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Read Ebook: Les réprouvés et les élus (t.1) by Souvestre Mile
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next PageEbook has 2783 lines and 87432 words, and 56 pagesUne maison isol?e. On a d?j? remarqu? bien des fois que chaque ville a, comme chaque homme, sa physionomie individuelle et facile ? reconna?tre. Ainsi, sans parler des apparences tranch?es du port de mer, o? tout sent le goudron, de la ville fronti?re cercl?e de murailles et bard?e de canons, de la cit? manufacturi?re h?riss?e de chemin?es gigantesques et toujours envelopp?e d'un nuage de fum?e, il y a des villes d'?tude, comme Rennes et Montpellier, o? l'herbe perce les pav?s, et dont les vastes places ne sont travers?es que par des magistrats en toge ou par des professeurs en simarre; il y a les villes historiques, comme Arles, Orl?ans, Fontainebleau, o? l'on vous montre les ar?nes antiques, la maison de Jeanne d'Arc et la table sur laquelle Napol?on signa son abdication; il y a les villes ? l?gendes, comme Strasbourg, dont la vie se confond avec celle de sa cath?drale; les villes po?tiques, comme Toulouse, Dijon, Avignon; les villes royales, comme Versailles. Puis viennent celles dont le caract?re ext?rieur ne doit rien au pass?, mais ? je ne sais quel hasard pittoresque du ciel ou du site; celle-ci agreste, celle-l? mondaine, l'une coquette, l'autre n?glig?e. Or, parmi la vari?t? infinie de ces derni?res physionomies, nous en connaissons une qui m?rite d'?tre sp?cialement mentionn?e, c'est celle de Ch?teau-Lavalli?re. Tel on voit aujourd'hui Ch?teau-Lavalli?re, tel on le voyait en 1819, ?poque ? laquelle commence notre r?cit. On se trouvait ? la fin du mois de septembre; le jour touchait ? son d?clin, et le soleil couchant jetait des lueurs d'incendie ? travers les feuillages de la futaie. La cour sur laquelle donnait la fa?ade, avait ?t? transform?e en parterre, garni de plantes rares, et les murs eux-m?mes, cach?s sous les ch?vrefeuilles, les jasmins et les vignes vierges, ressemblaient ? des massifs de verdure. Vis-?-vis du perron, une coupe de marbre s'?levait au milieu d'une touffe de roseaux et laissait d?border ses eaux dans un bassin o? nageaient quelques poissons dor?s, tandis qu'un peu plus loin, un petit hamac d'alo?s suspendu ? deux lilas, se balan?ait doucement aux mouvements de la brise. Des jouets d'enfants ?taient ?parpill?s, de tous c?t?s, sur le sable des all?es, parmi l'herbe fine des pelouses et le long des degr?s qui conduisaient ? la maison. Cet ensemble d'une prodigalit? luxueuse et fleurie servait, pour ainsi dire, de cadre ? un groupe plac? au milieu m?me d'un parterre, et dont les personnages m?ritent un examen d?taill?. La premi?re figure qui frappait ?tait celle d'une femme encore jeune, assise sur un fauteuil de bambous, dans l'attitude affaiss?e d'une personne malade. Bien qu'on ne p?t la dire belle, ses traits avaient une expression de douceur qu'illuminait par instants une certaine flamme du regard. Celui-ci s'animait surtout lorsqu'il s'abaissait vers une enfant assise plus bas sur les genoux d'une jeune paysanne. C'?tait une petite fille d'environ trois ans, mais dont les traits ch?tifs et p?les annon?aient une de ces enfances ?tiol?es qui ne peuvent ?clore ? la vie. A demi-renvers?e sur le sein de sa nourrice, elle agitait languissamment les grelots d'un hochet qu'elle laissait retomber ? chaque instant avec un cri de souffrance ennuy?e. Quoique l'air f?t ti?de et qu'aucun souffle n'agit?t les feuilles les plus fr?les, elle ?tait envelopp?e d'une pelisse de satin, doubl?e de peau de cygne, et portait un bonnet de velours grenat qui laissait para?tre ? peine quelques touffes de cheveux, d'un blond inanim?. Ses pieds, chauss?s de brodequins fourr?s, pendaient sur l'herbe, sans force et sans mouvement. Quant au quatri?me personnage, il avait quarante ans. V?tu d'une redingote noire boutonn?e jusqu'? la cravate, et les yeux cach?s par une paire de lunettes ? doubles verres, il tenait ? la main une cravache de cuir, dont il effleurait des bottes poudreuses et garnies d'?perons. Malgr? le sourire constant qui flottait sur son visage, un disciple de Lavater e?t ?tudi? avec quelque d?fiance ces l?vres serr?es que le ma?tre signale comme l'indication d'une avarice tenace, et les partisans de Gall se fussent presque effray?s de ce cr?ne triangulaire dont la forme rappelait celle des animaux les moins nobles et les plus amoureux du sang. Du reste, la premi?re partie de sa vie avait ?t? cruellement travers?e. Sans nom, sans fortune, sans protecteurs, il n'?tait parvenu ? acqu?rir une profession qu'? force de travail et d'humilit?. Nature dominatrice, il s'?tait pli? ? toutes les volont?s de ceux qui pouvaient le servir; esprit hardi, il avait coup? les ailes de son audace pour l'obliger ? ramper! Cette transformation forc?e, en tuant tout ce qu'il pouvait garder d'instinct heureux, avait, pour ainsi dire, envenim? ses vices! Ce qu'il y avait en lui de dur ?tait devenu m?chant; son d?sir de poss?der s'?tait tourn? en avarice insatiable, son insensibilit? en malveillance. Entrav? et meurtri par les hommes d?s ses premiers pas, il s'?tait mis ? les ha?r, non de cette haine ouverte qui suppose encore la libert?, mais d'une haine sourde, cauteleuse, encha?n?e, qui se contient par calcul et consent ? l'attente, dans l'int?r?t de sa s?ret?. Devenu veuf au bout de quelques ann?es, il avait continu? ? y vivre avec un fils unique, alors infirme et presque idiot. Mais, outre la fille mari?e au docteur Vorel, la m?re Louis avait un fils enlev? par la conscription, et que le hasard de la guerre avait favoris?. Promu de grade en grade sur le champ de bataille, il avait eu, avec le m?rite alors commun de se bien battre, celui plus rare de survivre; et Napol?on, qui commen?ait ? sentir le besoin de renouveler son ?tat-major de mar?chaux gorg?s et vieillis, l'avait successivement nomm? g?n?ral, puis baron. Enfin, en 1810, il ?pousa mademoiselle de Mazerais, dont la vieille noblesse devait servir ? ?tayer son titre de nouvelle date. La chute de l'empire vint malheureusement arr?ter court toutes ses esp?rances. Le g?n?ral Louis en re?ut la nouvelle en Vend?e, o? il avait ?t? envoy? pour ?touffer l'insurrection, et, soit douleur, soit hasard, il n'y surv?cut que peu de jours. Sa veuve, apr?s avoir habit? Paris quelque temps, vint enfin visiter des propri?t?s qu'elle poss?dait en Touraine, et ce fut l? qu'elle rencontra son beau-fr?re, sur les instances duquel elle s'?tablit ? Ch?teau-Lavalli?re. Le m?decin venait de se pencher vers l'enfant, dont les plaintes, d'abord faibles et entrecoup?es, ?taient insensiblement devenues plus bruyantes, lorsque la baronne s'?cria: --Mon Dieu! docteur, Honorine para?t encore plus souffrante ce soir. M. Vorel hocha la t?te avec un sourire immuable. --Qui vous fait croire cela? demanda-t-il, de sa voix douce et vibrante. --N'entendez-vous pas ses cris? --L'enfant n'a point d'autre mani?re d'exprimer ses impressions et ses caprices; il crie, comme l'?tre raisonnable gronde, parle ou chante. --Mais, Honorine pleure, docteur! --La s?cr?tion des glandes lacrymales est toujours abondante ? cet ?ge. On voit bien, ma soeur, que vous en ?tes ? votre premier enfant, tout vous inqui?te. --Mais songez qu'elle aura bient?t trois ans, reprit la m?re, en montrant la petite fille malingre et abattue. --Je le sais, r?pondit le m?decin; elle est n?e huit mois apr?s la mort du g?n?ral. La malade fit un signe affirmatif. --Pauvre Louis! continua M. Vorel avec une bonhomie affect?e, s'il e?t v?cu, quel bonheur pour lui de se trouver p?re!... et surtout quel bonheur inesp?r?! car il m'a r?p?t? bien des fois qu'il n'y comptait plus. Il croyait avoir des raisons de croire.... Enfin, il s'est tromp?! Mais il faut avouer, ma soeur, que ce voyage en Vend?e pour rejoindre le g?n?ral, a ?t? un heureux hasard! La baronne ne r?pondit pas et se pencha vers l'enfant, dont elle agrafa la pelisse. --Ne serait-il pas prudent de faire rentrer Honorine? demanda-t-elle apr?s un court silence. --Pourquoi cela? dit le m?decin, il n'y a ni vent, ni humidit?; vous exag?rez les pr?cautions. --H?las! je ne sais, r?pliqua la veuve d'un accent ?mu; ne pouvant d?couvrir la cause des souffrances de ma fille ni des miennes, je m'en prends ? tout ce qui m'entoure. Lorsque je suis venue m'?tablir ici, j'esp?rais, d'apr?s votre assurance, que le calme de cette habitation, l'exercice, l'air des bois nous rendraient la sant?; et depuis trois mois que nous y sommes, nos forces s'affaiblissent de jour en jour. L'air libre, le soleil, le parfum des fleurs, tout ce qui fait vivre les autres, semble, pour nous, un poison. Vous affectez en vain de ne pas vous en apercevoir, les progr?s du mal sont visibles. Quand je sors, maintenant, les paysannes que nous rencontrons n'arr?tent plus Honorine pour demander son ?ge et l'embrasser; elles s'?loignent avec leurs enfants, comme si elles craignaient quelque maligne influence, et nous suivent de ce regard demi-effray? que le peuple jette aux mourants. M. Vorel voulut l'interrompre. --Oh! ne cherchez pas ? nier, continua-t-elle plus vivement, des explications m?dicales ne pourraient rien changer ? ce qui est; je sens que la vie nous ?chappe, et cependant il ne faut pas que ma fille meure, docteur! Moi-m?me, je veux vivre pour elle, et puisque notre s?jour ici a si mal r?ussi, je d?sire tenter un nouvel essai. Le m?decin la regarda. --Vous songez ? partir? demanda-t-il brusquement. --Oui, mon fr?re, r?pondit la baronne. --Auriez-vous, par hasard, la pens?e d'accepter l'invitation de la m?re Louis et de vous rendre aux Motteux? --Non, je craindrais de n'y trouver ni soins, ni repos; mais je veux tenter un voyage en Italie; c'est une derni?re ressource pour les d?sesp?r?s! --Et vous vous exposerez avec votre fille aux fatigues de cette longue route? vous oserez transporter votre maladie dans un pays ?tranger, o?, si elle s'aggrave, vous ne trouverez ni soins ni famille? --Pardonnez-moi, docteur; je ne serai point seule, ma soeur m'accompagnera. --Madame la comtesse de Luxeuil? --J'ai su qu'elle allait visiter Naples; je lui ai ?crit pour qu'elle me perm?t de la suivre avec Honorine, et elle a consenti. Tout cela a ?t? d?cid? depuis votre derni?re visite, et je vous en aurais instruit par une lettre si je ne vous avais attendu chaque jour; j'ignorais qu'une affaire vous e?t appel? ? Orl?ans. M. Vorel ne put retenir un geste de d?pit. --J'admire votre mis?ricorde vraiment chr?tienne, ma soeur, dit-il avec un accent d'amertume ironique; jeune fille, vous avez d? d?fendre votre fortune contre madame de Luxeuil; mari?e, elle a essay? de calomnier votre intimit? avec le duc de Saint-Alofe; veuve, elle a voulu jeter des doutes odieux sur la naissance de votre fille, et vous avez d?j? tout pardonn?! --Ah! pourquoi toucher ? ces souvenirs, interrompit la malade, dont les yeux se remplirent de larmes; je voudrais les oublier! A quoi bon me rappeler que ma soeur ne m'aime pas, que personne ne m'a jamais aim?e! il est de certains ?tres, h?las! comme des arbres que vous voyez l?: n?s dans une mauvaise terre et expos?s aux vents du nord, ils ne servent ? rien et ne plaisent ? personne!... Mais je ne veux point m'arr?ter sur ces pens?es, je ne veux songer qu'? ma fille; il faut qu'elle recouvre la sant?, qu'elle essaie d'un autre air, d'une autre vie! --Et en partant avec madame de Luxeuil, fit observer le docteur, vous n'avez point r?fl?chi que vous vous mettiez ? sa merci? Vous ne craignez point son ?go?sme, sa tyrannie, ses duret?s? --Je ne crains que le mal d'Honorine, reprit vivement la baronne; ne me parlez point d'autre chose. Que pouvais-je faire d'ailleurs? Ne venez-vous point de me dire vous-m?me que c'e?t ?t? folie de partir seule? ? qui donc m'adresser? Des ?trangers voudraient-ils accepter pour compagnes de voyage une enfant malade et une femme mourante? Ma soeur, du moins, aura piti? de nous. M. Vorel secoua la t?te. --J'en suis s?re, continua vivement la baronne; quand elle a connu l'?tat alarmant d'Honorine, elle s'est montr?e inqui?te, elle m'a ?crit sur-le-champ qu'elle voulait la voir. --Sans doute, dit le m?decin du m?me ton amer, la maladie de votre fille l'occupe et l'int?resse! A d?faut des enfants, les soeurs sont l?gitimes h?riti?res.... --Ah! que dites-vous? interrompit la baronne avec un cri; vous pourriez supposer.... --Je ne suppose rien, mais je comprends. Add to tbrJar First Page Next Page |
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