tre lui avait donn?e, et qui fut le seul, le dernier t?moignage d'affection et de piti? que re?ut un prince marchant au supplice? N'?tes-vous pas touch? aussi, dans la sublime histoire du l?preux d'Aoste, de l'action naturelle et simple du narrateur qui lui tend la main? Pauvre l?preux, qui n'avait pas touch? la main de son semblable depuis tant d'ann?es, qui eut tant de peine ? refuser cette main amie, et qui pourtant la refusa dans la crainte de l'infecter de son mal!... Eh bien! si je vous disais que, loin de consid?rer ma conduite comme un acte de mis?ricorde, j'?prouve pour cet homme une sorte de respect enthousiaste! Si je vous disais que tel que le voil?, bris?, fl?tri, perdu, je le trouve plus haut plac? dans la vie morale qu'aucun de nous! Savez-vous comment il a support? son malheur? Vous vous seriez tu?, vous; certes, avec votre fiert?, vous n'eussiez pas accept? le ch?timent, de l'infamie. Eh bien! il s'est soumis, il a trouv? que le ch?timent ?tait juste, qu'il l'avait m?rit?, non pas tant pour son crime que pour le mal qu'il avait fait ? son ?me durant le cours de plusieurs ann?es. Et puisqu'il avait m?rit? ce ch?timent, il a voulu le subir. Il l'a subi. Il a v?cu cinq ans, fort et patient, parmi ses abjects compagnons. Il a dormi sur la pierre ? c?t? du parricide, il a support? le regard des curieux; il a v?cu cinq ans dans cette fange parmi ces b?tes f?roces et venimeuses; il a subi le m?pris des derniers sc?l?rats et la domination des plus l?ches espions. Il a ?t? for?at, cet homme qui avait ?t? si riche et si voluptueux, cet homme d'habitudes raffin?es et de caprices despotiques! Celui qui volait sur les flots entour? de femmes, de parfums et de chants, dans sa gondole rapide; celui qui fatiguait de ses courses folles et aventureuses les plus beaux chevaux de l'Arabie, celui qui avait dormi sous le ciel de la Gr?ce comme Byron, cet homme qui avait ?puis? la vie de luxe et d'excitation sous toutes ses faces, il a ?t? se retremper, se rajeunir et se r?g?n?rer au bagne! Et cet ?gout infect, o? trouvent encore moyen de se pervertir le p?re qui a vendu ses filles et le fils qui a empoisonn? sa m?re, le bagne, d'o? l'on sort d?figur? et rampant comme les b?tes, Trenmor en est sorti debout, calme, p?le comme vous le voyez, mais beau encore comme la cr?ature de Dieu, comme le reflet que la Divinit? projette sur le front de l'homme purifi?. Le lac ?tait calme ce soir-l?, calme comme les derniers jours de l'automne, alors que le vent d'hiver n'ose pas encore troubler les flots muets, et que les gla?euls roses de la rive dorment, berc?s par de molles ondulations. De p?les vapeurs mang?rent insensiblement les contours anguleux de la montagne, et, se laissant tomber sur les eaux, sembl?rent reculer l'horizon, qu'elles finirent par effacer. Alors la surface du lac sembla devenir aussi vaste que celle de la mer. Nul objet riant ou bizarre ne se dessina plus dans la vall?e: il n'y eut plus de distraction possible, plus de sensation impos?e par les images ext?rieures. La r?verie devint solennelle et profonde, vague comme le lac brumeux, immense comme le ciel sans bornes. Il n'y avait plus dans la nature que les cieux et l'homme, que l'?me et le doute. Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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