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Read Ebook: Œuvres Complètes de Chamfort (Tome 1) Recueillies et publiées avec une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur. by Chamfort S Bastien Roch Nicolas Auguis P R Pierre Ren Editor
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 1384 lines and 116326 words, and 28 pagesC'est en effet comme de vrais personnages dramatiques qu'il faut les consid?rer; et, s'il n'a point la gloire d'avoir eu le premier cette id?e si heureuse d'emprunter aux diff?rentes esp?ces d'animaux l'image des diff?rens vices que r?unit, la n?tre; s'ils ont pu se dire comme lui: Le roi de ces gens-l? n'a pas moins de d?fauts Que ses sujets, lui seul a peint les d?fauts que les autres n'ont fait qu'indiquer. Ce sont des sages qui nous conseillent de nous ?tudier; La Fontaine nous dispense de cette ?tude, en nous montrant ? nous-m?mes: diff?rence qui laisse le moraliste ? une si grande distance du po?te. La bonhomie r?elle ou apparente qui lui fait donner des noms, des surnoms, des m?tiers aux individus de chaque esp?ce; qui lui fait envisager les esp?ces m?mes comme des r?publiques, des royaumes, des empires, est une sorte de prestiges qui rend leur feinte existence r?elle aux yeux de ses lecteurs. Ratopolis devient une grande capitale; et l'illusion o? il nous am?ne est le fruit de l'illusion parfaite o? il a su se placer lui-m?me. Ce genre de talent si nouveau, dont ses devanciers n'avaient pas eu besoin pour peindre les premiers traits de nos passions, devient n?cessaire ? La Fontaine, qui doit en exposer ? nos yeux les nuances les plus d?licates: autre caract?re essentiel, n? de ce g?nie d'observation dont Moli?re ?tait si frapp? dans notre fabuliste. Je pourrais, messieurs, saisir une multitude de rapports entre plusieurs personnages de Moli?re et d'autres de La Fontaine; montrer en eux des ressemblances frappantes dans la marche et dans le langage des passions; mais, n?gligeant les d?tails de ce genre, j'ose consid?rer l'auteur d?s fables d'un point de vue plus ?lev?. Je ne c?de point au vain d?sir d'exag?rer mon sujet, maladie trop commune de nos jours; mais, sans m?conna?tre l'intervalle qui s?pare l'art si simple de l'apologue, et l'art si compliqu? de la com?die, j'observerai, pour ?tre juste envers La Fontaine, que la gloire d'avoir ?t? avec Moli?re le peintre le plus fid?le de la nature et de la soci?t?, doit rapprocher ici ces deux grands hommes. Moli?re, dans chacune de ses pi?ces, ramenant la peinture des moeurs ? un objet philosophique, donne ? la com?die la moralit? de l'apologue; La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des moeurs, donne ? l'apologue une des grandes beaut?s de la com?die, les caract?res. Dou?s, tous les deux, au plus haut degr? du g?nie d'observation, g?nie dirig? dans l'un par une raison sup?rieure, guid? dans l'autre par un instinct non moins pr?cieux, ils descendent dans le plus profond secret de nos travers et de nos faiblesses; mais chacun, selon la double diff?rence de son g?nie et de son caract?re, les exprime diff?remment. Le pinceau de Moli?re doit ?tre plus ?nergique et plus ferme; celui de La Fontaine plus d?licat et plus fin: l'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme sup?rieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacit? qui suppose la science des grands traits. Le po?te comique semble s'?tre plus attach? aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passag?res de la soci?t?; le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et a peint une nature encore plus g?n?rale. Le premier me fait plus rire de mon voisin; le second me ram?ne plus ? moi-m?me. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui; celui-l? me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un d?faut de biens?ance, choquant pour la soci?t?; l'autre, avoir vu les vices comme un d?faut de raison, f?cheux pour nous-m?mes. Apr?s la lecture du premier, je crains l'opinion publique, apr?s la lecture du second, je crains ma conscience. Enfin l'homme corrig? par Moli?re, cessant d'?tre ridicule, pourrait demeurer vicieux: corrig? par La Fontaine, il ne serait plus ni vicieux ni ridicule, il serait raisonnable et bon; et nous nous trouverions vertueux, comme La Fontaine ?tait philosophe, sans nous, en douter. Tous mes discours sont des sottises, Partant d'un homme sans ?clat: Ce seraient paroles exquises, Si c'?tait un grand qui parl?t. On pourrait rapprocher plusieurs traits de cette esp?ce; mais il suffit d'en citer quelques exemples. La Fontaine est, apr?s la nature et Moli?re, la meilleure ?tude d'un po?te comique. Tels sont les principaux traits qui caract?risent chacun de ces grands hommes; et si l'int?r?t qu'inspirent de tels noms me permet de joindre ? ce parall?le quelques circonstances ?trang?res ? leur m?rit?, j'observerai que, n?s l'un et l'autre pr?cis?ment ? la m?me ?poque, tous deux sans mod?les parmi nous, sans rivaux, sans successeurs, li?s pendant leur vie d'une amiti? constante, la m?me tombe les r?unit apr?s leur mort; et que la m?me poussi?re couvre les deux ?crivains les plus originaux que la France ait jamais produits. Ils ont ?t? enterr?s dans l'?glise Saint-Joseph, rue Montmartre. N'attendez point de lui ce fastueux m?pris de la mort, qui, parmi quelques le?ons d'un courage trop souvent n?cessaire ? l'homme, a fait d?biter aux philosophes tant d'orgueilleuses absurdit?s. Tout sentiment exag?r? n'avait point de prise sur son ?me, s'en ?cartait naturellement; et la facilit? m?me de son caract?re semblait l'en avoir pr?serv?. La Fontaine n'est point le po?te de l'h?ro?sme: il est celui de la vie commune, de la raison vulgaire. Le travail, la vigilance, l'?conomie, la prudence sans inqui?tude, l'avantage de vivre avec ses ?gaux, le besoin qu'on peut avoir de ses inf?rieurs, la mod?ration, la retraite, voil? ce qu'il aime et ce qu'il fait aimer. L'amour, cet objet de tant de d?clamations, Ce mal qui peut-?tre est un bien, dit La Fontaine, il le montre comme une faiblesse naturelle et int?ressante. Il n'affecte point ce m?pris pour l'esp?ce humaine, qui aiguise la satire mordante de Lucien, qui s'annonce hardiment dans les ?crits de Montaigne, se d?couvre dans la folie de Rabelais, et perce quelquefois m?me dans l'enjouement d'Horace. Ce n'est point cette aust?rit? qui appelle, comme dans Boileau, la plaisanterie au secours d'une raison s?v?re, ni cette duret?, misantropique de La Bruy?re et de Pascal, qui, portant le flambeau dans l'ab?me du coeur humain, jette une lueur effrayante sur ses tristes profondeurs. Le mal qu'il peint, il le rencontre: les autres l'ont cherch?. Pour eux, nos ridicules sont des ennemis dont ils se vengent: pour La Fontaine, ce sont des passans incommodes dont il songe ? se garantir; il rit et ne hait point. Censeur assez indulgent de nos faiblesses, l'avarice est de tous nos travers celui qui para?t le plus r?volter son bon sens naturel. Mais; s'il n'?prouve et n'inspire point Ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux ?mes vertueuses, au moins pr?serve-t-il ses lecteurs du poison de la misantropie, effet ordinaire de ces haines. L'?me, apr?s la lecture de ses ouvrages, calme, repos?e, et, pour ainsi dire, rafra?chie comme au retour d'une promenade solitaire et champ?tre, trouve en soi-m?me une compassion douce pour l'humanit?, une r?signation tranquille ? la providence, ? la n?cessit?, aux lois de l'ordre ?tabli; enfin l'heureuse disposition de supporter patiemment les d?fauts d'autrui, et m?me les siens, le?on qui n'est peut-?tre pas une des moindres que puisse donner la philosophie. Ici, messieurs, je r?clame pour La Fontaine l'indulgence dont il a fait l'?me de sa morale; et d?j? l'auteur des fables a sans doute obtenu la gr?ce de l'auteur des contes: gr?ce que ses derniers momens ont encore mieux sollicit?e. Je le vois, dans son repentir, imitant en quelque sorte ce h?ros dont il fut estim?, qu'un peintre ing?nieux nous repr?sente d?chirant de son histoire le r?cit des exploits que sa vertu condamnait; et si le z?le d'une pieuse s?v?rit? reprochait encore ? La Fontaine une erreur qu'il a pleur?e lui-m?me, j'observerais qu'elle prit sa source dans l'extr?me simplicit? de son caract?re; car c'est lui qui, plus que Boileau, Fit, sans ?tre malin, ses plus grandes malices; BOILEAU. L'or se peut partager; mais non pas la louange. O? existait avant lui, du moins au m?me degr?, cet art de pr?parer, de fondre, comme sans dessein, les incidens; de g?n?raliser des peintures locales; de m?nager au lecteur ces surprises qui font l'?me de la com?die; d'animer ses r?cits par cette ga?t? de style, qui est une nuance du style comique, relev?e par les gr?ces d'une po?sie l?g?re qui se montre et dispara?t tour ? tour? Que dirai-je de cet art charmant de s'entretenir avec son lecteur, de se jouer de son sujet, de changer ses d?fauts en beaut?s, de plaisanter sur les objections, sur les invraisemblances; talent d'un esprit sup?rieur ? ses ouvrages, et sans lequel on demeure trop souvent au-dessous? Telle est la portion de sa gloire que La Fontaine voulait sacrifier; et j'aurais essay? moi-m?me d'en d?rober le souvenir ? mes juges, s'ils n'admiraient en hommes de go?t ce qu'ils r?prouvent par des motifs, respectables, et si je n'?tais forc? d'associer ses contes ? ses apologues en m'arr?tant sur le style de cet immortel ?crivain. Le grand Cond?. SECONDE PARTIE. Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce esp?rance; Pour moi, sans insister sur ces beaut?s diff?rentes, je me contenterai d'indiquer les sources principales d'o? le po?te les a vu na?tre; je remarquerai que son caract?re distinctif est cette ?tonnante aptitude ? se rendre pr?sent ? l'action qu'il nous montre; de donner ? chacun de ses personnages un caract?re particulier dont l'unit? se conserve dans la vari?t? de ses fables, et le fait reconna?tre partout. Mais une autre source de beaut?s bien sup?rieures, c'est cet art de savoir, en paraissant vous occuper de bagatelles, vous placer d'un mot dans un grand ordre de choses. Quand le loup, par exemple, accusant aupr?s du lion malade, l'indiff?rence du renard sur une sant? si pr?cieuse, Daube, au coucher du roi, son camarade absent, suis-je dans l'antre du lion? suis-je ? la cour? Combien de fois l'auteur ne fait-il pas na?tre du fond de ses sujets, si frivoles en apparence, des d?tails qui se lient comme d'eux-m?mes aux objets les plus importans de la morale, et aux plus grands int?r?ts de la soci?t?? Ce n'est pas une plaisanterie d'affirmer que la dispute du lapin et de la belette, qui s'est empar?e d'un terrier dans l'absence du ma?tre; l'un faisant valoir la raison du premier occupant, et se moquant des pr?tendus droits de Jean Lapin; l'autre r?clamant les droits de succession transmis au susdit Jean par Pierre et Simon ses a?eux, nous offre pr?cis?ment le r?sultat de tant de gros ouvrages sur la propri?t?; et La Fontaine faisant dire ? la belette: Et quand ce serait un royaume? Disant lui-m?me ailleurs: Mon sujet est petit, cet accessoire est grand, S'il sait quelquefois simplifier ainsi les questions les plus compliqu?es, avec quelle facilit? la morale ordinaire doit-elle se placer dans ses ?crits? Elle y na?t sans effort, comme elle s'y montre sans faste, car La Fontaine ne se donne point pour un philosophe, il semble m?me avoir craint de le para?tre. C'est en effet ce qu'un po?te doit le plus dissimuler. C'est, pour ainsi dire, son secret; et il ne doit le laisser surprendre qu'? ses lecteurs les plus assidus et admis ? sa confiance intime. Aussi La Fontaine ne veut-il ?tre qu'un homme, et m?me un homme ordinaire. Peint-il les charmes de la beaut?? Il me faut du nouveau, n'en f?t-il plus au monde; Cependant La Fontaine ?tait n? po?te, et cette partie de ses talens ne pouvait se d?velopper dans les ouvrages dont il s'?tait occup? jusqu'alors. Il la cultivait par la lecture des mod?les de l'Italie ancienne et moderne, par l'?tude de la nature et de ceux qui l'ont su peindre. Je ne dois point dissimuler le reproche fait ? ce rare ?crivain par le plus grand po?te de nos jours, qui refuse ce titre de peintre ? La Fontaine. Je sens, comme il convient, le poids d'une telle autorit?; mais celui qui loue La Fontaine serait indigne d'admirer son critique, s'il ne se permettait d'observer que l'auteur des fables, sans multiplier ces tableaux o? le po?te s'annonce ? dessein comme peintre, n'a pas laiss? d'en m?riter le nom. Il peint rapidement et d'un trait: il peint par le mouvement de ses vers, par la vari?t? de ses mesures et de ses repos, et surtout par l'harmonie imitative. Des figures vraies et frappantes, mais peu de bordure et point de cadre: voil? La Fontaine. Sa muse aimable et nonchalante rappelle ce riant tableau de l'Aurore dans un de ses po?mes, o? il repr?sente cette jeune d?esse, qui, se balan?ant dans les airs, La t?te sur son bras, et son bras sur la nue, Laisse tomber des fleurs, et ne les r?pand pas. Cette description charmante est ? la fois une r?ponse ? ses censeurs, et l'image de sa po?sie. Ainsi se form?rent par degr?s les divers talens de La Fontaine, qui tous se r?unirent enfin dans ses fables. Mais elles ne purent ?tre que le fruit de sa maturit?: c'est qu'il faut du temps ? de certains esprits pour conna?tre les qualit?s diff?rentes dont l'assemblage forme leur vrai caract?re, les combiner, les assortir, fortifier ces traits primitifs par l'imitation des ?crivains qui ont avec eux quelque ressemblance, et pour se montrer enfin tout entier dans un genre propre ? d?ployer la vari?t? de leurs talens. Jusqu'alors l'auteur, ne faisant pas usage de tous ses moyens, ne se pr?sente point avec tous ses avantages. C'est un athl?te dou? d'une force r?elle, mais qui n'a point encore appris ? se placer dans une attitude qui puisse la d?velopper toute enti?re. D'ailleurs, les ouvrages qui, tels que les fables de La Fontaine, demandent une grande connaissance du coeur humain et du syst?me de la soci?t?, exigent un esprit m?ri par l'?tude et par l'exp?rience; mais aussi, devenus une source f?conde de r?flexions, ils rappellent sans cesse le lecteur, auquel ils offrent de nouvelles beaut?s et une plus grande richesse de sens ? mesure qu'il a lui-m?me par sa propre exp?rience ?tendu la sph?re de ses id?es: et c'est ce qui nous ram?ne si souvent ? Montaigne, ? Moli?re et ? La Fontaine. Tels sont les principaux m?rites de ces ?crits Toujours plus beaux, plus ils sont regard?s, BOILEAU. et qui, mettant l'auteur des fables au-dessus de son genre m?me, me dispensent de rappeler ici la foule de ses imitateurs ?trangers ou fran?ais: tous se d?clarent trop honor?s de le suivre de loin; et s'il eut la b?tise, suivant l'expression de M. de Fontenelle, de se mettre au-dessous de Ph?dre, ils ont l'esprit de se mettre au-dessous de La Fontaine, et d'?tre aussi modestes que ce grand homme. Un seul, plus confiant, s'est permis l'esp?rance de lutter avec lui; et cette hardiesse, non moins que son m?rite r?el, demande peut-?tre une exception. Lamotte, qui conduisit son esprit partout, parce que son g?nie ne l'emporta nulle part; Lamotte fit des fables...... O La Fontaine! la r?volution d'un si?cle n'avait point encore appris ? la France combien tu ?tais un homme rare; mais, apr?s un moment d'illusion, il fallut bien voir qu'un philosophe froidement ing?nieux, ne joignant ? la finesse ni le naturel, Ni la gr?ce plus belle encore que la beaut?; La n?gligence, ? mon gr?, si requise, Pour cette fois fut sa dame d'atours. Aussi tous les reproches qu'on a pu lui faire sur quelques longueurs, sur quelques incorrections, n'ont point affaibli le charme qui ram?ne sans cesse ? lui, qui le rend aimable pour toutes les nations, et pour tous les ?ges sans en excepter l'enfance. Quel prestige peut fixer ainsi tous les esprits et tous les go?ts? qui peut frapper les enfans, d'ailleurs si incapables de sentir tant de beaut?s? C'est la simplicit? de ces formules o? ils retrouvent la langue de la conversation; c'est le jeu presque th??tral de ces sc?nes si courtes et si anim?es; c'est l'int?r?t qu'il leur fait prendre ? ses personnages en les mettant sous leurs yeux: illusion qu'on ne retrouve plus chez ses imitateurs, qui ont beau appeler un singe Bertrand et un chat Raton, ne montrent jamais ni un chat ni un singe. Qui peut frapper tous les peuples? C'est ce fond de raison universelle r?pandu dans ses fables; c'est ce tissu de le?ons convenables ? tous les ?tats de la vie; c'est cette intime liaison de petits objets ? de grandes v?rit?s: car nous n'osons penser que tous les esprits puissent sentir les gr?ces de ce style qui s'?vanouissent dans une traduction; et, si on lit La Fontaine dans la langue originale, n'est-il pas vraisemblable qu'en supposant aux ?trangers la plus grande connaissance de cette langue, les gr?ces de son style doivent toujours ?tre mieux senties chez un peuple o? l'esprit de soci?t?, vrai caract?re de la nation, rapproche les rangs sans les confondre; o? le sup?rieur voulant se rendre agr?able sans trop descendre, l'inf?rieur plaire sans s'avilir, l'habitude de traiter avec tant d'esp?ces diff?rentes d'amour-propre, de ne point les heurter dans la crainte d'en ?tre bless?s nous-m?mes, donne ? l'esprit ce tact rapide, cette sagacit? prompte, qui saisit les nuances les plus fines des id?es d'autrui, pr?sente les siennes dans le jour le plus convenable, et lui fait appr?cier dans les ouvrages d'agr?ment les finesses de langue, les biens?ances du style, et ces convenances g?n?rales, dont le sentiment se perfectionne par le grand usage de la soci?t?. S'il est ainsi, comment les ?trangers, sup?rieurs ? nous sur tant d'objets et si respectables d'ailleurs, pourraient-ils.... Mais quoi! puis-je hasarder cette opinion, lorsqu'elle est r?fut?e d'avance par l'exemple d'un ?tranger qui signale aux yeux de l'Europe son admiration pour La Fontaine? Sans doute cet ?tranger illustre, si bien naturalis? parmi nous, sent toutes les gr?ces de ce style enchanteur. La pr?f?rence qu'il accorde ? notre fabuliste sur tant de grands hommes, dans le z?le qu'il montre pour sa m?moire, en est elle-m?me une preuve; ? moins qu'on ne l'attribue en partie ? l'int?r?t qu'inspirent sa personne et son caract?re. On sait qu'un ?tranger demanda ? l'acad?mie de Marseille la permission de joindre la somme de deux mille livres ? la m?daille acad?mique. TROISI?ME PARTIE. H?tes de l'univers, sous le nom d'animaux; c'est sous ce point de vue qu'il les consid?re. Cette habitude de voir dans les animaux des membres de la soci?t? universelle, enfans d'un m?me p?re, disposition si ?trange dans nos moeurs, mais commune dans les si?cles recul?s, comme on peut le voir par Hom?re, se retrouve encore chez plusieurs orientaux. La Fontaine est-il bien ?loign? de cette disposition, lorsqu'attendri par le malheur des animaux qui p?rissent dans une inondation, ch?timent des crimes des hommes, il s'?crie par la bouche d'un vieillard: Les animaux p?rir! car encor les humains, Tous devaient succomber sous les c?lestes armes. Il ?tend m?me cette sensibilit? jusqu'aux plantes, qu'il anime non-seulement par ces traits hardis qui montrent toute la nature vivante sous les yeux d'un po?te, et qui ne sont que des figures d'expression, mais par le ton affectueux d'un vif int?r?t qu'il d?clare lui-m?me, lorsque, voyant le cerf brouter la vigne qui l'a sauv?, il s'indigne .... Que de si doux ombrages Soient expos?s ? ces outrages. Ce n'est point pr?s des rois que l'on fait sa fortune: Quelqu'ingrate beaut? qui nous donne des lois, Encor en tire-t-on un souris quelquefois. C'est ce go?t pour les femmes, dont il parle sans cesse, comme l'Arioste, en bien et en mal, qui lui dicta ses contes, se reproduit sans danger et avec tant de gr?ces dans ses fables m?mes, et conduisit sa plume dans son roman de Psych?. Cette d?esse nouvelle, que le conte ing?nieux d'Apul?e n'avait pu associer aux anciennes divinit?s de la po?sie, re?ut de la brillante imagination de La Fontaine une existence ?gale ? celle des dieux d'H?siode et d'Hom?re, et il eut l'honneur de cr?er comme eux une divinit?. Il se plut ? r?unir en elle seule toutes les faiblesses des femmes, et, comme il le dit, leurs trois plus grands d?fauts: la vanit?, la curiosit? et le trop d'esprit; mais il l'embellit en m?me temps de toutes les gr?ces de ce sexe enchanteur. Il la place ainsi au milieu des prodiges de la nature et de l'art, qui s'?clipsent tous aupr?s d'elle. Ce triomphe de la beaut?, qu'il a pris tant de plaisir ? peindre, demande et obtient gr?ce pour les satires qu'il se permet contre les femmes, satires toujours g?n?rales: et dans cette Psych? m?me, il place au tartare Ceux dont les vers ont noirci quelque belle. Aussi ses vers et sa personne furent-ils ?galement accueillis de ce sexe aimable, d'ailleurs si bien veng? de la m?disance par le sentiment qui en fait m?dire. On a remarqu? que trois femmes furent ses bienfaitrices, parmi lesquelles il faut compter cette, fameuse duchesse de Bouillon qui, s?duite par cet esprit de parti, fl?au de la litt?rature, se d?clara si hautement contre Racine; car ce grand tragique, qu'on a depuis appel? le po?te des femmes, ne put obtenir le suffrage des femmes les plus c?l?bres de son si?cle, qui toutes s'int?ressaient ? la gloire de La Fontaine. La gloire fut une de ses passions les plus constantes; il nous l'apprend lui-m?me: Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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