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Munafa ebook

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Read Ebook: Histoire du Consulat et de l'Empire (Vol. 08 / 20) faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française by Thiers Adolphe

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Ebook has 529 lines and 184554 words, and 11 pages

HISTOIRE DU CONSULAT

ET DE

L'EMPIRE

FAISANT SUITE

? L'HISTOIRE DE LA R?VOLUTION FRAN?AISE

PAR M. A. THIERS

TOME HUITI?ME

PARIS PAULIN, LIBRAIRE-?DITEUR 60, RUE RICHELIEU 1849

L'auteur d?clare r?server ses droits ? l'?gard de la traduction en Langues ?trang?res, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise, Espagnole et Italienne.

Ce volume a ?t? d?pos? au Minist?re de l'Int?rieur le 20 f?vrier 1849.

PARIS. IMPRIM? PAR PLON FR?RES, 36, RUE DE VAUGIRARD.

HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE.

LIVRE VINGT-HUITI?ME.

FONTAINEBLEAU.

La paix de Tilsit avait caus? en France une joie profonde et universelle. Sous le vainqueur d'Austerlitz, d'I?na, de Friedland, on ne pouvait craindre la guerre: cependant, apr?s la journ?e d'Eylau, on avait con?u un moment d'inqui?tude en le voyant engag? si loin, dans une lutte si acharn?e; et d'ailleurs un instinct secret disait clairement ? quelques-uns, confus?ment ? tous, qu'il fallait, dans cette voie comme dans toute autre, savoir s'arr?ter ? temps; qu'apr?s les succ?s pouvaient venir les revers; que la fortune, facilement inconstante, ne devait pas ?tre pouss?e ? bout, et que Napol?on serait le seul des trois ou quatre h?ros de l'humanit? auquel elle n'aurait pas fait expier ses faveurs, s'il voulait en abuser. Il y a dans les choses humaines un terme qu'il ne faut pas d?passer, et, d'apr?s un sentiment alors g?n?ral, Napol?on touchait ? ce terme, que l'esprit discerne plus facilement que les passions ne l'acceptent.

Au reste on ?prouvait le besoin de la paix et de ses douces jouissances. Sans doute Napol?on avait procur? ? la France la s?curit? int?rieure, et la lui avait procur?e ? ce point, que pendant une absence de pr?s d'une ann?e, et ? une distance de quatre ou cinq cents lieues, pas un trouble n'avait ?clat?. Une courte anxi?t? produite par le carnage d'Eylau, par le rench?rissement des subsistances durant l'hiver, de timides propos tenus dans les salons de quelques m?contents, avaient ?t? les seules agitations qui eussent signal? la crise qu'on venait de traverser. Mais, bien qu'on ne craign?t plus le retour des horreurs de quatre-vingt-treize et qu'on se livr?t ? une enti?re confiance, c'?tait toutefois ? la condition que Napol?on vivrait, et qu'il cesserait d'exposer aux boulets sa t?te pr?cieuse; c'?tait avec le d?sir de go?ter, sans m?lange d'inqui?tude, l'immense prosp?rit? dont il avait dot? la France. Ceux qui lui devaient de grandes situations aspiraient ? en jouir; les classes qui vivent de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, c'est-?-dire la presque totalit? de la nation, d?siraient enfin mettre ? profit les cons?quences de la r?volution et la vaste ?tendue de d?bouch?s ouverts ? la France; car si les mers nous ?taient ferm?es, le continent entier s'offrait ? notre activit?, ? l'exclusion de l'industrie britannique. Les mers elles-m?mes, on esp?rait les voir s'ouvrir de nouveau par suite des n?gociations de Tilsit. On avait vu en effet les deux plus grandes puissances du continent, ?clair?es sur la conformit? de leurs int?r?ts actuels, sur l'inutilit? de leur lutte, s'embrasser en quelque sorte aux bords du Ni?men, dans la personne de leurs souverains, et s'unir pour fermer le littoral de l'Europe ? l'Angleterre, pour tourner contre elle les efforts de toutes les nations, et on se flattait que cette puissance, effray?e de son isolement, en 1807 comme en 1802, accepterait la paix ? des conditions mod?r?es. Il ne semblait pas supposable que la m?diation du cabinet russe, qui allait lui ?tre offerte, rendant facile ? son orgueil une pacification que r?clamaient ses int?r?ts, p?t ?tre repouss?e. On jouissait de la paix du continent; celle des mers se laissait entrevoir; et on ?tait heureux tout ? la fois de ce qu'on poss?dait, et de ce qu'on esp?rait. L'arm?e, sur qui pesait plus particuli?rement le fardeau de la guerre, n'?tait cependant pas aussi avide de la paix que le reste de la nation. Ses principaux chefs, il est vrai, qui avaient d?j? vu tant de r?gions lointaines et de batailles sanglantes, qui ?taient couverts de gloire, que Napol?on allait bient?t combler de richesses, d?siraient, comme la nation elle-m?me, jouir de ce qu'ils avaient acquis. Bon nombre de vieux soldats, qui avaient leur part assur?e dans la munificence de Napol?on, n'?taient pas d'un autre avis. Mais les jeunes g?n?raux, les jeunes officiers, les jeunes soldats, et c'?tait une grande partie de l'arm?e, ne demandaient pas mieux que de voir na?tre de nouvelles occasions de gloire et de fortune. Toutefois, apr?s une rude campagne, un intervalle de repos ne laissait pas de leur plaire, et on peut dire que la paix de Tilsit ?tait salu?e par les unanimes acclamations de la nation et de l'arm?e, de la France et de l'Europe, des vainqueurs et des vaincus. Except? l'Angleterre qui trouvait le continent encore une fois uni contre elle, except? l'Autriche qui avait esp?r? un moment la ruine de son dominateur, il n'y avait personne qui n'applaudit ? cette paix, succ?dant tout ? coup ? la plus grande agitation guerri?re des temps modernes.

On attendait Napol?on avec impatience; car, outre les raisons qu'on avait de ne pas voir avec plaisir ses absences, toujours motiv?es par la guerre, on aimait ? le savoir pr?s de soi, veillant sur le repos de tout le monde, et s'appliquant ? tirer de son g?nie in?puisable de nouveaux moyens de prosp?rit?. Le canon des Invalides, qui annon?ait son entr?e dans le palais de Saint-Cloud, retentit dans tous les coeurs comme le signal du plus heureux ?v?nement, et le soir une illumination g?n?rale, que ni la police de Paris ni les menaces de la multitude n'avaient command?e, et qui brillait aux fen?tres des citoyens autant que sur la fa?ade des ?difices publics, attesta un sentiment de joie vrai, spontan?, universel.

Ma raison, glac?e par le temps, ?clair?e par l'exp?rience, sait bien tous les p?rils cach?s sous cette grandeur sans mesure, p?rils d'ailleurs faciles ? juger apr?s l'?v?nement. Cependant, quoique vou? au culte modeste du bon sens, qu'on me permette un instant d'enthousiasme pour tant de merveilles, qui n'ont pas dur?, mais qui auraient pu durer, et de les raconter avec un complet oubli des calamit?s qui les ont suivies! Pour retracer avec un sentiment plus juste ces temps si diff?rents du n?tre, je veux ne pas apercevoir avant qu'ils soient venus les tristes jours qui se sont succ?d? depuis.

C'est un signe vulgaire, mais vrai, de la disposition des esprits, que le taux des fonds publics dans les grands ?tats modernes, qui font usage du cr?dit, et qui dans un vaste march?, appel? Bourse, permettent qu'on vende et qu'on ach?te les titres des emprunts qu'ils ont contract?s envers les capitalistes de toutes les nations. La rente 5 pour 100 , que Napol?on avait trouv?e ? 12 francs au 18 brumaire, et port?e depuis ? 60, s'?tait ?lev?e apr?s Austerlitz ? 70, puis avait d?pass? ce terme pour atteindre celui de 90, taux inconnu alors en France. La disposition ? la confiance ?tait m?me si prononc?e, que le prix de ce fonds allait au del?, et s'?levait, vers la fin de juillet 1807, ? 92 et 93. Au lendemain des assignats, quand le go?t des sp?culations financi?res n'existait pas, quand les fonds publics n'avaient pas fait encore la fortune de grands sp?culateurs, et avaient entra?n? au contraire la ruine des cr?anciers l?gitimes de l'?tat, quand le prix de l'argent ?tait tel qu'on trouvait facilement dans des placements solides un int?r?t de 6 et 7 pour 100, il fallait une immense confiance dans le gouvernement ?tabli, pour que les titres de la dette perp?tuelle fussent accept?s ? un int?r?t qui n'?tait gu?re au-dessus de 5 pour 100.

Le lendemain il s'occupa de donner des ordres qui embrassaient l'Europe de Corfou ? Koenigsberg. Sa premi?re pens?e fut de tirer sur-le-champ les cons?quences de l'alliance russe qu'il venait de conclure ? Tilsit. Cette alliance, achet?e au prix de victoires sanglantes, et d'esp?rances intimes inspir?es ? l'ambition russe, il fallait la mettre ? profit avant que le temps, ou d'in?vitables m?comptes, vinssent en refroidir les premi?res ardeurs. On s'?tait promis de violenter la Su?de, de persuader le Danemark, d'entra?ner le Portugal par le moyen de l'Espagne, et de d?terminer de la sorte tous les ?tats riverains des mers europ?ennes ? se prononcer contre l'Angleterre. On s'?tait m?me engag? ? peser sur l'Autriche, pour l'amener ? des r?solutions semblables. L'Angleterre allait ainsi se voir envelopp?e d'une ceinture d'hostilit?s, depuis Kronstadt jusqu'? Cadix, depuis Cadix jusqu'? Trieste, si elle n'acceptait pas les conditions de paix que la Russie ?tait charg?e de lui offrir. Pendant son trajet de Dresde ? Paris, Napol?on avait d?j? donn? des ordres, et le lendemain m?me de son arriv?e ? Paris, il continua d'en donner de nouveaux, pour l'ex?cution imm?diate de ce vaste syst?me. Son premier soin devait ?tre d'envoyer ? Saint-P?tersbourg un agent qui continu?t aupr?s d'Alexandre l'oeuvre de s?duction commenc?e ? Tilsit. Il ne pouvait pas assur?ment trouver un ambassadeur aussi s?duisant qu'il l'?tait lui-m?me. Il fallait n?anmoins en trouver un qui p?t plaire, inspirer confiance, et aplanir les difficult?s qui surgissent m?me dans l'alliance la plus sinc?re. Ce choix exigeait quelque r?flexion. En attendant d'en avoir fait un qui r?un?t les conditions d?sirables, Napol?on envoya un officier, ordinairement employ? et propre ? tout, ? la guerre, ? la diplomatie, ? la police, sachant ?tre tour ? tour souple ou arrogant, et tr?s-capable de s'insinuer dans l'esprit du jeune monarque, auquel il avait d?j? su plaire: c'?tait le g?n?ral Savary, dont nous avons fait conna?tre ailleurs l'esprit, le courage, le d?vouement sans scrupule et sans bornes. Le g?n?ral Savary, envoy? en 1805 au quartier-g?n?ral russe, avait trouv? Alexandre rempli d'orgueil la veille de la bataille d'Austerlitz, constern? le lendemain, n'avait pas abus? du changement de la fortune, avait au contraire habilement m?nag? le prince vaincu, et, profitant de l'ascendant que donnent sur autrui les faiblesses dont on a surpris le secret, avait acquis une sorte d'influence, suffisante pour une mission passag?re. Dans ce premier moment, o? il s'agissait de savoir si Alexandre serait sinc?re, s'il saurait r?sister aux ressentiments de sa nation, qui n'avait pas aussi vite que lui pass? des douleurs de Friedland aux illusions de Tilsit, le g?n?ral Savary ?tait propre par sa finesse ? p?n?trer le jeune prince, ? l'intimider par son audace, et au besoin ? r?pondre par une insolence toute militaire aux insolences qu'il pouvait essuyer ? Saint-P?tersbourg. Le g?n?ral Savary avait un autre avantage, que l'orgueil malicieux de Napol?on ne d?daignait pas. La guerre avec la Russie avait commenc? pour la mort du duc d'Enghien: Napol?on n'?tait pas f?ch? d'envoyer ? cette puissance l'homme qui avait le plus figur? dans cette catastrophe. Il narguait ainsi l'aristocratie russe ennemie de la France, sans blesser le prince, qui, dans sa mobilit?, avait oubli? la cause de la guerre aussi vite que la guerre elle-m?me.

Napol?on, sans aucun titre apparent, donna au g?n?ral Savary des pouvoirs ?tendus, et beaucoup d'argent pour qu'il p?t vivre ? Saint-P?tersbourg sur un pied convenable. Le g?n?ral Savary devait protester aupr?s du jeune empereur de la sinc?rit? de la France, le presser de s'expliquer avec l'Angleterre, d'en venir avec elle ? un prompt r?sultat, soit la paix, soit la guerre, et, si c'?tait la guerre, d'envahir sur-le-champ la Finlande, entreprise qui, en flattant l'ambition moscovite, aurait pour r?sultat d'engager d?finitivement la Russie dans la politique de la France. Le g?n?ral enfin devait consacrer toutes les ressources de son esprit ? faire pr?valoir et fructifier l'alliance conclue ? Tilsit.

Ces soins donn?s aux relations avec la Russie, Napol?on s'occupa des autres cabinets appel?s ? concourir ? son syst?me. Il ne comptait gu?re sur une conduite sens?e de la part de la Su?de, gouvern?e alors par un roi extravagant. Bien que cette puissance e?t un double int?r?t ? ne pas attendre qu'on la violent?t, l'int?r?t de contribuer au triomphe des neutres, et celui de s'?pargner une invasion russe, Napol?on pensait n?anmoins qu'on serait prochainement oblig? d'employer la force contre elle. C'?tait chose bien facile avec une arm?e de 420 mille hommes, dominant le continent du Rhin au Ni?men. Il arr?ta donc quelques dispositions pour envahir imm?diatement la Pom?ranie su?doise, seule possession que ses anciennes et ses r?centes folies eussent permis ? la Su?de de conserver sur le sol de l'Allemagne. Dans cette vue, Napol?on apporta divers changements ? la distribution de ses forces en Pologne et en Prusse. Il ne voulait ?vacuer la Pologne que lorsque la nouvelle royaut? saxonne, qu'il venait d'y r?tablir, y serait bien assise, et la Prusse que lorsque les contributions de guerre, tant ordinaires qu'extraordinaires, seraient int?gralement acquitt?es. En cons?quence le mar?chal Davout, avec son corps, avec les troupes polonaises de nouvelle lev?e, avec la plus grande partie des dragons, eut ordre d'occuper la partie de la Pologne destin?e, sous le titre de grand-duch? de Varsovie, au roi de Saxe. Une division devait stationner ? Thorn, une autre ? Varsovie, une troisi?me ? Posen. Les dragons devaient manger les fourrages des bords de la Vistule. C'?tait ce qu'on appelait le premier commandement. Le mar?chal Soult, avec son corps d'arm?e, et presque toute la r?serve de cavalerie, eut la mission d'occuper la vieille Prusse, depuis la Pregel jusqu'? la Vistule, depuis la Vistule jusqu'? l'Oder, avec ordre de se retirer successivement, au fur et ? mesure de l'acquittement des contributions. La grosse cavalerie et la cavalerie l?g?re devaient vivre dans l'?le de Nogath, au milieu de l'abondance r?pandue dans ce Delta de la Vistule. Au sein de ce second commandement, Napol?on en intercala un autre, en quelque sorte exceptionnel, comme le lieu qui en r?clamait la pr?sence, c'?tait celui de Dantzig. Il y pla?a les grenadiers d'Oudinot, plus la division Verdier, qui avaient form? le corps du mar?chal Lannes, et qui devaient occuper cette riche cit?, ainsi que le territoire qu'elle avait recouvr? avec la qualit? de ville libre. La division Verdier n'?tait pas destin?e ? y rester, mais les grenadiers avaient ordre d'y demeurer jusqu'au parfait ?claircissement des affaires europ?ennes. Le troisi?me commandement, embrassant la Sil?sie, fut confi? au mar?chal Mortier, que Napol?on pla?ait volontiers dans les provinces o? il se trouvait beaucoup de richesses ? sauver des d?sordres de la guerre, et qui avait quitt? son corps d'arm?e, dissous r?cemment par la r?union des Polonais et des Saxons dans le duch? de Varsovie. Ce mar?chal avait sous ses ordres les cinqui?me et sixi?me corps, que venaient de quitter les mar?chaux Mass?na et Ney. Ces deux derniers et le mar?chal Lannes avaient obtenu la permission de se rendre en France pour s'y reposer des fatigues de la guerre. Le cinqui?me corps ?tait cantonn? aux environs de Breslau dans la haute Sil?sie; le sixi?me, autour de Glogau dans la basse Sil?sie. Le premier corps, confi? au g?n?ral Victor, depuis la blessure du prince de Ponte-Corvo, eut ordre d'occuper Berlin, faisant route dans son mouvement r?trograde, avec la garde imp?riale qui revenait en France, pour y recevoir des f?tes magnifiques. Enfin les troupes qui avaient form? l'arm?e d'observation sur les derri?res de Napol?on, furent rapidement port?es vers le littoral. Les Italiens, une partie des Bavarois, les Badois, les Hessois, les deux belles divisions fran?aises Boudet et Molitor, furent achemin?s avec le parc d'artillerie, qui avait servi pour assi?ger Dantzig, vers la Pom?ranie su?doise. Napol?on accrut ce parc de tout ce que la belle saison avait permis de r?unir en bouches ? feu ou en munitions, et le fit placer au vis-?-vis Stralsund, pour enlever ce pied-?-terre au roi de Su?de, dans le cas o? ce prince, fid?le ? son caract?re, reprendrait, ? lui seul, les hostilit?s lorsque tout le monde aurait pos? les armes. Le mar?chal Brune, qui avait ?t? mis ? la t?te de l'arm?e d'observation, re?ut le commandement direct de ces troupes, s'?levant ? un total de 38 mille hommes, et pourvues d'un immense mat?riel. L'ing?nieur Chasseloup, qui avait si habilement dirig? le si?ge de Dantzig, fut charg? de diriger encore celui de Stralsund, si on ?tait amen? ? l'entreprendre.

Le mar?chal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, parti pour Hambourg o? il ?tait all? se remettre de sa blessure, eut le commandement des troupes destin?es ? garder les villes ans?atiques et le Hanovre. Les Hollandais furent rapproch?s de la Hollande, et port?s sur l'Ems; les Espagnols occup?rent Hambourg. Ces derniers avaient franchi, les uns l'Italie, les autres la France, pour se rendre ? travers l'Allemagne, sur les c?tes de la mer du Nord. Ils formaient un corps de 14 mille hommes, sous les ordres du marquis de La Romana. C'?taient de beaux soldats, au teint brun, aux membres secs, frissonnant de froid sur les plages tristes et glac?es de l'Oc?an septentrional, pr?sentant un singulier contraste avec nos alli?s du Nord, et rappelant, par l'?trange diversit? des peuples asservis au m?me joug, les temps de la grandeur romaine. Suivis de beaucoup de femmes, d'enfants, de chevaux, de mulets et d'?nes charg?s de bagages, assez mal v?tus, mais d'une mani?re originale, vifs, anim?s, bruyants, ne sachant que l'espagnol, vivant exclusivement entre eux, manoeuvrant peu, et employant une partie du jour ? danser au son de la guitare avec les femmes qui les accompagnaient, ils attiraient la curiosit? stup?faite des graves habitants de Hambourg, dont les journaux racontaient ces d?tails ? l'Europe ?tonn?e de tant de sc?nes extraordinaires. Le corps du mar?chal Mortier ayant ?t? dissous, comme nous venons de le dire, la division fran?aise Dupas, qui en avait fait partie, fut dirig?e vers les villes ans?atiques, pour voler au secours de nos alli?s, Hollandais ou Espagnols, qui recevraient la visite de l'ennemi. Cet ennemi ne pouvait ?tre autre que les Anglais, qui, depuis un an, avaient toujours promis en vain une exp?dition continentale, et qui pouvaient bien, comme il arrive souvent quand on a beaucoup h?sit?, agir lorsque le temps d'agir serait pass?. Aux troupes du mar?chal Brune, ayant mission de faire face ? Stralsund, ? celles du mar?chal prince de Ponte-Corvo, ayant mission d'observer le Hanovre et la Hollande, devaient se joindre au besoin la division Dupas d'abord, puis le premier corps tout entier, concentr? en ce moment autour de Berlin. Toute tentative des Anglais devait ?chouer contre une pareille r?union de forces.

Ainsi tout ?tait pr?t, si la m?diation russe ne r?ussissait pas, pour rejeter les Su?dois de la Pom?ranie dans Stralsund, de Stralsund dans l'?le de Rugen, de l'?le de Rugen dans la mer, pour y pr?cipiter les Anglais eux-m?mes, en cas d'une descente de leur part sur le continent. Ces mesures devaient avoir aussi pour r?sultat d'obliger le Danemark ? compl?ter, par son adh?sion, la coalition continentale contre l'Angleterre. Tout ?tait facile sous le rapport des proc?d?s ? l'?gard des Su?dois. Ils s'?taient conduits d'une mani?re si hostile et si arrogante, qu'il n'y avait qu'? les sommer, et ? les pousser ensuite sur Stralsund. Les Danois au contraire avaient si scrupuleusement observ? la neutralit?, s'?taient conduits avec tant de mesure, inclinant de coeur vers la cause de la France qui ?tait la leur, mais n'osant se prononcer, qu'on ne pouvait pas les brusquer comme les Su?dois. Napol?on chargea M. de Talleyrand d'?crire sur-le-champ au cabinet de Copenhague, pour lui faire sentir qu'il ?tait temps de prendre un parti, que la cause de la France ?tait la sienne, car la France ne luttait contre l'Angleterre que pour la question des neutres, et la question des neutres ?tait une question d'existence pour toutes les puissances navales, surtout pour les plus petites, habituellement les moins m?nag?es par la supr?matie britannique. M. de Talleyrand avait ordre d'?tre amical, mais pressant. Il avait ordre aussi d'offrir au Danemark les plus belles troupes fran?aises, et le concours d'une artillerie formidable, capable de tenir ? distance les vaisseaux anglais les mieux arm?s.

C'?tait en effrayant l'Angleterre de cette r?union de forces, et en s?vissant contre son commerce avec la derni?re rigueur, que Napol?on croyait seconder utilement la m?diation russe. Tandis qu'il prenait les mesures militaires que nous venons de rapporter, il avait fait saisir les marchandises anglaises ? Leipzig, o? il s'en ?tait trouv? une quantit? consid?rable. M?content de la mani?re dont on avait ex?cut? ses ordres dans les villes ans?atiques, il fit enlever la factorerie anglaise ? Hambourg, confisquer beaucoup de valeurs et de marchandises, et intercepter ? toutes les postes les lettres du commerce britannique, dont plus de cent mille furent br?l?es. Le roi Louis, qui, sur le tr?ne de Hollande, le contrariait sans cesse, par ses mesures irr?fl?chies, par sa vanit?, par la r?duction projet?e de l'arm?e et de la marine hollandaises , le roi Louis, ? tous ses plans imagin?s pour plaire ? ses nouveaux sujets, joignait une tol?rance ? l'?gard du commerce anglais, qui devenait une vraie trahison envers la politique de la France. Napol?on, pouss? ? bout, lui ?crivit qu'? moins d'un changement de conduite, il allait se porter aux derni?res extr?mit?s, et faire garder les ports de la Hollande par les troupes et les douanes fran?aises. Cette menace obtint quelque succ?s, et les d?fenses prononc?es contre le commerce anglais en Hollande s'ex?cut?rent avec un peu plus de rigueur.

Tandis qu'il prenait ses mesures au Nord, Napol?on les prenait ?galement au Midi pour l'accomplissement de son syst?me. L'Espagne lui avait donn?, pendant la campagne de Prusse, de justes sujets de m?fiance, et la proclamation du prince de la Paix, dans laquelle celui-ci appelait toute la population espagnole aux armes, sous pr?texte de faire face ? un ennemi inconnu, n'?tait explicable que par une vraie trahison. C'en ?tait une en effet, car ? ce moment m?me, veille de la bataille d'I?na, le prince de la Paix entamait des relations secr?tes avec l'Angleterre. Quoiqu'il ignor?t ces d?tails, Napol?on ne s'abusait pas, mais voulait dissimuler, jusqu'? ce qu'il e?t recouvr? toute la libert? de ses mouvements. L'ignoble favori qui gouvernait la reine d'Espagne, et par la reine le roi et la monarchie, avait cru, comme toute l'Europe, ? l'invincibilit? de l'arm?e prussienne. Mais au lendemain de la victoire d'I?na, il s'?tait prostern? aux pieds du vainqueur. Depuis il n'?tait sorte de flatteries qu'il n'employ?t pour fl?chir le courroux dissimul?, mais facile ? deviner, de Napol?on. Il n'y avait qu'un genre d'ob?issance qu'il n'ajout?t point ? ses bassesses, parce qu'il en ?tait incapable, c'?tait de bien gouverner l'Espagne, de relever sa marine, de d?fendre ses colonies, de la rendre enfin une alli?e utile, genre d'expiation qui, aux yeux de Napol?on, e?t ?t? suffisant, qui e?t m?me emp?ch? son courroux de na?tre.

Revenu ? Paris, Napol?on commen?a ? s'occuper de cette portion la plus importante du littoral europ?en, et se dit qu'il faudrait finir par prendre un parti ? l'?gard de cette d?cadence espagnole, toujours pr?te ? se convertir en trahison. Mais, bien que sa pens?e ne se repos?t jamais, que d'un objet elle vol?t sans cesse ? un autre, comme son aigle volait de capitale en capitale, il ne crut pas devoir s'arr?ter encore ? cette grave question, ne voulant pas compliquer la situation pr?sente, et apporter des obstacles ? une pacification g?n?rale, qu'il d?sirait ardemment, qu'il esp?rait un peu, et qui, si elle s'accomplissait, lui rendait beaucoup moins n?cessaire la r?g?n?ration de la monarchie espagnole. Si, au contraire, l'Angleterre, conduite par les faibles et violents h?ritiers de M. Pitt, s'obstinait ? continuer la guerre malgr? son isolement, alors il se proposait de porter une attention s?rieuse sur la situation de l'Espagne, et de prendre ? son ?gard un parti d?cisif. Pour le moment il ne songeait qu'? une chose, c'?tait ? obtenir d'elle de plus grandes rigueurs contre le commerce britannique, et la soumission du Portugal ? ses vastes desseins.

L'Espagne avait ? Paris, outre un ambassadeur ordinaire, M. de Masserano, agent officiel tout ? fait inutile, et charg? uniquement de la partie honorifique de son r?le, M. Yzquierdo, agent secret du prince de la Paix, qui ?tait rev?tu de toute la confiance de ce prince, et avec lequel on avait n?goci? la convention financi?re, stipul?e en 1806, entre le Tr?sor espagnol et le Tr?sor fran?ais. Celui-l? seul ?tait charg? de la r?alit? des affaires, et il y ?tait propre par sa finesse, par sa connaissance de tous les secrets de la cour d'Espagne. Les infortun?s souverains de l'Escurial, ne croyant pas que ce f?t assez de ces deux agents pour conjurer le courroux suppos? de Napol?on, imagin?rent de lui en envoyer un troisi?me, qui, sous le titre d ambassadeur extraordinaire, viendrait le f?liciter de ses victoires, et lui t?moigner de ses succ?s une joie qu'on ?tait loin de ressentir. On avait fait choix, pour ce r?le fastueux et pu?ril, de l'un des plus grands seigneurs d'Espagne, M. le duc de Frias, et on avait demand? la permission de l'envoyer ? Paris. Il ne fallait pas tant d'hommages pour d?sarmer Napol?on. Un peu plus d'activit? contre l'ennemi commun, l'aurait bien plus certainement apais? que les ambassades les plus magnifiques. Napol?on, ne voulant pas inqui?ter au del? du n?cessaire cette cour qui avait le sentiment de ses torts, re?ut avec beaucoup d'?gards M. le duc de Frias, se laissa f?liciter de ses triomphes, puis dit au nouvel ambassadeur, r?p?ta ? l'ancien, et fit conna?tre au plus actif des trois, M. Yzquierdo, qu'il agr?ait les f?licitations qu'on lui adressait pour ses triomphes et pour le r?tablissement de la paix continentale, mais qu'il fallait tirer de la paix continentale la paix maritime; qu'on ne parviendrait ? ce r?sultat, si d?sirable pour l'Espagne et pour ses colonies, qu'en intimidant l'ennemi commun par un concours d'efforts ?nergique, par une interdiction absolue de son commerce; qu'il fallait donc seconder la France, et, dans cette vue, exiger du Portugal une adh?sion imm?diate et enti?re au syst?me continental; que pour lui il ?tait r?solu ? vouloir non pas une feinte exclusion des Anglais d'Oporto et de Lisbonne, mais une exclusion compl?te, suivie d'une d?claration de guerre imm?diate et de la saisie de toutes les marchandises britanniques; que, si le Portugal n'y consentait pas tout de suite, il fallait que l'Espagne pr?par?t ses troupes, car lui pr?parait d?j? les siennes, et qu'on envah?t sur-le-champ le Portugal, non pas pour huit jours ou quinze, comme il ?tait arriv? en 1801, mais pour tout le temps de la guerre, peut-?tre pour toujours, suivant les circonstances. Les trois envoy?s de l'Espagne s'inclin?rent devant cette d?claration, qu'ils durent sans d?lai transmettre ? leur cabinet.

Napol?on fit en m?me temps appeler M. de Lima, ambassadeur du Portugal, et lui signifia que si, dans le temps rigoureusement n?cessaire pour ?crire ? Lisbonne et en recevoir une r?ponse, on ne lui promettait pas l'exclusion des Anglais, la saisie de leur commerce, personnes et choses, et une d?claration de guerre, il fallait que M. de Lima pr?t ses passe-ports, et s'attend?t ? voir une arm?e fran?aise se diriger de Bayonne sur Salamanque, de Salamanque sur Lisbonne; qu'ainsi le voulait une politique convenue entre les grandes puissances, et indispensable au r?tablissement de la paix en Europe. Napol?on, dans sa lutte avec les Anglais, exigeait des rigueurs contre leurs propri?t?s et leurs personnes tout ? la fois, parce qu'il savait qu'une exclusion simul?e ?tait d?j? secr?tement arrang?e entre les cours de Londres et de Lisbonne, et qu'il ?tait urgent que celle-ci se comprom?t tout ? fait, si on voulait arriver ? un r?sultat s?rieux. La suite des ?v?nements prouvera qu'il avait devin? juste. D'ailleurs, ayant vu les Anglais, lors de la rupture de la paix d'Amiens, nous enlever plus de cent millions de valeurs, et un grand nombre de commer?ants fran?ais qui naviguaient sur la foi des trait?s, il cherchait partout des gages tant en hommes qu'en marchandises.

M. de Lima promit d'?crire sur-le-champ ? sa cour, et n'y manqua pas en effet. Mais Napol?on ne se contenta pas d'une simple d?claration de ses volont?s, et, pr?voyant bien que cette d?claration ne serait efficace qu'autant qu'elle serait suivie d'une d?monstration arm?e, il fit ses dispositions pour avoir sous peu de jours un corps de vingt-cinq mille hommes ? Bayonne, tout pr?t ? recommencer contre le Portugal l'exp?dition de 1801. On se souvient sans doute que quelques mois auparavant, lorsqu'il profitait de l'inaction de l'hiver pour ex?cuter le si?ge de Dantzig, et pour pr?parer sur ses derri?res une arm?e d'observation qui le garant?t contre toute tentative de l'Autriche et de l'Angleterre, il avait song? ? rendre disponibles les camps form?s sur les c?tes, en les rempla?ant par cinq l?gions de r?serve, de six bataillons chacune, dont l'organisation devait ?tre confi?e ? cinq anciens g?n?raux devenus s?nateurs. Quatre mois s'?taient ?coul?s depuis, et il ?crivit sur-le-champ aux s?nateurs charg?s de cette organisation, pour savoir s'il pourrait d?j? disposer de deux bataillons sur six, dans chacune de ces l?gions. Se fiant, jusqu'? leur arriv?e, sur l'effroi que devait inspirer aux Anglais le retour prochain de la grande arm?e, ne craignant pas que les exp?ditions contre le continent, dont on les disait depuis long-temps occup?s, se dirigeassent sur les c?tes de France, ayant toutes ses pr?cautions prises sur celles de Hollande, du Hanovre, de la Pom?ranie, de la vieille Prusse, il n'h?sita pas ? d?garnir celles de Normandie et de Bretagne, et il ordonna la r?union ? Bayonne des troupes r?parties entre les camps de Saint-L?, Pontivy et Napol?on-Vend?e. Chacun de ces camps, form? de troisi?mes bataillons et de quelques r?giments complets, pr?sentait une bonne division, et devait, avec les d?p?ts de dragons r?unis ? Versailles et ? Saint-Germain, avec des d?tachements d'artillerie tir?s de Rennes, de Toulouse, de Bayonne, composer une excellente arm?e, d'environ 25 mille hommes. Cette arm?e eut ordre de se concentrer imm?diatement ? Bayonne. Napol?on fit choix pour la commander du g?n?ral Junot, qui connaissait le Portugal, o? il avait ?t? ambassadeur, qui ?tait un bon officier, tout d?vou? ? son ma?tre, et n'avait, comme gouverneur de Paris, que le d?faut de s'y trop livrer ? ses plaisirs. On le disait engag? avec l'une des princesses de la famille imp?riale dans une liaison qui produisait quelque scandale, et Napol?on trouvait ainsi dans ce choix la r?union de plusieurs convenances ? la fois. Ces mesures furent prises ostensiblement, et de mani?re que l'Espagne et le Portugal ne pussent pas ignorer combien seraient s?rieuses les cons?quences d'un refus. En m?me temps les ordres n?cessaires furent donn?s pour que deux bataillons de chacune des l?gions de r?serve se trouvassent pr?ts ? remplacer sur les c?tes les troupes qu'on allait en retirer.

C'est dans le m?me esprit que Napol?on s'occupa en ce moment des affaires d'Italie. L?, comme ailleurs, le redoublement de rigueurs contre le commerce anglais fut son premier soin, toujours dans l'intention de rendre le cabinet de Londres plus sensible aux ouvertures de la Russie. La reine d'?trurie, fille, comme on sait, des souverains d'Espagne, ?tablie par Napol?on sur le tr?ne de la Toscane, et devenue, par la mort de son ?poux, r?gente pour son fils de ce joli royaume, le gouvernait avec la n?gligence d'une femme et d'une Espagnole, et avec assez peu de fid?lit? ? la cause commune. Les Anglais exer?aient le commerce ? Livourne aussi librement que dans un port de leur nation. Napol?on avait r?uni tous les d?p?ts de l'arm?e de Naples dans les L?gations. Avec sa vigilance accoutum?e, il les tenait constamment pourvus de conscrits et de mat?riel. Il ordonna au prince Eug?ne d'en tirer une division de 4 mille hommes, de la diriger ? travers l'Apennin sur Pise, de tomber ? l'improviste sur le commerce anglais ? Livourne, d'enlever ? la fois hommes et choses, et de d?clarer ensuite ? la reine d'?trurie qu'on ?tait venu pour garantir ce port important de toute tentative ennemie, tentative possible et probable, depuis que la garnison espagnole s'?tait rendue aupr?s du corps de La Romana en Hanovre. Tandis qu'il prescrivait cette exp?dition, il envoya l'ordre de faire filer sous le g?n?ral Lemarrois, dans les provinces d'Urbin, de Macerata, de Fermo, des d?tachements de troupes, pour y occuper le littoral, en chasser les Anglais, et pr?parer des rel?ches s?res au pavillon fran?ais, qui devait bient?t se montrer dans ces mers. Napol?on venait en effet de recouvrer les bouches du Cattaro, Corfou, les ?les Ioniennes. Il se proposait de profiter des circonstances pour conqu?rir la Sicile, et il voulait couvrir de ses vaisseaux la surface de la M?diterran?e. Il recommanda en m?me temps au g?n?ral Lemarrois d'observer l'esprit de ces provinces, et si le go?t qu'avaient en g?n?ral les provinces du Saint-Si?ge d'?chapper ? un gouvernement de pr?tres, pour passer sous le gouvernement la?que du prince Eug?ne, se manifestait chez celles-ci, de n'opposer ? ce go?t ni contradiction ni obstacle.

En ce moment, la brouille avec le Saint-Si?ge, dont nous avons ailleurs rapport? l'origine, mais n?glig? de retracer les vicissitudes journali?res, faisait ? chaque instant de nouveaux progr?s. Le Pape qui, venu ? Paris pour sacrer Napol?on, en avait rapport?, avec beaucoup de satisfactions morales et religieuses, le d?plaisir temporel de n'avoir pas recouvr? les L?gations; qui avait vu depuis son ind?pendance devenir nominale par l'extension successive de la puissance fran?aise en Italie, avait con?u un ressentiment qu'il ne savait plus dissimuler. Au lieu de s'entendre avec un souverain tout-puissant, contre lequel alors on ne pouvait rien, m?me quand on ?tait puissance de premier ordre, qui d'ailleurs ne voulait que du bien ? la religion, et ne cessait de lui en faire, qui ne songeait pas du tout ? s'emparer de la souverainet? de Rome, et demandait uniquement qu'on se comport?t en bon voisin ? l'?gard des nouveaux ?tats fran?ais fond?s en Italie, le Pape avait eu le tort de c?der ? de f?cheuses suggestions, d'autant plus puissantes sur son esprit qu'elles ?taient d'accord avec ses secrets sentiments. Anim? de pareilles dispositions, il avait contrari? Napol?on dans tous les arrangements relatifs au royaume d'Italie. Il avait pr?tendu s'y r?server tous les droits de la papaut?, beaucoup plus grands en Italie qu'en France, et n'avait pas voulu admettre un concordat ?gal dans les deux pays. ? Parme, ? Plaisance, m?mes exigences et m?mes contrari?t?s. D'autres tracasseries d'un genre plus personnel encore s'?taient jointes ? celles-l?. Le prince J?r?me Bonaparte, pendant ses campagnes de mer en Am?rique, avait contract? mariage avec une personne fort belle et d'une naissance honn?te, mais ? un ?ge qui rendait cette alliance nulle, et avec un d?faut de concours de la part de ses parents, qui la rendait plus nulle encore. Napol?on qui voulait, en mariant ce prince avec une princesse allemande, fonder un nouveau royaume en Westphalie, avait refus? de reconna?tre un mariage nul devant la loi civile comme devant la loi religieuse, et contraire au plus haut point ? ses desseins politiques. Il avait eu recours au Saint-Si?ge pour en demander l'annulation, ? quoi le Pape s'?tait formellement oppos?. La ville de Rome enfin, ce qui ?tait une hostilit? plus ouverte, et qu'aucun scrupule religieux ne pouvait justifier, la ville de Rome ?tait devenue le refuge de tous les ennemis du roi Joseph. Outre que le Pape avait protest? contre la royaut? fran?aise ?tablie ? Naples, en sa qualit? d'ancien suzerain de la couronne des Deux-Siciles, il avait re?u, presque attir? chez lui les cardinaux qui avaient refus? leur serment au roi Joseph. Il avait de plus donn? asile ? tous les brigands qui infestaient les routes du royaume de Naples, et qui se r?fugiaient sans aucun d?guisement dans les faubourgs de Rome, encore tout couverts du sang des Fran?ais. Jamais on ne pouvait obtenir justice ou extradition d'aucun d'eux.

Napol?on, pendant son voyage de Tilsit ? Paris, ?crivit de Dresde m?me au prince Eug?ne, qui se faisait volontiers l'avocat de la cour de Rome, pour lui retracer ses griefs contre cette cour, pour lui donner mission d'en avertir le Vatican, et de faire entendre au pontife que sa patience, rarement bien grande, ?tait cette fois ? bout, et que, sans toucher ? l'autorit? spirituelle du pontife, il n'h?siterait pas, s'il le fallait, ? le d?pouiller de son autorit? temporelle. Telles ?taient alors les relations avec la cour de Rome, et ces relations expliquent la facilit? avec laquelle Napol?on prit les mesures qu'on vient de retracer, pour les portions du littoral de l'Adriatique relevant du Saint-Si?ge.

Le trait? de Tilsit stipulait la restitution des bouches du Cattaro, ainsi que la cession de Corfou et de toutes les ?les Ioniennes. Aucune possession n'avait ?t? plus d?sir?e par Napol?on, aucune ne plaisait autant ? son imagination si prompte et si vaste. Il y voyait le compl?ment de ses provinces d'Illyrie, la domination de l'Adriatique, un acheminement vers les provinces turques d'Europe, lesquelles lui ?taient destin?es si on arrivait ? un partage de l'empire ottoman, enfin un moyen de plus de ma?triser la M?diterran?e, o? il voulait r?gner d'une mani?re absolue, pour se d?dommager de l'abandon de l'Oc?an fait malgr? lui ? l'Angleterre. On se souvient que les Russes, apr?s la paix de Presbourg, avaient profit? du moment o? l'on allait remplacer la garnison autrichienne par la garnison fran?aise, pour s'emparer des forts du Cattaro. Ne voulant pas que les Anglais en fissent autant cette fois, Napol?on avait donn? de Tilsit m?me des ordres au g?n?ral Marmont, pour que les troupes fran?aises fussent r?unies sous les murs de Cattaro ? l'instant o? les Russes se retireraient. Ce qu'il avait prescrit avait ?t? ex?cut? de point en point, et nos troupes, entr?es dans Cattaro, occupaient solidement cette importante position maritime.

Mais Corfou et les ?les Ioniennes l'int?ressaient encore plus que les bouches du Cattaro. Il enjoignit ? son fr?re Joseph d'acheminer secr?tement vers Tarente, et de mani?re ? n'inspirer aucun soup?on aux Anglais, le 5e de ligne italien, le 6e de ligne fran?ais, quelques compagnies d'artillerie, des ouvriers, des munitions, des officiers d'?tat-major, le g?n?ral C?sar Berthier charg? de commander la garnison, et d'en former plusieurs convois qu'on transporterait sur des felouques de Tarente ? Corfou. Le trajet ?tant ? peine de quelques lieues, quarante-huit heures suffisaient pour faire passer en quelques voyages les quatre mille hommes composant l'exp?dition. C'?tait l'amiral Siniavin, chef des forces russes dans l'Archipel, qui avait mission d'op?rer la remise des ?les Ioniennes. Il le fit avec un d?plaisir extr?me, et nullement dissimul?, car la marine russe, dirig?e en g?n?ral ou par des officiers anglais, ou par des officiers russes ?lev?s en Angleterre, ?tait beaucoup plus hostile aux Fran?ais que l'arm?e elle-m?me, qui venait de combattre ? Eylau et ? Friedland. Cependant cet amiral ob?it, et livra aux troupes fran?aises les belles positions ? la garde desquelles il avait ?t? pr?pos?. Mais son chagrin avait un double motif, car, outre l'abandon de Cattaro, de Corfou et des sept ?les, qui lui co?tait, il allait se trouver au milieu de la M?diterran?e, ne pouvant regagner la mer Noire par les Dardanelles, depuis la rupture avec les Turcs, et r?duit ? franchir le d?troit de Gibraltar, la Manche, le Sund, ? travers les flottes anglaises, qui, suivant l'?tat des n?gociations entam?es, pouvaient le laisser passer ou l'arr?ter. Napol?on avait pr?vu toutes ces complications, et il fit dire aux amiraux russes qu'ils trouveraient dans les ports de la M?diterran?e, tant ceux d'Italie et de France que d'Espagne et de Portugal, des rel?ches s?res, des vivres, des munitions, des moyens de radoub. Il ?crivit ? Venise, ? Naples, ? Toulon, ? Cadix, ? Lisbonne m?me, ? ses pr?fets maritimes, ? ses amiraux, ? ses consuls, et leur recommanda, partout o? se pr?senteraient des vaisseaux russes, de les recevoir avec empressement, et de leur fournir tout ce dont ils auraient besoin. ? Cadix surtout, o? il ?tait repr?sent? par l'amiral Rosily, commandant de la flotte fran?aise rest?e dans ce port depuis Trafalgar, et o? il y avait plus de probabilit? de voir les Russes chercher un asile, Napol?on enjoignit ? l'amiral fran?ais de pr?parer des secours qu'il ne fallait pas attendre de l'administration espagnole, habitu?e ? laisser mourir de faim ses propres matelots, et l'autorisa, si besoin ?tait, ? engager sa signature pour obtenir des banquiers espagnols les fonds n?cessaires.

Les forces navales russes, averties par leur gouvernement et par le n?tre, se retir?rent en deux divisions dans des directions diff?rentes. La division qui portait la garnison de Cattaro se dirigea vers Venise, o? elle d?posa les troupes russes, qu'Eug?ne accueillit avec les plus grands ?gards. La division qui portait les troupes de Corfou les d?posa ? Manfredonia, dans le royaume de Naples, et se dirigea ensuite, sous l'amiral Siniavin, vers le d?troit. Cet amiral, qui n'?tait pas entr? encore dans les vues de son souverain, n'avait aucune envie de s'arr?ter dans un port fran?ais, ou d?pendant de l'influence fran?aise, et se flattait de regagner les mers du Nord avant que les n?gociations entre sa cour et celle d'Angleterre eussent abouti ? une rupture.

L'intention de Napol?on n'?tait pas de s'en tenir aux pr?cautions qu'il avait d?j? prises pour les provinces de l'Adriatique et de la M?diterran?e. Le corps de quatre mille hommes qu'il venait de diriger vers Corfou lui paraissait insuffisant. Il savait bien que les Anglais ne manqueraient pas de faire de grands efforts, dans le cas o? la guerre se prolongerait, pour lui arracher les ?les Ioniennes, qui ?taient d'une importance ? contre-balancer celle de Malte. Aussi ordonna-t-il d'y envoyer encore le 14e l?ger fran?ais, et plusieurs autres d?tachements, de mani?re ? y ?lever les forces fran?aises et italiennes jusqu'? sept ou huit mille hommes, sans compter quelques Albanais et quelques Grecs enr?l?s sous des officiers fran?ais pour garder les petites ?les. Cinq mille hommes devaient r?sider ? Corfou m?me, et quinze cents ? Sainte-Maure. Cinq cents devaient garder le poste de Parga sur le continent de l'?pire. Quant ? Zante et ? C?phalonie, Napol?on n'y voulut que de simples d?tachements fran?ais pour soutenir et contenir les Albanais. Il prescrivit au prince Eug?ne, au roi Joseph, de faire partir d'Anc?ne et de Tarente, par le moyen de petits b?timents italiens, et par tous les vents favorables, des bl?s, du biscuit, de la poudre, des projectiles, des fusils, des canons, des aff?ts, et de continuer ces envois sans interruption, jusqu'? ce que l'on e?t r?uni ? Corfou un amas immense des choses n?cessaires ? une longue d?fense, en sorte qu'on ne f?t pas, comme on l'avait ?t? ? Malte, expos? ? perdre par la famine une position que l'ennemi ne pouvait pas vous enlever par la force. Ne comptant pas sur la solvabilit? du tr?sor de Naples, il exp?dia de la caisse de Turin des sommes en or, afin de tenir toujours au courant la solde des troupes, et de pouvoir payer les ouvriers qu'on emploierait ? construire des fortifications. Des instructions admirables au g?n?ral C?sar Berthier , pr?voyant tous les cas, et indiquant la conduite ? tenir dans toutes les ?ventualit?s imaginables, accompagnaient les envois de ressources que nous venons d'?num?rer.

Le g?n?ral Marmont avait d?j? construit de belles routes dans les provinces d'Illyrie, qu'il administrait avec beaucoup d'intelligence et de z?le. Il eut ordre de les continuer jusqu'? Raguse et ? Cattaro, de pousser des reconnaissances jusqu'? Butrinto, point du rivage d'?pire qui fait face ? Corfou, et de pr?parer les moyens d'y conduire rapidement une division. Napol?on fit demander ? la Porte de lui abandonner Butrinto, pour pouvoir user plus librement de cette position, de laquelle il ?tait facile d'envoyer des secours ? Corfou; ce qui lui fut accord? sans difficult?. Enfin il r?clama et obtint aussi l'?tablissement de relais de Tartares, depuis Cattaro jusqu'? Butrinto, afin que le g?n?ral Marmont f?t promptement averti de toute apparition de l'ennemi, et p?t accourir avec dix ou douze mille hommes, force suffisante pour jeter les Anglais ? la mer s'ils essayaient une descente.

En adressant au roi Joseph, au prince Eug?ne, au g?n?ral Marmont, ces instructions multipli?es, non pas seulement avec l'accent imp?rieux dont il accompagnait toujours ses ordres, mais avec l'accent passionn? qu'il y mettait, lorsque ses ordres se liaient ? l'une de ses grandes pr?occupations, Napol?on leur ?crivait: <>

Ces projets, en effet, peu de personnes les connaissaient en Europe. M. de Talleyrand, n?gociateur de Napol?on ? Tilsit, n'en avait lui-m?me qu'une id?e tr?s-incompl?te. Ils n'?taient connus que d'Alexandre et de Napol?on, qui, dans leurs longs entretiens au bord du Ni?men, s'?taient promis de s'entendre sur le partage ? faire de l'empire turc, partage dans lequel l'un cherchait le d?dommagement de la grandeur fran?aise, l'autre la compensation de la ruine de l'empire turc, que la mollesse asiatique ne pouvait plus d?fendre contre l'?nergie europ?enne. Napol?on ?tait loin de vouloir h?ter ce r?sultat; Alexandre, au contraire, l'appelait de tous ses voeux, ce qui constituait le p?ril de leur alliance. Mais, dans la pr?vision des ?v?nements, Napol?on voulait ?tre pr?t ? mettre la main sur les provinces turques plac?es ? sa port?e; et de plus, quoi qu'il p?t arriver, que cette n?cessit? se pr?sent?t ou non, il entendait se rendre ma?tre de la M?diterran?e. Il croyait que, ma?tre de cette mer, communication la plus courte entre l'Orient et l'Occident, on pouvait se consoler de n'?tre que le second sur l'Oc?an. Aussi Napol?on ?tait-il r?solu, le jour m?me de la signature de la paix de Tilsit, ? recouvrer la Sicile, qu'il regardait comme ? lui, depuis qu'il avait pris Naples pour un de ses fr?res; et il esp?rait la tenir, ou de l'abandon que lui en feraient les Anglais, si les Russes parvenaient ? n?gocier la paix, ou de la force de ses armes, si la guerre continuait. Aussi d?s la fin de l'hiver avait-il commenc? ? envoyer des ordres ? son ministre de la marine, pour donner ? ses escadres la direction du port de Toulon, et pr?parer ainsi une grande exp?dition contre la Sicile.

Vingt-deux mois s'?taient ?coul?s depuis cette fatale bataille de Trafalgar, dans laquelle notre pavillon avait d?ploy? un sublime h?ro?sme au milieu d'un immense d?sastre. Ces vingt-deux mois avaient ?t? employ?s avec quelque activit?, et ?? et l? avec quelque gloire, avec celle au moins qui est due au courage que n'abattent point les revers. L'amiral Decr?s, continuant ? mettre au service de la volont? imp?tueuse de Napol?on une exp?rience profonde et un esprit sup?rieur, ne r?ussissait pas toujours ? lui persuader que dans la marine on ne suppl?e pas avec la volont?, avec le courage, avec l'argent, avec le g?nie m?me, au temps, et ? une longue organisation. Il avait propos? ? Napol?on de substituer au syst?me des grandes batailles navales, celui, des croisi?res tr?s-divis?es et tr?s-lointaines. Dans ce syst?me on a l'avantage de hasarder moins ? la fois, d'acqu?rir en naviguant l'exp?rience dont on est d?pourvu, de causer de grands dommages au commerce de l'ennemi, d'avoir chance enfin de rencontrer son adversaire en force num?rique moindre, car la mer par son immensit? m?me est le champ du hasard. Un pareil syst?me valait assur?ment la peine d'?tre essay?, et il aurait eu pour nous d'incontestables avantages sur l'autre, si la disproportion num?rique de nos forces avec celles des Anglais n'e?t pas ?t? aussi grande, et si nos ?tablissements lointains n'avaient pas ?t? aussi ruin?s, aussi d?nu?s de toute ressource.

Malgr? les accidents survenus ? la fin de cette croisi?re, accidents in?vitables apr?s avoir brav? onze mois les chances de la mer et de la guerre, on aurait pu accepter de la fortune de telles conditions pour toutes nos croisi?res. Le capitaine L'Hermitte avait d?truit 26 b?timents ennemis, fait 570 prisonniers, d?truit pour plus de cinq millions de valeurs, et rapport? des sommes consid?rables, tr?s-sup?rieures aux d?penses de sa croisi?re. La traite avait ?t? ruin?e cette ann?e sur la c?te d'Afrique, et les compagnies anglaises d'assurance, poussaient contre l'amiraut? des cris de fureur. Mais nos grandes croisi?res ne devaient pas ?tre aussi heureuses.

Telles ?taient les actions, peu consid?rables mais courageuses, par lesquelles se signalaient nos marins contre une puissance ordinairement sup?rieure ? nous par le nombre et par l'organisation, plus sup?rieure encore dans un moment o? toutes nos forces ?taient exclusivement dirig?es vers la guerre de terre. Aussi ? la fin de 1806 l'habile et malheureux ministre Decr?s, n'ayant que des infortunes ? mander ? un ma?tre qui ne recevait de toutes parts que des nouvelles heureuses, ?tait-il enti?rement d?courag?, et non moins d?go?t? du syst?me des croisi?res que du syst?me des grandes batailles. Oblig? d'expliquer ? Napol?on les revers qu'on avait essuy?s dans ce nouveau syst?me de guerre aussi bien que dans l'ancien, il lui en donnait les raisons v?ritables, qui devaient faire consid?rer tous les genres de guerre maritime comme ?galement dangereux dans l'?tat pr?sent des choses. D'abord la disproportion num?rique ?tait si grande, selon lui, que les Anglais pouvaient bloquer nos ports avec plusieurs grosses escadres, et garder encore de nombreuses divisions pour courir apr?s nos croisi?res d?s qu'elles ?taient signal?es; ce qui prouvait que, m?me sans la pr?tention de livrer des batailles g?n?rales, il fallait n?anmoins des forces encore tr?s-consid?rables pour faire la guerre avec de petites divisions. Ensuite notre mat?riel ?tait trop d?fectueux comparativement ? celui de l'ennemi; et, bien que nos matelots, jamais inf?rieurs en courage, le fussent beaucoup en exp?rience, le mat?riel qu'ils maniaient ?tait encore plus en d?faut que leur savoir-faire. Leurs b?timents r?sistaient ? la temp?te beaucoup moins qu'ils n'y r?sistaient eux-m?mes. Dans l'ouragan du 19 ao?t, qui avait d?truit la division Willaumez et gravement maltrait? la division L'Hermitte, les Anglais avaient mieux support? que nous le coup de vent, parce que leur gr?ement ?tait non-seulement mieux mani?, mais de qualit? fort sup?rieure. Plus nombreux, mieux ?quip?s, ils ?taient certains que parmi eux il en ?chapperait toujours assez aux dangers de la mer pour r?duire nos vaisseaux, les uns ? se rendre, les autres ? s'?chouer, les autres ? fuir en Europe. Mais l'inf?riorit? du nombre, celle du mat?riel n'?taient pas, suivant l'amiral Decr?s, les seules causes de nos malheurs. En sortant du port de Brest o? ils avaient ?t? choisis avec soin dans une escadre consid?rable, les vaisseaux de la division Willaumez n'?taient pas inf?rieurs en qualit? aux bons vaisseaux anglais. Mais dix mois de navigation continue sans trouver de rel?che s?re, bien approvisionn?e en vivres et en moyens de rechange, les avaient mis hors d'?tat, soit d'?chapper par leur marche ? une escadre plus forte, soit de r?sister ? une temp?te, soit de poursuivre leur croisi?re sans renouveler leurs provisions de bouche, ce qui les exposait ? ?tre d?couverts par l'ennemi. Aussi l'amiral Decr?s ?crivait-il le 23 octobre 1806 ? Napol?on: <> Malheureusement nous n'avions plus de ports, ou ceux que nous avions ?taient mal approvisionn?s. Nous en poss?dions ? la v?rit? un excellent, incomparable pour ses avantages, dans la mer des Indes: c'?tait celui de l'?le de France, qui, ? l'?poque de la guerre d'Am?rique, avait servi de base d'op?rations au bailli de Suffren pendant sa belle campagne de l'Inde. Mais au milieu des d?sordres de la r?volution, et des difficult?s de la guerre continentale, on n'avait pu l'approvisionner en munitions navales. Le cap de Bonne-Esp?rance, qui appartenait ? des alli?s, ne pouvait ?tre approvisionn? comme un port national, et venait d'ailleurs d'?tre pris. Sur la c?te du Br?sil, nous n'avions rien qu'un port neutre, et presque ennemi puisqu'il ?tait portugais, celui de San-Salvador. Enfin aux Antilles, nous ?tions ma?tres de la magnifique rade du Fort-Royal, l'une des plus vastes, des plus s?res du monde; mais la Martinique ?tait compl?tement d?pourvue de munitions navales, et, sous le rapport des vivres, elle avait plut?t besoin que nos flottes y versassent une partie de leur biscuit pour les troupes de la garnison, qu'elle n'?tait en mesure de leur restituer les vivres consomm?s en mer. Avec quatre rel?ches bien pourvues, une aux Antilles, une ? la c?te du Br?sil, une au cap de Bonne-Esp?rance, une dans l'Inde, nous aurions pu tenir les mers avantageusement. Mais priv?s de ces ressources, nous ne pouvions y para?tre qu'en fugitifs, toujours press?s, toujours craignant une rencontre, et ayant contre nous, outre les chances du petit nombre, toutes celles d'un ?quipement inf?rieur et insuffisant. C'?taient l? les suites de longs bouleversements int?rieurs, et de guerres ext?rieures inou?es par leur grandeur, leur dur?e et leur acharnement.

Napol?on, qui n'?tait pas facile ? d?courager, et qui pensait que, malgr? beaucoup d'accidents f?cheux, ces derni?res exp?ditions avaient caus? de grands dommages au commerce ennemi, voulait exp?dier de nouvelles croisi?res en 1807; mais M. Decr?s s'y ?tait fortement oppos?, disant que la c?te d'Afrique, ravag?e en 1806 par le capitaine L'Hermitte, ?tait pourvue cette ann?e de moyens de d?fense consid?rables, par suite des vives r?clamations du commerce anglais, que l'on ne poss?dait aucune rel?che ni ? l'?le de France, qui manquait de munitions, ni au Cap, qui ?tait pris, ni ? San-Salvador, qui ?tait us?, ni ? la Martinique, qui avait ? peine le n?cessaire. Construire, en attendant la paix continentale, occuper par des flottes arm?es dans nos ports les croisi?res anglaises, et profiter de certains moments pour envoyer sur des fr?gates des secours aux colonies, lui avait paru la seule activit? permise, activit? peu dommageable pour le pr?sent, et avantageuse pour l'avenir. Napol?on, qui entre Eylau et Friedland avait eu ? cr?er de nouvelles arm?es pour contenir l'Europe sur ses derri?res, avait admis le syst?me n?gatif de M. Decr?s, et les travaux de notre marine en 1807 s'?taient born?s ? quelques secours exp?di?s aux Antilles et dans les Indes.

Telle ?tait en 1807, lorsque Napol?on revint de sa longue campagne au Nord, la situation de notre marine et de nos ?tablissements maritimes. Encourag? par ses prodigieux triomphes ? tout entreprendre, persuad? qu'? la t?te des puissances du continent il obtiendrait la paix, ou bien qu'il vaincrait l'Angleterre par une r?union de forces accablantes, il ?tait plein d'ardeur. Habitu? de plus ? trouver dans son g?nie des ressources in?puisables pour vaincre les hommes et les ?l?ments, il ne partageait nullement le d?couragement de l'amiral Decr?s. Il entrevoyait dans l'avenir des ressources nouvelles, et non encore essay?es contre les Anglais. D'abord toutes les issues n'avaient pas ?t? ferm?es jusqu'alors au commerce britannique. Par la Russie, que la Prusse, le Danemark et les villes ans?atiques, par le Portugal qui ?tait ennemi, par l'Espagne qui ?tait mal surveill?e, par l'Autriche qu'il avait fallu m?nager, il ?tait rest? bien des portes, au moins entr'ouvertes; et les marchandises anglaises, en se donnant ? bon march? , avaient r?ussi ? p?n?trer sur le continent. Maintenant, au contraire, tout acc?s allait se trouver ferm?, et c'?tait un grand dommage qui se pr?parait pour les manufactures de l'Angleterre. De plus, Napol?on allait ?tre libre de multiplier les constructions navales, soit avec les ressources du budget fran?ais, chaque jour plus riche, soit avec les produits de la conqu?te, soit avec les bois et les bras de tout le littoral europ?en. Ayant en outre ses nombreuses arm?es disponibles, il avait con?u un vaste syst?me dont on verra plus tard le d?veloppement successif, et qui aurait tellement multipli? les chances d'une grande exp?dition dirig?e sur Londres, sur l'Irlande ou sur l'Inde, que cette exp?dition, d?rob?e une fois ? la surveillance de l'amiraut?, aurait peut-?tre fini par r?ussir, ou que l'obstination britannique aurait fini par c?der devant la menace d'un p?ril toujours imminent. Napol?on en effet n'?tait gu?re d'avis des grandes batailles navales, que du reste il n'avait accept?es dans certaines occasions que pour ne pas reculer d'une mani?re trop manifeste devant l'ennemi. Il n'?tait gu?re plus d'avis des croisi?res, que le d?faut de rel?ches s?res et bien approvisionn?es rendait trop p?rilleuses. Mais il voulait, unissant les marines russe, hollandaise, fran?aise, espagnole, italienne, ayant des flottes arm?es au Texel, ? Flessingue, ? Boulogne, ? Brest, ? Lorient, ? Rochefort, ? Cadix, ? Toulon, ? G?nes, ? Tarente, ? Venise, tenant aupr?s de ces flottes des camps nombreux remplis de troupes invincibles, il voulait obliger l'Angleterre ? entretenir devant ces ports des forces navales qui ne pourraient suffire ? les bloquer tous, et, partant ? l'improviste de celui qui aurait ?t? mal surveill?, transporter une arm?e ou en ?gypte, ou dans l'Inde, ou ? Londres m?me, et en attendant que cette chance se r?alis?t, ?puiser la nation anglaise d'hommes, de bois, d'argent, de constance et de courage. On verra, en effet, que, s'il ne se f?t pas ?puis? lui-m?me en mille entreprises ?trang?res ? ce grand but, s'il n'avait pas fatigu? la bonne volont? ou la patience de ses alli?s, certainement les moyens ?taient si vastes, si bien con?us, qu'ils auraient fini par triompher de l'Angleterre.

Mais avant de parvenir ? cet immense d?veloppement, que deux ou trois ans auraient suffi pour atteindre, Napol?on commen?a par ordonner un redoublement d'activit? dans les constructions navales de tout l'empire, et ensuite par essayer dans la M?diterran?e de ce syst?me d'exp?ditions toujours pr?tes et toujours mena?antes, en faisant une tentative sur la Sicile, afin d'ajouter cette ?le au royaume de Naples, d?j? donn? ? son fr?re Joseph.

En attendant que ces armements immenses fussent ex?cut?s, Napol?on entendait sur-le-champ porter des secours aux colonies, et r?unir par la m?me op?ration quarante voiles dans la M?diterran?e. Il voulait pour cela que les divisions de Brest, de Lorient, de Rochefort embarquassent 3,100 nommes et beaucoup de munitions, allassent en d?poser 1,200 ? la Martinique, 600 ? la Guadeloupe, 500 ? Saint-Domingue, 300 ? Cayenne, 100 au S?n?gal, 400 ? l'?le de France, et, faisant retour vers l'Europe, franchissent le d?troit de Gibraltar pour se rendre ? Toulon. La r?union ? Toulon des 7 vaisseaux de Brest, des 3 de Lorient, des 7 de Rochefort, des 6 de Cadix, des 6 de Toulon, devait y composer avec les fr?gates un total de 40 voiles, dont 29 vaisseaux de ligne, force sup?rieure ? tout ce que les Anglais, m?me avertis ? temps, pourraient amener dans cette mer avant deux ou trois mois, et capable de jeter quinze ou dix-huit mille hommes en Sicile, et tout ce qu'on voudrait dans les ?les Ioniennes.

L'amiral Decr?s, qui s'appliquait avec un courage honorable ? s'opposer aux projets de Napol?on, quand la grandeur n'en ?tait pas proportionn?e avec les moyens, ne manqua pas de combattre ce projet de r?unions, pr?c?d?es d'une course aux Antilles. Il pensait que faire d?pendre le ravitaillement des colonies du succ?s de deux ou trois grandes exp?ditions, ?tait chose imprudente; car ces grandes exp?ditions de plusieurs vaisseaux et fr?gates, pour porter quelques centaines d'hommes aux colonies, couraient des dangers qui n'?taient pas en rapport avec l'importance du but; qu'il valait mieux exp?dier des fr?gates isol?es, charg?es chacune d'une certaine quantit? de mat?riel, de deux ou trois cents hommes; que, si on en perdait une, la perte ?tait peu consid?rable, que les autres arrivaient, et que les colonies ?taient ainsi toujours assur?es de recevoir une portion des secours qu'on leur destinait. Quant aux r?unions dans la M?diterran?e, il soutenait que les divisions charg?es de franchir le d?troit, malgr? la croisi?re anglaise de Gibraltar, avaient ? braver d'immenses p?rils; que, pour y ?chapper, il fallait les laisser libres de profiter du premier coup de vent favorable; qu'on ne devait donc leur donner que la seule instruction de franchir le d?troit, en leur permettant de saisir la premi?re circonstance heureuse, sans compliquer leur mission d'une course aux Antilles, et d'un retour vers l'Europe. Enfin il pensait que c'?tait assez d'envoyer dans la M?diterran?e la division de Cadix plac?e fort pr?s du but, et peut-?tre celle de Rochefort, mais qu'il ne fallait pas se priver de toutes les forces qu'on avait dans l'Oc?an, en faisant partir aussi pour Toulon les divisions de Lorient et de Brest.

Napol?on, qui laissait modifier ses id?es par les hommes d'exp?rience quand ces hommes lui fournissaient de bonnes raisons, accueillit les observations de M. Decr?s. En cons?quence il d?cida que des ports de Dunkerque, du Havre, de Cherbourg, de Nantes, de Rochefort, de Bordeaux, o? il y avait beaucoup de fr?gates, partiraient des exp?ditions isol?es pour les colonies, que les divisions navales charg?es de se rendre dans la M?diterran?e n'auraient que cette seule mission, et, quant au nombre, il voulut en appeler deux au moins ? Toulon, celle de Rochefort et celle de Cadix, lesquelles devaient former avec la division de Toulon une r?union de 17 ou 18 vaisseaux, plus 7 ou 8 fr?gates, force suffisante pour dominer deux ou trois mois la M?diterran?e, et y ex?cuter tout ce qu'il m?ditait sur la Sardaigne, sur la Sicile et sur les ?les Ioniennes. En cons?quence l'amiral Allemand ? Rochefort, l'amiral Rosily ? Cadix, re?urent l'ordre de saisir la premi?re occasion propice pour lever l'ancre, et de franchir le d?troit, en faisant la manoeuvre que leur conseilleraient leur exp?rience et les circonstances de la mer. Il fut demand? ? la cour d'Espagne d'armer quelques vaisseaux ? Cadix, et de donner imm?diatement les ordres convenables pour que la division de Carthag?ne, command?e par l'amiral Salcedo, f?t pourvue des vivres n?cessaires ? une courte exp?dition, et dirig?e sur Toulon.

Telles furent les mesures ordonn?es par Napol?on, en ex?cution du trait? de Tilsit, pour intimider l'Angleterre par un immense concours de moyens, pour la disposer ? la paix, et, si elle s'opini?trait ? la guerre, pour forcer la Su?de, le Danemark, la Prusse, le Portugal, l'Autriche ? fermer leurs ports aux produits de Manchester et de Birmingham, pour pr?parer avec la r?union de toutes les forces navales du continent des exp?ditions dont la possibilit? toujours mena?ante ?puiserait t?t ou tard les finances ou la constance de la nation anglaise, sans compter qu'il suffisait du succ?s d'une seule pour la frapper au coeur. Mais les affaires ext?rieures n'attiraient pas seules l'attention de Napol?on. Il lui tardait enfin de s'occuper d'administration, de finances, de travaux publics, de l?gislation, de tout ce qui pouvait concourir ? la prosp?rit? int?rieure de la France, laquelle ne lui tenait pas moins ? coeur que sa gloire.

Avant de s'en occuper il lui avait fallu op?rer quelques changements indispensables dans les hauts emplois civils et militaires. M. de Talleyrand fut la cause principale, sinon unique, de ces changements. Cet habile repr?sentant de Napol?on aupr?s de l'Europe, qui ?tait paresseux, sensuel, jamais press? d'agir ou de se mouvoir, et dont les infirmit?s physiques augmentaient la mollesse, avait ?t? cruellement ?prouv? par les campagnes de Prusse et de Pologne. Vivre sous ces froids et lointains climats, courir sur les neiges ? la suite d'un infatigable conqu?rant, ? travers les bandes de cosaques, coucher le plus souvent sous le chaume, et, quand on ?tait favoris? par la fortune de la guerre, habiter une maison de bois, d?cor?e du titre de ch?teau de Finkenstein, ne convenait pas plus ? ses go?ts qu'? son ?nergie. Il ?tait donc fatigu? du minist?re des relations ext?rieures, et il aurait voulu non pas renoncer ? diriger ces relations, qui ?taient son occupation favorite, mais les diriger ? un autre titre que celui de ministre. Il avait beaucoup souffert dans son orgueil de ne pas devenir grand dignitaire, comme MM. de Cambac?r?s et Lebrun, et la principaut? de B?n?vent, qui lui avait ?t? accord?e en d?dommagement, n'avait qu'ajourn? ses d?sirs sans les satisfaire. Une occasion se pr?sentait d'accro?tre le nombre des grands dignitaires, c'?tait l'absence ind?finie des princes de la famille imp?riale, qui ?taient ? la fois grands dignitaires et souverains ?trangers. Il y en avait trois dans ce cas: Louis Bonaparte, qui ?tait roi de Hollande et conn?table; Eug?ne de Beauharnais, qui ?tait vice-roi d'Italie et archichancelier d'?tat, enfin Joseph, qui ?tait roi de Naples et grand-?lecteur. M. de Talleyrand avait insinu? ? l'Empereur qu'il fallait leur donner des suppl?ants, sous les titres de vice-conn?table, de vice-grand-?lecteur, de vice-chancelier d'?tat, et que si, ? la v?rit?, ces fonctions fort peu actives n'exigeaient gu?re un double titulaire, on ne pouvait trop multiplier les grandes charges destin?es ? r?compenser les services ?clatants. M. de Talleyrand aurait voulu devenir vice-grand-?lecteur, et, laissant ? un ministre des affaires ?trang?res le soin vulgaire d'ouvrir et d'exp?dier des d?p?ches, continuer ? diriger lui-m?me les principales n?gociations. Il n'avait n?glig?, pendant son s?jour ? l'arm?e, aucune occasion d'entretenir l'Empereur de ce sujet, ne cessant de pr?ner les avantages de ces nouvelles cr?ations, et all?guant, pour ce qui le concernait en particulier, son ?ge, ses infirmit?s, ses fatigues, son besoin de repos. Il avait, ? force d'insistance, obtenu une sorte de promesse, que Napol?on s'?tait laiss? arracher ? contre-coeur; car il ne voulait pas que les grands dignitaires exer?assent des fonctions actives, vu que, participant en quelque sorte ? l'inviolabilit? du souverain, ils n'?taient gu?re faits pour ?tre responsables. Napol?on au contraire tenait essentiellement ? pouvoir destituer les personnages rev?tus de fonctions actives, et il r?pugnait surtout ? placer dans une position de demi-inviolabilit? un personnage dont il se d?fiait, et qu'il croyait prudent de garder toujours sous sa main toute-puissante.

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