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Munafa ebook

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Read Ebook: Histoire du Consulat et de l'Empire (Vol. 09 / 20) faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française by Thiers Adolphe

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Ebook has 637 lines and 158024 words, and 13 pages

HISTOIRE DU CONSULAT

ET DE

L'EMPIRE

FAISANT SUITE

? L'HISTOIRE DE LA R?VOLUTION FRAN?AISE

PAR M. A. THIERS

TOME NEUVI?ME

PARIS PAULIN, LIBRAIRE-?DITEUR 60, RUE RICHELIEU 1849

L'auteur d?clare r?server ses droits ? l'?gard de la traduction en Langues ?trang?res, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise, Espagnole et Italienne.

Ce volume a ?t? d?pos? au Minist?re de l'Int?rieur , le 3 d?cembre 1849.

PARIS. IMPRIM? PAR PLON FR?RES, RUE DE VAUGIRARD, 36.

HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE.

LIVRE TRENTE ET UNI?ME.

BAYLEN.

Lorsque Napol?on quitta Bayonne pour visiter ? son retour la Gascogne et la Vend?e, il ne conservait plus aucune des illusions qu'il avait con?ues un moment sur l'esprit de l'Espagne, et sur la facilit? qu'il aurait ? disposer d'elle. Une insurrection d'abord partielle, bient?t universelle, venait d'?clater, et de faire arriver jusqu'? lui les cris d'une haine implacable. Il comptait toutefois sur ses jeunes soldats, et sur quelques vieux r?giments r?cemment dirig?s vers les Pyr?n?es, pour r?duire un mouvement qui pouvait n'?tre encore qu'une insurrection pareille ? celle des Calabres. Bien qu'il f?t d?j? d?tromp?, peut-?tre m?me aux regrets de ce qu'il avait entrepris, il lui restait sur ce sujet beaucoup ? apprendre, et avant d'avoir regagn? Paris il devait conna?tre toutes les cons?quences de la faute commise ? Bayonne.

Je ne suis point, je ne serai jamais le flatteur de la multitude. Je me suis promis au contraire de braver son pouvoir tyrannique, car il m'a ?t? inflig? de vivre en des temps o? elle domine et trouble le monde. Toutefois je lui rends justice: si elle ne voit pas, elle sent; et, dans les occasions fort rares o? il faut fermer les yeux et ob?ir ? son coeur, elle est, non pas un conseiller ? ?couter, mais un torrent ? suivre. Le peuple espagnol, quoiqu'en repoussant la royaut? de Joseph il repouss?t un bon prince et de bonnes institutions, fut peut-?tre mieux inspir? que les hautes classes. Il agit noblement en repoussant le bien qui lui venait d'une main ?trang?re, et sans yeux il vit plus juste que les hommes ?clair?s, en croyant qu'on pouvait tenir t?te au conqu?rant auquel n'avaient pu r?sister les plus puissantes arm?es et les plus grands g?n?raux.

Dans cette situation, l'imagination populaire, vivement ?veill?e, accueillait les bruits les plus ?tranges. Les voyages forc?s ? Bayonne en ?taient surtout le texte. Les principaux personnages devaient, disait-on, apr?s la famille royale, ?tre conduits dans cette ville, devenue le gouffre o? allait s'engloutir tout ce que l'Espagne avait de plus illustre. Apr?s la royaut?, apr?s les grands, viendrait le tour de l'arm?e. Elle devait, r?giment par r?giment, ?tre men?e ? Bayonne, de Bayonne sur les rives de l'Oc?an, o? se trouvaient d?j? les troupes du marquis de La Romana, et p?rir dans quelque guerre lointaine pour la grandeur du tyran du monde. Ce n'?tait pas tout: la population enti?re devait ?tre enlev?e au moyen d'une conscription g?n?rale, qui frapperait la P?ninsule comme elle frappait la France, et on verrait la fleur de la nation espagnole sacrifi?e aux atroces projets du nouvel Attila. On d?bitait ? ce propos les plus singuliers d?tails. Des quantit?s consid?rables de menottes avaient ?t? fabriqu?es, disait-on, et transport?es dans les caissons de l'arm?e fran?aise, afin d'emmener pieds et poings li?s les malheureux conscrits espagnols. On affirmait les avoir vues et touch?es. Il y en avait notamment des milliers d?pos?es dans les arsenaux du Ferrol, o? cependant n'avait paru ni un bataillon ni un caisson de l'arm?e fran?aise, mais o? l'on travaillait beaucoup, par ordre de Napol?on, ? la restauration de la marine espagnole, et o? l'on pr?parait une exp?dition pour mettre les riches colonies de la Plata ? l'abri des attaques de l'Angleterre. ? ces bruits s'en joignaient une foule d'autres de m?me valeur. On allait, disait-on encore, sous un roi fran?ais obliger tout le monde ? parler et ? ?crire le fran?ais. Une nu?e d'employ?s fran?ais accompagneraient ce roi, et s'approprieraient tous les emplois.

La premi?re et la plus grave cons?quence de ces bruits fut de faire d?serter l'arm?e espagnole presque tout enti?re, par la crainte d'?tre violemment transport?e en France. ? Madrid, on vit chaque nuit jusqu'? deux et trois cents hommes d?serter ? la fois. Les soldats s'en allaient sans leurs officiers, quelquefois m?me avec eux, emportant armes, bagages, mat?riel de guerre. Les gardes du corps qui ?taient ? l'Escurial disparurent ainsi peu ? peu, au point qu'apr?s quelques jours il n'en restait plus un seul. Cette d?sertion se manifesta, non-seulement ? Madrid, mais ? Barcelone, ? Burgos, ? la Corogne. G?n?ralement les soldats d?serteurs fuyaient soit vers le midi, soit vers les provinces dont l'agitation et l'?loignement faisaient un asile plus s?r pour les fugitifs. Ceux de Barcelone fuyaient vers Tortose et Valence. Ceux de la Vieille-Castille gagnaient l'Aragon et Saragosse, contr?e r?put?e invincible chez les Espagnols. Ceux de la Corogne allaient rejoindre le g?n?ral Taranco, plac? avec un corps de troupes au nord du Portugal. Ceux de la Nouvelle-Castille se jetaient partie ? gauche vers Guadalaxara et Cuenca, o? ils avaient Saragosse et Valence pour retraite, partie ? droite vers Talavera, o? ils avaient l'asile assur? et imp?n?trable de l'Estr?madure. Les g?n?raux espagnols, habitu?s ? la subordination, rendaient compte de cette d?sertion effrayante, qui les laissait sans aucun moyen de maintenir l'ordre, quel que f?t le souverain d?finitivement impos? ? la malheureuse Espagne.

L'anxi?t? ? Madrid ?tait si grande, que le moindre bruit dans une rue, que le pas d'un piquet de cavalerie sur une place publique, suffisaient pour attirer la population en masse. Dans chaque ville on se pressait ? l'arriv?e du courrier pour recueillir les nouvelles, et on restait assembl? des heures enti?res pour en disserter. Le peuple, les bourgeois, les grands, les pr?tres, les moines, m?l?s ensemble avec la familiarit? ordinaire ? la nation espagnole, s'occupaient sans cesse des ?v?nements politiques dans les lieux publics. Partout la curiosit?, l'attente, la col?re, la haine, agitaient les coeurs, et il ne fallait plus qu'une l?g?re ?tincelle pour allumer un vaste incendie.

? Oviedo, capitale des Asturies, on ?tait d?j? fort agit? par deux circonstances accidentelles: premi?rement la convocation de la junte provinciale, qui avait l'habitude de se r?unir tous les trois ans, et secondement un proc?s intent? ? quelques Espagnols pour avoir insult? le consul fran?ais de Gijon. Ce proc?s, ordonn? par le gouvernement de Madrid, avait provoqu? une d?sapprobation g?n?rale, car tout le monde se sentait pr?t ? faire ce qu'avaient fait les auteurs de l'outrage qu'il s'agissait de punir. La nouvelle des abdications ?tant arriv?e par le courrier de Madrid, on ne se contint plus. Dans cette province, qui ?tait une Espagne dans l'Espagne, et qui ?prouvait pour toutes les innovations l'aversion que la Vend?e avait manifest?e autrefois, il n'y avait qu'un esprit, et les plus grands seigneurs sympathisaient compl?tement avec le peuple. Ils se mirent ? la t?te du mouvement, et le 24 mai, jour de l'arriv?e du courrier de Madrid, on se concerta par l'interm?diaire des moines et des autorit?s municipales avec les gens des campagnes, pour s'emparer d'Oviedo. ? minuit, au bruit du tocsin, le peuple de la montagne descendit en effet vers la ville, l'envahit, se joignit au peuple de l'int?rieur, courut chez les autorit?s, les d?posa, et conf?ra tous les pouvoirs ? la junte. Celle-ci choisit pour son pr?sident le marquis de Santa-Cruz de Marcenado, grand personnage du pays, fort ennemi des Fran?ais, tr?s-passionn? pour la maison de Bourbon, et plein de sentiments patriotiques que nous devons honorer, quoique contraires ? la cause de la France. Sous son impulsion, on n'h?sita pas ? consid?rer les abdications comme nulles, les ?v?nements de Bayonne comme atroces, l'alliance avec la France comme rompue, et on d?clara solennellement la guerre ? Napol?on. Apr?s avoir proc?d? de la sorte, on s'empara de toutes les armes que contenaient les arsenaux royaux, tr?s-largement approvisionn?s dans cette province par l'industrie locale. On enleva cent mille fusils, qui furent partie distribu?s au peuple, partie r?serv?s pour les provinces voisines. On fit des dons consid?rables pour remplir la caisse de l'insurrection, dons auxquels le clerg? et les grands propri?taires contribu?rent pour une forte part. Enfin on proclama le r?tablissement de la paix avec la Grande-Bretagne, et on envoya sur un corsaire de Jersey deux d?put?s ? Londres, afin d'invoquer l'alliance et les secours de l'Angleterre. L'un de ces deux d?put?s ?tait le comte de Matarosa, depuis comte de Toreno, si connu des hommes de notre ?ge, comme ministre, ambassadeur et ?crivain.

Mais l'enthousiasme patriotique des Espagnols ne pouvait malheureusement ?clater sans accompagnement d'affreuses cruaut?s, et le sang qui coula bient?t dans les autres provinces allait couler dans les Asturies, lorsque, pour l'honneur de cette province, un pr?tre en arr?ta l'effusion. Il y avait ? Oviedo deux commissaires espagnols envoy?s ? l'instigation de Murat pour acc?l?rer le proc?s intent? aux offenseurs du consul de Gijon. Il y avait aussi le commandant de la province, appel? La Llave, lequel avait paru peu favorable ? une insurrection qui lui semblait singuli?rement imprudente; enfin le colonel du r?giment des carabiniers royaux et celui du r?giment d'Hibernia, qui tous deux avaient opin? autrement que leurs officiers lorsqu'il s'?tait agi de savoir si on emp?cherait ou favoriserait le mouvement populaire. Sur-le-champ on avait proclam? tra?tres ces cinq personnages, et la nouvelle autorit? les avait mis en prison pour apaiser la populace. Afin de les soustraire ? sa fureur, la junte voulut les faire sortir de la principaut?. Le peuple profita de l'occasion pour s'emparer de leurs personnes, et une multitude compos?e surtout des nouveaux volontaires, les avait d?j? attach?s ? des arbres pour les fusiller, lorsqu'un chanoine , lorsqu'un chanoine eut l'id?e de se rendre en procession au lieu o? se pr?parait le crime, et, couvrant les victimes avec le saint sacrement, parvint ? les sauver. Ce ne fut pas le seul effort du clerg? honn?te pour emp?cher l'effusion du sang, mais le seul effort heureux, car bient?t l'Espagne devint un th??tre de crimes atroces, commis non-seulement sur les Fran?ais, mais sur les Espagnols les plus illustres et les plus d?vou?s ? leur pays.

Aussit?t une junte fut form?e, l'insurrection proclam?e, la guerre d?clar?e ? la France, une lev?e en masse ordonn?e comme ? Oviedo, et la distribution des fusils de l'arsenal faite ? la multitude. Quarante ou cinquante mille fusils sortirent des arsenaux royaux pour armer tous les bras qui s'offrirent. Le r?giment de Navarre fut imm?diatement rappel? du Ferrol et re?u en triomphe. Les dons abond?rent de la part des grands et du clerg?. Le tr?sor de Saint-Jacques de Compostelle envoya deux ? trois millions de r?aux. Cependant on estimait le capitaine g?n?ral Filangieri, on sentait le besoin d'avoir ? la t?te de la junte un personnage aussi ?minent, et on lui en offrit la pr?sidence, qu'il consentit ? accepter. Cet homme excellent, c?dant, quoique ? regret, ? l'entra?nement patriotique de ses concitoyens, se mit loyalement ? leur t?te, pour racheter par la sagesse des mesures la t?m?rit? des r?solutions. Il rappela du Portugal les troupes du g?n?ral Taranco; il versa la population insurg?e dans les cadres des troupes de ligne pour les grossir; il employa le mat?riel consid?rable dont il disposait pour armer les nouvelles lev?es, et il se h?ta ainsi d'organiser une force militaire de quelque valeur.

En attendant, il avait port? au d?bouch? des montagnes de la Galice, afin d'arr?ter les troupes ennemies qui viendraient des plaines de L?on et de la Vieille-Castille, ses corps les mieux organis?s, entre Villafranca et Manzanal. Mais, tandis qu'il veillait lui-m?me au placement de ses postes, quelques furieux qui ne lui pardonnaient ni des h?sitations, ni une prudence peu en harmonie avec leurs passions d?sordonn?es, l'?gorg?rent atrocement dans les rues de Villafranca. Il y avait l? un d?tachement du r?giment de Navarre, irrit? encore de quelques jours d'exil au Ferrol, et on attribua ? ce r?giment un crime qui devint le signal du massacre de la plupart des capitaines g?n?raux.

La commotion de la Galice gagna sur-le-champ le royaume de L?on. ? l'arriv?e de 800 hommes de troupes envoy?s de la Corogne ? L?on, l'insurrection s'y produisit de la m?me mani?re et avec les m?mes formes. On institua une junte, on d?clara la guerre, on d?cr?ta une lev?e en masse, on s'arma avec toutes les armes sorties des arsenaux d'Oviedo, du Ferrol et de la Corogne. ? L?on on ?tait d?j? en plaine, et assez rapproch? des escadrons du mar?chal Bessi?res; mais ? Valladolid on en ?tait encore plus pr?s. N?anmoins il suffisait ? l'imprudent enthousiasme des Espagnols de ne pas voir ces escadrons, quoiqu'ils fussent ? quelques lieues, pour ?clater en mouvements insurrectionnels. Le capitaine g?n?ral de Valladolid ?tait don Gregorio de la Cuesta, vieux militaire, inflexible observateur de la discipline, esprit chagrin et morose, bless? au coeur comme tous les Espagnols des ?v?nements de Bayonne, mais n'imaginant pas qu'on p?t r?sister ? la puissance de la France, et port? ? croire qu'il fallait recevoir d'elle la r?g?n?ration de l'Espagne, en se d?dommageant de la blessure faite ? l'orgueil national par les biens qui r?sulteraient d'une r?forme g?n?rale des anciens abus. Un sentiment particulier agissait de plus sur son coeur, c'?tait l'aversion de la multitude et de son intervention dans les affaires de l'?tat. La populace de Valladolid, que les ?v?nements d'Oviedo, de la Corogne, de L?on avaient fort ?mue, et qui ne voulait pas se montrer plus insensible que les autres populations du nord ? la nouvelle des abdications, s'assembla, courut sous les fen?tres du capitaine g?n?ral Gregorio de la Cuesta, et l'obligea ? para?tre. Ce vieil homme de guerre, paraissant avec un visage m?content, essaya d'opposer quelques raisons fort sens?es ? une lev?e de boucliers faite si pr?s des troupes fran?aises; mais sa voix fut couverte de hu?es. Une potence apport?e par des gens du peuple fut dress?e en face de son palais, et, ? ce spectacle, il se rendit, donnant son adh?sion ? ce qu'il regardait comme une folie. Valladolid eut sa junte insurrectionnelle, sa lev?e en masse et sa d?claration de guerre.

S?govie, situ?e ? quelque distance sur la route de Madrid, quoique se trouvant ? quelques lieues de la troisi?me division du g?n?ral Dupont, la division Fr?re, qui ?tait camp?e ? l'Escurial, S?govie s'insurgea aussi. Il y avait en cette ville, dans le ch?teau qui la domine, un coll?ge militaire d'artillerie. Tout le coll?ge se souleva, et, r?uni au peuple, barricada la ville. ? droite Ciudad-Rodrigo suivit le m?me exemple, et massacra son gouverneur, parce qu'il n'avait pas mis assez de promptitude ? se prononcer. La ville de Madrid tressaillit ? ces nouvelles; mais le corps du mar?chal Moncey, la garde imp?riale, la cavalerie enti?re de l'arm?e, et enfin la pr?sence ? l'Escurial, ? Aranjuez, ? Tol?de du corps du g?n?ral Dupont, ne lui permettaient gu?re de montrer ce qu'elle ?prouvait. D'ailleurs cette capitale croyait avoir pay? sa dette patriotique au 2 mai, et attendait que les provinces de la monarchie vinssent la d?barrasser de ses fers. Tol?de, qui avait fait mine de s'insurger quelques semaines auparavant, avait ?t? promptement r?prim?e, et elle attendait aussi qu'on la d?livr?t, assistant avec une satisfaction mal dissimul?e ? l'?lan universel de l'indignation nationale. La Manche partageait ce sentiment, et le prouvait en donnant asile aux d?serteurs de l'arm?e, qui trouvaient partout logement, vivres, secours de tout genre pour gagner les provinces recul?es, o? il existait des rassemblements de troupes espagnoles.

C'?tait surtout vers Cadix que se tournaient tous les regards, car c'?tait l? que r?sidait le capitaine g?n?ral Solano, marquis del Socorro, qui r?unissait au commandement de la province celui des nombreuses troupes r?pandues dans le midi de l'Espagne. On lui avait d?p?ch? un commissaire pour le d?cider ? prendre part ? l'insurrection, et on en avait exp?di? un autre ?galement au g?n?ral Casta?os, commandant le camp de Saint-Roque. Le comte de T?ba, envoy? ? Cadix, s'y pr?senta avec toute la morgue insurrectionnelle du moment. Il s'adressait mal en s'adressant au marquis del Socorro, caract?re fougueux, altier, estim? de l'arm?e et aim? de la population. Celui-ci ?tait, comme tous les militaires instruits, tr?s-convaincu de la puissance de la France, et jugeait fort imprudente l'insurrection dans laquelle on se jetait aveugl?ment. Il l'avait dit en revenant du Portugal, soit ? Badajoz, soit ? S?ville, avec une hardiesse de langage qui avait grandement offusqu? les conspirateurs. On s'en souvenait, et on ?tait ? son ?gard rempli de d?fiance. Le g?n?ral Solano convoqua chez lui une assembl?e de g?n?raux pour ?couter les propositions de S?ville. Cette assembl?e fut d'avis, comme lui, que toutes les raisons militaires et politiques se r?unissaient contre l'id?e d'une lutte arm?e avec la France, et elle fit une d?claration dans laquelle, argumentant contre l'insurrection et concluant pour, elle ordonnait les enr?lements volontaires, se rendant ainsi par pure d?f?rence ? un voeu populaire qu'elle d?clarait d?raisonnable. La lecture de cette pi?ce, qui ? c?t? d'un acte de condescendance pla?ait un bl?me, faite publiquement dans les rues de Cadix, y produisit l'?motion la plus vive. La foule se transporta chez le capitaine g?n?ral. Un jeune homme se fit son orateur, discuta avec le g?n?ral Solano, r?ussit ? troubler ce brave militaire, habitu? ? commander, non ? raisonner avec de tels interlocuteurs, et lui arracha la promesse que le lendemain la volont? populaire serait pleinement satisfaite. La multitude, contente pour la journ?e, voulut cependant se donner le plaisir de ravager, et courut ? la maison du consul de France Leroy, qu'elle saccagea. Cet infortun? repr?sentant de la France, nagu?re si redout?, n'eut d'autre ressource que de se r?fugier ? bord de l'escadre de l'amiral Rosily, qui depuis trois ann?es attendait vainement dans les eaux de Cadix une occasion favorable pour sortir.

Le lendemain, la populace avait con?u un nouveau d?sir: elle voulait sans retard commencer la guerre contre la France, en accablant de tous les feux de la rade l'escadre de l'amiral Rosily. La multitude se repaissait avec transport de l'id?e de ce triomphe, triomphe facile et bien insens? contre une marine alli?e, au profit de la marine anglaise. Toutefois, il y avait quelque difficult? ? d?truire des vaisseaux mont?s et command?s par de braves gens, h?ros malheureux de Trafalgar, qui dans cette journ?e terrible bravaient la mort ? leur poste, tandis que les marins espagnols fuyaient pour la plupart le champ de bataille. De plus, ils ?taient tellement m?l?s avec les b?timents espagnols, que ceux-ci pouvaient ?tre br?l?s les premiers. C'est ce que disaient les hommes raisonnables de l'arm?e et de la marine. Ils ajoutaient qu'on avait dans le Nord la division du marquis de La Romana, laquelle pourrait bien expier les barbaries qu'on commettrait ? l'?gard des marins fran?ais. Cependant, la raison, l'humanit? avaient en ce moment bien peu de chances de se faire ?couter.

La r?union des g?n?raux, convoqu?e de nouveau le lendemain par le marquis del Socorro, avait adh?r? en tout au voeu du peuple, et plusieurs de ses membres avaient dans leurs entretiens rejet? l?chement sur le marquis la demi-r?sistance oppos?e la veille. Mais il restait ? d?cider la question fort grave de l'attaque imm?diate contre la flotte fran?aise. Cette question regardait les officiers de mer plus que les officiers de terre, et ils d?claraient unanimement qu'on s'exposerait, avant d'avoir satisfait la rage populaire, ? faire br?ler les vaisseaux espagnols. La communication de cet avis des hommes comp?tents, faite en place publique, avait amen? encore une fois la populace devant l'h?tel de l'infortun? Solano. On lui avait aussit?t demand? compte de cette nouvelle r?sistance au voeu populaire, et on lui avait d?p?ch? trois d?put?s pour s'en expliquer avec lui. L'un des trois d?put?s ayant paru ? la fen?tre de l'h?tel pour rendre compte de sa mission, et ne pouvant se faire entendre au milieu du tumulte, la foule crut ou feignit de croire qu'on refusait de lui donner satisfaction, et envahit l'h?tel. Le marquis de Solano, voyant le p?ril, s'enfuit chez un Irlandais de ses amis ?tabli ? Cadix, et qui r?sidait dans son voisinage. Malheureusement un moine attach? ? ses pas l'avait aper?u et d?nonc?. Bient?t poursuivi par ces furieux, atteint, bless? dans les bras de la courageuse ?pouse de cet Irlandais, qui s'effor?ait de l'arracher aux assassins, il fut conduit le long des remparts, cribl? de blessures, et enfin renvers? d'un coup mortel qu'il re?ut avec le sang-froid et la dignit? d'un brave militaire. C'est ainsi que le peuple espagnol pr?parait sa r?sistance aux Fran?ais, en commen?ant par ?gorger ses plus illustres et ses meilleurs g?n?raux.

Thomas de Morla, hypocrite flatteur de la multitude, cachant sous beaucoup de morgue une l?che soumission ? tous les pouvoirs, fut nomm? par acclamation capitaine g?n?ral de l'Andalousie. Sur-le-champ il entra en pourparlers avec l'amiral Rosily, et le somma de se rendre; ce que le brave amiral fran?ais d?clara ne vouloir faire qu'apr?s avoir d?fendu ? outrance l'honneur de son pavillon. Thomas de Morla, toutefois, chercha ? gagner du temps, n'osant ni r?sister au peuple espagnol, ni attaquer les Fran?ais, et, en attendant, s'appliqua ? faire prendre aux vaisseaux espagnols une position moins dangereuse pour eux. Cadix eut aussi sa junte insurrectionnelle qui accepta la supr?matie de celle de S?ville, et se mit en communication avec les Anglais. Le gouverneur de Gibraltar, sir Hew Dalrymple, commandant les forces britanniques dans ces parages, et observant avec une extr?me sollicitude ce qui se passait en Espagne, avait d?j? envoy? des ?missaires ? Cadix pour n?gocier une tr?ve, offrir l'amiti? de la Grande-Bretagne, ses secours de terre et mer, et une division de cinq mille hommes qui arrivait de Sicile. Les Espagnols accept?rent la tr?ve, les offres d'alliance, mais s'arr?t?rent devant une mesure aussi grave que l'introduction dans leur port d'une flotte anglaise. Le souvenir de Toulon avait de quoi faire r?fl?chir les plus aveugles des hommes.

Tandis que ces choses se passaient ? Cadix, le commissaire envoy? au camp de Saint-Roque n'avait pas eu de peine ? se faire accueillir par le g?n?ral Casta?os, auquel la fortune destinait un r?le plus grand qu'il ne l'esp?rait et ne le d?sirait peut-?tre. Le g?n?ral Casta?os, comme tous les militaires espagnols de cette ?poque, ne savait de la guerre que ce qu'on en savait dans l'ancien r?gime, et particuli?rement dans le pays le plus arri?r? de l'Europe. Mais s'il ne surpassait pas beaucoup ses compatriotes en exp?rience militaire, il ?tait politique avis?, plein de sens et de finesse, ne partageant aucune des sauvages passions du peuple espagnol. Il avait commenc? par juger l'insurrection tout aussi s?v?rement que le faisaient les autres commandants militaires ses coll?gues, s'en ?tait expliqu? franchement avec le colonel Rogniat, envoy? ? Gibraltar pour faire une inspection de la c?te, et avait paru accepter assez volontiers la r?g?n?ration de l'Espagne par la main d'un prince de la maison Bonaparte, ? ce point qu'? Madrid l'administration fran?aise, qui gouvernait en attendant l'arriv?e de Joseph, avait cru pouvoir compter sur lui. Mais quand il vit l'insurrection aussi g?n?rale, aussi violente, aussi imp?rieuse, et l'arm?e dispos?e ? s'y associer, il n'h?sita plus, et se soumit aux ordres de la junte de S?ville, bl?mant au fond du coeur, mais fort en secret, la conduite qu'en public il paraissait suivre avec chaleur et conviction. Il y avait au camp de Saint-Roque de 8 ? 9 mille hommes de troupes r?guli?res. Il s'en trouvait autant ? Cadix, sans compter les corps r?pandus dans le reste de la province; ce qui pr?sentait un total disponible de 15 ? 18 mille hommes de troupes organis?es, propres ? servir d'appui au soul?vement populaire, et de noyau ? une nombreuse arm?e d'insurg?s. En d?cernant ? Thomas de Morla le titre de capitaine g?n?ral, on r?serva au g?n?ral Casta?os le commandement sup?rieur des troupes, qu'il accepta. Il eut ordre de les concentrer entre S?ville et Cadix.

L'exemple donn? par S?ville fut suivi par toutes les villes de l'Andalousie. Jaen, Cordoue se d?clar?rent en insurrection, et consentirent ? relever de la junte de S?ville. Cordoue, plac?e sur le haut Guadalquivir, confia le commandement de ses insurg?s ? un officier charg? ordinairement de poursuivre les contrebandiers et les bandits de la Sierra-Morena: c'?tait Augustin de Echavarri, habitu? ? la guerre de partisans dans les fameuses montagnes dont il ?tait le gardien. Des brigands qu'il poursuivait d'habitude il fit ses soldats, en leur adjoignant les paysans de la haute Andalousie, et il se porta aux d?fil?s de la Sierra-Morena pour en interdire l'acc?s aux Fran?ais.

L'Estr?madure avait ressenti l'?motion g?n?rale, car dans cette province recul?e, fr?quent?e par les p?tres et peu par les commer?ants, l'esprit nouveau avait moins p?n?tr? que dans les autres, et la haine de l'?tranger avait conserv? toute son ?nergie. Quoique vivement agit?e par la nouvelle des abdications et par le contre-coup de l'insurrection de S?ville, elle ne se pronon?a que le 30 mai, jour de la Saint-Ferdinand. Comme ? la Corogne, le peuple de Badajoz s'irrita de ne point voir para?tre sur les murs de cette place le drapeau ? l'effigie du saint, et de ne pas entendre le canon qui retentissait tous les ans le jour de cette solennit?. Le peuple se porta aux batteries et trouva les artilleurs ? leurs pi?ces, mais n'osant tirer le canon des r?jouissances. Une femme hardie, les accablant de reproches, saisit la m?che des mains de l'un d'entre eux, et tira le premier coup. ? ce signal toute la ville s'?mut, se r?unit, s'insurgea. On courut, selon l'usage, ? l'h?tel du gouverneur, le comte de la Torre del Fresno, pour l'enr?ler dans l'insurrection ou le tuer. C'?tait un militaire de cour, fort doux de caract?re, suspect comme ami du prince de la Paix, et r?put? peu favorable ? la pens?e t?m?raire d'un soul?vement g?n?ral contre les Fran?ais. On commen?a ? parlementer avec lui, et on fut bient?t m?content de ses ambigu?t?s. Un courrier porteur de d?p?ches ?tant survenu dans le moment, on en prit de l'ombrage. On pr?tendit que c'?taient des communications arriv?es de Madrid, c'est-?-dire de l'autorit? fran?aise, qui avait, disait-on, plus d'empire sur le capitaine g?n?ral que les inspirations du patriotisme espagnol. Sous l'influence de ces propos, on envahit son h?tel, et on l'obligea lui-m?me ? s'enfuir. Puis enfin, le poursuivant jusque dans un corps de garde o? il avait cherch? un asile, on l'?gorgea entre les bras m?me de ses soldats. Apr?s la mort de cet infortun?, on forma une junte qui accepta sans h?siter la supr?matie de celle de S?ville. On invita le peuple ? prendre les armes, on lui distribua toutes celles que contenait l'arsenal de Badajoz, et comme on touchait ? la fronti?re du Portugal, pr?s d'Elvas, o? se trouvait la division Kellermann, d?tach?e du corps d'arm?e du g?n?ral Junot, on appela tous les hommes de bonne volont? ? la r?paration des murs de Badajoz. On s'adressa aux troupes espagnoles entr?es en Portugal, et on les exhorta ? d?serter. Badajoz leur offrait sur la fronti?re un asile assur?, et un utile emploi de leur d?vouement.

Le sang coula horriblement dans ces r?gions comme dans les autres. ? Malaga, le vice-consul fran?ais et un autre personnage espagnol furent assassin?s. ? Grenade, don Pedro Truxillo, ancien gouverneur de Malaga, suspect pour son amiti? et sa parent? avec les demoiselles Tudo, fut, d'apr?s le voeu de la populace, arr?t? et conduit ? l'Alhambra. La junte, voulant le sauver, d?cida sa translation dans une prison plus s?re. Enlev? dans le trajet par la populace, il fut l?chement assassin?, et son corps tra?n? dans les rues. Deux autres personnages suspects, le corr?gidor de Velez-Malaga et le nomm? Portillo, savant ?conomiste employ? par le prince de la Paix ? introduire la culture du coton en Andalousie, furent aussi arr?t?s pour satisfaire aux m?mes exigences, mais conduits hors de la ville et d?pos?s dans une chartreuse o? l'on s'?tait figur? qu'ils seraient plus en s?ret?. Les moines, profitant d'un jour de f?te, o? le peuple assembl? venait acheter et boire leur vin, excit?rent ? l'assassinat des deux malheureux d?pos?s dans leur couvent, et furent aussit?t ob?is par des paysans ivres. L'infortun? corr?gidor de Malaga et le savant Portillo furent indignement ?gorg?s. Partout le ravage, le meurtre accompagnaient et souillaient le beau mouvement de la nation espagnole. Non loin de Grenade, ? Jaen, qui s'?tait d?j? insurg?, un crime odieux signalait la r?volution nouvelle. Jaen, pour se d?barrasser de son corr?gidor, l'avait envoy? au Val de Pe?as, et il y avait ?t? fusill? par les paysans de la Manche.

Avant tous les soul?vements dont on vient de lire le r?cit, Carthag?ne avait arbor? le drapeau de l'insurrection. Ce fut le 22 du mois de mai, ? la nouvelle des abdications et de l'arriv?e de l'amiral Salcedo, qui allait partir pour conduire des Bal?ares ? Toulon la flotte d?j? sortie, que Carthag?ne se souleva, par le double motif de proclamer le vrai roi, et de sauver la flotte espagnole. Une junte fut form?e imm?diatement, la lev?e en masse ordonn?e, et un contre-ordre exp?di? ? la flotte espagnole. Le soul?vement de Carthag?ne livrait aux insurg?s une masse immense d'armes et de munitions de guerre, qui furent sur-le-champ distribu?es ? toute la r?gion voisine. Murcie, ? l'appel de Carthag?ne, s'insurgea deux jours apr?s, c'est-?-dire le 24 mai. Les volontaires des deux provinces se r?unirent sous don Gonzalez de Llamas, ancien colonel d'un r?giment de milice, charg? de les commander. Le rendez-vous assign? fut sur le Xucar, afin de donner la main aux Valenciens.

Jusque-l? tout ?tait bien, au point de vue de l'insurrection et du patriotisme espagnol. Mais les autorit?s, quoique subjugu?es, semblaient suspectes. Elles n'avaient en effet suivi qu'? contre-coeur un mouvement qui leur paraissait funeste, car il pla?ait l'Espagne entre les arm?es fran?aises d'une part, et une populace furieuse de l'autre. On voulut donc s'assurer de ce qu'elles mandaient ? Madrid, et on arr?ta un courrier, dont on porta les d?p?ches chez le comte de Cerbellon, pour qu'elles fussent lues devant la multitude assembl?e. Ces d?p?ches ?taient effectivement de nature ? faire ?gorger les fonctionnaires les plus ?lev?s, car elles demandaient des secours ? Madrid contre le peuple insurg?. La fille du comte de Cerbellon, pr?sente ? cette sc?ne, s'apercevant du danger, se jeta sur ces d?p?ches, les d?chira en mille pi?ces aux yeux ?tonn?s de la foule, qui s'arr?ta devant le courage de cette noble femme. Singuli?re nation, qui, comme toutes les nations encore simples, n'ayant que les vices et les vertus de la nature, m?lait ? l'exemple des plus atroces barbaries celui des plus nobles d?vouements!

Mais le peuple valencien se d?dommagea bient?t du sang dont on venait de le priver. On avait remarqu? qu'un seigneur de la province, don Miguel de Saavedra, baron d'Albalat, ?tait peu exact aux s?ances de la junte, dont on l'avait nomm? membre. Il s'y rendait rarement, parce que, colonel de milices, il avait, quelques ann?es auparavant, pour r?tablir l'ordre, fait feu sur la populace de Valence. Ce souvenir le troublait, et il restait volontiers ? la campagne. Sur-le-champ, le bruit se r?pandit que le baron d'Albalat trahissait la cause de l'insurrection. On alla le chercher chez lui, on le conduisit ? Valence, et il fut transport? chez le comte de Cerbellon, o? ceux qui s'int?ressaient ? lui esp?raient qu'il serait plus en s?ret?. Le p?re Rico ?tait accouru pour le sauver. Le comte de Cerbellon, moins courageux que sa fille, parut peu dispos? ? se compromettre pour un ancien ami qui venait lui demander la vie. Il imagina de l'envoyer ? la citadelle, dont le peuple, gr?ce ? la complicit? des troupes, s'?tait rendu ma?tre, et o? l'on entassait tous ceux qu'on voulait arracher aux fureurs de la multitude. Le p?re Rico, plein de z?le pour la d?fense de ce malheureux, se mit ? la t?te de l'escorte, et parvint ? le conduire ? travers les rues de Valence, malgr? les efforts d'une populace alt?r?e de sang. Mais arriv? sur la principale place de la ville, la foule, devenue plus grande et plus compacte, for?a le carr? de soldats au milieu duquel se trouvait l'infortun? baron d'Albalat, l'arracha des mains de ceux qui le d?fendaient, le tua sans piti?, et promena sa t?te au bout d'une pique.

La consternation fut g?n?rale ? Valence, surtout parmi les hautes classes, qui se voyaient trait?es de suspectes, comme la noblesse fran?aise en 1793. Pour conjurer le danger, elles multipliaient les dons volontaires, s'enr?laient dans les nouvelles lev?es, sans parvenir ? calmer la d?fiance et la col?re du peuple, qui s'accroissaient chaque jour. Il devenait ?vident, en effet, qu'une victime ne suffirait pas ? sa rage sanguinaire. Le moine franciscain Rico sentait d?j? son autorit? min?e par un rival. Ce rival ?tait un fanatique venu de Madrid, le chanoine Calvo, dont les passions s'?taient exalt?es dans une lutte de j?suites contre jans?nistes, lutte dans laquelle il avait soutenu les premiers contre les seconds. Il s'?tait rendu ? Valence, croyant apparemment y trouver un champ plus vaste pour exercer ses fureurs. Il affectait une d?votion extr?me, mettait plus de temps qu'aucun autre ? dire la messe, et ?tait devenu la principale idole de la populace. Calvo adopta le th?me ordinaire de ceux qui dans les r?volutions veulent en surpasser d'autres, et accusa le p?re Rico de ti?deur. Il y avait dans la citadelle de Valence trois ou quatre cents Fran?ais, n?gociants attir?s dans cette ville par le commerce, et beaucoup d'entre eux ?tablis depuis long-temps. On les avait mis en ce lieu par humanit?, et pour les soustraire ? la f?rocit? de la multitude. L'atroce Calvo avait persuad? ? une bande fanatique que c'?tait l? le seul holocauste agr?able ? Dieu, le seul digne de la cause qu'on servait. Doutant de pouvoir p?n?trer dans la citadelle avec sa troupe d'assassins, pour y consommer le crime abominable qu'il m?ditait, il aposta sa bande ? une poterne qui donnait sur le rivage de la mer; puis il s'introduisit dans la citadelle, et, affectant l'humanit?, il fit croire aux Fran?ais qu'ils allaient ?tre tous ?gorg?s s'ils ne s'enfuyaient pr?cipitamment par la poterne qui conduisait au rivage. Ces infortun?s, c?dant ? son conseil, sortirent tous, femmes et enfants, par la fatale issue qu'ils regardaient comme l'unique voie de salut. ? peine avaient-ils paru, qu'? coups de fusil, de sabre, de couteau, ils furent, impitoyablement massacr?s. Les assassins, gorg?s de sang, ?puis?s de fatigue, demandaient gr?ce pour une soixantaine qui leur restaient ? exterminer. Calvo, voyant que le z?le de ses sicaires allait d?faillir, parut c?der ? leur voeu, et se chargea d'emmener avec lui les soixante victimes ?pargn?es. Il les conduisit dans un lieu d?tourn?, o? une troupe fra?che acheva l'ex?crable sacrifice. Ainsi nos malheureux compatriotes expiaient les fautes de leur gouvernement, sans y avoir aucune part!

Tout ce qui n'appartenait pas dans Valence ? la plus vile populace, ressentit une douleur profonde. Le lendemain, le moine Rico, r?volt? de ces actes qui d?shonoraient la cause de l'insurrection, essaya de d?noncer ? l'honn?tet? publique les crimes de Calvo. Mais il ne put pr?valoir; Calvo l'emporta, et le p?re Rico fut oblig? de se cacher. Calvo fut audacieusement proclam? membre de la junte, au grand scandale et au grand effroi de tous les honn?tes gens. Il restait huit malheureux Fran?ais ?chapp?s par miracle au massacre g?n?ral. Ne sachant o? se r?fugier, ils ?taient venus se jeter aux pieds de l'?gorgeur, dans le sein m?me de la junte. Calvo les fit ou les laissa mettre ? mort, et leur sang rejaillit sur les v?tements des membres de la junte, qui s'enfuirent saisis d'?pouvante et d'horreur.

Toutefois, tant de crimes avaient enfin amen? une r?action. Le p?re Rico reprit courage, sortit de sa retraite, se rendit ? la junte, attaqua Calvo en face, le d?non?a, le r?duisit ? se d?fendre, parvint ? le d?concerter, et obtint son arrestation. Conduit d'abord aux Bal?ares, ramen? ? Valence, Calvo fut jug?, condamn?, ?trangl? dans sa prison. Les honn?tes gens regagn?rent un peu d'ascendant sur les brigands qui avaient domin? Valence. Du reste, un grand z?le ? s'armer, car on sentait qu'il faudrait bient?t se d?fendre contre la juste vengeance des Fran?ais, n'excusait point, mais rachetait quelque peu les crimes atroces dont Valence venait d'?tre l'odieux th??tre.

Toutes les villes de cette partie du littoral, telles que Castellon de la Plana, Tortose, Tarragone, suivirent l'exemple g?n?ral. La puissante Barcelone, peupl?e autant que la capitale des Espagnes, habitu?e sinon ? commander, du moins ? ne jamais ob?ir, br?lait de s'insurger. ? la nouvelle des abdications, arriv?e le 25 mai, toutes les affiches furent d?chir?es; un peuple immense se montra dans les lieux publics, la haine dans le coeur, la col?re dans les yeux. Mais le g?n?ral Duhesme, ? la t?te de douze mille hommes, moiti? Fran?ais, moiti? Italiens, contint le mouvement, et, du haut de la citadelle et du fort de Mont-Jouy, mena?a d'incendier la ville si elle remuait. Sous cette main de fer, Barcelone trembla, mais ne se donna aucune peine pour dissimuler sa rage. Murat, toujours, dans l'illusion ? l'?gard de l'Espagne, avait rendu aux Catalans le droit de port d'armes, qui leur avait ?t? enlev? sous Philippe V, voulant ainsi les r?compenser de leur soumission apparente. Ils r?pondirent ? ce t?moignage de confiance en achetant sur-le-champ tout ce qu'il y avait de fusils, tout ce qu'il y avait de poudre et de plomb ? vendre dans les d?p?ts publics, et on vit les paysans des montagnes et le peuple des villes ali?ner ce qu'ils poss?daient de plus pr?cieux pour se procurer les moyens d'acqu?rir des armes. Chaque jour le moindre accident devenait ? Barcelone un sujet d'?meute. Une pierre tomb?e du fort de Mont-Jouy avait atteint un p?cheur. Ce malheureux, bless?, disait-on, par les Fran?ais, fut promen? sur un brancard dans toute la ville, pour exciter l'indignation publique. La pr?sence de nos troupes comprima ce d?sordre naissant. Un autre jour, un fifre des r?giments italiens vit un petit Espagnol le contrefaire en se moquant de lui. Le fifre ayant tir? son sabre pour se faire respecter, ce fut un nouveau tumulte, qui, cette fois, mena?ait d'?tre g?n?ral. Mais l'arm?e fran?aise r?ussit encore, par sa contenance, ? arr?ter l'insurrection. L'indiscipline des troupes italiennes, moins r?serv?es dans leur conduite que les n?tres, contribuait aussi ? l'irritation des Espagnols. Toutefois, les plus turbulents, se voyant serr?s de si pr?s, s'enfuirent ? Valence, ? Manresa, ? Lerida, ? Saragosse; et Barcelone devint, non pas plus amie des Fran?ais, mais plus calme.

Les autres villes de la Catalogne, Girone, Manresa, Lerida, s'insurg?rent. Tous les villages en firent autant. Cependant, Barcelone ?tant comprim?e, la Catalogne ne pouvait rien entreprendre de bien s?rieux, et c'?tait la preuve que si les pr?cautions eussent ?t? mieux prises, et que si des forces suffisantes eussent ?t? plac?es ? temps dans les principales villes d'Espagne, l'insurrection g?n?rale aurait pu ?tre, sinon emp?ch?e, du moins contenue, et fort ralentie dans ses progr?s.

Ainsi, en huit jours, du 22 au 30 mai, sans qu'aucune province se f?t concert?e avec une autre, toute l'Espagne s'?tait soulev?e sous l'empire d'un m?me sentiment, celui de l'indignation excit?e par les ?v?nements de Bayonne. Partout les traits caract?ristiques de cette insurrection nationale avaient ?t? les m?mes: h?sitation des hautes classes, sentiment unanime et irr?sistible des classes inf?rieures, et bient?t d?vouement ?gal de toutes; formation locale de gouvernements insurrectionnels; lev?e en masse; d?sertion de l'arm?e r?guli?re pour se joindre ? l'insurrection; dons volontaires du haut clerg?, ardeur fanatique du bas clerg?; en un mot, partout patriotisme, aveuglement, f?rocit?, grandes actions, crimes atroces; une r?volution monarchique enfin proc?dant comme une r?volution d?mocratique, parce que l'instrument ?tait le m?me, c'?tait le peuple, et parce que le r?sultat promettait de l'?tre aussi, ce devait ?tre la r?forme des anciennes institutions, que l'on faisait esp?rer ? l'Espagne, pour opposer ? la France ses propres armes.

Ces insurrections spontan?es, qui ?clat?rent du 22 au 30 mai, ne furent que successivement et lentement connues ? Bayonne, o? r?sidait Napol?on, et o? il r?sida pendant tout le mois de juin et les premiers jours de juillet. On ne sut d'abord que celles qui se produisirent ? droite et ? gauche de l'arm?e fran?aise, c'est-?-dire dans les Asturies, la Vieille-Castille, l'Aragon. La difficult? des communications toujours grande en Espagne, devenue plus grande en ce moment, car les courriers ?taient non-seulement arr?t?s, mais le plus souvent assassin?s, fut cause que m?me ? Madrid l'?tat-major fran?ais ne connaissait presque rien de ce qui se passait au del? de la Nouvelle-Castille et de la Manche. On savait seulement que dans les autres provinces il r?gnait un grand trouble, une extr?me agitation; mais on ignorait les d?tails, et ce ne fut que peu ? peu, et dans le courant de juin, qu'on apprit tout ce qui ?tait arriv? ? la fin de mai; encore ne parvint-on ? l'apprendre que par les confidences ou par les bravades des Espagnols, qui racontaient ? Madrid ce que des lettres particuli?res, port?es par des messagers, leur avaient r?v?l?.

D?s que Napol?on connut ? Bayonne les ?v?nements d'Oviedo, de Valladolid, de Logro?o, de Saragosse, qui s'?taient pass?s tout pr?s de lui, et dont il ne fut inform? que sept ou huit jours apr?s leur accomplissement, il donna des ordres prompts et ?nergiques pour arr?ter l'insurrection avant qu'elle se f?t ?tendue et consolid?e. Il avait eu soin de placer entre Bayonne et Madrid, sur les derri?res du mar?chal Moncey et du g?n?ral Dupont, le corps du mar?chal Bessi?res, compos? des divisions Merle, Verdier et Lasalle. La division Merle avait ?t? form?e avec quelques troisi?mes bataillons tir?s des c?tes, et avec les quatri?mes bataillons des l?gions de r?serve. La division Verdier l'avait ?t? avec les r?giments provisoires, depuis le num?ro 13 jusqu'au num?ro 18, les douze premiers composant, comme on l'a vu, le corps du mar?chal Moncey. Dans le moment arrivaient les corps polonais admis au service de France, et consistant en un superbe r?giment de cavalerie de 900 ? 1,000 chevaux, c?l?bre depuis sous le titre de lanciers polonais; en trois bons r?giments d'infanterie, de 15 ? 1,600 hommes chacun, et connus sous le nom de premier, second, troisi?me de la Vistule. Napol?on avait enfin successivement amen?, soit de Paris, soit des camps ?tablis sur les c?tes, les 4e l?ger et 15e de ligne, les 2e et 12e l?ger, les 14e et 44e de ligne, les faisant succ?der les uns aux autres, de Paris au camp de Boulogne, du camp de Boulogne aux camps de Bretagne, des camps de Bretagne ? Bayonne, de mani?re ? leur m?nager le temps de se reposer, et l'occasion d'?tre utiles l? o? ils s'arr?taient. Il ordonna de plus d'exp?dier en poste deux bataillons aguerris de la garde de Paris. S'il n'avait donc pas sous la main l'?tendue de ressources qui aurait pu suffire ? comprimer imm?diatement l'insurrection espagnole, il y suppl?ait avec son g?nie d'organisation, et il ?tait d?j? parvenu ? r?unir quelques forces, qui permettaient d'apporter au mal un premier rem?de, puisqu'il lui arrivait six r?giments fran?ais d'ancienne formation et trois r?giments polonais. Il arrivait aussi, sous le titre de r?giments de marche, des d?tachements nombreux destin?s ? recruter les r?giments provisoires, et qui, avant de se fondre dans ces derniers, rendaient des services tout le long de la route qu'ils avaient ? parcourir.

Napol?on ordonna sur-le-champ au g?n?ral Verdier de courir ? Logro?o avec 1,500 hommes d'infanterie, 300 chevaux et 4 bouches ? feu, pour faire de cette ville un exemple s?v?re. Il ordonna au g?n?ral Lefebvre-Desnoette, brillant officier commandant les chasseurs ? cheval de la garde imp?riale, de se transporter ? Pampelune avec les lanciers polonais, quelques bataillons d'infanterie provisoire, six bouches ? feu, de ramasser en outre dans cette place quelques troisi?mes bataillons qui en formaient la garnison, le tout pr?sentant un total d'environ 4 mille hommes, et de se rendre ? tire-d'aile sur Saragosse, pour faire rentrer dans l'ordre cette capitale de l'Aragon. Une d?putation compos?e de plusieurs membres de la junte devait pr?c?der le g?n?ral Lefebvre-Desnoette, et employer la persuasion avant la force; mais si la persuasion ne r?ussissait pas, la force devait ?tre ?nergiquement appliqu?e au mal. Napol?on prescrivit au mar?chal Bessi?res, d?s que le g?n?ral Verdier en aurait fini avec Logro?o, de se reporter, avec la cavalerie du g?n?ral Lasalle, sur Valladolid, pour ramener le calme dans la Vieille-Castille. Il exp?dia ? Madrid le g?n?ral Savary pour suppl?er Murat malade, et donner des ordres sous son nom, sans que le commandement par?t chang?. Il lui enjoignit de faire refluer de l'Escurial sur S?govie insurg?e la division Fr?re, la troisi?me du g?n?ral Dupont, et d'exp?dier une colonne de 3 ou 4 mille hommes sur Saragosse, par un mouvement ? gauche en arri?re, sur Guadalaxara. Ayant recueilli quelques bruits vagues de l'insurrection de Valence, il prescrivit de faire partir de Madrid la premi?re division du mar?chal Moncey avec un corps auxiliaire espagnol, de diriger cette colonne jusqu'? Cuenca, de l'y retenir si les bruits de l'insurrection de Valence ne se confirmaient pas, et de la pousser sur cette ville s'ils se confirmaient. Cependant, comme c'?tait peu pour r?duire une ville de 100 mille ?mes , Napol?on ordonna au g?n?ral Duhesme d'envoyer de Barcelone sur Tarragone et Tortose la division Chabran, laquelle chemin faisant comprimerait les mouvements de la Catalogne, fixerait dans le parti de la France le r?giment suisse de Tarragone, et d?boucherait sur Valence par le littoral, tandis que le mar?chal Moncey d?boucherait sur cette ville par les montagnes.

Mais c'est surtout vers l'Andalousie et la flotte fran?aise de Cadix que Napol?on porta toute sa sollicitude. D?s les premiers moments il avait song? ? diriger le g?n?ral Dupont vers l'Andalousie, o? il lui semblait qu'on avait laiss? s'accumuler trop de troupes espagnoles, et o? il craignait de plus quelque tentative de la part des Anglais. Il avait plac? ce g?n?ral en avant, avec une premi?re division ? Tol?de, une seconde ? Aranjuez, une troisi?me ? l'Escurial, pour qu'il f?t ainsi ?chelonn? sur la route de Madrid ? Cadix, lui recommandant express?ment de se tenir pr?t ? partir au premier signal. ? la nouvelle de l'insurrection, l'ordre de d?part avait ?t? exp?di?, et le g?n?ral Dupont s'?tait mis en marche vers la Sierra-Morena. Napol?on comptait sur ce g?n?ral, qui jusqu'ici avait toujours ?t? brave, brillant et heureux, et lui destinait le b?ton de mar?chal ? la premi?re occasion ?clatante. Napol?on ne doutait pas qu'il ne la trouv?t en Espagne. Cet infortun? g?n?ral n'en doutait pas lui-m?me! Horrible et cruel myst?re de la destin?e, toujours impr?vue dans ses faveurs et ses rigueurs!

Napol?on, qui ne voulait pas le lancer en fl?che au fond de l'Espagne, sans moyens suffisants pour s'y soutenir, lui adjoignit divers renforts. Ne l'ayant exp?di? qu'avec sa premi?re division, celle du g?n?ral Barbou, il ordonna de porter la seconde ? Tol?de, pour qu'elle p?t le rejoindre, s'il en avait besoin. Il voulut en outre qu'on lui donn?t sur-le-champ toute la cavalerie du corps d'arm?e, les marins de la garde, qui devaient monter les deux nouveaux vaisseaux pr?par?s ? Cadix, enfin les deux r?giments suisses de l'ancienne garnison de Madrid , r?unis en ce moment ? Talavera. La division Kellermann, du corps d'arm?e de Junot, plac?e ? Elvas sur la fronti?re du Portugal et de l'Andalousie, les trois autres r?giments suisses de Tarragone, Carthag?ne et Malaga, que Napol?on supposait concentr?s ? Grenade, pouvaient porter le corps du g?n?ral Dupont ? 20 mille hommes au moins, m?me sans l'adjonction de ses seconde et troisi?me divisions, force suffisante assur?ment pour contenir l'Andalousie et sauver Cadix d'un coup de main des Anglais. Il fut prescrit au g?n?ral Dupont de marcher en toute h?te vers le but qui pr?occupait le plus Napol?on, c'est-?-dire vers Cadix et la flotte de l'amiral Rosily.

Il devait rester ? Madrid, en cons?quence de ces ordres, deux divisions du mar?chal Moncey et deux divisions du g?n?ral Dupont, car ces derni?res, plac?es entre l'Escurial, Aranjuez et Tol?de, ?taient consid?r?es comme ? Madrid m?me. Il devait y rester en outre les cuirassiers et la garde imp?riale, c'est-?-dire environ 25 ? 30 mille hommes, sans compter l'escorte de vieux r?giments qui allaient accompagner le roi Joseph. On ?tait fond? ? croire que ce serait assez pour parer aux cas impr?vus, ne sachant pas encore ? quel point l'insurrection ?tait intense, audacieuse et surtout g?n?rale. Ordre fut exp?di? de nouveau de construire dans Madrid, soit au palais royal, soit au Buen-Retiro, de v?ritables places d'armes, dans lesquelles on p?t d?poser les bless?s, les malades, les munitions, les caisses, tout le bagage enfin de l'arm?e.

Ces ordres, donn?s directement pour les provinces du nord, indirectement et par l'interm?diaire de l'?tat-major de Madrid pour les provinces du midi, furent ex?cut?s sur-le-champ. Le g?n?ral Verdier marcha le premier avec le 14e r?giment provisoire, environ deux cents chevaux, et quatre pi?ces de canon, de Vittoria sur Logro?o. Arriv? ? la Guardia, loin de l'?bre, il apprit que le pont sur lequel on passe l'?bre pour se rendre ? Logro?o ?tait occup? par les insurg?s. Il passa l'?bre ? El-Ciego sur un bac, et le 6 juin au matin il se porta sur Logro?o. Les insurg?s, qui se composaient de gens du peuple et de paysans des environs, au nombre de 2 ? 3 mille, avaient obstru? l'entr?e de la ville en y accumulant toute esp?ce de mat?riaux. Ils avaient mis en batterie sept vieilles pi?ces de canon mont?es par des charrons du lieu sur des aff?ts qu'ils avaient fa?onn?s eux-m?mes, et ils se tenaient derri?re leurs grossiers retranchements, anim?s de beaucoup d'enthousiasme, mais de peu de bravoure. Apr?s les premi?res d?charges, ils s'enfuirent devant nos jeunes soldats, qui enlev?rent en courant tous les obstacles qu'on avait essay? de leur opposer. La d?faite de ces premiers insurg?s fut si prompte, que le g?n?ral Verdier n'eut pas le temps de tourner Logro?o pour les envelopper et faire des prisonniers. Nos fantassins dans l'int?rieur de la ville, nos cavaliers dans la campagne, en tu?rent une centaine ? coups de ba?onnette ou de sabre. Nous n'e?mes qu'un homme tu? et cinq bless?s, mais parmi eux deux officiers. On prit aux insurg?s leurs sept pi?ces de canon et 80 mille cartouches d'infanterie. L'?v?que de Calahorra, qu'ils avaient malgr? lui mis ? leur t?te, obtint la gr?ce de la ville de Logro?o, qui fut ? sa pri?re exempt?e de tout pillage, et frapp?e seulement d'une contribution de 30 mille francs au profit des soldats, auxquels cette somme fut imm?diatement distribu?e.

Cette conduite des insurg?s n'?tait pas faite pour donner une grande id?e de la r?sistance que pourraient nous opposer les Espagnols. Le g?n?ral Verdier rentra sur-le-champ ? Vittoria, afin de remplacer au corps du mar?chal Bessi?res les troupes des g?n?raux Merle et Lasalle, qui venaient de partir pour Valladolid. Le g?n?ral Lasalle, avec les 10e et 22e de chasseurs, et le 17e provisoire d'infanterie emprunt? ? la division Verdier; le g?n?ral Merle avec toute sa division, compos?e d'un bataillon du 47e, d'un bataillon du 86e, d'un r?giment de marche, d'un r?giment des l?gions de r?serve, s'?taient dirig?s sur Valladolid par Torquemada et Palencia, en suivant les deux rives de la Pisuerga, qui coule des montagnes de la Biscaye dans le Duero, apr?s avoir travers? Valladolid. Pendant qu'ils se portaient ainsi en avant, le g?n?ral Fr?re, au contraire, quittant l'Escurial, faisait un mouvement en arri?re sur S?govie insurg?e. La Vieille-Castille ?tait donc travers?e par deux colonnes, l'une s'avan?ant sur la route de Burgos ? Madrid, l'autre rebroussant chemin sur cette m?me route. Le g?n?ral Fr?re, ayant une moindre distance ? parcourir, arriva le premier sur S?govie, qu'il trouva occup?e par les ?l?ves du coll?ge d'artillerie, et par une nu?e de paysans qui l'avaient envahie, en y commettant toutes sortes d'exc?s. Ils avaient compl?tement barricad? la ville, et mis en batterie l'artillerie que servaient les ?l?ves du coll?ge. Ces obstacles tinrent peu devant nos troupes, qui avaient toute l'ardeur de la jeunesse, et qui ?taient depuis une ann?e dans les rangs de l'arm?e sans avoir tir? un coup de fusil. Elles escalad?rent avec une incroyable vivacit? les barricades de S?govie, tu?rent ? coups de ba?onnette un certain nombre de paysans, et expuls?rent les autres, qui s'enfuirent apr?s avoir pill? les maisons qu'ils ?taient charg?s de d?fendre. Les malheureux habitants s'?taient dispers?s, pour ne pas se trouver expos?s ? tous les exc?s des d?fenseurs et des assaillants de leur ville. Ils n'?vit?rent pas les exc?s des premiers, et furent, cette fois du moins, fort m?nag?s par les seconds. On dut comprendre pourquoi les classes ais?es en Espagne inclinaient ? la soumission envers la France, plac?es qu'elles ?taient entre une populace sanguinaire et pillarde, et les arm?es fran?aises exasp?r?es. Le g?n?ral Fr?re traita fort doucement la ville de S?govie, mais s'empara de l'immense mat?riel d'artillerie renferm? dans le coll?ge militaire.

Les pr?tendus d?fenseurs de S?govie s'?taient repli?s ? la d?bandade sur Valladolid, comme s'ils eussent ?t? poursuivis par le g?n?ral Fr?re, qui n'avait cependant pas de cavalerie ? lancer apr?s eux. Ils avaient amen? avec eux ? Valladolid le directeur du coll?ge militaire de S?govie, don Miguel de Cevallos. Suivant l'usage des soldats qui ont fui devant l'ennemi, les insurg?s ?chapp?s de S?govie pr?tendirent que M. de Cevallos, par sa l?chet? ou sa trahison, ?tait l'auteur de leur d?faite. Il n'en ?tait rien pourtant, mais on le constitua prisonnier, et on le conduisit ainsi ? Valladolid. Au moment o? il y entrait, une grande rumeur ?clata. Les nouvelles recrues de l'insurrection faisaient l'exercice ? feu sur une place qu'il traversait. Elles se ru?rent sur lui, et malgr? les cris de sa femme, qui l'accompagnait, malgr? les efforts d'un pr?tre qui, sous pr?texte de recevoir sa confession, demandait qu'on lui accord?t quelques instants, il fut impitoyablement ?gorg?, puis tra?n? dans les rues. Des femmes furieuses promen?rent dans Valladolid les lambeaux sanglants de son cadavre.

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