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Read Ebook: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 8/8) by Saint Victor J B De Jacques Benjamin
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 511 lines and 128638 words, and 11 pageslques alli?s de la France, et ne changeant rien au syst?me qu'il s'?toit fait de marcher ? la suite de l'Angleterre, continuant de mettre tous ses soins ? ne pas la troubler, ? ne pas lui causer le moindre ombrage, comme si les concessions qu'il faisoit ? cette puissance eussent ?t? le gage assur? d'une paix ?ternelle pour la France et pour tout le continent. On pouvoit pr?voir cependant que la cupidit? de ses marchands ne se contenteroit pas de cette petite part que le dernier trait? leur avoit fait obtenir dans le commerce des colonies espagnoles; qu'une fois introduits si imprudemment dans ce commerce, ils essaieroient de l'attirer ? eux tout entier; que l'Espagne s'en irriteroit et prendroit des mesures pour les arr?ter dans leurs empi?tements; que le gouvernement anglois soutiendroit des actes frauduleux que lui-m?me avoit secr?tement encourag?s, et que de cet article de la paix sortiroit une guerre o? il deviendroit bien autrement utile de se faire m?diateur, et de se pr?senter dans une attitude propre ? faire respecter sa m?diation: c'est ce qui arriva. L'Espagne se f?cha de voir son propre commerce d?p?rir au profit des contrebandiers anglois, et ordonna contre eux des mesures r?pressives; l'Angleterre, qui violoit si ouvertement les trait?s, cria ? l'outrage, ? la violation du droit des gens, et d?clara la guerre ? l'Espagne. Le cardinal s'offrit comme m?diateur; c'?toit le r?le qu'il aimoit ? jouer. Accept?e d?risoirement par les ministres, le parlement lui fit voir le peu qu'?toit maintenant cette m?diation, en la rejetant avec m?pris; les flottes angloises parcoururent les mers, o?, gr?ce ? lui, elles ne rencontroient plus d'obstacles, achevant d'y d?truire le commerce espagnol, mena?ant de toutes parts ses ?tablissements d'outre-mer; et le vieux ministre fut le t?moin impuissant d'une guerre entreprise pour justifier un brigandage, et achever d'arracher leurs d?pouilles ? ceux qui n'avoient pas voulu se laisser d?pouiller. Cette guerre devoit bient?t se compliquer avec les nouveaux int?r?ts qu'un grand ?v?nement alloit faire na?tre en Europe. L'empereur Charles VI venoit de mourir, laissant sa fille Marie-Th?r?se seule h?riti?re de ses ?tats, et prot?g?e dans ses droits ? cette succession par un pacte que tous les souverains de l'Europe avoient reconnu; et cette reconnoissance, il l'avoit pay?e assez cher pour pouvoir esp?rer que l'on tiendroit les conditions du march?. Mais l'Autriche ?toit alors ?puis?e par une guerre malheureuse qu'elle venoit de soutenir contre les Turcs, et qu'une paix honteuse avoit difficilement termin?e; une simple femme se pr?sentoit pour revendiquer ce grand h?ritage, et, malgr? la foi des trait?s, un brigandage non moins r?voltant que celui que les Anglois exer?oient sur les mers, fut ? l'instant m?me projet? sur le continent. Les ?lecteurs de Saxe et de Bavi?re, la reine d'Espagne, en sa qualit? de princesse de Parme, le roi de Sardaigne, s'?lev?rent ? la fois contre l'h?riti?re, les uns lui disputant l'h?ritage entier, les autres essayant de lui en arracher des lambeaux, et tous faisant valoir des pr?tentions plus ou moins absurdes; car ils avoient encore la pudeur de chercher ? couvrir d'une ombre de justice cette oeuvre d'iniquit?. Cet orage, qui s'?levoit contre la fille de Charles VI, enhardit le souverain du plus petit royaume du Nord ? se mettre au rang des comp?titeurs: le roi de Prusse r?clama la Sil?sie, usurp?e, disoit-il, sur ses a?eux; et tandis que les autres en ?toient encore ? ?taler leurs titres et ? rassembler des arguments pour en prouver la l?gitimit?, ce prince montra d'abord ce qu'il ?toit capable de faire, en envahissant ? main arm?e la province qu'il venoit de r?clamer. Guerrier hardi et entreprenant, il ne se montra pas moins adroit politique, en offrant sur-le-champ ? Marie-Th?r?se de prendre son parti si elle vouloit lui abandonner sa conqu?te, et de l'aider ? faire couronner son mari empereur. La fi?re princesse d?daigna ses offres, et n'y r?pondit qu'en faisant marcher une arm?e contre lui. Fr?d?ric remporta sur cette arm?e la premi?re de ses victoires; l'occupation de la Sil?sie enti?re fut le prix de la bataille de Molwitz, et la ligue contre l'Autriche en fut la cons?quence. La France n'y parut d'abord que comme alli?e de l'?lecteur de Bavi?re, qui, d?s qu'il se vit soutenu par un si puissant auxiliaire, d?clara hautement ses pr?tentions ? la couronne imp?riale, en concurrence avec le grand duc de Toscane, mari de la reine de Hongrie. Le mar?chal de Belle-Isle, jouant ? la fois le r?le de n?gociateur et de guerrier , commen?a ? parcourir l'Allemagne, allant de Francfort ? Dresde, de Dresde au camp du roi de Prusse, pour assurer par des trait?s le succ?s des projets ambitieux du prince bavarois, tandis que celui-ci, soutenu d'un corps consid?rable de soldats fran?ois, entroit, sans trouver de r?sistance, dans les ?tats de Marie-Th?r?se, qui, m?me apr?s avoir r?uni toutes ses forces pour les opposer au roi de Prusse, se d?fendoit ? peine contre ce redoutable ennemi. De tels succ?s devoient ?tre rapides, et en effet, des provinces enti?res furent envahies par de simples marches; Lintz, Passaw, ouvrirent leurs portes, et l'on arriva bient?t sous les murs de Vienne, o? l'on pouvoit entrer avec la m?me facilit?. Mais d?j? la division r?gnoit parmi les alli?s, et, par ce seul fait, la folie de cette guerre ?toit d?montr?e. La France, qui ne s'attendoit pas ? des succ?s si prompts et si extraordinaires, craignit de rendre l'?lecteur de Bavi?re trop puissant en lui livrant ainsi tous les ?tats autrichiens, et celui-ci avoit h?te lui-m?me de quitter l'Autriche, pour aller en Boh?me emp?cher l'?lecteur de Saxe de prendre ? lui seul cette province, que probablement il auroit voulu s'approprier. On quitta donc un pays ouvert pour s'engager dans une des parties les plus difficiles de l'Allemagne; les conseils du comte Maurice de Saxe, qui, dans cette exp?dition, commandoit les troupes fran?oises, ne furent point ?cout?s; de fausses manoeuvres, dont rien ne put d?tourner l'?lecteur, mirent l'arm?e dans une position qui pouvoit devenir p?rilleuse, qui le devint en effet lorsqu'elle eut fait sa jonction, sous les murs de Prague, avec l'arm?e saxonne. Pour la sauver, il falloit se rendre ma?tre de la capitale de la Boh?me: cette ville, qui sembloit devoir soutenir un long si?ge, fut prise en peu de jours; et ce succ?s inesp?r?, d? au g?nie du comte de Saxe, second? par celui de Chevert, devint le salut de l'arm?e conf?d?r?e. Cependant, au milieu de tant de revers et d'une situation qui sembloit d?sesp?r?e, Marie-Th?r?se d?ployoit un grand courage et ne d?sesp?roit pas d'elle-m?me. Par une d?marche ?nergique, soutenue de ce que son double caract?re de reine et de m?re pouvoit y ajouter d'imposant et de path?tique, elle avoit entra?n? ? la d?fense de sa cause la noblesse hongroise, qui d'abord s'y ?toit montr?e peu dispos?e. Le mouvement de la Hongrie se communiqua avec une rapidit? presque miraculeuse aux provinces autrichiennes, qui se r?veill?rent tout ? coup de leur l?thargie avec une sorte de transport, et pr?sent?rent bient?t l'aspect d'un peuple entier en armes et ne respirant que la vengeance. Hongrois et Autrichiens, anim?s d'une ?gale ardeur, form?rent, en se r?unissant, une arm?e qu'un nombre consid?rable de troupes irr?guli?res rendit encore plus redoutable, et ainsi r?unis se pr?cipit?rent sur la Bavi?re; et tandis que Charles-Albert se faisoit complaisamment couronner ? Francfort, des ennemis exasp?r?s mettoient ? feu et ? sang ses ?tats h?r?ditaires. Cependant le mar?chal de Belle-Isle donnoit tranquillement ses ordres du sein des cours d'Allemagne, o? il n?gocioit toujours; et il n'y avoit plus qu'incertitude et discordance dans les mouvements des g?n?raux qui op?roient sous ses ordres, et qu'une seule volont? auroit d? surveiller et diriger. Les divers corps qu'ils commandoient furent successivement isol?s les uns des autres. On ?toit entr? en Bavi?re, et l'on avoit ?t? oblig? d'en sortir; on y rentra une seconde fois pour en sortir encore. Le roi de Prusse, victime des fautes de ses alli?s, manoeuvroit aussi un peu au hasard, sans cesse harcel? dans sa marche par le g?n?ral le plus actif et le plus habile qu'il e?t encore rencontr?, le prince Charles de Lorraine, fr?re du grand duc. S'?tant enfin r?uni ? l'arm?e saxonne, il s'avan?oit ? grands pas dans la Boh?me, pour forcer, par cette diversion, les Autrichiens ? lever le si?ge de Lintz; mais d?j? cette place avoit capitul?, et le comte de S?gur, ? qui elle avoit ?t? confi?e, n'avoit trouv? que ce moyen de sauver les d?bris de son corps d'arm?e. Cependant l'Angleterre, voyant le moment arriv? de renoncer ? son syst?me pacifique, livroit ? la d?rision de l'Europe le trop cr?dule cardinal, en se d?clarant ouvertement pour la reine de Hongrie; la Hollande, d?sormais sous son influence irr?sistible, entroit ? sa suite dans la conf?d?ration; elle y attiroit en m?me temps le roi de Sardaigne, qu'on trouvoit toujours pr?t lorsqu'il s'agissoit de trahir la France; et les chances de cette guerre, qui d'abord avoient ?t? si favorables ? nos arm?es, tourn?rent ainsi tout ? coup contre elles, et plus brusquement qu'on n'auroit pu m?me l'imaginer. Dans ces extr?mit?s, la France se trouva heureuse d'avoir donn? asile ? un illustre ?tranger, et que cet ?tranger la pay?t d'affection et de reconnoissance. Parmi les g?n?raux qui avoient figur? dans cette guerre, le comte Maurice de Saxe, auquel on avoit confi? un commandement, ?toit le seul qui e?t montr? de la pr?voyance, et l'heureuse r?union de la hardiesse et de la science militaire. Il jetoit d?j? un grand ?clat, et tous les regards se tournoient vers lui. Pour prix de ses beaux faits d'armes, le roi venoit de l'?lever ? la dignit? de mar?chal de France: cette nouvelle position l'enhardit ? pr?senter des plans qui parurent bien con?us; ils furent adopt?s, et l'on reprit courage. Des n?gociations furent entam?es avec le roi de Prusse, qui commen?oit ? s'alarmer des progr?s de la reine de Hongrie; et, de m?me que son int?r?t lui avoit fait abandonner l'alliance de la France, son int?r?t l'y rejeta. Par un effet de cette politique pusillanime du cardinal de Fleuri, qui ne lui avoit pas permis de faire un seul mouvement dont les Anglois pussent concevoir de l'ombrage, les Espagnols s'?toient trouv?s abandonn?s en Italie ? leurs propres forces; et tandis que le roi de Sardaigne p?n?troit sans obstacle jusqu'aux fronti?res du royaume de Naples, et qu'une escadre angloise mena?oit d'en bombarder la capitale, tout ce qu'avoit os? faire le vieux ministre, c'?toit d'avoir accord? le libre passage ? une arm?e espagnole, qui, sous les ordres d'un infant, ?toit venue envahir la Savoie. Il fut maintenant d?cid? qu'une arm?e fran?oise seroit envoy?e en Italie, et le commandement en fut confi? au prince de Conti. Des pr?paratifs tr?s consid?rables se firent en m?me temps, et avec une sorte d'affectation, comme si l'on e?t eu l'intention d'op?rer une descente en Angleterre et d'y ramener le pr?tendant. Toutefois ils n'avoient rien de r?el, et ne servoient qu'? cacher aux alli?s le v?ritable plan que l'on vouloit mettre ? ex?cution. Ce plan ?toit d'envahir les Pays-Bas autrichiens; c'?toit l? que devoient se porter les grands coups. D?s qu'il fut r?tabli, il continua sa route pour l'Alsace, et y arriva au moment o? les victoires du roi de Prusse for?oient le prince Charles d'en sortir pour aller ? la d?fense des ?tats h?r?ditaires, que mena?oit de toutes parts cet audacieux et infatigable ennemi. C'?toit cette diversion op?r?e par Fr?d?ric qui sauvoit la province; et le mar?chal de Noailles, qu'elle tiroit d'une situation embarrassante, devoit du moins la seconder en marchant rapidement sur les traces de l'arm?e imp?riale, qui se seroit ? son tour trouv?e en p?ril entre l'arm?e prussienne et l'arm?e fran?oise. Au lieu de cette manoeuvre, qui ?toit si ?videmment indiqu?e par ce qui se passoit sur cette partie du th??tre de la guerre, il rentra dans ce d?plorable syst?me de circonspection qui avoit d?j? tout perdu; et lorsqu'il e?t fallu s'attacher ? suivre les traces du prince de Lorraine et le harceler dans sa retraite, on le vit, au grand ?tonnement de toute l'Europe, s'amuser, avec une arm?e de soixante mille hommes, ? faire le si?ge de Fribourg. ? la v?rit? il prit cette ville; mais, pendant ce temps, le roi de Prusse, accabl? de tout le fardeau de la guerre, renferm? seul au milieu des arm?es ennemies, non seulement perdoit tout le fruit de ses victoires, mais se voyoit r?duit aux derni?res extr?mit?s, pour n'avoir pas ?t? secouru. C'?toit la seconde fois qu'il expioit ainsi les fautes des g?n?raux fran?ois. En Italie, les op?rations militaires avoient commenc? sous les auspices les plus favorables; les arm?es conf?d?r?es de France et d'Espagne y avoient remport? de grands succ?s sur le roi de Sardaigne, qui, m?me alors qu'il ?toit battu, ne se d?courageoit jamais quand il s'agissoit d'une guerre contre les Fran?ois, et ne se montroit timide et irr?solu que lorsqu'il ?toit leur alli?. Il avoit donc redoubl?, apr?s ses d?faites, d'activit? et de courage, et n?anmoins n'avoit pas ?t? plus heureux vis-?-vis du mar?chal de Maillebois, qui venoit de prendre la place du prince de Conti, celui-ci ayant ?t? forc?, par la jalousie de l'infant don Philippe, de s'arr?ter au milieu de ses victoires et d'aller prendre le commandement de l'arm?e d'Alsace. Les arm?es des deux couronnes ?toient rentr?es dans le Milanais; des mouvements habilement combin?s avoient s?par? l'une de l'autre les arm?es ennemies, et le roi de Sardaigne avoit encore ?t? battu. Le Montferrat, Alexandrie, Tortone, Parme et Plaisance, ?toient tomb?s au pouvoir des Fran?ois; ma?tres du cours du P?, ils venoient d'entrer ? Milan, dont ils assi?geoient la citadelle, et, d'un autre c?t?, le roi de Naples r?paroit la honte de la campagne pr?c?dente en chassant les troupes imp?riales de ses ?tats, et les poussant bien au del? de ses fronti?res. Tout se pr?sentait donc, de ce c?t? du th??tre de la guerre, sous un aspect qui ?toit loin de faire pr?sager ce qui alloit suivre. Cependant le prince de Conti, moins soutenu en Alsace qu'il ne l'avoit ?t? d'abord en Italie, et affoibli par les renforts qu'on lui enlevoit sans cesse pour l'arm?e des Pays-Bas, s'?toit vu forc? de faire repasser le Rhin ? son arm?e, dont la premi?re destination avoit ?t? de menacer l'Allemagne et de manoeuvrer au milieu des ?lectorats. Libres des craintes qu'il leur avoit inspir?es, les ?lecteurs avoient enfin combl? les voeux de Marie-Th?r?se; et, lui accordant le prix le plus flatteur et le plus d?sir? de son courage et de ses victoires, ils venoient de d?f?rer ? son mari, le grand duc de Toscane, la couronne imp?riale. Il fut ?lu empereur le 13 septembre de cette ann?e. Il arriva donc que, tandis qu'il triomphoit en Flandre, tout ?toit perdu en Italie. La division s'?toit mise entre les arm?es espagnole, fran?oise, napolitaine, g?noise ; les g?n?raux ne s'entendant plus, les op?rations militaires s'?toient ralenties; et cependant Marie-Th?r?se, tranquille en Allemagne o? tout ?toit maintenant pacifi?, s'?toit empress?e d'envoyer en Lombardie de nombreux renforts, sous la conduite du prince de Lichstenstein. L'arm?e imp?riale se rassembloit sur les confins de cette province, le roi de Sardaigne r?organisoit la sienne, et l'on alloit se trouver entre deux arm?es, dans un pays o? l'on ne poss?doit pas une seule forteresse. Le mar?chal de Maillebois, qui sentit le danger d'une semblable position, parla de retraite: l'infant n'y voulut point entendre, ne pouvant se faire ? l'id?e d'abandonner ces duch?s de Parme et de Plaisance, qui avoient co?t? ? l'Espagne tant d'or et tant de sang: ce fut sous les murs m?me de Plaisance que cette retraite fut d?cid?e par la d?faite la plus d?sastreuse que les arm?es des deux couronnes eussent encore ?prouv?e. Il fallut alors ?vacuer et les deux duch?s et les autres conqu?tes que l'on avoit pu faire en Italie. La retraite se fit avec bonheur et habilet?, et les d?bris de ces arm?es, r?unis par une main ferme et courageuse, pouvoient encore couvrir la ville de G?nes, et la soustraire ? la vengeance des Autrichiens. Le d?couragement et l'animosit? toujours croissante des chefs les uns contre les autres emp?ch?rent de prendre ce parti, que commandoient ? la fois l'honneur et un int?r?t bien entendu. Pour prix de son d?vouement, G?nes fut l?chement abandonn?e, et ?prouva bient?t, m?me en se rendant, presque toutes les rigueurs que l'on pourroit exercer sur une ville prise d'assaut. Les vainqueurs continuoient n?anmoins de poursuivre les deux arm?es fugitives; ils descendirent les Alpes apr?s elles, et leurs troupes irr?guli?res inond?rent et d?sol?rent la Provence et le Dauphin?. Cependant la branche de Hanovre achevoit de se consolider en Angleterre par les derniers r?sultats d'une entreprise qui avoit sembl? mettre plus que jamais en p?ril sa fortune et ses destin?es. L'exp?dition du prince ?douard en ?cosse, si romanesquement aventureuse, et justifi?e d'abord par des succ?s presque fabuleux, exp?dition que la France n'avoit su soutenir que par des secours d?risoires, venoit de finir par un d?sastre complet, et qui ne laissoit plus aucune ressource ? ce prince, si digne d'un meilleur sort. Assez heureux pour se sauver seul, et dans un d?nuement plus grand encore que lorsqu'il s'?toit hasard? ? descendre sur les c?tes de son pays, il n'avoit retir? de cette derni?re tentative que le st?rile avantage de prouver au cabinet de Versailles ce qu'il lui auroit ?t? possible de faire, s'il e?t ?t? plus t?t et plus efficacement secouru. Cependant une flotte angloise avoit paru sur les c?tes de la Provence; elle y prot?geoit les mouvements des Autrichiens qui continuoient ? d?soler cette province; l'arm?e fran?oise, dont la d?sorganisation ?toit compl?te, ne pouvoit mettre aucun obstacle ? leurs progr?s, et Toulon ?toit menac?. Telle ?toit en France la disette des g?n?raux, qu'on ne trouva rien de mieux ? faire que d'y envoyer le mar?chal de Belle-Isle, qui, long-temps prisonnier en Angleterre, reparut ainsi vers la fin de cette guerre qu'il avoit si malheureusement commenc?e. Il montra cette fois plus d'activit? et d'intelligence: il sut r?tablir la discipline et ranimer le courage des soldats; des renforts arriv?s ? propos le mirent ? m?me de se hasarder contre l'ennemi; il eut des succ?s, fit lever le si?ge d'Antibes, reprit l'offensive, et passant le Var, envahit le comt? de Nice. Il avoit promis de rentrer en Italie, et voulut tenir sa promesse; mais cherchant ? faire mieux que le prince de Conti, et que le mar?chal de Maillebois, il imagina d'y p?n?trer par le col de Fenestrelles et d'Exiles, route plus courte ? la v?rit?, mais aussi plus difficile, comptant tr?s mal ? propos, parmi les chances de succ?s de son entreprise, que le roi de Sardaigne se laisseroit surprendre. Il en fut autrement; et cette manoeuvre mal con?ue, ? laquelle il auroit fallu renoncer ? l'aspect de l'ennemi bien retranch? et sur ses gardes, devint funeste par l'obstination extravagante que mit son fr?re, le chevalier de Belle-Isle, ? vouloir forcer un passage que Charles-Emmanuel avoit su rendre inexpugnable. Il paya sa t?m?rit? de sa vie, et le combat meurtrier d'Exiles rendit d?sormais toute op?ration militaire impossible en Italie. Le roi continuoit de vaincre dans les Pays-Bas, et ? chaque nouvelle victoire continuoit d'offrir la paix, que les ennemis continuoient de refuser. Pour arracher en quelque sorte cette paix ? leur obstination, il fut d?cid? que l'on feroit le si?ge de Ma?stricht: l'arm?e conf?d?r?e s'avan?a aussit?t pour couvrir cette place, et le mar?chal de Saxe, allant ? sa rencontre, remporta sur elle la victoire de Lawfelt, victoire brillante, mais toutefois si peu d?cisive, que, bien qu'il f?t rest? ma?tre du champ de bataille, il ne crut pas qu'il f?t prudent d'entreprendre encore le si?ge que l'on avoit r?solu. Afin de rendre plus facile une si grande entreprise, le mar?chal chargea le plus habile de ses lieutenants, le comte de Lowendalh, d'aller assi?ger Berg-op-Zoom; et cette place forte, chef-d'oeuvre de Cohorn et consid?r?e comme imprenable, fut emport?e en six semaines par les manoeuvres combin?es de ces deux grands capitaines, tous les deux ?trangers, et cependant les seuls, parmi ses g?n?raux, ? qui la France p?t maintenant confier ses arm?es. Cette op?ration faite, le mar?chal de Saxe reprit le cours de ses manoeuvres, et, malgr? tous les efforts des arm?es conf?d?r?es, Ma?stricht put ?tre cern?. Certes c'?toient l? de grands revers et surtout de grandes fautes. L'int?rieur de la France va nous offrir un spectacle plus triste encore. Il nous faut maintenant remonter jusqu'au commencement de ce p?riode de plus de trente ann?es que nous venons de parcourir. Tandis que croissoit ainsi ce parti, au milieu de l'esp?ce d'enivrement de d?bauche que la r?gence r?pandoit dans toutes les classes oisives ou opulentes de la soci?t?, l'?glise de France, nous l'avons d?j? dit, courb?e sous le joug d'une servitude outrageante et intol?rable, ?toit r?duite, pour r?sister au parti jans?niste et se soustraire ? l'action tyrannique du parlement, de se rallier au chef de l'?tat, d'accepter pour protecteur son inf?me favori, de supporter la profanation de ses plus hautes dignit?s; et c'?toit l? un opprobre qui fournissoit contre elle de nouvelles armes aux incr?dules, lesquels en tiroient parti pour grossir leurs rangs de beaucoup d'esprits foibles et passionn?s ? qui ils savoient persuader que cette protection d?risoire qu'accordoient ? la religion des hommes faisant, comme eux, profession d'incr?dulit?, ?toit une preuve ?vidente de la fausset? de ses dogmes. Cette humiliation du clerg? produisoit encore cet autre effet de jeter dans le parti jans?niste des hommes ? vues courtes et ? conscience timor?e, qui croyoient reconno?tre, dans le rigorisme affect? des sectaires et dans leur opposition au pouvoir, bien que cette opposition n'e?t commenc? qu'apr?s que le pouvoir les e?t lui-m?me repouss?s, une r?sistance courageuse ? l'iniquit? du si?cle, ? l'?gard de laquelle ils reprochoient au parti oppos? de se montrer beaucoup trop indulgent. Telle ?toit la position des choses et des esprits, lorsque l'?v?que de Fr?jus parvint au minist?re. Les premiers sympt?mes de cette guerre qui alloit d?soler l'?glise de France, se manifest?rent dans cette m?me assembl?e du clerg? qui s'?toit ouverte quelques mois avant la mort du feu roi; et ce fut ? l'occasion de deux ouvrages que le parti jans?niste venoit de jeter dans le public, et dans lesquels tout le venin de leur doctrine se trouvoit r?pandu. Il fut d?cid? que ces deux productions dangereuses seroient examin?es et censur?es: les pr?lats opposants firent voir, d?s lors, combien ils ?toient favorables aux sectaires, par les manoeuvres de tout genre qu'ils employ?rent pour arr?ter cette censure; et, n'ayant pu y r?ussir, pour emp?cher du moins qu'il y f?t parl? honorablement de la bulle, ? l'occasion de laquelle cependant ces ouvrages avoient ?t? compos?s, et contre laquelle ils ?toient principalement dirig?s. Ayant encore ?chou? sur ce point, leur derni?re ressource avoit ?t? de faire intervenir le r?gent, dont l'intention n'?toit pas de donner en ce moment gain de cause ? l'un ou ? l'autre parti, et qui, sous pr?texte qu'il venoit d'ouvrir une n?gociation avec le pape au sujet de leurs contestations, d?fendit provisoirement la publication des censures. Cependant la facult? de th?ologie de Paris avoit commenc? ? montrer de quel esprit elle ?toit anim?e, en r?tractant publiquement l'acceptation qu'elle avoit faite de la bulle, et d?clarant m?me avec beaucoup d'impudence < Il n'est pas besoin de dire que les opposants s'enhardirent de cet ?chec, que venoit d'?prouver l'autorit? de la cour de Rome: d?s ce moment ils ne mirent plus de bornes ? leurs pr?tentions et ? leur insolence ? l'?gard du chef de l'?glise. Toutefois, comme on traitoit encore le dogme assez s?rieusement en France, ils essay?rent d'abord de r?pandre dans le public que cette bulle dont on faisoit tant de bruit, ne touchoit que quelques points de discipline de peu d'importance. Cette manoeuvre ne leur ayant pas r?ussi, ils en imagin?rent une autre: ce fut d'inviter les acceptants ? se r?unir ? eux pour ?tablir ensemble un pr?cis de doctrine que l'on soumettroit au pape, dans lequel on tomberoit d'accord sur tous les points dissidents, et qui, s'il ?toit agr??, tranquilliseroit leur conscience sur l'acceptation pure et simple de la bulle. La proposition fut accept?e; on s'assembla: apr?s de longues difficult?s et des chicanes sans nombre, qui ne purent fatiguer la patience et la complaisance de leurs adversaires, ils parurent tomber d'accord avec ceux-ci sur la doctrine, et tout sembloit sur le point d'?tre termin?. Mais il devint ?vident que ce n'?toit de leur part qu'un jeu pour gagner du temps; car, employant aussit?t, pour arr?ter l'effet de cette conciliation, la plus insigne et la plus coupable des fourberies, ils trouv?rent le moyen de substituer ? la pi?ce originale une copie qu'ils en avoient dress?e eux-m?mes, et dans laquelle ils avoient supprim? les corrections essentielles que les ?v?ques acceptants y avoient faites, de tous les passages entach?s de jans?nisme; et l'ayant ainsi alt?r?e, ils l'envoy?rent ? Rome comme la profession de foi de tout le clerg? de France. Ils furent encore d?masqu?s cette seconde fois: alors ils propos?rent une assembl?e g?n?rale des ?v?ques, faisant entendre que c'?toit le seul moyen de parvenir ? une enti?re conciliation; mais les acceptants, qui d'abord avoient accueilli cette id?e, acquirent bient?t la certitude que leurs adversaires y porteroient la m?me obstination et se serviroient de cette circonstance pour donner de plus grands scandales, et se h?t?rent d'?crire au pape pour le prier de mettre opposition ? ce projet d'assembl?e. Telle fut cependant la condescendance du souverain pontife ? l'?gard de cette poign?e de rebelles, que, ne pouvant donner lui-m?me les explications demand?es, et au sens qu'ils les demandoient, sans compromettre gravement son caract?re et son autorit?, il consentit qu'elles leur fussent indirectement offertes dans une lettre que le sacr? coll?ge demanda la permission de lui ?crire, lettre qui fut rendue publique, et apr?s laquelle les opposants n'eurent plus aucun pr?texte plausible de persister dans leur refus. On con?oit que les acceptants ne s'y soumirent qu'avec beaucoup de r?pugnance: c'?toit exiger d'eux une sorte de pr?varication. Quant aux appelants, ils ne vouloient point du silence ? de telles conditions; et pour ?luder l'effet de la d?claration; ils mirent en avant le cardinal de Noailles qui parvint ? persuader au r?gent qu'il ne pouvoit convenablement se taire avant que le pape se f?t expliqu? sur le pr?cis de doctrine qui venoit d'?tre arr?t? entre les deux partis. L'adh?sion des ?v?ques acceptants ? cet expos? doctrinal ne laissoit aucun doute sur son orthodoxie: l'explication demand?e au pape ne pouvoit donc qu'?tre favorable, et l'on commen?oit ? concevoir quelque esp?rance d'une v?ritable paix. Or, et nous l'avons d?j? dit, les opposants n'en vouloient point; tout ceci n'?toit de leur part qu'un jeu d?testable: par une seconde fraude qui n'?toit pas moins odieuse que la premi?re, de laquelle toutefois on pr?tend que le cardinal ne fut pas complice , ils alt?r?rent ce pr?cis de doctrine dans tout ce qu'il contenoit de contraire ? leurs maximes; et r?solus de mettre ? cette paix un obstacle insurmontable, ils choisirent ce moment pour publier l'appel de ce pr?lat, appel qu'il avoit fait secr?tement et auquel il avoit jusqu'alors diff?r? de donner de la publicit?. Le chapitre m?tropolitain et les cur?s de Paris y adh?r?rent ? l'instant m?me; la Sorbonne, qui, en fait d'appel, avoit d?j? pris les devants, re?ut celui-ci avec les plus grands applaudissements, et la confusion fut ? son comble dans le clerg? de Paris. Ce fut le signal d'une nouvelle confusion plus grande que tout ce qui avoit pr?c?d?. Les appels contre la nouvelle bulle s'?lev?rent aussit?t de toutes parts dans le parti des opposants; et le parlement tressaillit de joie en voyant des princes de l'?glise lui fournir eux-m?mes, par leurs fureurs, l'occasion qu'il cherchoit depuis si long-temps d'?lever sa puissance sur celle de Rome. D?j? il n'avoit pas craint de faire br?ler par la main du bourreau une lettre qu'un pr?lat courageux avoit adress?e au r?gent, pour lui peindre l'exc?s du mal et l'inviter ? en arr?ter le cours: en cette nouvelle circonstance, il n'eut pas m?me la peine de prendre l'initiative. Ce furent les gens du roi eux-m?mes qui appel?rent devant lui de la bulle comme d'abus; il re?ut leur appel, et s'appr?ta ainsi ? proc?der contre le pape lui-m?me. Cependant les opinions les plus monstrueuses se professoient hautement dans la Sorbonne, et le langage de ses docteurs ne diff?roit point de celui des plus furieux protestants; les choses all?rent m?me ? cet exc?s, qu'un plan de s?paration de l'?glise de France avec celle de Rome, et d'union avec l'?glise anglicane, fut secr?tement dress? dans le parti des opposants. L'archev?que de Reims ?crivit de nouveau pour d?masquer ces d?testables machinations, et l'?v?que de Soissons publia sur le m?me objet quelques ?crits tr?s ?nergiques: le parlement s'en saisit aussit?t pour les fl?trir, et confia encore ? la main du bourreau le soin de lui en rendre raison. Cependant les parlements de provinces s'empressoient d'imiter leur digne mod?le; et plus de quarante ?v?ques ayant d?clar? les appels schismatiques, la plupart d'entre eux se virent cit?s devant les tribunaux s?culiers, qui supprim?rent et condamn?rent leurs mandements comme abusifs. Ni cette r?solution, ni les rescrits et les anath?mes du Saint-Si?ge, ni le z?le des ?v?ques acceptants n'auroient suffi: il falloit par dessus tout la volont? du pouvoir temporel, qui s'?toit fait en France l'arbitre supr?me des rapports de l'?glise avec son chef; et cette volont?, nous l'avons d?j? dit, commen?a ? se manifester au moment o? Dubois eut la pens?e de devenir cardinal. Alors il fut arr?t?, dans le conseil du r?gent, qu'on se procureroit, de gr? ou de force, un enregistrement quelconque de la bulle, et qu'on emploieroit des moyens plus efficaces aupr?s de l'archev?que de Paris, pour parvenir ? vaincre son obstination. Des n?gociations nouvelles furent donc ouvertes avec lui, et l'on y mit plus de suite et de t?nacit?. Le cardinal ne se montra ni moins tenace, ni moins opini?tre: il batailla long-temps, tergiversa, exigea de nouvelles explications qu'il fallut consentir ? lui donner. D'habiles th?ologiens y travaill?rent pendant six mois, les arrangeant de mani?re ? ce qu'elles pussent satisfaire ce vieillard ombrageux; ce qui fit qu'elles ne satisfirent point plusieurs ?v?ques acceptants qui refus?rent de les signer. Telles qu'elles ?toient cependant, la plupart d'entre eux les sign?rent, trop complaisamment sans doute, mais tant ?toit grand leur d?sir de la paix; et le cardinal les signa avec eux. Toutefois, alors m?me que cette paix sembloit ?tre sur le point de se conclure, il donnoit des preuves nouvelles de sa mauvaise foi en publiant de nouveaux ?crits contre la bulle, ?crits que, par une mauvaise foi plus grande encore, il d?savoua, apr?s qu'ils eurent ?t? condamn?s ? Rome, non pas tant ? cause de cette condamnation que parce qu'ils l'exposoient ? encourir l'enti?re disgr?ce du r?gent. Ce dernier se faisoit surtout remarquer par une fureur qui ne respectoit plus rien: ce fut sur lui que tomba l'orage, et il ?clata ? l'occasion d'une derni?re instruction pastorale dans laquelle il excitoit ouvertement au schisme et ? la r?volte. Le cardinal de Fleuri, forc? enfin de reconno?tre que de semblables exc?s ne pouvoient ?tre plus long-temps tol?r?s, r?solut de le faire juger par le concile de sa province. Ce concile fut assembl? ? Embrun sous la pr?sidence du m?tropolitain, M. de Tencin: le vieil ?v?que, que quelques conf?rences amicales avec ses juges avoient d'abord ?branl?, fut raffermi dans son fanatisme par les agents que le parti se h?ta de lui envoyer de Paris; il parut donc devant le concile pour r?cuser d'abord son autorit?, avoua ensuite que l'instruction pastorale < Qui le croiroit? ce fut dans le barreau de Paris que les Quesn?listes all?rent chercher des appuis; et l'on vit, pour la premi?re fois, des avocats paro?tre dans ces querelles de th?ologie et de discipline eccl?siastique. Cinquante d'entre eux sign?rent avec une rare intr?pidit? une consultation, dans laquelle ressassant toutes les erreurs et toutes les calomnies du parti, ils entassoient lois sur lois pour infirmer le jugement du concile d'Embrun. Sur l'invitation du cardinal de Fleuri, trente et un ?v?ques, alors ? Paris, donn?rent leur avis doctrinal sur cette pi?ce, qu'ils d?clar?rent h?r?tique, diffamatoire, et par suite duquel un arr?t du conseil, du 3 juillet 1728, la supprima avec les qualifications qu'elle m?ritoit. Les ?v?ques qui l'avoient jug?e la fl?trirent ensuite par leurs mandements; et l'un d'entre eux, l'?v?que d'?vreux, allant plus loin, p?n?tra jusqu'aux sources o? ses auteurs avoient puis? leurs pr?tendus arguments contre le concile d'Embrun, et les convainquit d'ignorance grossi?re en ce qui concernoit les lois, les exemples, les r?glements qu'ils avoient rappel?s dans leur consultation; de mensonge et de perfidie, pour avoir g?n?ralement suppos?, tronqu?, falsifi? toutes les autorit?s dont ils avoient invoqu? le t?moignage. Cet ?crit demeura sans r?plique, parce que les preuves y ?toient pouss?es jusqu'? la d?monstration; et il fut reconnu, dans le parti, que, pour le moment, les gens de chicane ne lui pouvoient apporter qu'un tr?s foible secours. Alors les sectaires revinrent ? demander celui des ?v?ques appelants. Il s'en pr?senta douze qui embrass?rent la cause de l'?v?que de Senez; et telle fut leur aveugle pr?cipitation que, dans une lettre au roi o? ils se plaignoient du jugement rendu contre ce pr?lat, ils accus?rent d'irr?gularit? les actes du concile d'Embrun, avant d'avoir pris la pr?caution de les consulter, et sur le simple rapport que leur en firent les t?tes les plus ?chauff?es du parti: il en r?sulta que tous les faits qu'ils avoient avanc?s se trouv?rent faux; ce qui leur fut d?montr?. Leur lettre fut trait?e de s?ditieuse et d?sapprouv?e; mais ce n'?toit pas l? un ?v?nement propre ? les d?concerter. Ils le furent davantage de la r?tractation solennelle que fit le cardinal de Noailles des erreurs dans lesquelles ils l'avoient entra?n?. Depuis quelque temps, ce pr?lat, qui n'avoit jamais manqu? ni de foi ni de pi?t?, se lassoit des violences auxquelles son parti se laissoit emporter, et montroit quelque effroi de certaines cons?quences de leur doctrine, qu'il avoit enfin commenc? ? entrevoir. Les divisions qui ?clat?rent ? Utrecht entre les jans?nistes r?fugi?s sur la doctrine m?me qu'ils opposoient au saint si?ge, achev?rent de lui dessiller les yeux: il reconnut dans ces divisions le principe protestant, par cons?quent l'esprit de mensonge et d'erreur, et revint sinc?rement au giron de l'?glise et ? une soumission pleine et enti?re ? son autorit?. Il accepta publiquement la bulle sans restrictions ni modifications, condamna le livre de Quesnel, ses propres mandements et tout ce qui avoit paru sous son nom de contraire aux d?cisions du souverain pontife; fit ? son ?gard des actes d'une pleine et enti?re soumission, et ?crivit ? tous les ?v?ques qu'il avoit scandalis?s. Telle fut l'heureuse fin d'un pr?lat dont la foiblesse et la vanit? avoient caus? de si grands maux: elle arriva malheureusement trop tard pour produire quelque bien. Il mourut l'ann?e suivante, poursuivi, ? son lit de mort, par les invectives du parti qui l'avoit si long-temps enivr? de ses adulations. Ce z?le ne tarda pas ? ?tre ?prouv?: au moment m?me de son installation, il avoit eu la consolation de voir le chapitre m?tropolitain donner, de son plein gr?, une enti?re adh?sion ? la bulle. Cet exemple n'avoit pas ?t? suivi; et, pour ramener les esprits, il avoit jug? n?cessaire de prouver dogmatiquement, dans une instruction pastorale, que cette bulle, si outrageusement attaqu?e par l'ignorance et la mauvaise foi, ne condamnoit que des erreurs capitales; il la pr?sentoit comme une loi de l'?glise ? laquelle il y avoit obligation absolue de se soumettre, et montroit, avec une force invincible, qu'? moins d'un renversement total de la foi et de la religion, on ne pouvoit opposer le t?moignage de la?ques ou de simples pr?tres aux d?cisions du corps ?piscopal, ayant ? sa t?te le vicaire de J?sus-Christ. Depuis le commencement de ces querelles d?plorables, aucun ?crit catholique n'avoit encore produit un effet aussi salutaire: beaucoup de simples fid?les en furent frapp?s et se d?sist?rent de leur appel; des corps entiers d'eccl?siastiques et un grand nombre de communaut?s religieuses se rendirent ? la voix de leur pasteur; la Sorbonne, d?j? ?branl?e depuis quelque temps, acheva d'?tre entra?n?e par la force de conviction qui r?gnoit dans cette pi?ce, fit une r?tractation solennelle, et, depuis ce moment, demeura in?branlable dans la doctrine orthodoxe. Pendant que le pr?lat remportoit de si doux triomphes, vingt-huit cur?s de Paris ?crivoient et publioient contre son instruction pastorale un M?moire insolent, railleur et s?ditieux: l'archev?que s'en plaignit au roi comme d'un exemple inou? de r?volte du second ordre du clerg? contre ses sup?rieurs, suppliant toutefois le monarque de ne point s?vir contre les coupables, et se r?servant de les ramener par tous les moyens que la charit? pourroit lui sugg?rer. Il suffisoit de lui avoir laiss? < Nous nous arr?terons un moment sur le M?moire des quarante avocats, parce que ce qui se passa ? l'occasion de ce libelle touche le fond m?me de ce grand d?bat, et montre plus visiblement encore que tout le reste quelles ?toient, au milieu de dangers aussi imminents, la d?plorable politique et les funestes traditions du gouvernement, dans tout ce qui touchoit ses rapports avec l'autre puissance. Ceci attira bien autrement l'attention de la cour que tout ce qu'on avoit pu ?crire de plus violent contre l'autorit? du saint si?ge et du corps ?piscopal: un arr?t du conseil supprima le M?moire comme contenant des propositions injurieuses pour l'autorit? du roi, s?ditieuses, et tendant ? troubler la tranquillit? publique. Tout y annon?oit la col?re du monarque pr?te ? ?clater sur les coupables. Ils en furent effray?s; et dans un second M?moire explicatif du premier, ils se h?t?rent de rendre ? la puissance royale ce qui lui ?toit d?, et, sur ce point, se montr?rent assez adroits pour satisfaire m?me les plus ombrageux. C'en fut assez pour adoucir cette col?re qu'ils avoient tant redout?e, et pour leur m?riter la cl?mence royale; mais dans ce second M?moire se trouvoient plusieurs propositions extraites du premier, lesquelles d?truisoient de fond en comble toute la juridiction des ?v?ques: le roi s'?tant fait faire une r?paration qu'il jugeoit suffisante ? l'outrage qu'il avoit re?u, la question fut de savoir quels moyens les ?v?ques pourroient employer pour que l'insulte qui avoit ?t? faite ? leur sacr? caract?re f?t aussi r?par?e; mais comme il ne s'agissoit plus que du corps ?piscopal demandant raison de quelques membres du corps des avocats, ceci pr?senta des difficult?s. Il fut agit? si le roi ne donneroit pas une d?claration de son conseil, par laquelle seroit maintenue cette puissance que les ?v?ques tiennent de Dieu seul: apr?s y avoir r?fl?chi on crut prudent de rejeter ce moyen, par l'appr?hension que l'on eut des obstacles que le parlement ne manqueroit pas d'?lever lorsqu'il s'agiroit de l'enregistrement, et des nouveaux scandales qui en pourroient r?sulter. Plusieurs autres partis furent propos?s, qui montroient combien peu les ?v?ques comptoient sur l'appui de la cour pour le maintien de leurs droits; et tous ayant sembl? offrir des inconv?nients, ils se d?cid?rent ? faire usage de leur propre autorit?, et ? fl?trir par des mandements le M?moire des avocats. C'?toit ainsi qu'un prince de l'?glise, ministre absolu du roi Tr?s-Chr?tien, gouvernoit en France les affaires de la religion. Les sectaires s'enhardissoient de toutes ces foiblesses: ils voyoient que la cour demeuroit chancelante au milieu des deux partis, dispos?e sans doute ? comprimer l'un, mais aussi ne jugeant pas qu'il f?t de sa politique de trop fortifier l'autre. Ils pens?rent donc que s'ils parvenoient ? l'effrayer en exaltant la multitude, que depuis si long-temps leurs doctrines licencieuses faisoient fermenter, leur parti finiroit par triompher. Ils avoient d?j?, et dans cette intention, jet? les bases d'un projet tout-?-fait digne d'eux: c'?toit d'appuyer par de faux miracles leur doctrine mensong?re. Ce n'?toit pas la premi?re fois qu'ils avoient eu recours ? de semblables moyens; et on le peut facilement concevoir d'une secte qui, au fond toute protestante, couvroit hypocritement ses erreurs d'un masque de catholicit?, pr?tendoit combattre avec Rome toutes les h?r?sies, pour ensuite combattre Rome, sous pr?texte qu'elle n'?toit point assez catholique. Les miracles ?toient une des grandes preuves du christianisme: Dieu devoit sans doute de semblables t?moignages ? ceux qui pr?tendoient ?tre, dans les derniers temps, les seuls d?fenseurs de la v?ritable foi; et puisqu'ils se pr?sentoient pour remplacer les ap?tres, il ?toit ? propos qu'ils ne fussent point embarrass?s lorsqu'on leur demanderoit des preuves de leur mission. Il avoit donc ?t? r?solu que l'on feroit un saint d'un diacre mort depuis quelques ann?es, appelant des plus opini?tres et des plus fanatiques, et qui, au moment de mourir, avoit renouvel? solennellement son appel. Ce pr?tendu saint se nommoit P?ris, et avoit ?t? inhum? dans le cimeti?re de la paroisse Saint-M?dard. Cependant les appelants, qui n'avoient pas arrang? les ressorts de cette com?die pour en faire un vain amusement, en tiroient, pour la multitude abus?e, les cons?quences qui sembloient naturellement en sortir; et leurs ?crivains ?tablissoient, dans les ?crits qu'ils r?pandoient au milieu d'elle, < Qui n'auroit cru la secte perdue sans retour, apr?s avoir ?t? si honteusement d?masqu?e? ? peine en fut-elle d?concert?e: ses racines ?toient dans le parlement m?me, et tant qu'il seroit debout, elle se sentoit imp?rissable. On la vit donc renoncer aux miracles, mais non aux injures et aux calomnies. Sa gazette clandestine, qui continuoit de paro?tre r?guli?rement toutes les semaines, ?chappant ? toutes les recherches r?elles ou affect?es de la police, redoubla de fureur; et pour les avoir si long-temps m?nag?s et ensuite si doucement r?prim?s, le gouvernement ne gagna rien avec les sectaires. Ils recommenc?rent, dans leurs libelles p?riodiques, ? invectiver contre l'autorit? du roi, en m?me temps qu'ils continuoient d'outrager les ?v?ques et de blasph?mer contre l'?glise. La majest? royale partageant de nouveau les injures du sacerdoce, l'archev?que de Paris crut que le moment ?toit favorable pour fl?trir de ses censures ces d?testables ?crits, ne supposant pas que, vu cette circonstance, ils trouvassent des d?fenseurs. Ils en trouv?rent: vingt-deux cur?s de Paris refus?rent de publier le mandement de leur archev?que. Poursuivis par l'official pour cet acte de r?volte et de scandale, ils all?rent plus loin encore, et d?nonc?rent au parlement et l'official et le mandement de l'archev?que. Le minist?re montroit une apparence de vigueur, chaque fois que les sectaires s'attaquoient au pouvoir du roi: il fut d?fendu au parlement de prendre aucune d?lib?ration et de rien statuer sur la d?nonciation qui venoit de lui ?tre faite. Cette compagnie, bien qu'elle e?t elle-m?me condamn? la gazette, ne voulut pas manquer une occasion de condamner son archev?que: elle pr?senta, ? trois reprises, ses remontrances; trois fois on les rejeta, et six de ses conseillers les plus opini?tres furent exil?s. Alors le parlement cessa de s'assembler et de rendre la justice. Il lui fut enjoint, par des lettres patentes, de reprendre ses fonctions: il les reprit; mais, continuant ses exp?riences sur la politique si foible et si incertaine de la cour dans toute cette affaire, quelques jours ?toient ? peine pass?s qu'il rendit un arr?t par lequel < Alors satisfait d'avoir, par sa prudence, procur? cette paix ? la religion et ? ses ministres, le cardinal de Fleuri tourna toute son attention vers la guerre que l'on venoit, non moins judicieusement, de d?clarer ? l'Autriche, et la conduisit, ainsi que nous avons vu, avec la m?me ?nergie et la m?me habilet?. Le parlement n'attendoit que l'occasion de recommencer ses attaques contre l'?glise de France, et avec d'autant plus d'impatience que, pendant cette paix factice et malgr? cette loi humiliante du silence qui lui avoit ?t? impos?e, son clerg? avoit su rallier la plupart de ses membres ?gar?s, et ne comptoit plus dans son sein qu'un petit nombre de jans?nistes, et chaque jour d?croissant. Cette occasion ne se pr?sentant point encore, il trouva du moins ? la cour un auxiliaire sorti de ses rangs, qui, devenu ministre, conservoit, dans ses nouvelles fonctions, toute la puret? des traditions parlementaires, c'est-?-dire, la m?me haine pour le clerg? que lorsqu'il ?toit simple magistrat: c'?toit le contr?leur-g?n?ral Machault, cr?ature de madame de Pompadour, et qui payoit du d?vouement le plus servile la fortune brillante ? laquelle son caprice l'avoit ?lev?. Les d?penses de la guerre qui venoit de finir, et les profusions effr?n?es de la cour, avoient rouvert l'ab?me des finances: afin de le combler, il fut le premier qui e?t encore os? porter un regard cupide sur les biens du clerg?, et penser ? faire de ses d?pouilles une ressource pour ce qu'il appeloit les besoins de l'?tat. Le parti philosophique qui savoit qu'attaquer ce corps v?n?rable comme propri?taire, c'?toit l'attaquer dans son existence m?me, et porter ? la religion un coup plus funeste qu'aucun de ceux dont on essayoit de la frapper, faisoit, depuis long-temps, de cette spoliation l'un des textes favoris de ses d?clamations furibondes, se plaisoit ? exag?rer l'immensit? des richesses des gens d'?glise, et apr?s avoir ?tabli que chaque citoyen doit ? l'?tat, qui le prot?ge, de concourir ? l'aider dans ses besoins, rappeloit la pauvret? des ap?tres, la pr?sentoit comme le seul patrimoine qui conv?nt aux ministres de l'?vangile, et prouvoit ? sa mani?re que le gouvernement avoit le droit de s'emparer de leurs biens pour parvenir au double r?sultat de subvenir ? ses embarras pressants, et de ramener le clerg? aux vertus de l'?glise primitive. Machault tenta donc de r?aliser cette id?e sp?culative des philosophes: pour en esp?rer quelque succ?s, il ?toit prudent d'y proc?der graduellement. Un arr?t du conseil, rendu en 1749, < Nous voici arriv?s ? des ?v?nements qui semblent appartenir aux ?poques les plus orageuses des h?r?sies du Bas-Empire, ?v?nements n?anmoins si rapproch?s de nous, qu'ils peuvent avoir eu pour t?moins des hommes qui sont encore nos contemporains, et en m?me temps tellement incroyables, que ceux qui les ignorent seront tent?s de les assimiler ? quelques unes de ces traditions incertaines qui ne nous parviennent qu'alt?r?es ou exag?r?es par une longue suite de si?cles. On a vu, dans le cours de cette histoire et depuis plusieurs r?gnes, que le parlement n'avoit, ? l'?gard du clerg?, qu'une seule pens?e, qui ?toit de d?truire sa juridiction pour ?tablir, sur la France enti?re, la domination exclusive de ses tribunaux: c'?toit une entreprise difficile, car tout ?tant li? indissolublement dans l'oeuvre plus qu'humaine de la religion, tant que le dogme demeuroit intact, la discipline se maintenoit n?cessairement; et dans la discipline sont renferm?es la juridiction et la hi?rarchie. Cette difficult? avoit ?t? tellement sentie par la magistrature, que c'?toit au moment m?me o? des sectaires avoient attaqu? le dogme, qu'elle avoit redoubl? d'efforts contre la juridiction; et ces sectaires, dont elle s'aidoit, se trouvant, par le caract?re unique de leur h?r?sie, plac?s dans le sein m?me de la puissance qu'il s'agissoit d'attaquer, on l'avoit vue, soutenue de ces membres hypocrites du clerg?, ?tendre rapidement ses usurpations jusqu'? s'arroger le droit de d?cider sur la doctrine et d'interpr?ter les canons. Le gouvernement de l'?glise en avoit ?t? ?branl? jusque dans ses fondements; mais il lui avoit fallu peu de temps pour se rasseoir. Ainsi que nous venons de le dire, si l'on en excepte quelques membres isol?s et ?pars, le jans?nisme ?toit presque enti?rement expuls? de son clerg?; et la religion ?tant le principe de tout ordre et de toute subordination, la subordination et l'ordre s'y ?toient r?tablis d'eux-m?mes. Voyant donc l'?glise de France d?sormais inattaquable dans les rapports des premiers pasteurs avec les membres inf?rieurs de sa hi?rarchie, ses ennemis imagin?rent une autre manoeuvre pour la commettre avec les sectaires, et la replacer ainsi sous la main du parlement: de l? l'odieuse affaire des billets de confession et des refus de sacrements. D?s 1749, un membre du parlement avoit d?nonc? aux chambres quelques refus de sacrements faits ? des appelants; et cette d?nonciation, bien qu'on n'y e?t pas donn? de suite, avoit fait quelque bruit. L'ann?e suivante, un semblable refus est encore d?nonc?, et le parlement mande le cur? de Saint-?tienne-du-Mont, que l'on accusoit de ce d?lit d'une nouvelle esp?ce, pour qu'il ait ? s'expliquer sur les motifs de ce refus: il r?pond ce qu'il devoit r?pondre, qu'il en avoit rendu compte ? l'archev?que, et que, dans l'exercice de son minist?re, il n'avoit d'ordre ? recevoir que de lui. Le cur? est envoy? en prison, et les gens du roi se transportent chez l'archev?que , pour l'inviter charitablement ? faire administrer le malade, ? qui l'un des membres de son clerg? refusoit si indignement les derniers secours de la religion. Certes, l'?tonnement du pr?lat dut ?tre grand, lorsqu'il vit des magistrats se montrer si ignorants des pratiques les plus communes de l'?glise, dans son gouvernement int?rieur et dans ses rapports avec les simples fid?les. Les billets de confession ?toient une coutume ?tablie dans toute la chr?tient? et de temps imm?morial: on la trouve express?ment recommand?e dans les avis de saint Charles-Borrom?e ? l'un des conciles de Milan; l'assembl?e du clerg? de 1655 l'avoit adopt?e, et avoit recommand? aux cur?s de s'y conformer; elle ?toit surtout n?cessaire, ou plut?t indispensable, au milieu de la population immense d'une ville telle que Paris, dans laquelle abondoient tant d'individus justement suspects, ou totalement inconnus de leurs pasteurs; le cardinal de Noailles en avoit lui-m?me ordonn? l'observation. L'intr?pide et vertueux pr?lat ?toit d'autant moins dispos? ? s'en d?partir, que les jans?nistes professoient, sur le droit d'absoudre et de confesser, des doctrines enti?rement oppos?es ? la discipline de l'?glise; et l'invitation ?trange que venoit lui faire, ? cet ?gard, une autorit? s?culi?re, n'?toit pas propre ? le faire changer de r?solution. Les esprits n'?tant pas encore pr?par?s ? ce nouveau genre de pers?cution, l'emprisonnement du cur? choqua g?n?ralement; il d?plut au roi, qui d?sapprouva la conduite violente du parlement, et rejeta des remontrances dans lesquelles il qualifioit < Ainsi s'enhardissoient les meneurs du parlement, s'intimidoient les foibles, et la compagnie enti?re ?toit entra?n?e. Le cur? de Saint-M?dard et ses vicaires sont d?nonc?s pour refus de sacrements faits ? deux religieuses: ils sont mand?s. Les vicaires seuls se pr?sentent, et d?clarent qu'ils ont fait ce refus sur les ordres de l'archev?que. Le pr?lat re?oit de nouveau l'invitation de faire administrer; il y r?pond comme il avoit d?j? fait et avec la m?me fermet?. On le met en cause, son temporel est saisi; les pairs dont il est justiciable sont convoqu?s pour le juger, et le cur? de Saint-M?dard est d?cr?t? de prise de corps. Le roi casse ces arr?ts et d?fend la convocation des pairs: l'ordonnance royale, est port?e au parlement; le pr?sident veut la lire, on refuse de l'entendre. Une lutte scandaleuse s'?tablit entre le prince et ses officiers de justice: les d?putations, les arr?ts, les remontrances se succ?dent sans interruption; le pape, les ?v?ques, le clerg?, l'autorit? de l'?glise, les lois m?me du souverain y sont insult?s ou menac?s; et le conseil du roi ne sait faire autre chose que refuser les remontrances, casser les arr?ts, et ordonner < La grand'chambre avoit ?t? ?pargn?e: elle ne s'en montra que plus arrogante, persista dans tous les arr?t?s d?j? pris, et continua d'informer contre les billets de confession. Le surlendemain 11 mai, un ordre du roi la transf?ra ? Pontoise: elle partit, consol?e et raffermie par les acclamations de ses partisans, et, arriv?e au lieu de son exil, n'en demeura pas moins opini?tre dans ses arr?t?s, ni moins active dans ses poursuites contre < Il faut bien le dire, cette prosp?rit? mat?rielle que les profonds penseurs de nos jours ont en si grande estime, et qu'ils consid?rent ? peu pr?s comme le seul principe vital des ?tats, s'?toit accrue, dans cette belle France, au milieu de cette dissolution sociale qu'y pr?paroient un despotisme idiot et une d?magogie insens?e. Le commerce ext?rieur surtout, et nous ne parlerons ici que de cette branche de ses ressources industrielles, avoit pris de grands accroissements: la France faisoit presque exclusivement celui du Levant; dans les Indes occidentales, aucune colonie ne pouvoit ?tre compar?e ? la partie fran?oise de Saint-Domingue pour la richesse et la fertilit?; ses autres colonies des Antilles, ses possessions immenses dans le Canada, prenoient chaque jour de nouveaux d?veloppements, et les factoreries qu'elle avoit cr??es en Afrique, et particuli?rement sur les c?tes du S?n?gal, contribuoient ? faire fleurir tous ces ?tablissements. Dans l'Inde, les divisions de Dupleix et de La Bourdonnaie avoient un moment compromis l'existence encore mal affermie de ses comptoirs; mais, demeur? vainqueur d'un rival de talent et de gloire dont il avoit ?t? bassement jaloux et que des intrigues de bureaux lui avoient sacrifi?, Dupleix, tandis que La Bourdonnaie expioit ? la Bastille les services inappr?ciables qu'il avoit rendus ? son pays, se montroit du moins digne de le remplacer par son activit?, son courage, les grandes vues qu'il d?ployoit dans son administration. Habile ? profiter des divisions des nababs dont la colonie fran?oise ?toit entour?e, il faisoit payer ch?rement ses secours ? ceux de ces petits princes qu'il ?toit de son int?r?t de favoriser, et le territoire de Pondich?ry s'agrandissoit consid?rablement des concessions qu'il les obligeoit de lui faire. Il n'est pas besoin de dire que les Anglois voyoient d'un oeil cupide et jaloux, et cette prosp?rit? de nos ?tablissements dans l'Inde plus grande que la leur, et cet ?tat florissant de nos colonies occidentales, et surtout ces milliers de vaisseaux qui, sortant sans cesse de nos ports et parcourant toutes les mers du levant et du couchant, nous formoient ainsi une race nombreuse de marins bient?t capable de leur disputer l'empire de ces mers, et mena?ant ainsi l'existence d'un syst?me de gouvernement dont cette supr?matie maritime ?toit l'unique base, et qui crouloit sur lui-m?me, si elle leur ?toit enlev?e. Attentifs ? tout ce qui se passoit, et suivant en ceci la politique profond?ment perverse des Romains, qui d?cidoient qu'un peuple et qu'un royaume ne devoient plus subsister, d?s que son existence ?toit de nature ? inqui?ter la r?publique, les chefs de l'aristocratie angloise reconnurent qu'il ?toit temps encore de d?truire cette rivalit? renaissante de la France dont ils ?toient alarm?s; d'assurer, en frappant quelque grand coup, cette sup?riorit? navale, qui, quelques ann?es plus tard, pouvoit leur ?tre enlev?e; et la guerre fut r?solue dans leur cabinet. Comme il ne s'agissoit point, dans une semblable r?solution, du juste ou de l'injuste, mais tout simplement d'un int?r?t que ce cabinet machiav?lique consid?roit comme le premier int?r?t de sa nation, tous les moyens sembl?rent bons pour en assurer le succ?s. Si l'on en croit les r?cits les plus dignes de foi, les Anglois commenc?rent les hostilit?s par un assassinat sur les limites du Canada, se plaignirent hautement des justes repr?sailles qui, dans cette occasion, furent exerc?es contre eux, comme d'une disposition mena?ante ? l'?gard de leurs possessions dans le nord de l'Am?rique; et, afin de rendre incontestable le droit qu'il avoit de faire la guerre ? la France, prirent des mesures ? peu pr?s immanquables pour l'emp?cher de pouvoir la soutenir, en faisant sortir tra?treusement de leurs ports toutes leurs flottes, lui enlevant en pleine paix trois cents navires marchands, et ce qui ?toit pour eux une capture bien autrement pr?cieuse, dix mille matelots qui en formoient les ?quipages; ?crasant ainsi ? la fois son commerce et sa marine, avant qu'elle e?t m?me song? ? se mettre en d?fense. C'?toit encore l? un de ces traits de politique romaine dont il y avoit peu d'exemples parmi les peuples de la chr?tient?, m?me dans leurs si?cles les plus barbares. Tandis que ce projet se pr?paroit et s'ex?cutoit, le cabinet de Versailles, constant dans ces traditions de complaisance et de d?f?rence pour les Anglois, qui avoient ?t? cr??es sous la r?gence, laissoit dans l'Inde Dupleix sans secours, de crainte de leur causer de l'ombrage, et lui faisoit perdre ainsi, ? leur profit, tout le fruit de ses victoires et de ses n?gociations; puis, sur l'affaire du Canada, il se ber?oit niaisement des vaines paroles dont ces astucieux diplomates, en attendant que leur brigandage e?t eu son plein et entier effet, amusoient la cr?dulit? de l'ambassadeur le plus malhabile que ce cabinet malavis? leur e?t jamais envoy?. Cependant ce projet d'alliance ?toit discut? dans le conseil o? sa domination n'?toit pas encore aussi souverainement ?tablie qu'elle le fut depuis, et o? le minist?rialisme, tr?s concentr? sous la r?gence et sous le cardinal de Fleuri, avoit fini, gr?ce ? l'incurable foiblesse du prince, par d?g?n?rer en une sorte d'anarchie oligarchique; chaque secr?taire d'?tat s'?tant fait ma?tre absolu dans son d?partement, n'?tendant pas ses vues au del? des int?r?ts et des affaires qui en d?pendoient, y rapportant tout, et pour les soutenir, se mettant en ?tat d'hostilit? contre ses coll?gues, au risque de compromettre la fortune et le salut m?me de l'?tat. D'Argenson, ministre de la guerre, de qui Duclos lui-m?me rend ce t?moignage < Or toutes ces choses se passoient, tandis que ce m?me minist?re, compos? de semblables hommes, luttoit si mis?rablement contre le parlement, et ne se soutenoit dans cette lutte qu'en lui sacrifiant journellement quelques d?pouilles de l'?glise de France, comme une proie ? d?vorer. Le trait? entre la France et l'Autriche fut sign?, ? Versailles, le 1er mai 1756. Cependant, cette m?me ann?e, la guerre s'?toit ouverte avec les Anglois, sous les auspices les plus favorables: l'escadre fran?oise, command?e par La Galissonni?re, avoit battu et dispers? l'escadre angloise que commandoit l'amiral Bing; et la prise de l'?le de Minorque, et de la forteresse de Mahon qui suivit cette victoire navale, ?toit un fait d'armes brillant qui donnoit au mar?chal de Richelieu les apparences d'un g?n?ral heureux, brave et exp?riment?. Ces premiers succ?s enivr?rent les fauteurs de la guerre; et cet enivrement fut d'autant plus fatal, qu'ils ne s'arr?t?rent plus dans leurs esp?rances. Le roi de Prusse, au contraire, ne s'aveugloit point sur sa situation; et bien instruit des dispositions et de la pr?pond?rance de la coterie qui manoeuvroit contre lui ? la cour de France, il avoit prudemment jug? que ce seroit agraver cette position p?rilleuse que de rester seul ? la merci de hautes parties contractantes. Il connoissoit trop bien l'Autriche pour ne pas avoir devin? o? elle en vouloit venir en n?gociant avec la France un trait? d'alliance et de neutralit? dans la guerre de cette puissance avec l'Angleterre, trait? par lequel elle s'engageoit ? garantir et ? d?fendre en Europe tous les ?tats du monarque fran?ois, que personne n'attaquoit ni ne pouvoit attaquer; tandis qu'elle s'y faisoit garantir les siens, non sur les bases du trait? d'Aix-la-Chapelle, mais selon l'ordre ?tabli par la Pragmatique-sanction, clause qui le mena?oit directement dans la possession usurp?e de la Sil?sie. Aussi cette convention n'?toit pas encore sign?e, qu'il avoit pris le seul parti qu'il lui f?t possible de prendre, en signant le premier un trait? d'alliance avec le roi d'Angleterre. Cependant des n?gociations actives, entam?es avec tous les cabinets de l'Europe et conduites avec adresse pas l'abb? de Bernis, fortifioient le trait? de Versailles de l'alliance de la Russie et de la Su?de; la Bavi?re, le Palatinat et le Wirtemberg y avoient acc?d?; la di?te de l'Empire refusa son assistance au roi de Prusse, et la Hollande confirma sa neutralit?. Ainsi l'Europe presque enti?re s'?branloit sur ses fondements pour faire rendre un petit coin de terre ? l'Autriche, ? cette Autriche contre laquelle, quelques ann?es auparavant, cette m?me Europe s'?toit ?galement arm?e dans le dessein de la d?pouiller de tous ses ?tats; et c'?toit la France qui provoquoit de nouveau cet ?branlement g?n?ral, n'ayant rien ? r?clamer pour elle, ne pr?tendant ? aucune conqu?te, n'ayant nulle appr?hension d'?tre entam?e dans la moindre partie de son territoire. Certes, c'?toit l? de la d?mence; et cette d?mence semble encore plus caract?ris?e, lorsque l'on consid?re que cette conf?d?ration si formidable n'?toit form?e que pour avoir raison d'un des plus petits royaumes de l'Europe. Les plus simples notions des int?r?ts grossiers dont se composoit alors la politique moderne y ?toient renvers?es; et tout ceci semble ? peine croyable. Ce qui va suivre est plus incroyable encore. Jamais souverain ne s'?toit vu dans de plus grandes extr?mit?s que le roi de Prusse: ses ennemis se pr?sentoient ? lui sur tous les points; mais aussi il ne se rencontra jamais sur le tr?ne un g?nie plus propre que le sien ? lutter contre une pareille situation, ? montrer ce que peuvent op?rer de prodiges un pouvoir absolu sur des peuples fa?onn?s ? l'ob?issance, une force de volont? que rien ne peut ?branler, et une capacit? militaire en ?tat de tout entreprendre et m?me de tout hasarder, parce qu'elle n'est comptable qu'? elle-m?me de ses revers et de ses succ?s. Son coup d'oeil per?ant lui fit voir avec la rapidit? de l'?clair ce qu'il avoit ? faire: c'?toit d'attaquer avant qu'on e?t pu se r?unir pour l'accabler, et il le fait ? l'instant m?me. ? la t?te de ses arm?es si long-temps victorieuses, et entour? de ce cort?ge de g?n?raux habiles qu'il avoit form?s lui-m?me sur les champs de bataille, il entre brusquement en Saxe, ordonne au prince Ferdinand de Brunswick, l'un de ses plus dignes compagnons d'armes, d'aller s'emparer de Leipsick, marche lui-m?me sur Dresde, force pour la seconde fois le roi de Pologne ? sortir de la capitale de ses ?tats h?r?ditaires; et tandis que celui-ci va s'enfermer avec ses meilleures troupes dans le camp de Pyrna, vole, dans la Boh?me, ? la rencontre des Autrichiens qui commen?oient ? s'?branler; d?clar? par la di?te ennemi de l'Empire, r?pond ? cette d?claration en les battant ? Lokowitz, revient au blocus du camp de Pyrna, d'o? le roi-?lecteur s'?chappe encore, abandonnant son arm?e qui tout enti?re se rend prisonni?re, et, dans sa fuite, suppliant le vainqueur de dicter les conditions d'une paix qui lui est refus?e. Fr?d?ric ne lui accorda que des passe-ports pour se retirer en Pologne, et combla lui-m?me, dit-on, la mesure de ses m?pris en lui offrant des chevaux de poste. On s'?toit ridiculement persuad? que le roi d'Angleterre, ma?tre en apparence de faire la paix ou la guerre, l'?toit en r?alit?; et que d?s qu'il verroit son ?lectorat de Hanovre envahi, il souscriroit cette paix ? peu pr?s aux conditions qu'il plairoit de lui imposer. Une seule campagne suffisoit, disoit-on, pour amener cet immanquable r?sultat. On ouvrit donc cette campagne en faisant marcher une arm?e, ? travers la Hesse et la Westphalie, vers cet ?lectorat de Hanovre, que d?fendoit le prince de Cumberland, dont l'arm?e, toute hanovrienne, ?toit fortifi?e des troupes hessoises et brunswickoises. L'arm?e fran?oise, dont une division ?toit sous les ordres du prince de Soubise, l'un des favoris de Mme de Pompadour, avoit pour g?n?ral en chef le mar?chal d'Estr?es. Tandis qu'elle marchoit en avant, l'ennemi reculant toujours devant elle, et lui abandonnant successivement ses places fortes et ses positions, les intrigues de Versailles se montroient d?j? plus actives que le g?n?ral fran?ois, qui, en effet, laissoit voir de la lenteur, de l'ind?cision, et ne savoit pas profiter des avantages que lui offroit cette singuli?re manoeuvre du g?n?ral anglois. Il h?sitoit encore ? attaquer celui-ci qui, fortement retranch? pr?s de Hastenbeck, paroissoit enfin d?cid? ? l'attendre, lorsqu'il apprit que son successeur ?toit d?j? nomm?: ce fut cette nouvelle qui lui donna la r?solution de livrer enfin bataille. Il attaqua donc le prince de Cumberland, remporta une victoire qu'il dut aux fautes de celui-ci et ? l'habilet? de Chevert et de quelques autres officiers distingu?s; puis, quelques jours apr?s, fut destitu? comme s'il avoit ?t? battu, et remit le commandement au mar?chal de Richelieu. Celui-ci profita de la terreur panique de l'ennemi, terreur qui, lui ayant fait d'abord abandonner un champ de bataille qu'il pouvoit encore disputer, ne lui avoit pas permis de s'arr?ter un seul instant dans une retraite qu'il continua jusqu'? ce que l'arm?e fran?oise l'e?t accul? ? l'embouchure de l'Elbe. Ce fut l? que, r?fugi? dans Stades avec des troupes qui partageoient son effroi et son d?couragement, le duc de Cumberland, que Fontenoi et Culloden avoient autrefois illustr?, signa cette convention fameuse de Closter-Severn, par laquelle les Fran?ois demeurant ma?tres de l'?lectorat de Hanovre, du landgraviat de Bremen et de la principaut? de Verden, les troupes alli?es de cet ?lectorat ?toient tenues de se retirer dans leurs pays respectifs, pour y rester neutres jusqu'? la fin de la guerre, les Hanovriens devant passer l'Elbe et ne point sortir des quartiers qui leur seroient assign?s. En signant, de son c?t?, cette convention, le duc de Richelieu, qui pouvoit faire toute cette arm?e prisonni?re de guerre par capitulation, et qui avoit commis la premi?re faute d'en manquer l'occasion, en commit une seconde plus grave encore: ce fut d'oublier que le duc de Cumberland n'?tant pas autoris? par sa cour ? proposer un semblable arrangement, il ?toit nul par le fait; et qu'en refusant de le ratifier, les Anglois pouvoient faire perdre ? la France tout le fruit de cette suite de succ?s inesp?r?s. Cette derni?re faute fut la plus capitale d'une guerre o? l'on ne commit que des fautes; et le vainqueur hasardeux de Mahon n'avoit, ni dans son caract?re ni dans ses talents militaires, ce qu'il falloit pour la r?parer. Tandis que le prince de Soubise, qu'il avoit d?tach? de l'arm?e avec un corps de vingt-cinq mille hommes, se joignoit aux troupes des cercles de l'Empire pour p?n?trer en Saxe et y r?tablir l'?lecteur, le g?n?ral en chef, plus habile ? piller qu'? combattre, parcouroit le Hanovre en le d?solant, et, uniquement occup? de satisfaire sa cupidit? insatiable, laissoit au prince Ferdinand de Brunswick le temps de mettre Magdebourg en ?tat de d?fense, et ne faisoit aucune manoeuvre pour soutenir son lieutenant. C'est que, pr?somptueux et l?ger, il consid?roit la guerre comme termin?e, et le roi de Prusse comme perdu sans ressource. Or, voici ce qui arriva: sorti des quartiers d'hiver qu'il avoit pris dans la Saxe, Fr?d?ric, apr?s avoir vainement essay? de rompre la ligue formidable qui avoit jur? sa ruine, s'?toit livr? de nouveau ? ces tentatives hardies qui seules, dans de semblables extr?mit?s, pouvoient lui offrir quelques chances de salut. Alors l'arm?e des cercles n'?toit pas encore rassembl?e; la Su?de et la Russie attendoient pour agir les subsides de la France, embarrass?e de payer m?me ses propres soldats; et au commencement de cette campagne, l'Autriche se trouvoit encore abandonn?e contre lui ? ses propres forces. Il saisit le moment et rentre dans la Boh?me, se proposant non pas seulement de vaincre les arm?es de son ennemi, mais de les an?antir; p?n?tre jusqu'aux environs de Prague; y remporte sur le prince de Lorraine une victoire sanglante et long-temps disput?e; le force de se renfermer dans cette capitale, avec quarante mille hommes qu'il est s?r de bient?t affamer; sans en abandonner le blocus, vole ? la rencontre d'une seconde arm?e qui s'avance pour d?livrer la premi?re, et qui, si elle est d?truite, lui ouvre le chemin de Vienne, o? il ira dicter les conditions de la paix dans le palais m?me des empereurs; trouve enfin, dans le vieux tacticien Daun, un g?n?ral dont la prudence et les combinaisons savantes lui arrachent la victoire, et le replongent dans tous les p?rils dont il se croyoit au moment de sortir. Forc? de lever le si?ge de Prague et toutefois sans que ses ennemis victorieux pussent l'emp?cher de se maintenir encore dans la Boh?me, ayant d?j? ?puis? toutes ses ?pargnes, et quelques fautes du prince Henri son fr?re le mettant en p?ril de perdre la Sil?sie, il apprend ? la fois l'entr?e de quatre-vingt mille Russes dans la Prusse orientale, l'irruption des Su?dois dans la Pom?ranie, les succ?s extraordinaires de l'arm?e fran?oise, la convention de Closter-Severn, la marche du prince de Soubise vers la Saxe, et sa r?union avec l'arm?e de l'Empire. Press? ainsi de toutes parts, envahi sur toutes ses fronti?res, Fr?d?ric sent un moment s'abattre son courage, et cependant, au milieu des pens?es de d?sespoir dont il est agit?, conserve encore cette pr?sence d'esprit et ce coup d'oeil ferme qui savent lui cr?er des ressources de salut, alors que tout semble perdu pour lui. Un de ses g?n?raux, Bevern, est laiss? ? la garde de la Sil?sie avec une arm?e de cinquante-six mille hommes; puis se confiant ? sa fortune et ? son g?nie, il n'emm?ne avec lui que douze mille soldats, en rassemble ? peu pr?s dix mille autres sur sa route, et, avec cette petite troupe, va chercher les arm?es combin?es de France et des cercles, qui, sous les ordres du prince de Soubise et du plus incapable des g?n?raux autrichiens, le prince de Saxe-Hildbourghaussen, ?taient alors r?unies aupr?s d'Erfurt; par une suite de manoeuvres ing?nieuses, sait tromper l'ennemi et lui faire quitter une position o? il ?toit fortement retranch?, pour venir se livrer ? lui dans la plaine de Rosback; et l?, avec un petit nombre de bataillons et d'escadrons de cavalerie, remporte la victoire la plus compl?te sur une arm?e de soixante mille hommes, indisciplin?e, mal command?e, qui, ? peine attaqu?e, se met en d?route, ? la honte de ses deux chefs, incapables m?me de la rallier apr?s la d?faite. Vainqueur ? Rosback, Fr?d?ric n'a pas m?me le temps de respirer: il faut qu'il retourne en toute h?te dans la Sil?sie, o? Bevern a ?t? battu par les Autrichiens, d?j? ma?tres de Breslaw et bient?t de toute la province. Sa seule pr?sence y change la face des choses: des d?bris de ses arm?es il en compose une nouvelle qu'il sait remplir de confiance et d'ardeur, et marche ? la rencontre de Daun et du prince de Lorraine, quelques jours auparavant vainqueurs de ses lieutenants, tous les deux g?n?raux exp?riment?s et qui commandent une arm?e deux fois plus nombreuse que la sienne; les atteint dans la plaine de Lissa, et, par une de ces manoeuvres qu'il n'appartient qu'au g?nie militaire de concevoir sur-le-champ et de savoir ex?cuter, remporte sur eux une victoire plus compl?te encore et surtout plus d?cisive que celle de Rosback. Peu de jours apr?s, Breslaw lui rouvrit ses portes, et il se r?tablit bient?t dans la Sil?sie. L'arm?e autrichienne ?toit, par sa derni?re d?faite, affoiblie, dispers?e, et hors d'?tat d'agir avant d'avoir ?t? r?organis?e: le vainqueur concentra ses forces pour les porter tour ? tour sur les divers points menac?s par ses nombreux ennemis, Russes, Su?dois, Fran?ois, Allemands; et jusqu'? la fin de cette m?morable campagne de 1757, sut les contenir et les repousser. En Allemagne, le roi de Prusse ?toit moins heureux que l'ann?e pr?c?dente: Daun, apr?s lui avoir enlev? tous ses convois, l'avoit forc? de sortir de la Moravie, o? il venoit de se jeter, et d'abandonner le si?ge d'Olmutz, qu'il avoit peut-?tre imprudemment commenc?. Laissant son arm?e dans la Boh?me, o? il vouloit se maintenir, il ?toit all?, suivi seulement de quatorze bataillons, ? la d?fense de ses propres ?tats, que cent mille Russes venoient d'envahir; et ralliant ? ce corps d'?lite les troupes qu'il avoit dans la Pom?ranie, il avoit march? ? leur rencontre et les avoit vaincus pr?s du village de Zorndorf, dans une des batailles les plus sanglantes et les plus disput?es de toute cette guerre. Mais c'?toit peu pour lui d'avoir forc? ? la retraite quelques uns de ses puissants ennemis par des prodiges de bravoure et d'habilet?; d'autres reparoissoient ? l'instant m?me, non moins mena?ants et redoutables; et vainqueur des Russes, le h?ros prussien n'eut que le temps de se rendre en Saxe, ? marches forc?es, pour d?livrer le prince Henri son fr?re, que Daun avoit poursuivi jusque sous le canon de Dresde, o? il s'?toit r?fugi?, attendant son lib?rateur. D?s que le roi parut, le si?ge fut lev?, et les deux arm?es se r?unirent; mais cette fois-ci le g?n?ral autrichien se montrant, contre sa coutume, plus actif que son illustre antagoniste, eut la gloire de tromper sa vigilance, de le vaincre une seconde fois, ? Hochkirch: et de le voir se retirer devant lui. Cette d?faite et sa victoire sur les Russes, si ch?rement achet?e, avoient ?puis? les arm?es de Fr?d?ric: cette fois on le crut et on dut le croire perdu sans ressource, et ce ne fut pas sans ?tonnement que l'Europe le vit reprendre bient?t, ? force d'activit?, de sang froid et de science militaire, tout son ascendant sur Daun; et par une suite non interrompue de ses manoeuvres accoutum?es, le forcer ? aller chercher ses quartiers d'hiver hors de la Saxe et de la Sil?sie, o?, ? la fin de cette campagne, les Prussiens ne rencontr?rent plus un seul ennemi. Que faisoit, pendant ce temps, l'arm?e fran?oise sous les ordres du comte de Clermont? Apr?s lui avoir fait passer le Rhin, toujours poursuivie par le prince Ferdinand, qui le passa apr?s elle, son g?n?ral vouloit encore lui faire ?viter le combat, et continuer ind?finiment la retraite commenc?e. Quelques uns de ses officiers l'en firent rougir, et le forc?rent en quelque sorte ? s'arr?ter ? Crevelt et ? y attendre l'ennemi. Les deux arm?es ne tard?rent point ? en venir aux mains; et le comte de Saint-Germain, l'un de ceux qui avoient conseill? la bataille, ?toit sur le point d'assurer la victoire, lorsqu'il se vit abandonn? par le g?n?ral en chef, habile seulement ? ordonner la fuite, et qui, cette fois-ci, donna l'exemple en fuyant le premier. Le vainqueur s'empara de Nuys, de Ruremonde, de Dusseldorf, et poussa des partis jusqu'aux environs de Bruxelles. Il n'?toit plus possible d'employer encore le comte de Clermont: Contades le rempla?a, et ce nouveau g?n?ral, ayant pour second le prince de Soubise, qui cherchoit une occasion d'effacer la honte de Rosback, sembla relever un peu le courage du soldat? L'un et l'autre remport?rent quelques succ?s peu d?cisifs, et montr?rent quelque disposition ? reprendre l'offensive; mais les manoeuvres du prince Ferdinand les forc?rent bient?t ? revenir au point d'o? ils ?toient partis. Voil? o? l'on ?toit apr?s trois campagnes qui avoient fait verser des flots de sang, et r?duit la France aux plus cruelles extr?mit?s. Nos g?n?raux battus r?pondoient aux reproches de l?chet? ou d'ineptie qu'on leur adressoit en r?criminant contre leurs subordonn?s, qu'ils accusoient de trahison; et ceux-ci se d?fendoient en mettant dans un plus grand jour les fautes qui avoient tout perdu. Les soldats, indisciplin?s et d?courag?s, du m?pris de leurs chefs ?toient pass?s ? l'admiration et ? l'enthousiasme pour le h?ros qui les avoit si souvent battus; et la France ?toit entra?n?e ? partager cet enthousiasme et cette admiration. Enfin, la guerre qui pesoit sur elle avoit ?t? tellement conduite, et l'esprit public y ?toit tellement exasp?r? contre le roi et ses ministres, qu'on voyoit, ce qui ?toit encore sans exemple, les vaincus faire hautement des voeux pour le vainqueur, s'affliger de ses revers, se r?jouir follement de ses succ?s. Cependant, absorb? par les embarras toujours croissants de cette guerre insens?e, troubl? par mille cabales, agit? de mille intrigues subalternes, le minist?re, comme si le g?nie des Dubois et des Fleuri e?t encore pr?sid? ? notre marine, ne s'en occupoit gu?re plus que si l'Angleterre e?t ?t? notre alli?e; et celle-ci, profitant savamment, ou de cette incurie, ou, ce qui est plus probable, des intelligences secr?tes qu'elle s'?toit cr??es dans le centre m?me de notre administration maritime , pr?ludoit aux grands coups qu'elle alloit frapper, par des descentes sur nos c?tes, des attaques contre nos ports, qui n'avoient pas en apparence de grands r?sultats, o? souvent m?me elle sembloit ?prouver des ?checs, mais dont elle obtenoit ce r?sultat bien autrement important, d'arr?ter les secours en hommes, en munitions et en vaisseaux que demandoient nos colonies, et d'o? d?pendoit leur conservation. Ceux qui les commandoient poussoient des cris d'alarme qui parvenoient jusqu'en France, et qui ne laissoient pas que d'accro?tre le trouble que causoient tant d'embarras o? l'on s'?toit si inutilement jet?. Cependant on n'avoit qu'? dire un seul mot, qu'? laisser entrevoir la moindre disposition pacifique, et l'on finissoit ? l'instant m?me cette guerre d?plorable du continent, dont l'Autriche elle-m?me ?toit fatigu?e. Ce fut alors que l'abb? de Bernis, revenant ? ses premi?res id?es, commen?a ? faire des instances pour la paix; et quelque servilit? qu'il y e?t alors dans le minist?re, si l'on en excepte le mar?chal de Belle-Isle, qui s'y montroit oppos? uniquement sans doute parce qu'il avoit le d?partement de la guerre, et que cependant il n'e?t pas ?t? difficile de ramener au meilleur avis, il n'y eut qu'une seule voix pour cette paix devenue si n?cessaire. Le roi lui-m?me commen?oit ? ?tre persuad? et avoit permis que des n?gociations fussent entam?es ? ce sujet. Mme de Pompadour, dont l'amour-propre se sentoit froiss? de toutes parts, que la clameur publique, dont elle ?toit le principal objet, irritoit, parce qu'elle n'avoit pas assez de sens pour en ?tre effray?e, s'ent?ta seule ? la guerre, parla de la honte qu'il y auroit ? c?der, de l'honneur de la France compromis, joua la femme forte et le grand caract?re, ce qui offrit le m?lange de l'odieux et du ridicule; et telle ?toit cette d?gradation ? laquelle tout ?toit parvenu, qu'il fallut continuer ? verser du sang et ? ravager des provinces, pour venger Mme de Pompadour des chansons des Parisiens, apr?s avoir commenc? ces ravages et cette effusion de sang, pour punir le roi de Prusse de ses ?pigrammes et payer Marie-Th?r?se de ses cajoleries. L'abb? de Bernis, pour prix de la seule bonne action qu'il e?t faite depuis qu'il ?toit entr? dans les affaires, fut destitu?; et c'est alors que l'on vit paro?tre dans ce minist?re, o? bient?t il alloit jouer le premier r?le, le plus grand fl?au de la France, dans ce si?cle o? tout ce qui prenoit part au gouvernement ?toit fl?au pour elle, le duc de Choiseul. Add to tbrJar First Page Next Page |
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