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Read Ebook: Les morts commandent by Blasco Ib Ez Vicente Delaunay Berthe Translator
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 1325 lines and 70147 words, and 27 pagesTranslator: Berthe Delaunay Les morts commandent DU M?ME AUTEUR LA TRAG?DIE SUR LE LAC . TERRES MAUDITES, chez Calmann-L?vy . FLEUR DE MAI, chez Calmann-L?vy . DANS L'OMBRE DE LA CATH?DRALE, chez Calmann-L?vy . AR?NES SANGLANTES, chez Calmann-L?vy . LA HORDE, chez Calmann-L?vy . LES QUATRE CAVALIERS DE L'APOCALYPSE, chez Calmann-L?vy . L'INTRUS, chez Fasquelle . LES ENNEMIS DE LA FEMME, chez Calmann-L?vy . E. GREVIN--IMPRIMERIE DE LAGNY Les morts commandent ROMAN PARIS ERNEST FLAMMARION, ?DITEUR Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation r?serv?s pour tous les pays. Droits de traduction et de reproduction r?serv?s pour tous les pays. Copyright 1922, by ERNEST FLAMMARION. Les morts commandent PREMI?RE PARTIE Jaime Febrer se leva ? neuf heures du matin. Mado Antonia, qui l'avait vu na?tre, servante pleine de respect pour son illustre famille, se contentait d'aller et de venir depuis une heure dans la chambre, pour t?cher de l'?veiller. Jugeant insuffisante la lumi?re qui p?n?trait par l'imposte d'une large fen?tre, elle ouvrit les vantaux de bois vermoulu o? les vitres manquaient. Puis elle tira les rideaux de damas rouge, galonn? d'or, qui, en forme de tente, enveloppaient le vaste lit, antique et majestueux, o? avaient vu le jour, s'?taient reproduites et ?teintes, plusieurs g?n?rations de Febrer. Mado en dialecte majorquin est une abr?viation de Madona, et s'emploie parmi les gens du peuple, comme en fran?ais le mot < La veille, en rentrant du cercle, Jaime avait instamment recommand? ? Mado Antonia de le r?veiller de bonne heure, car il ?tait invit? ? d?jeuner ? Valldemosa. Allons, debout! C'?tait une splendide matin?e de printemps. Dans le jardin, les oiseaux p?piaient en choeur, sur les branches fleuries, balanc?es par brise, qui venait de la mer voisine, par-dessus le mur. La domestique, voyant que monsieur s'?tait enfin d?cid? ? quitter le lit, se dirigea vers la cuisine. Jaime Febrer se mit ? circuler dans la pi?ce, devant la fen?tre ouverte, que partageait en deux parties une mince colonnette. Il s'?tait endormi tard, inquiet et nerveux, en songeant ? l'importance de la d?marche qu'il allait entreprendre le lendemain matin. Pour secouer la torpeur que laisse un sommeil trop court, il rechercha avidement la r?confortante caresse de l'eau froide. En se lavant dans sa pauvre petite cuvette d'?tudiant, Febrer jeta sur elle un regard plein de tristesse. Quelle mis?re! Il manquait des commodit?s les plus rudimentaires, dans cette demeure seigneuriale. La pauvret? se manifestait ? chaque pas dans ces salons, dont l'aspect rappelait ? Jaime les splendides d?cors qu'il avait vus dans certains th??tres, au cours de ses voyages ? travers l'Europe. Comme s'il ?tait un ?tranger, entrant pour la premi?re fois dans sa chambre ? coucher, Febrer admira cette pi?ce monumentale au plafond ?lev?. Ses puissants a?eux avaient construit pour des g?ants. Chacune des salles ?tait aussi vaste qu'une maison moderne. Toutes les baies de l'?difice manquaient de vitres, et l'on ?tait contraint, cet hiver, de tenir tous les vantaux ferm?s, ce qui ne permettait ? la lumi?re de p?n?trer que par les impostes, dont les carreaux fendus ?taient obscurcis par le temps. L'absence de tapis laissait ? d?couvert le carrelage en pierre siliceuse et tendre de Majorque, d?coup?e en fins rectangles, comme des lames de parquet. Les plafonds laissaient encore apercevoir l'antique splendeur des caissons, les uns de bois sombre, ing?nieusement assembl?s, les autres de vieil or mat, o? se d?tachaient les armoiries de la famille. Les murs, tr?s hauts, simplement blanchis ? la chaux, disparaissaient dans certaines pi?ces, sous des files de tableaux anciens, ou sous les plis de somptueuses tentures aux vives couleurs, que le temps ne pouvait effacer. La chambre ? coucher de Jaime ?tait orn?e de huit grandes tapisseries, repr?sentant des jardins, de longues all?es bord?es d'arbres au feuillage automnal, aboutissant ? des ronds-points, o? gambadaient des biches, o? l'eau tombait goutte ? goutte dans de triples vasques. Au-dessus des portes ?taient accroch?s de vieux tableaux italiens d'une mi?vrerie fade, o? des enfants aux chairs ambr?es, jouaient avec des agneaux. Lui-m?me n'?tait-il pas semblable ? ce palais, enveloppe imposante et vide, sous laquelle brillaient jadis la gloire et la richesse de ses a?eux? Les Febrer, marchands ou soldats, avaient tous ?t? navigateurs. Leurs armes avaient ondul? sous la brise, brod?es sur les flammes ou les pavillons de plus de cinquante voiliers, les plus rapides de la marine Majorquine, qui allaient vendre l'huile des Bal?ares ? Alexandrie, embarquaient des ?pices, des soies et des parfums d'Orient aux Echelles du Levant, trafiquaient avec Venise, Pise et G?nes, ou, franchissant les Colonnes d'Hercule, s'enfon?aient dans les brumeuses mers du Nord, pour porter dans les Flandres et les R?publiques hans?atiques, les fa?ences des Morisques valenciens, nomm?es Ma?oliques par les ?trangers, parce qu'elles provenaient de Majorque. Ces perp?tuelles randonn?es ? travers des mers infest?es de pirates, avaient fait de cette famille de riches marchands, une tribu de vaillants soldats. Les Febrer avaient parfois livr? bataille aux corsaires turcs, grecs et alg?riens, ou, contractant avec eux des alliances, avaient escort? leurs flottes jusque dans les mers du Nord, pour affronter les pirates anglais. Une fois m?me, ils avaient attaqu?, ? l'entr?e du Bosphore, les gal?res g?noises qui monopolisaient le commerce de Byzance. Plus tard, cette dynastie de marins batailleurs, renon?ant ? la navigation commerciale, avait donn? son sang pour d?fendre des royaumes chr?tiens, et fait entrer quelques-uns de ses fils dans la sainte milice des Chevaliers de Malte. Du jour o? ils recevaient l'eau du bapt?me, les cadets portaient, cousue ? leurs langes, la croix blanche ? huit pointes, qui symbolise les huit B?atitudes. Quand ils avaient l'?ge d'homme, ils commandaient les gal?res de cet ordre belliqueux et finissaient leurs jours dans de riches Commanderies, o? ils contaient leurs prouesses ? leurs petits-neveux et faisaient soigner leurs infirmit?s et panser leurs blessures par des esclaves musulmanes avec lesquelles ils vivaient, en d?pit de leur voeu de chastet?. Des monarques fameux, passant par Majorque, avaient quitt? l'Alcazar d'Almudaina, pour visiter les Febrer dans leur palais. Quelques-uns avaient ?t? amiraux des flottes royales, d'autres gouverneurs de possessions lointaines; certains d'entre eux dormaient leur ?ternel sommeil sous les dalles de la cath?drale de La Valette, pr?s d'autres Majorquins illustres, et Jaime avait pu contempler leurs tombes, quand il avait visit? Malte. La Bourse de Palma, ?l?gant ?difice gothique, proche de la mer, avait ?t?, durant plusieurs si?cles, un fief de ses a?eux. Toutes les marchandises d?charg?es sur le m?le voisin ?taient pour les Febrer; et, dans l'immense salle hypostyle de la Bourse, pr?s des colonnes torses qui se perdaient dans la p?nombre des vo?tes, les anc?tres de Jaime recevaient avec un faste royal, les navigateurs d'Orient, v?tus de l'ample culotte pliss?e, les patrons g?nois et proven?aux au petit manteau surmont? d'un capuce, et les vaillants capitaines de l'?le, portant le rouge bonnet catalan. Les marchands v?nitiens envoyaient des meubles d'?b?ne, orn?s de menues incrustations d'ivoire et de lapis-lazuli, ou, dans leur cadre de cristal, de grandes glaces aux reflets azur?s. Les navigateurs, qui revenaient d'Afrique, apportaient des poign?es de plumes d'autruche, des d?fenses d'?l?phant, et ces tr?sors, avec beaucoup d'autres, allaient enrichir les salles du palais, parfum?es de myst?rieuses essences, pr?sents des correspondants asiatiques. Durant des si?cles, les Febrer avaient ?t? les interm?diaires entre l'Orient et l'Occident, et avaient fait de Majorque un d?p?t de produits exotiques, que leurs vaisseaux allaient ensuite porter ?? et l? en Espagne, en France, en Hollande. Les richesses affluaient chez eux avec une abondance fabuleuse. Il leur arriva m?me de pr?ter ? des rois. Et pourtant, Jaime, le dernier de leur race, la nuit pr?c?dente, apr?s avoir perdu au cercle les cent derni?res pesetas qu'il poss?dait, n'en avait pas moins ?t? forc?, pour aller le lendemain ? Valldemosa, d'emprunter de l'argent ? Toni Clap?s, le contrebandier, un homme grossier, mais d'une vive intelligence, au demeurant, le plus fid?le et le plus d?sint?ress? de ses amis. En se peignant, Jaime se regarda dans une glace ancienne, ray?e et trouble. A trente-six ans, il ?tait assez bien conserv?. Il ?tait laid, mais d'une laideur superbe, suivant le mot d'une femme, qui avait exerc? sur sa vie une certaine influence. Ce genre de laideur lui avait m?me valu quelques succ?s. Miss Mary Gordon, une blonde anglaise, sentimentale, fille du gouverneur d'un archipel oc?anien, avait rencontr? Jaime dans un h?tel de Munich. Frapp?e par sa ressemblance avec Wagner, dont il ?tait le vivant portrait, assurait-elle, miss Mary avait fait elle-m?me les premiers pas. Charm? de ce souvenir, Febrer souriait en contemplant dans la glace son front bomb?, dont le poids semblait ?craser ses yeux, imp?rieux et moqueurs, ombrag?s d'?pais sourcils. Son nez, aquilin et mince, ?tait celui de tous les Febrer, ces oiseaux de proie des solitudes marines. Sa bouche se crispait, d?daigneuse sous une fine moustache; son menton saillant ?tait couvert d'une barbe clairsem?e et soyeuse. D?licieuse miss Mary! Leurs joyeuses p?r?grinations ? travers l'Europe avaient dur? pr?s d'un an. Jaime se les rappelait encore avec une ?motion voil?e de regret, mais c'?tait un pass? d?j? lointain. A quoi bon le faire revivre dans son imagination d'homme blas? et las? Ah! les femmes! s'?cria-t-il d?daigneusement, en redressant son corps robuste, au dos un peu vo?t?, tant sa taille ?tait haute. Les femmes! depuis bien longtemps, elles avaient cess? de l'int?resser. Et puis, il se sentait vieillir, en d?pit des apparences. Quelques fils d'argent dans sa barbe, et des rides l?g?res aux coins des yeux r?v?laient la fatigue d'une vie < Cependant, tel qu'il ?tait, il plaisait encore, et c'?tait l'amour qui allait le sauver. Sa toilette termin?e, Jaime quitta sa chambre ? coucher et traversa un vaste salon, vivement ?clair? par le rayon du soleil qui p?n?trait par l'imposte des fen?tres aux volets clos. Le plancher restait encore dans la p?nombre, tandis que les murs, couverts d'immenses tapisseries, brillaient comme des jardins aux vives couleurs, o? se d?roulaient des sc?nes mythologiques et bibliques. Febrer, en passant devant ces richesses, h?rit?es des anc?tres, leur jeta un ironique regard. Aujourd'hui, plus rien de tout cela ne lui appartenait. Il y avait d?j? plus d'un an que toutes les tapisseries ?taient devenues la propri?t? de certains usuriers de Palma, qui toutefois avaient consenti ? les laisser pour quelque temps encore, accroch?es ? leur place. Elles y attendaient la venue de quelque riche amateur, qui les paierait plus largement en croyant les acheter ? leur propri?taire. Jaime n'en ?tait plus que le d?positaire, menac? de la prison, s'il s'en montrait infid?le gardien. En arrivant au milieu du salon, il se d?tourna quelque peu par habitude; mais il se mit ? rire, en voyant que rien ne lui barrait le chemin. Un mois auparavant, il y avait encore l? une table italienne, faite de divers marbres pr?cieux, rapport?e d'une de ses exp?ditions de corsaire par le fameux Commandeur don Priamo Febrer. Poursuivant son chemin, il ne rencontra que le vide, l? o? il voyait d'ordinaire un ?norme brasero d'argent repouss?. H?las! il l'avait vendu au poids du m?tal. L'absence de cet objet pr?cieux le fit souvenir d'une cha?ne d'or, pr?sent de Charles-Quint ? l'un de ses anc?tres, cha?ne qu'il avait ?galement vendue ? Madrid, quelques ann?es auparavant, au poids du m?tal, avec un suppl?ment de deux onces d'or, pour la beaut? du travail. Jaime avait appris que cette cha?ne avait ?t? revendue cent mille francs ? Paris... En se livrant ? ces p?nibles pens?es, il se dirigea vers la vaste cuisine o? se pr?paraient jadis les banquets c?l?bres, donn?s par les Febrer aux parasites dont ils ?taient entour?s. Mado Antonia paraissait plus petite encore, dans cette immense pi?ce au plafond ?lev?. Elle ?tait assise aupr?s de la grande chemin?e dont l'?tre pouvait contenir des troncs d'arbre. La glaciale propret? de cette pi?ce prouvait qu'elle n'?tait plus utilis?e. Aux murs, de nombreux crochets vides d?non?aient l'absence des brillants ustensiles de cuivre, qui avaient orn? cette cuisine, digne d'un couvent. Maintenant, la vieille servante pr?parait ses rago?ts sur un tout petit fourneau, plac? ? c?t? du p?trin. D'une voix forte, Jaime appela Mado Antonia, et p?n?tra dans la petite salle ? manger o? les derniers des Febrer prenaient leurs repas. Mais l? aussi, la mis?re avait laiss? sa trace. La longue table ?tait recouverte d'une toile cir?e toute fendill?e; les dressoirs ?taient presque vides; les anciennes fa?ences, ? mesure qu'elles ?taient cass?es, avaient ?t? remplac?es par des assiettes et des pots de fabrication grossi?re. Au fond, deux fen?tres ouvertes encadraient deux rectangles de mer d'un bleu intense et mobile, palpitant sous les feux du soleil. Pr?s de ces fen?tres, quelques palmiers balan?aient mollement leurs ?ventails. A l'horizon se d?tachaient les ailes blanches d'une go?lette se dirigeant vers Palma, avec la lenteur d'une mouette fatigu?e. En entrant, Mado Antonia posa sur la table une grande tasse de caf? au lait, avec une tartine de pain beurr?e. Jaime se mit ? d?jeuner de grand app?tit, cependant il fit la grimace en go?tant son pain: --Il est bien dur, n'est-ce pas? dit la servante en majorquin; il ne vaut pas les petits pains que monsieur mange au cercle; mais ce n'est pas ma faute. Je voulais p?trir la p?te hier, mais je n'avais plus de farine, et j'attendais le fermier de Son Febrer qui devait apporter sa redevance... Ah! les gens sont bien ingrats et bien oublieux! Et la vieille servante exprima longuement son m?pris pour le fermier de Son Febrer, la derni?re terre qui rest?t ? Jaime. A cette ?vocation, celui-ci songeait que ce domaine ne lui appartenait plus, bien qu'il en f?t officiellement le propri?taire. Cette terre, la plus fertile, la plus riche de son h?ritage, qui portait le nom de sa famille, il l'avait hypoth?qu?e, et il allait la perdre d'un moment ? l'autre. Le modique revenu qu'il en tirait, conform?ment aux usages du pays, lui servait uniquement ? payer les int?r?ts des divers emprunts qu'il avait contract?s, mais en partie seulement, et comme ses dettes ne faisaient que s'accro?tre, il ne lui restait plus que les redevances en nature. A No?l et ? P?ques, il recevait une couple d'agneaux avec une douzaine de volailles; en automne, deux porcs bien engraiss?s, des oeufs et une certaine quantit? de farine, sans compter les fruits de saison. De ces produits Mado Antonia faisait deux parts: l'une pour la consommer, l'autre pour la vendre. C'?tait ainsi que Jaime et sa servante vivaient dans la solitude du palais, ? l'abri de la curiosit? publique, comme deux naufrag?s dans un ?lot. Mais depuis quelque temps, les redevances se faisaient de plus en plus attendre. Le fermier, avec cet ?go?sme de paysan, qui lui fait abandonner les malheureux, ne s'empressait gu?re de tenir ses engagements. Il savait que l'h?ritier du majorat n'?tait plus le v?ritable propri?taire de Son Febrer, et maintes fois, en entrant dans la ville avec ses provisions, il se d?tournait pour les d?poser chez les cr?anciers de Jaime, redoutables personnages qu'il tenait ? m?nager. Add to tbrJar First Page Next Page |
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