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Munafa ebook

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Read Ebook: Œuvres Complètes de Chamfort (Tome 1) Recueillies et publiées avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur. by Chamfort S Bastien Roch Nicolas Auguis P R Pierre Ren Editor

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Ebook has 1384 lines and 116326 words, and 28 pages

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.

OEUVRES

COMPL?TES

DE CHAMFORT.

TOME PREMIER.

DE L'IMPRIMERIE DE DAVID,

RUE DU FAUBOURG POISSONNI?RE, No 1.

OEUVRES COMPL?TES DE CHAMFORT,

RECUEILLIES ET PUBLI?ES, AVEC UNE NOTICE HISTORIQUE SUR LA VIE ET LES ?CRITS DE L'AUTEUR,

PAR P. R. AUGUIS.

TOME PREMIER.

PARIS. CHEZ CHAUMEROT JEUNE, LIBRAIRE, PALAIS-ROYAL, GALERIES DE BOIS, No 189.

NOTICE HISTORIQUE

SUR LA VIE ET LES ?CRITS

DE CHAMFORT.

Il n'aurait ?t? d'aucun avantage pour la m?moire de Chamfort qu'il e?t tenu aux familles les plus distingu?es; il aurait d? ?tre aussi tout ? fait indiff?rent que Nicolas ait ?t? sans naissance, et m?me, pour ainsi dire, sans famille, s'il n'en ?tait trop souvent r?sult? pour lui le malheur de jeter sur la soci?t? un coup-d'oeil amer, de prendre de bonne heure en haine ses institutions, et de s'habituer ? regarder comme les plus contraires au bonheur et ? la morale, celles l? m?me qui ont ?t? cr??es pour la garantir. S'il y a peu de m?rite ? tenir son ?me au niveau d'une situation ?lev?e , il y en a beaucoup ? l'?lever au-dessus d'une situation r?put?e basse; il y en a surtout ? se cr?er une morale pure et transcendante, quand on se trouve, en naissant, plac? comme en contradiction avec les notions de la morale la plus vulgaire.

Il ne pouvait travailler que dans les intervalles de sant? que la maladie lui laissait. Il esp?ra que les eaux de Barr?ge seraient plus efficaces que celles de Contrexeville; mais, ? d?faut de sant?, il y trouva plusieurs dames de la cour, qui prirent un go?t particulier ? sa conversation ing?nieuse et piquante. A son retour, la duchesse de Grammont l'engagea ? s'arr?ter ? Chanteloup, chez le duc de Choiseul son fr?re, qui devait lui-m?me une grande partie de sa r?putation ? l'amabilit? de son esprit, et qui fut charm? de celui de Chamfort. En effet, quand il ne voulait ?tre qu'homme du monde, il ?tait pr?cis?ment ce qu'il fallait pour y plaire.

Il s'?tait retir? en auteur d?go?t? des grands, du monde, et des succ?s litt?raires. Une femme aimable, dont il fit la connaissance ? Boulogne, lui tint lieu, pendant six mois, de tout ce qu'il voulait oublier. La mort vint rompre des liens que l'habitude n'aurait pas tard? ? rel?cher. Retomb? dans une morne m?lancolie, Chamfort en fut tir? par M. de Choiseul-Gouffier, qui l'emmena avec lui en Hollande; le comte de Narbonne ?tait du voyage; son esprit vif et ?tincelant puisait de nouvelles saillies dans celui de Chamfort.

Admis ? l'Acad?mie fran?aise, ? la place de Sainte-Palaye, il pronon?a un discours de r?ception, qui est rest? un des morceaux les plus remarquables de ce genre. Depuis que son esprit et ses succ?s l'avaient lanc? dans le grand monde, il n'y ?tait pas rest? spectateur oisif, ni, si l'on veut, spectateur b?n?vole; les vices qu'on appelait aimables, les ridicules consacr?s et pass?s en usage, avaient fix? ses regards; et c'?tait par le plaisir de les peindre qu'il se d?domageait souvent de l'ennui et de la fatigue de les voir. Ses contes, o? la science des moeurs ?tait, comme dans la soci?t?, rev?tue d'expressions spirituellement d?centes, devinrent une galerie de portraits frappans de ressemblance; et dans ses tableaux malins, piquans et vari?s, le peintre habile eut l'art d'amuser surtout ses mod?les. C'?tait ? qui se ferait son ami, croyant trouver dans l'amiti? un abri s?r contre les traits de la malignit?. Mais Chamfort ne prenait pas le change sur la nature de cet empressement. <> Mirabeau chercha et saisit l'occasion de se lier avec lui. Entre ces deux hommes, si diff?rens en apparence, il s'?tablit promptement une v?ritable intimit?, qui eut sa source dans le besoin que Mirabeau, d?vor? de la soif de la gloire litt?raire, avait du talent de Chamfort; et dans l'amour-propre de Chamfort, que savait si bien caresser l'homme le plus habile qui fut jamais ? se faire des amis de ceux qui pouvaient lui ?tre utiles. Le caract?re principal de l'un s'alliait avec ce que l'autre avait d'accessoire. La force, l'imp?tuosit?, la sensibilit? passionn?e dominaient dans Mirabeau; la finesse d'observation, la d?licatesse ing?nieuse, dans Chamfort.

Il avait ?t? nomm? l'un des biblioth?caires de la Biblioth?que nationale, par le ministre Rolland; c'en fut assez. D?nonc? par un certain Tobiesen Duby, employ? subalterne dans le m?me ?tablissement, il fut arr?t? avec ses coll?gues, et conduit aux Madelonnettes. Il n'en sortit que pour rester sous la surveillance d'un gendarme, qui ne le quittait pas. Il avait con?u pour la prison une horreur profonde, et jurait de mourir plut?t que de s'y laisser reconduire. Cependant la tyrannie ?rig?e par le crime, appuy?e sur la terreur publique, devenait de jour en jour plus cruelle; on signifie brusquement ? Chamfort qu'il faut retourner dans une maison d'arr?t; il se souvient de son serment: sous pr?texte de faire ses pr?paratifs, il se retire dans une pi?ce voisin?, s'y renferme, charge un pistolet, veut le tirer sur son front, se fracasse le haut du nez et s'enfonce l'oeil droit. ?tonn? de vivre et r?solu de mourir, il saisit un rasoir, essaie de se couper la gorge, y revient ? plusieurs reprises, et se met les chairs en lambeaux; l'impuissance de sa main ne change rien aux r?solutions de son ?me; il se porte plusieurs coups vers le coeur, et commen?ant ? d?faillir, il t?che par un dernier effort de se couper les deux jarrets, et de s'ouvrir les veines. Enfin, vaincu par la douleur, il pousse un cri et se jette sur un si?ge. Les personnes qui se trouvaient chez lui, et avec lesquelles il venait de d?ner, averties de ce qui se passait par le bruit du coup de pistolet et par le sang qui coule ? flots sous la porte, se pressent autour de Chamfort pour ?tancher le sang avec des mouchoirs, des linges, des bandages; mais lui, d'une voix ferme, d?clare qu'il a voulu mourir en homme libre, plut?t que d'?tre reconduit en esclave dans une maison d'arr?t, et que si, par violence, on s'obstinait ? l'y tra?ner dans l'?tat o? il est, il lui reste assez de force pour achever ce qu'il a commenc?. <> Il signa cette d?claration o? respire l'?nergie du plus ferme caract?re; et sans daigner s'apercevoir qu'il pouvait ?tre entendu des nombreux agens de la tyrannie, il continua de s'expliquer librement sur les motifs de l'action qu'il venait de commettre. Il disait ? ses amis: <> C'?tait ainsi qu'il l'appelait depuis l'apoth?ose de Marat. Contre son attente, les progr?s de la gu?rison furent tr?s-rapides; il s'amusait ? traduire les ?pigrammes de l'anthologie; et, tout meurtri des coups qu'il s'?tait port?s pour se soustraire ? ceux de la tyrannie, il ne craignait pas de se montrer aux tyrans. Les tendres soins qu'il avait re?us de l'amiti? semblaient avoir adouci l'id?e du besoin qu'il en avait eu. <>

Toujours plus indign? des horreurs dont il avait voulu s'affranchir par la mort, on l'entendit dire plus d'une fois: <> Oblig?, par la perte presque totale de ses moyens d'existence et par les frais consid?rables de sa d?tention et de son traitement, ? vivre de privations, il alla s'?tablir, avec ce qui lui restait de ses livres, dans une modeste chambre de la rue Chabanais, sans regretter pourtant le temps o? il occupait un appartement au Palais-Bourbon, ou dans l'h?tel de M. de Vaudreuil. Il n'avait conserv?, de l'ancien ordre de choses, que le souvenir de ses abus, et du nouveau, que l'espoir que la libert? sortirait triomphante de la lutte sanglante dans laquelle l'anarchie, excit?e sourdement par le despotisme, l'avait engag?e.

Chamfort avait eu une jeunesse tr?s-orageuse; sa pauvret?, ses passions, son go?t exclusif pour les lettres, qui l'?loignait de toute occupation lucrative, donn?rent, ? son entr?e dans le monde un aspect qui put blesser des hommes aust?res; et ceux qui l'avaient suivi de moins pr?s depuis cette ancienne ?poque, pouvaient en avoir conserv? de f?cheuses impressions. La vivacit? de son esprit, le sel de ses r?parties, une certaine causticit? naturelle, qui fait trop souvent suspecter la bont? du caract?re, une invincible aversion pour la sottise confiante, et l'impossibilit? absolue de d?guiser ce sentiment, inspir?rent ? beaucoup de gens une sorte de crainte qu'il prenait trop peu de soin de dissiper, et qui, pour l'ordinaire, se change facilement en haine. La chaleur avec laquelle il avait embrass? la cause d'une r?volution qui heurtait tant de vieilles id?es et blessait tant d'int?r?ts, lui a fait, de tous les ennemis de cette r?volution, des ennemis personnels. Il avait pris, dans les r?unions politiques et dans les clubs, l'habitude de parler haut, de soutenir son opinion ? outrance, et de mettre la violence de la dispute ? la place de cette discussion polie et spirituelle dont lui-m?me avait ?t? le parfait mod?le. <>

Les ?v?nemens de la vie de Chamfort prouvent que la trempe de son ?me ?tait naturellement forte, et qu'habitu? de bonne heure ? lutter contre l'adversit?, il ne s'en laissa jamais abattre. La philosophie avait tellement renforc? en lui la nature, qu'apr?s avoir, pendant quelques ann?es, joui des douceurs de l'aisance, il sut, d?j? sur son d?clin, envisager avec courage et s?r?nit? une position presque aussi malheureuse que celle o? il avait pass? sa jeunesse. De l? cette fiert? qui ne savait composer avec rien de petit ni de servile, cet amour de l'ind?pendance qui repoussait toute cha?ne, f?t-elle d'or. Son plus grand malheur peut-?tre fut d'?tre trop t?t et trop compl?tement d?tromp? de toute illusion. Son apparente misantropie ?tait celle de J. J. Rousseau; il ha?ssait les hommes, mais parce qu'ils ne s'aimaient pas; et le secret de son caract?re est tout entier dans ces mots qu'il r?p?tait souvent: <>

FIN DE LA NOTICE SUR CHAMFORT.

OEUVRES

COMPL?TES

DE CHAMFORT.

?LOGE DE MOLI?RE.

Qui mores hominum inspexit....

HORACE.

Les cardinaux de Richelieu et Mazarin.

Le th??tre et la soci?t? ont une liaison intime et n?cessaire. Les po?tes comiques ont toujours peint, m?me involontairement, quelques traits du caract?re de leur nation; des maximes utiles, r?pandues dans leurs ouvrages, ont corrig? peut-?tre quelques particuliers; les politiques ont m?me con?u que la sc?ne pouvait servir ? leurs desseins; le tranquille Chinois, le pacifique P?ruvien allaient prendre au th??tre l'estime de l'agriculture, tandis que les despotes de la Russie, pour avilir aux yeux de leurs esclaves le patriarche dont ils voulaient saisir l'autorit?, le faisaient insulter dans des farces grotesques: mais que la com?die d?t ?tre un jour l'?cole des moeurs, le tableau le plus fid?le de la nature humaine, et la meilleure histoire morale de la soci?t?; qu'elle d?t d?truire certains ridicules, et que, pour en retrouver la trace, il fall?t recourir ? l'ouvrage m?me qui les a pour jamais an?antis: voil? ce qui aurait sembl? impossible avant que Moli?re l'e?t ex?cut?.

Jamais po?te comique ne rencontra des circonstances si heureuses: on commen?ait ? sortir de l'ignorance; Corneille avait ?lev? les id?es des Fran?ais; il y avait dans les esprits une force nationale, effet ordinaire des guerres civiles, et qui peut-?tre n'avait pas peu contribu? ? former Corneille lui-m?me: on n'avait point, ? la v?rit?, senti encore l'influence du g?nie de Descartes, et jusque-l? sa patrie n'avait eu que le temps de le pers?cuter; mais elle respectait un peu moins des pr?jug?s combattus avec succ?s, ? peu pr?s comme le superstitieux qui, malgr? lui, sent diminuer sa v?n?ration pour l'idole qu'il voit outrager impun?ment: le go?t des connaissances rapprochait des conditions jusqu'alors s?par?es. Dans cette crise, les moeurs et les mani?res anciennes contrastaient avec les lumi?res nouvelles; et le caract?re national, form? par des si?cles de barbarie, cessait de s'assortir, avec l'esprit nouveau qui se r?pandait de jour en jour. Moli?re s'effor?a de concilier l'un et l'autre. L'humeur sauvage des p?res et des ?poux, la vertu des femmes qui tenait un peu de la pruderie, le savoir d?figur? par le p?dantisme, g?naient l'esprit de soci?t? qui devenait celui de la nation; les m?decins, ?galement attach?s ? leurs robes, ? leur latin et aux principes d'Aristote, m?ritaient presque tous l'?loge que M. Diafoirus donne ? son fils, de combattre les v?rit?s les plus d?montr?es; le m?lange ridicule de l'ancienne barbarie et du faux bel-esprit moderne avait produit le jargon des pr?cieuses; l'ascendant prodigieux de la cour sur la ville avait multipli? les airs, les pr?tentions, la fausse importance dans tous les ordres de l'?tat, et jusque dans la bourgeoisie: tous ces travers et plusieurs autres se pr?sentaient avec une franchise et une bonne foi tr?s-commode pour le po?te comique: la soci?t? n'?tait point encore une ar?ne o? l'on se mesur?t des yeux avec une d?fiance d?guis?e en politesse; l'arme du ridicule n'?tait point aussi affil?e qu'elle l'est devenue depuis, et n'inspirait point une crainte pusillanime, digne elle-m?me d'?tre jou?e sur le th??tre: c'est dans un moment si favorable que fut plac?e la jeunesse de Moli?re. N? en 1620, d'une famille attach?e au service domestique du roi, l'?tat de ses parens lui assurait une fortune ais?e. Il eut des pr?jug?s ? vaincre, des repr?sentations ? repousser, pour embrasser la profession de com?dien; et cet homme, qui a obtenu une place distingu?e parmi les sages, parut faire une folie de jeunesse en ob?issant ? l'attrait de son talent. Son ?ducation ne fut pas indigne de son g?nie. Ce si?cle m?morable r?unissait alors sous un ma?tre c?l?bre trois disciples singuliers: Bernier, qui devait observer les moeurs ?trang?res; Chapelle, fameux pour avoir port? la philosophie dans une vie licencieuse; et Moli?re, qui a rendu la raison aimable, le plaisir honn?te et le vice ridicule. Ce ma?tre, si heureux en disciples, ?tait Gassendi, vrai sage, philosophe pratique, immortel pour avoir soup?onn? quelques v?rit?s prouv?es depuis par Newton. Cet ordre de connaissances, pour lesquelles Moli?re n'eut point l'aversion que l'agr?ment des lettres inspire quelquefois, d?veloppa dans lui cette sup?riorit? d'intelligence, qui peut le distinguer m?me des grands hommes ses contemporains. Il eut l'avantage de voir de pr?s son ma?tre combattre des erreurs accr?dit?es dans l'Europe, et il apprit de bonne heure ce qu'un esprit sage ne sait jamais trop t?t, qu'un seul homme peut quelquefois avoir raison contre tous les peuples et contre tous les si?cles. La force de cette ?ducation philosophique influa sur sa vie enti?re; et lorsque dans la suite il fut entra?n? vers le th??tre, par un penchant auquel il sacrifia m?me la protection imm?diate d'un prince, il m?la les ?tudes d'un sage ? la vie tumultueuse d'un acteur, et sa passion pour jouer la com?die tourna encore au profit de son talent pour l'?crire. Toutefois il ne se pressa point de para?tre; il remonta aux principes et ? l'origine de son art. Il vit la com?die na?tre dans la Gr?ce, et demeurer trop long-temps dans l'enfance. La trag?die l'avait devanc?e, et l'art de repr?senter les h?ros avait paru plus important que celui de ridiculiser les hommes.

Forc?s d'abandonner ce terrain trop vaste, saisissons du moins le g?nie de ce grand homme et le but philosophique de son th??tre. Je vois Moli?re, apr?s deux essais que ses chefs-d'oeuvres m?mes n'ont pu faire oublier, changer la forme de la com?die. Le comique ancien naissait d'un tissu d'?v?nemens romanesques, qui semblaient produits par le hasard, comme le tragique naissait d'une fatalit? aveugle: Corneille, par un effort de g?nie, avait pris l'int?r?t dans les passions; Moli?re, ? son exemple, renversa l'ancien syst?me; et, tirant le comique du fond des caract?res, il mit sur la sc?ne la morale en action, et devint le plus aimable pr?cepteur de l'humanit? qu'on e?t vu depuis Socrate. Il trouva, pour y r?ussir, des ressources qui manquaient ? ses pr?d?cesseurs: les diff?rens ?tats de la soci?t?, leurs pr?jug?s, leurs pr?ventions, leur admiration exclusive pour eux-m?mes, leur m?pris mutuel et inexorable, sont des pu?rilit?s r?serv?es aux peuples modernes. Les Grecs et les Romains, n'?tant point pour leur vie emprisonn?s dans un seul ?tat de la soci?t?, ne cherchaient point ? accr?diter des pr?jug?s en faveur d'une condition qu'ils pouvaient quitter le lendemain, ni ? jeter sur les autres un ridicule qui les exposait ? jouer un jour le r?le de ces maris honteux de leurs anciens traits satiriques contre un joug qu'ils viennent de subir.

C'est ce m?me sentiment des convenances, cette s?ret? de discernement qui ont guid? Moli?re, lorsque, mettant sur la sc?ne des vices odieux, comme ceux de Tartuffe et d'Harpagon, c'est un homme et non pas une femme qu'il offre ? l'indignation publique. Serait-ce que les grands vices, ainsi que les grandes passions, fussent r?serv?s ? notre sexe; ou que la n?cessit? de ha?r une femme f?t un sentiment trop p?nible, et d?t para?tre contre nature? S'il est ainsi, pourquoi, malgr? le penchant mutuel des deux sexes, cette indulgence n'est-elle pas r?ciproque? C'est que les femmes font cause commune; c'est qu'elles sont li?es par un esprit de corps, par une esp?ce de conf?d?ration tacite, qui, comme les ligues secr?tes d'un ?tat, prouve peut-?tre la faiblesse du parti qui se croit oblig? d'y avoir recours.

Mais si Moli?re a renforc? les traits de ses figures, jamais il n'a peint ? faux ni la nature, ni la soci?t?. Chez lui jamais de ces marquis burlesques, de ces vieilles amoureuses, de ces Aramintes folles ? dessein: personnages de convention parmi ses successeurs, et dont le ridicule forc?, ne peignant rien, ne corrige personne. Point de ces supercheries sans vraisemblance, de ces faux contrats qui concluent les mariages dans nos com?dies, et qui nous feront regarder par la post?rit? comme un peuple de dupes et de faussaires. S'il a mis sur la sc?ne des intrigues avec de jeunes personnes, c'est qu'alors on s'adressait ? elles plut?t qu'? leurs m?res, qui avaient rarement la pr?tention d'?tre les soeurs a?n?es de leurs filles. Jamais il ne montre ses personnages corrig?s par la le?on qu'ils ont re?ue. Il envoie le Misantrope dans un d?sert, le Tartuffe au cachot; ses jaloux n'imaginent qu'un moyen de ne plus l'?tre, c'est de renoncer aux femmes; le superstitieux Orgon, tromp? par un hypocrite, ne croira plus aux honn?tes gens: il croit abjurer son caract?re, et l'auteur le lui conserve par un trait de g?nie. Enfin, son pinceau a si bien r?uni la force et la fid?lit?, que, s'il existait un ?tre isol?, qui ne conn?t ni l'homme de la nature, ni l'homme de la soci?t?, la lecture r?fl?chie de ce po?te pourrait lui tenir lieu de tous les livres de morale et du commerce de ses semblables.

La trempe vigoureuse de son g?nie le mit sans effort au-dessus de deux genres qui ont depuis occup? la sc?ne. L'un est le comique attendrissant, trop admir?, trop d?cri?; genre inf?rieur qui n'est pas sans beaut?, mais qui, se proposant de tracer des mod?les de perfection, manque souvent de vraisemblance, et est peut-?tre sorti des bornes de l'art en voulant les reculer. L'autre est ce genre plus faible encore, qui, substituant ? l'imitation ?clair?e de la nature, ? cette v?rit? toujours int?ressante, seul but de tous les beaux-arts, une imitation pu?rile, une v?rit? minutieuse, fait de la sc?ne un miroir o? se r?p?tent froidement et sans choix les d?tails les plus frivoles; exclut du th??tre ce bel assortiment de parties heureusement combin?es, sans lequel il n'y a point de vraie cr?ation, et renouvellera parmi nous ce qu'on a vu chez les Romains, la com?die chang?e en simple pantomime, dont il ne restera rien ? la post?rit? que le nom des acteurs qui, par leurs talens, auront cach? la mis?re et la nullit? des po?tes.

Qui ne croirait, ? nous entendre, que tous les vices ont disparu de la soci?t?? Ceux m?mes contre lesquels Moli?re s'est ?lev?, croit-on qu'ils soient an?antis? N'est-il plus de Tartuffe? et, s'il en existe encore, pense-t-on qu'en renon?ant au manteau noir et au jargon mystique, ils aient renonc? ? la perfidie et ? la s?duction? Ce sont des criminels dont Moli?re a donn? le signalement au public, et qui sont cach?s sous une autre forme. Les ridicules m?me qu'il a d?truits n'en auraient-ils pas produit de nouveaux? Ne ressembleraient-ils pas ? ces v?g?taux dont la destruction en fait na?tre d'autres sur la terre qu'ils ont couverte de leurs d?bris? Tel est le malheur de la nature humaine. Gardons-nous d'en conclure qu'on ne doive point combattre les ridicules: l'intervalle qui s?pare la destruction des uns et la naissance des autres, est le prix de la victoire qu'on remporte sur eux. Que dirait-on d'un homme qui ne souhaiterait pas la fin d'une guerre ruineuse, sous pr?texte que la paix est rarement de longue dur?e?

FIN DE L'?LOGE DE MOLI?RE.

?LOGE DE LA FONTAINE.

Le plus modeste des ?crivains, La Fontaine, a lui-m?me, sans le savoir, fait son ?loge, et presque son apoth?ose, lorsqu'il a dit que,

Si l'apologue est un pr?sent des hommes, Celui qui nous l'a fait m?rite des autels.

C'est lui qui a fait ce pr?sent ? l'Europe; et c'est vous, messieurs, qui, dans ce concours solennel, allez, pour ainsi dire, ?lever en son honneur l'autel que lui donnait notre reconnaissance. Il semble qu'il vous soit r?serv? d'acquitter la nation envers deux de ses plus grands po?tes, ses deux po?tes les plus aimables. Celui que vous associez aujourd'hui ? Racine, non moins admirable par ses ?crits, encore plus int?ressant par sa personne, plus simple, plus pr?s de nous, compagnon de notre enfance, est devenu pour nous un ami de tous les momens. Mais, s'il est doux de louer La Fontaine; d'avoir ? peindre le charme de cette morale indulgente qui p?n?tre dans le coeur sans le blesser, amuse l'enfant pour en faire un homme, l'homme pour en faire un sage, et nous menerait ? la vertu en nous rendant ? la nature; comment d?couvrir le secret de ce style enchanteur, de ce style inimitable et sans mod?le, qui r?unit tous les tons sans blesser l'unit?? Comment parler de cet heureux instinct, qui sembla le diriger dans sa conduite comme dans ses ouvrages; qui se fait ?galement sentir dans la douce facilit? de ses moeurs et de ses ?crits, et forma, d'une ?me si na?ve et d'un esprit si fin, un ensemble si piquant et si original? Faudra-t-il raisonner sur le sentiment, disserter sur les gr?ces, et ennuyer nos lecteurs pour montrer comment La Fontaine a charm? les siens? Pour moi, messieurs, ?vitant de discuter ce qui doit ?tre senti, et de vous offrir l'analyse de la na?vet?, je t?cherai seulement de fixer vos regards sur le charme de sa morale, sur la finesse exquise de son go?t, sur l'accord singulier que l'un et l'autre eurent toujours avec la simplicit? de ses moeurs; et dans ces diff?rens points de vue, je saisirai rapidement les principaux traits qui le caract?risent.

PREMIERE PARTIE.

Chamfort, dans cet Eloge, se pla?t souvent ? emprunter ? La Fontaine ses propres expressions: on a eu soin de les distinguer par un caract?re diff?rent.

L'art de rendre la morale aimable existait ? peine parmi nous. De tous les ?crivains profanes, Montaigne seul avait approfondi avec agr?ment cette science si compliqu?e, qui, pour l'honneur du genre humain, ne devrait pas m?me ?tre une science. Mais, outre l'inconv?nient d'un langage d?j? vieux, sa philosophie audacieuse, souvent libre jusqu'au cynisme, ne pouvait convenir ni ? tous les ?ges, ni ? tous les esprits; et son ouvrage, pr?cieux ? tant d'?gards, semble plut?t une peinture fid?le des incons?quences de l'esprit humain, qu'un trait? de philosophie pratique. Il nous fallait un livre d'une morale douce, aimable, facile, applicable ? toutes les circonstances, faite pour tous les ?tats, pour tous les ?ges, et qui p?t remplacer enfin, dans l'?ducation, de la jeunesse,

Les quatrains de Pibrac et les doctes sentences Du conseiller Mathieu;

MOLI?RE.

car c'?taient l? les livres de l'?ducation ordinaire. La Fontaine cherche ou rencontre le genre de la fable que Quintilien regardait comme consacr? ? l'instruction de l'ignorance. Notre fabuliste, si profond aux yeux ?clair?s; semble avoir adopt? l'id?e de Quintilien: ?cartant tout appareil d'instruction, toute notion trop compliqu?e, il prend sa philosophie, dans les sentimens universels, dans les id?es g?n?ralement re?ues, et pour ainsi dire, dans la morale, des proverbes qui, apr?s tout, sont le produit de l'exp?rience de tous les si?cles. C'?tait le seul moyen d'?tre ? jamais l'homme de toutes les nations; car la morale, si simple en elle-m?me, devient contentieuse au point de former des sectes, lorsqu'elle veut remonter aux principes d'o? d?rivent ses maximes, principes presque toujours contest?s. Mais La Fontaine, en partant des notions communes et des sentimens n?s avec nous, ne voit point dans l'apologue un simple r?cit qui m?ne ? une froide moralit?; il fait de son livre

Une ample com?die ? cent acteurs divers.

C'est en effet comme de vrais personnages dramatiques qu'il faut les consid?rer; et, s'il n'a point la gloire d'avoir eu le premier cette id?e si heureuse d'emprunter aux diff?rentes esp?ces d'animaux l'image des diff?rens vices que r?unit, la n?tre; s'ils ont pu se dire comme lui:

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