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Munafa ebook

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Read Ebook: Histoire du Consulat et de l'Empire (Vol. 09 / 20) faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française by Thiers Adolphe

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Ebook has 637 lines and 158024 words, and 13 pages

Les pr?tendus d?fenseurs de S?govie s'?taient repli?s ? la d?bandade sur Valladolid, comme s'ils eussent ?t? poursuivis par le g?n?ral Fr?re, qui n'avait cependant pas de cavalerie ? lancer apr?s eux. Ils avaient amen? avec eux ? Valladolid le directeur du coll?ge militaire de S?govie, don Miguel de Cevallos. Suivant l'usage des soldats qui ont fui devant l'ennemi, les insurg?s ?chapp?s de S?govie pr?tendirent que M. de Cevallos, par sa l?chet? ou sa trahison, ?tait l'auteur de leur d?faite. Il n'en ?tait rien pourtant, mais on le constitua prisonnier, et on le conduisit ainsi ? Valladolid. Au moment o? il y entrait, une grande rumeur ?clata. Les nouvelles recrues de l'insurrection faisaient l'exercice ? feu sur une place qu'il traversait. Elles se ru?rent sur lui, et malgr? les cris de sa femme, qui l'accompagnait, malgr? les efforts d'un pr?tre qui, sous pr?texte de recevoir sa confession, demandait qu'on lui accord?t quelques instants, il fut impitoyablement ?gorg?, puis tra?n? dans les rues. Des femmes furieuses promen?rent dans Valladolid les lambeaux sanglants de son cadavre.

Ce triste ?v?nement, qui faisait suite ? tant d'autres du m?me genre, causa au capitaine g?n?ral, don Gregorio de la Cuesta, devenu malgr? lui chef de l'insurrection de la Vieille-Castille, une impression douloureuse et profonde. Aussi n'osa-t-il pas r?sister aux cris d'une populace extravagante, qui demandait qu'on cour?t en toute h?te au-devant de la colonne fran?aise en marche de Burgos sur Valladolid. C'?tait, comme nous l'avons dit, celle des g?n?raux Lasalle et Merle, partis de Burgos avec quelques mille hommes d'infanterie et un millier de chevaux, c'est-?-dire deux ou trois fois plus de forces qu'il n'en fallait pour mettre en fuite tous les insurg?s de la Vieille-Castille. Le vieux et chagrin capitaine g?n?ral pensait avec raison que c'?tait tout au plus si on pourrait, dans une ville bien barricad?e, et avec la r?solution de se d?fendre jusqu'? la mort, tenir t?te aux Fran?ais. Mais il regardait comme insens? d'aller braver en rase campagne les plus vigoureuses troupes de l'Europe. Menac? cependant d'un sort semblable ? celui de don Miguel de Cevallos s'il r?sistait, il sortit avec cinq ? six mille bourgeois et paysans encadr?s dans quelques d?serteurs de troupes r?guli?res, cent gardes du corps fugitifs de l'Escurial, quelques centaines de cavaliers du r?giment de la reine, et plusieurs pi?ces de canon. Il se posta au pont de Cabezon, sur la Pisuerga, ? deux lieues en avant de Valladolid, point par lequel passait la grande route de Burgos ? Valladolid.

Le g?n?ral Lasalle avait balay? les bandes d'insurg?s post?es sur son chemin, notamment au bourg de Torquemada, qu'il avait assez maltrait?. ? Palencia, l'?v?que ?tait sorti ? sa rencontre, ? la t?te des principaux habitants, demandant la gr?ce de la ville. Le g?n?ral Lasalle la leur avait accord?e en exigeant seulement quelques vivres pour ses soldats. Le 12 juin au matin, il arriva en vue du pont de Cabezon, o? don Gregorio de la Cuesta avait pris position. Les mesures du g?n?ral espagnol ne d?notaient ni beaucoup d'exp?rience ni beaucoup de coup d'oeil. Il avait mis en avant du pont sa cavalerie, derri?re sa cavalerie une ligne de douze cents fantassins, ses canons sur le pont m?me, quelques paysans en tirailleurs le long des gu?s de la Pisuerga, et en arri?re, au del? de la rivi?re, sur des hauteurs qui en dominaient le cours, le reste de son petit corps d'arm?e. Le g?n?ral Lasalle, amenant deux r?giments de cavalerie et les voltigeurs du 17e provisoire, fit attaquer l'ennemi avec sa r?solution accoutum?e. Sa cavalerie culbuta celle des Espagnols, qu'elle jeta sur leur infanterie. Nos voltigeurs charg?rent ensuite cette infanterie, et la pouss?rent tant sur le pont que sur les gu?s de la rivi?re. Il y eut l? une confusion horrible, car fantassins, cavaliers, canons se pressaient sur un pont ?troit, sous le feu des troupes espagnoles de la rive oppos?e, qui tiraient indistinctement sur amis et ennemis. Le g?n?ral Merle ayant appuy? le g?n?ral Lasalle avec toute sa division, le pont fut franchi, et la position au del? de la Pisuerga promptement enlev?e. La cavalerie sabra les fuyards, dont elle tua un assez grand nombre. Quinze morts, vingt ou vingt-cinq bless?s compos?rent notre perte; cinq ou six cents morts et bless?s, celle des Espagnols. Le g?n?ral Lasalle entra sans coup f?rir dans Valladolid constern?e, mais presque heureuse d'?tre d?livr?e des bandits qui l'avaient occup?e sous pr?texte de la d?fendre. Le plus grand chagrin des Espagnols ?tait d'avoir vu leur principal g?n?ral battu si vite et si compl?tement. Don Gregorio de la Cuesta se retira avec quelques cavaliers sur la route de L?on, entour? d'insurg?s qui fuyaient ? travers champs, et leur disant ? tous qu'on n'avait que ce qu'on m?ritait en allant avec des bandes indisciplin?es braver des troupes r?guli?res et habitu?es ? vaincre l'Europe.

Le g?n?ral Lasalle ramassa dans Valladolid une grande quantit? d'armes, de munitions, de vivres, et m?nagea la ville. Les affaires de Logro?o, de S?govie, de Cabezon, n'indiquaient jusqu'ici que beaucoup de pr?somption, d'ignorance, de fureur, mais encore aucune habitude de la guerre, et surtout aucune preuve de cette t?nacit? qu'on rencontra plus tard. Aussi, bien que dans l'arm?e on commen??t ? savoir que l'insurrection ?tait universelle, on ne s'en inqui?tait gu?re, et on croyait que ce serait une lev?e de boucliers g?n?rale ? la v?rit?, mais partout aussi facile ? comprimer que prompte ? se produire. Ce qui se passait alors en Aragon ?tait de nature ? inspirer la m?me confiance. Le g?n?ral Lefebvre-Desnoette, arriv? ? Pampelune, y avait organis? sa petite colonne, forte, comme nous l'avons dit, de trois mille fantassins et artilleurs, d'un millier de cavaliers, et de six bouches ? feu. Ses dispositions achev?es, il partit le 6 juin de Pampelune, laissant dans cette ville la d?putation qu'on avait charg?e d'aller porter ? Saragosse des paroles de paix, car la violence que les insurg?s montraient partout indiquait assez que la lance des Polonais ?tait le seul moyen auquel on p?t recourir dans le moment. En marche sur Valtierra le 7, le g?n?ral Lefebvre trouva partout les villages vides et les paysans r?unis aux rebelles. Arriv? ? Valtierra m?me, il apprit que le pont de Tudela sur l'?bre ?tait d?truit, et que toutes les barques existant sur ce fleuve avaient ?t? enlev?es et conduites ? Tudela. Il s'arr?ta ? Valtierra pour se procurer des moyens de passer l'?bre. Il fit descendre de la rivi?re d'Aragon dans l'?bre de grosses barques qui servaient de bacs, les disposa en face de Valtierra, et franchit l'?bre sur ce point. Le lendemain 8, il se porta devant Tudela. Une nu?e d'insurg?s battaient la campagne, et tiraillaient en se cachant derri?re les buissons. Le gros du rassemblement, fort de 8 ? 10 mille hommes, ?tait post? sur les hauteurs en avant de cette ville. Le marquis de Lassan, fr?re de Joseph Palafox, les commandait. Le g?n?ral Lefebvre, se faisant pr?c?der par ses voltigeurs et de nombreux pelotons de cavalerie, les ramena de position en position jusque sous les murs de Tudela. Parvenu en cet endroit, il essaya de parlementer pour ?viter les moyens violents, et surtout la n?cessit? d'entrer dans Tudela de vive force. Mais on r?pondit par des coups de fusil ? ses parlementaires, et m?me on fit feu sur lui. Alors il ordonna une charge ? la ba?onnette. Ses jeunes soldats, toujours ardents, abord?rent au pas de course les positions de l'ennemi, le culbut?rent et lui prirent ses canons. Les lanciers se jet?rent au galop sur les fuyards, et en abattirent quelques centaines ? coups de lance. On entra dans Tudela au pas de charge, et, dans les premiers instants, les soldats se mirent ? piller la ville. Mais l'ordre fut bient?t r?tabli par le g?n?ral Lefebvre, et gr?ce faite aux habitants. Nous n'avions eu qu'une dizaine d'hommes morts ou bless?s, contre trois ou quatre cents hommes tu?s aux insurg?s, les uns derri?re leurs retranchements, les autres dans leur fuite ? travers la campagne.

Ma?tre de Tudela, et trouvant le pont de cette ville d?truit, toute la campagne insurg?e au loin, le g?n?ral Lefebvre-Desnoette, avant de se porter en avant, crut devoir assurer sa marche, en d?sarmant les villages environnants, et en r?tablissant le pont de Tudela, qui est la communication n?cessaire avec Pampelune. Il employa donc les journ?es des 9, 10 et 11 juin ? r?tablir le pont de l'?bre, ? battre la campagne, ? d?sarmer les villages, faisant passer au fil de l'?p?e les obstin?s qui ne voulaient pas se rendre. Le 12, apr?s avoir assur? ses communications, il se remit en marche, et le 13 au matin, arriv? devant Mallen, il rencontra encore les insurg?s ayant le marquis de Lassan en t?te, et forts de deux r?giments espagnols et de 8 ? 10 mille paysans. Apr?s avoir repli? les bandes qui ?taient r?pandues en avant de Mallen, il fit attaquer la position elle-m?me. Ce n'?tait pas difficile, car ces insurg?s indisciplin?s, apr?s avoir fait un premier feu, se retiraient en fuyant derri?re les troupes de ligne, tirant par-dessus la t?te de celles-ci, et tuant plus d'Espagnols que de Fran?ais. Le g?n?ral Lefebvre ayant attaqu? l'ennemi par le flanc le culbuta sans difficult?, et renversa tout ce qui ?tait devant lui. Les lanciers polonais, envoy?s ? la poursuite des fuyards, ne leur firent aucun quartier. Anim?s ? cette poursuite, ils franchirent pour les atteindre l'?bre ? la nage, et en tu?rent ou bless?rent plus d'un millier. Notre perte n'avait gu?re ?t? plus consid?rable que dans l'affaire de Tudela, et ne montait pas ? plus d'une vingtaine d'hommes. La vivacit? des attaques, le peu de tenue des paysans espagnols, l'embarras des troupes de ligne, plac?es le plus souvent entre notre feu et celui des fuyards, la confusion enfin de toutes choses parmi les insurg?s, expliquaient la bri?vet? de ces petits combats, l'insignifiance de nos pertes, l'importance de celles de l'ennemi, qui p?rissait moins dans l'action que dans la fuite, et sous la lance des Polonais.

Le 14, le g?n?ral Lefebvre, continuant sa marche vers Saragosse, rencontra encore les insurg?s post?s sur les hauteurs d'Alagon, les traita comme ? Tudela et ? Malien, et les obligea ? se retirer pr?cipitamment. Toutefois, ? cause de la fatigue des troupes, il ne les poursuivit pas aussi loin que les jours pr?c?dents, et remit au lendemain son apparition devant Saragosse.

Il y arriva le lendemain 15 juin. Il aurait voulu y entrer de vive force; mais p?n?trer, avec 3 mille hommes d'infanterie, mille cavaliers et six pi?ces de 4, dans une ville de 40 ? 50 mille ?mes, remplie de soldats et surtout d'une nu?e de paysans r?solus ? se d?fendre en furieux, dans une ville dont la destruction les int?ressait peu, puisqu'ils ?taient tous habitants des villages voisins, n'?tait pas chose facile. Un vieux mur, flanqu? d'un c?t? par un fort ch?teau, et de distance en distance par plusieurs gros couvents, et aboutissant par ses deux extr?mit?s ? l'?bre, entourait Saragosse . Bien qu'une grande confusion r?gn?t au dedans, que troupes r?guli?res, insurg?s, habitants, fussent assez m?contents les uns des autres, les troupes se plaignant des bandits qui pillaient, assassinaient, ne savaient que fuir, les bandits se plaignant des troupes qui ne les emp?chaient pas d'?tre battus, il n'y avait sur la question de la d?fense qu'un sentiment, celui de r?sister ? outrance et de ne livrer la ville qu'en cendres. Ces paysans pillards et fanatiques, anim?s du besoin de s'agiter apr?s une longue inaction, quoique inutiles et l?ches en rase campagne, se montraient de vaillants d?fenseurs derri?re les murailles d'une ville dont ils ?taient les ma?tres. Le brave Palafox d'ailleurs partageait leurs sentiments, et le parti de sacrifier la ville ?tant pris par ceux auxquels elle n'appartenait pas, la surprendre devenait impossible. Aussi, d?s que le g?n?ral Lefebvre parut sous ses murs avec sa petite troupe, il la vit remplie jusque sur les toits d'une immense population de furieux, et entendit partir de toutes parts une incroyable gr?le de balles. Il lui fallut s'arr?ter, car sa principale force consistait en cavalerie, et il n'avait en fait d'artillerie que six pi?ces de 4. Il campa sur les hauteurs ? gauche, pr?s de l'?bre, et manda sur-le-champ ses op?rations au quartier g?n?ral ? Bayonne, r?clamant l'envoi de forces plus consid?rables en infanterie et en artillerie, afin d'abattre les murailles qu'il avait devant lui, et qui ne consistaient pas seulement dans le mur enveloppant Saragosse, mais dans une multitude de vastes ?difices qu'il faudrait, le mur pris, conqu?rir l'un apr?s l'autre.

En Catalogne, la situation offrait des difficult?s d'une autre nature, mais plus graves peut-?tre. Au lieu de trouver tout facile dans la campagne, tout difficile devant la capitale, c'?tait exactement le contraire; car la capitale, Barcelone, ?tait dans nos mains, et la campagne pr?sentait un pays montagneux, h?riss? de forteresses et de gros bourgs insurg?s. Le g?n?ral Duhesme, avec environ 6 mille Fran?ais, 6 mille Italiens, se voyait comme bloqu? dans Barcelone, depuis l'insurrection g?n?rale des derniers jours de mai. Girone, Lerida, Manresa, Tarragone et presque tous les bourgs principaux ?taient en pleine insurrection, et les paysans descendaient jusque sous les murs de la ville, pour tirer sur nos sentinelles. N?anmoins, ayant re?u le 3 juin l'ordre qui lui prescrivait de diriger la division Chabran sur la route de Valence, afin qu'elle donn?t la main au mar?chal Moncey, il la fit partir le 4, en lui assignant la route de Lerida, de mani?re qu'elle p?t observer chemin faisant ce qui se passait en Aragon. Le g?n?ral Chabran, ? la t?te d'une bonne division fran?aise, n'?prouva pas beaucoup d'obstacles le long de la grande route, sur laquelle il se tint constamment, traita bien les habitants, en obtint des vivres qu'on ne pouvait pas refuser ? la force de sa division, et parvint presque sans coup f?rir ? Tarragone. Il y arriva fort ? propos pour pr?venir les suites de l'insurrection, car le r?giment suisse de Wimpfen, qui l'occupait, h?sitait encore. Le g?n?ral Chabran pacifia Tarragone, exigea des officiers suisses leur parole d'honneur de rester fid?les ? la France, qui consentait ? les prendre ? son service, et remit tout en ordre, du moins pour un moment, dans cette place importante.

Mais c'?tait pr?cis?ment sa sortie de Barcelone, et la division des forces fran?aises, que les insurg?s attendaient pour accabler nos troupes. Le fameux couvent du Mont-Serrat, situ? au milieu des rochers, dans la ceinture montagneuse qui enveloppe Barcelone, passait pour ?tre le foyer de l'insurrection. La rivi?re du Llobregat, qui coupe cette ceinture montagneuse avant de se jeter dans la mer, est l'un des obstacles qu'il faut franchir pour se rendre au Mont-Serrat. La pr?tention des insurg?s ?tait de s'emparer du cours de cette rivi?re, de s'y ?tablir fortement, d'enfermer ainsi le g?n?ral Duhesme dans la capitale, et de le couper de Tarragone; car le Llobregat coule au midi de Barcelone, entre cette ville et Tarragone. Le g?n?ral Duhesme, voulant fouiller le Mont-Serrat, et emp?cher les insurg?s de prendre position entre lui et le g?n?ral Chabran, fit sortir le g?n?ral Schwartz ? la t?te d'une colonne d'infanterie et de cavalerie, avec ordre de se porter sur le Llobregat, de le franchir et d'aller ensuite par Bruch faire une apparition au Mont-Serrat. Cet officier, parti le 5 juin, ne trouva d'abord que des insurg?s, qui lui c?d?rent le terrain sans le disputer. Il franchit le Llobregat, traversa aussi ais?ment Molins del Rey, Martorell, Esparraguera, et parvint ainsi jusqu'? Bruch. Mais arriv? en cet endroit, d?s qu'il voulut se diriger sur le Mont-Serrat, il entendit sonner le tocsin dans tous les villages, vit une nu?e de tirailleurs l'assaillir, apprit que partout autour de lui on barricadait les villages, d?truisait les ponts, rendait les routes impraticables, et, de peur d'?tre envelopp?, il prit le parti de rebrousser chemin. Il eut alors des difficult?s de tout genre ? vaincre, et particuli?rement dans le bourg d'Esparraguera, qui pr?sentait une longue rue barricad?e. Il lui fallut ? chaque pas livrer des combats acharn?s. Les hommes tiraient des fen?tres; les femmes, les enfants jetaient du haut des toits des pierres et de l'huile bouillante sur la t?te des soldats. Enfin, au passage d'un pont qu'on avait d?truit de mani?re qu'il s'?croul?t au premier ?branlement, l'une de nos pi?ces de canon s'ab?ma avec le pont lui-m?me, au moment o? elle y passait. Le g?n?ral Schwartz, apr?s avoir eu beaucoup de morts et de bless?s, rentra dans Barcelone le 7 juin, ext?nu? de fatigue. Il ?tait ?vident que ces paysans fanatiques, sans force en rase campagne, deviendraient fort redoutables derri?re des maisons, des rues barricad?es, des ponts obstru?s, des rochers, des buissons, derri?re tout obstacle enfin dont ils pourraient se couvrir pour combattre.

Le 8 et le 9 juin, les insurg?s, enhardis par la retraite du g?n?ral Schwartz, eurent l'audace de venir s'?tablir sur le Llobregat, occupant en force les villages de San-Boy, San-Felice, Molins del Rey. Leur plan consistait toujours ? envelopper le g?n?ral Duhesme, et ? intercepter les communications entre lui et le g?n?ral Chabran. Le g?n?ral Duhesme sentit qu'il ?tait impossible de laisser s'accomplir un pareil dessein, et il sortit le 10 juin de Barcelone en trois colonnes, pour enlever la position des insurg?s. Arriv?s ? la pointe du jour le long du Llobregat, nos soldats le travers?rent, ayant de l'eau jusqu'? la ceinture, coururent ensuite sur les villages occup?s par l'ennemi, les enlev?rent ? la ba?onnette, y prirent beaucoup d'insurg?s, dont ils tu?rent un nombre consid?rable, et punirent San-Boy en le livrant aux flammes. Le soir ils rentr?rent triomphants dans Barcelone, amenant l'artillerie ennemie, au grand ?tonnement du peuple qui avait esp?r? ne pas les revoir. Ce fait d'armes imposa un peu ? la population tumultueuse de cette grande ville, et maintint dans leur h?sitation les classes ais?es, qui, l? comme partout, ?taient partag?es entre leur orgueil national profond?ment bless?, et la crainte d'une lutte contre la France, sous la domination d'une multitude effr?n?e. Cependant le g?n?ral Duhesme, inquiet pour le g?n?ral Chabran, qui ?tait loin de lui ? Tarragone, ?crivit ? Bayonne que la course prescrite ? ce g?n?ral pour donner la main au mar?chal Moncey sous les murs de Valence, pr?sentait les plus grands p?rils, tant pour la division Chabran elle-m?me que pour les troupes rest?es ? Barcelone. Il demanda par ces motifs la permission de le rappeler.

Tels ?taient les ?v?nements au nord de l'Espagne en cons?quence des ordres envoy?s de Bayonne m?me aux troupes qui se trouvaient entre les Pyr?n?es et Madrid. Les ordres transmis par l'interm?diaire de l'?tat-major de Madrid aux troupes qui devaient agir dans le Midi, s'ex?cut?rent avec la m?me ponctualit?. Murat ?tait toujours dans un ?tat ? ne pouvoir rien ordonner; mais le g?n?ral Belliard, en attendant l'arriv?e du g?n?ral Savary, exp?dia lui-m?me au mar?chal Moncey et au g?n?ral Dupont les instructions de l'Empereur. Le mar?chal Moncey, avec sa premi?re division, que commandait le g?n?ral Musnier, partit de Madrid pour se diriger par Cuenca sur Valence. Le g?n?ral Dupont partit de Tol?de avec sa premi?re division, que commandait le g?n?ral Barbou, pour se diriger ? travers la Manche sur la Sierra-Morena. Il resta donc ? Madrid m?me deux divisions du mar?chal Moncey, la garde imp?riale et les cuirassiers. La division Vedel, seconde de Dupont, prit ? Tol?de la position laiss?e vacante par la division Barbou. La division Fr?re, troisi?me de Dupont, revenue de S?govie ? l'Escurial, prit ? Aranjuez la position laiss?e vacante par la division Vedel. Il restait par cons?quent dans la capitale et dans les environs ? peu pr?s 30 mille hommes d'infanterie et de cavalerie, ce qui suffisait pour le moment. Il n'en fut d?tach? qu'une colonne de pr?s de 3 mille hommes, qu'on voulait par la province de Guadalaxara diriger sur Saragosse, et qui ne d?passa point Guadalaxara.

Le mar?chal Moncey se mit en marche le 4 juin avec un corps fran?ais de 8,400 hommes, dont 800 hussards et 16 bouches ? feu. Il devait ?tre suivi de 1,500 hommes de bonne infanterie espagnole et de 500 cavaliers de la m?me nation; ce qui aurait port? son corps ? plus de 10 mille hommes, et ? 15 ou 16 mille sous Valence, en supposant sa r?union avec le g?n?ral Chabran. Malheureusement cette derni?re r?union ?tait fort douteuse, et de plus, dans la nuit qui pr?c?da le d?part de la division fran?aise, les deux tiers des troupes espagnoles d?sert?rent, d?fection qui affaiblit tellement le corps auxiliaire que ce n'?tait plus la peine de le faire partir. Le mar?chal Moncey entreprit donc son exp?dition avec 8,400 hommes de troupes fran?aises, jeunes, mais ardentes, et tr?s-bien disciplin?es. Il coucha le premier jour ? Pinto, le deuxi?me ? Aranjuez, le troisi?me ? Santa-Cruz, le quatri?me ? Tarancon, parcourant chaque jour une distance tr?s-courte, pour ne pas fatiguer ses soldats, et les habituer ? la chaleur ainsi qu'? la marche. Arriv? le 7 ? Tarancon, le mar?chal Moncey leur accorda un s?jour et les y laissa la journ?e du 8. Le mar?chal Moncey m?nageait ? la fois ses soldats et les habitants; il obtint partout des vivres et un bon accueil. Les Espagnols le connaissaient depuis la guerre de 1793, et il avait conserv? une r?putation d'humanit? qui le servait aupr?s d'eux. Il faut ajouter que dans ces provinces du centre, nulle ville importante n'ayant donn? l'?lan patriotique, le calme ?tait demeur? assez grand. Le mar?chal Moncey n'eut donc aucune difficult? ? vaincre, soit pour marcher, soit pour vivre. Le 9, il alla coucher ? Carrascosa, le 10 ? Villar-del-Horno, le 11 ? Cuenca.

Arriv? dans cette ville, il voulut s'y arr?ter pour se procurer des nouvelles tant de Valence que du g?n?ral Chabran, sur lequel il comptait pour accomplir sa mission. Mais les montagnes qui le s?paraient ? gauche de la basse Catalogne, ? droite de Valence, ne laissaient parvenir jusqu'? lui aucune nouvelle. Quant ? Valence, rien ne passait le d?fil? de Requena. Tout ce qu'on savait, c'est que l'insurrection y ?tait violente et pers?v?rante, que d'affreux massacres y avaient ?t? commis, et qu'on ne viendrait ? bout de la population soulev?e que par la force. Le mar?chal Moncey, qui ?tait inform? de l'arriv?e du g?n?ral Chabran ? Tarragone, et qui calculait que pour se porter ? Tortose et Castellon de la Plana, le long de la mer, il faudrait ? ce g?n?ral jusqu'au 25 juin, lui exp?dia l'ordre de s'y rendre sans retard, et fit ses dispositions de mani?re ? ne pas d?boucher lui-m?me dans la plaine de Valence avant le 25 juin. Il prit le parti de s?journer ? Cuenca jusqu'au 18, d'en partir ensuite pour Requena, et de ne forcer les d?fil?s des montagnes de Valence qu'au moment opportun pour agir de concert avec le g?n?ral Chabran. Il se proposait pendant ces six jours pass?s ? Cuenca de faire reposer ses troupes, de pourvoir ? ses transports, de se procurer des d?tails sur la route difficile et peu fr?quent?e qu'il allait parcourir. Cette mani?re m?thodique d'op?rer pouvait assur?ment avoir des avantages, mais de funestes cons?quences aussi; car elle donnait ? l'insurrection le temps de s'organiser, et de s'?tablir solidement ? Valence.

Ayant d?bouch? par les d?fil?s de la Sierra-Morena sur Baylen, et se trouvant dans la vall?e du Guadalquivir, il tourna ? droite, et r?solut de suivre le cours du fleuve, pour se porter ? Cordoue, et frapper un rude coup sur l'avant-garde de l'insurrection. Arriv? le 4 juin ? Andujar, il apprit l? de nouveaux d?tails sur les ?v?nements de l'Andalousie, persista plus fortement encore dans la r?solution de marcher vivement aux insurg?s, mais persista davantage aussi ? r?clamer la prompte r?union des trois divisions qui composaient son corps d'arm?e.

? Andujar, on sut avec plus de pr?cision les difficult?s qui devaient se pr?senter sur le chemin de Cordoue. Augustin de Echavarri, employ? jadis, comme nous l'avons dit, ? purger la Sierra-Morena des brigands qui l'infestaient, s'?tait mis ? la t?te de ces brigands, des paysans de la contr?e, du peuple de Cordoue et des villes environnantes. Il avait en outre deux ou trois bataillons de milices provinciales, et quelque cavalerie, le tout formant une vingtaine de mille hommes, dont 15 mille au moins de bandes indisciplin?es. C'?tait l? ce qu'on appelait l'arm?e de Cordoue, laquelle ?tait en ce moment camp?e sur le Guadalquivir, au pont d'Alcolea. M?prisant fort de tels adversaires, le g?n?ral Dupont se h?ta d'aller droit ? eux, et d'enlever ce pont, qui ne pouvait pas valoir celui de Halle, emport? par lui avec huit mille Fran?ais contre vingt mille Prussiens. Il continua donc ? descendre le Guadalquivir, pour se rapprocher d'Alcolea et de Cordoue. Le 5 il ?tait ? Aldea-del-Rio, le 6 ? El-Carpio, le 7, au lever de l'aurore, en face m?me du pont d'Alcolea.

La position qu'avaient prise les insurg?s pour couvrir Cordoue n'?tait pas mal choisie. La grande route d'Andalousie, qui jusqu'? Cordoue suit presque toujours le fond de la vall?e du Guadalquivir, est tant?t ? gauche, tant?t ? droite du fleuve, parcourant avec lui le pied des plus beaux, des plus riants coteaux de la terre, couverts partout d'oliviers, d'orangers, de superbes pins et de quelques palmiers. Par-dessus ces coteaux, on aper?oit ? droite et fort pr?s de soi les cimes sombres de la Sierra-Morena, ? gauche et fort loin les cimes vaporeuses et bleu?tres des montagnes de Grenade. La route, qui est d'abord ? droite du Guadalquivir, passe ? gauche ? Andujar. Au pont d'Alcolea, elle repasse ? droite, pour aller joindre Cordoue, situ?e en effet de ce c?t?, sur le bord m?me du fleuve, qu'elle domine de ses tours mauresques. Bien que dans cette partie le Guadalquivir soit presque partout gu?able, surtout en ?t?, il est un obstacle de quelque valeur ? cause de ses bords escarp?s, et la possession du pont d'Alcolea, qui donnait un passage fray? ? l'artillerie, avait une sorte d'importance. Ce pont est long et ?troit, et se termine au village m?me d'Alcolea. Les Espagnols en avaient ferm? l'entr?e au moyen d'un ouvrage de campagne, consistant dans un ?paulement en terre et dans un foss? profond. Ils l'avaient garni de troupes et d'artillerie, et avaient eu soin de r?pandre en avant, tant ? droite qu'? gauche, une nu?e de tirailleurs, embusqu?s dans des champs d'oliviers. Ils avaient de plus obstru? le pont, rempli le village d'Alcolea de paysans fort habiles tireurs, plac? au del? douze bouches ? feu sur un monticule qui dominait les deux rives, et rang? plus loin encore le reste de leur monde sur un vaste plateau. Pour inqui?ter les assaillants, ils leur avaient pr?par? une diversion, en faisant passer le Guadalquivir au-dessous d'Alcolea ? une colonne de trois ou quatre mille hommes, laquelle, remontant la rive gauche qu'occupaient les Fran?ais, devait faire mine de les prendre en flanc, pendant qu'ils attaqueraient de front le pont d'Alcolea.

Il fallait donc balayer la nu?e de tirailleurs post?s dans les oliviers, aborder l'ouvrage, l'enlever, franchir le pont, se rendre ma?tre d'Alcolea, rejeter en m?me temps dans le Guadalquivir le corps qui l'avait pass?, et fondre ensuite sur Cordoue, qui n'est qu'? deux lieues. On avait le temps, car on ?tait arriv? ? cinq heures du matin en face de l'ennemi, par une superbe journ?e du mois de juin. Le g?n?ral Dupont pla?a en t?te la brigade Pannetier, form?e de deux bataillons de la garde de Paris et de deux bataillons des l?gions de r?serve. Il distribua ? droite et ? gauche quelques tirailleurs, rangea en seconde ligne la brigade Chabert, en troisi?me les Suisses, et disposa sur sa gauche toute sa cavalerie sous le g?n?ral Fresia, pour contenir le corps qui remontait le Guadalquivir. Il avait eu la pr?caution d'envoyer l'intr?pide capitaine Baste, avec une centaine de marins de la garde, pour se glisser sous le pont afin d'examiner s'il n'?tait pas min?. Il ordonna que l'attaque f?t vive et brusque pour ne pas perdre du monde en t?tonnements.

Au signal donn?, l'artillerie fran?aise et les tirailleurs ayant engag? le feu, les bataillons de la garde de Paris, command?s par le g?n?ral Pannetier et le colonel Est?ve, s'avanc?rent sur la redoute. Les grenadiers se jet?rent bravement dans le foss?, malgr? une vive fusillade, et, montant sur les ?paules les uns des autres, p?n?tr?rent dans l'ouvrage par les embrasures, pendant que le capitaine Baste, qui avait achev? sa reconnaissance, s'y introduisait par le c?t?. La redoute ainsi enlev?e, les grenadiers coururent au pont, le franchirent ba?onnette baiss?e, perdirent quelques hommes, et leur capitaine notamment, brave officier qui les avait vaillamment conduits ? l'assaut, et arriv?rent ensuite au village d'Alcolea. La troisi?me l?gion les suivait; elle attaqua avec eux le village d'Alcolea, d?fendu par une multitude d'insurg?s. On perdit l? plus de monde que dans l'attaque du pont; mais si on en perdit davantage, on en tua aussi beaucoup plus aux insurg?s, dont un grand nombre furent pris et pass?s au fil de l'?p?e dans les maisons du village. Alcolea fut bient?t en notre possession. Pendant ce brusque engagement, le g?n?ral Fresia, sur l'autre rive du Guadalquivir, avait arr?t? le corps espagnol charg? de faire diversion. Sous les charges vigoureuses de nos dragons, ce corps s'?tait promptement repli?, et avait repass? le Guadalquivir en d?sordre.

Cette brillante action ne nous avait pas co?t? plus de 140 hommes tu?s ou bless?s. Nous en avions tu? deux ou trois fois davantage dans l'int?rieur du village d'Alcolea.

Le pont d'Alcolea enlev?, il fallait quelques instants pour combler le foss? de la redoute, et y faire passer l'artillerie et la cavalerie de l'arm?e. On s'en occupa sur-le-champ, et on franchit le pont en laissant pour le garder le bataillon des marins de la garde. Le gros des Espagnols s'?tait ralli?, sur la route de Cordoue, au sommet d'un plateau qui d'un c?t? se terminait au Guadalquivir, de l'autre se reliait ? la Sierra-Morena. L'arm?e fran?aise ?tait au pied du plateau en colonne serr?e par bataillon, la cavalerie et l'artillerie dans les intervalles. Apr?s lui avoir laiss? prendre haleine, le g?n?ral Dupont la porta en avant. ? la seule vue de ces troupes marchant ? l'ennemi comme ? la parade, les Espagnols s'enfuirent en d?sordre, et nous livr?rent la route de Cordoue. On leur fit encore quelques prisonniers, et on s'empara d'une partie de leur artillerie.

On marcha sans rel?che, malgr? la br?lante chaleur du milieu du jour, et ? deux heures de l'apr?s-midi on aper?ut Cordoue, ses tours, et la belle mosqu?e, aujourd'hui cath?drale, qui la domine. Le g?n?ral Dupont ne voulait pas donner aux insurg?s le temps de se reconna?tre, et d'occuper Cordoue de mani?re ? en rendre la prise difficile ? une arm?e qui n'avait avec elle que de l'artillerie de campagne. En cons?quence, il r?solut de l'enlever sur-le-champ. Il voulut cependant la sommer pour lui ?pargner une prise d'assaut. Il manda le corr?gidor, qui s'?tait cach? par peur des Espagnols autant que des Fran?ais. Ce magistrat ne parut point. Les insurg?s refus?rent d'?couter un pr?tre qu'on leur envoya, et tir?rent sur tous les officiers fran?ais qui s'approch?rent pour parlementer. La force ?tait donc le seul moyen de s'introduire dans Cordoue. On fit approcher du canon, on enfon?a les portes, et on entra en colonne dans la ville. Il fallut prendre plusieurs barricades, et puis attaquer une ? une beaucoup de maisons, o? les brigands de la Sierra-Morena s'?taient embusqu?s. Le combat devint acharn?. Nos soldats, exasp?r?s par cette r?sistance, p?n?tr?rent dans les maisons, tu?rent les bandits qui les occupaient, et en pr?cipit?rent un grand nombre par les fen?tres. Tandis que les uns soutenaient cette lutte, les autres avaient poursuivi en colonne le gros des insurg?s qui s'?tait enfui par le pont de Cordoue sur la route de S?ville. Mais bient?t le combat d?g?n?ra en un v?ritable brigandage, et cette cit? infortun?e, l'une des plus anciennes, des plus int?ressantes de l'Espagne, fut saccag?e. Les soldats, apr?s avoir conquis un certain nombre de maisons au prix de leur sang, et tu? les insurg?s qui les d?fendaient, n'avaient pas grand scrupule de s'y ?tablir, et d'user de tous les droits de la guerre. Trouvant les insurg?s qu'ils tuaient charg?s de pillage, ils pill?rent ? leur tour, mais pour manger et boire plus encore que pour remplir leurs sacs. La chaleur ?tait ?touffante, et avant tout ils voulaient boire. Ils descendirent dans les caves fournies des meilleurs vins de l'Espagne, enfonc?rent les tonneaux ? coups de fusil, et plusieurs m?me se noy?rent dans le vin r?pandu. D'autres enti?rement ivres, ne respectant plus rien, souill?rent le caract?re de l'arm?e en se jetant sur les femmes, et en leur faisant essuyer toutes sortes d'outrages. Nos officiers, toujours dignes d'eux-m?mes, firent des efforts inou?s pour mettre fin ? ces sc?nes horribles, et il y en eut qui furent oblig?s de tirer l'?p?e contre leurs propres soldats. Les troupes qui avaient poursuivi les fuyards au del? du pont de Cordoue voulurent ? leur tour entrer en ville pour manger et boire aussi, car depuis la veille elles n'avaient re?u aucune distribution, et elles augment?rent ainsi la d?solation. Les paysans s'?taient mis ? piller de leur c?t?, et la malheureuse ville de Cordoue ?tait en ce moment la proie des brigands espagnols en m?me temps que de nos soldats exasp?r?s et affam?s. Ce fut un douloureux spectacle, et qui eut d'affreuses cons?quences, par le retentissement qu'il produisit plus tard en Espagne et en Europe. Le g?n?ral Dupont fit battre la g?n?rale pour ramener les soldats au drapeau; mais ou ils n'entendaient pas, ou ils refusaient d'ob?ir, et de toute l'arm?e il n'?tait rest? en ordre que la cavalerie et l'artillerie, demeur?es hors de Cordoue, et attach?es ? leurs rangs, l'une par ses chevaux, l'autre par ses canons. Un corps ennemi, revenant sur ses pas, aurait pris toute l'infanterie dispers?e, gorg?e de vin, plong?e dans le sommeil et la d?bauche. Ce furent cette fatigue m?me, cette ivresse hideuse, qui mirent un terme au d?sordre; car nos soldats n'en pouvant plus s'?taient jet?s ? terre au milieu des morts, des bless?s, c?te ? c?te avec les Espagnols qu'ils avaient pris ou tu?s.

Le lendemain matin, au premier coup de tambour, ces m?mes hommes, redevenus dociles et humains, comme de coutume, reparurent tous au drapeau. L'ordre fut imm?diatement r?tabli, et les infortun?s habitants de Cordoue tir?s de la d?solation o? ils avaient ?t? plong?s pendant quelques heures. Sauf l'archev?ch? qui avait ?t? pris d'assaut, et o? se trouvait l'?tat-major des r?volt?s, les lieux saints avaient en g?n?ral ?chapp? ? la d?vastation, bien que les couvents fussent r?put?s les principaux foyers de l'insurrection. On retira le soldat de chez l'habitant, on le caserna dans les lieux publics, on lui fit des distributions r?guli?res pour qu'il n'y e?t aucun pr?texte ? l'indiscipline, et on remit ainsi toutes choses ? leur place. Le sac des soldats fut visit?; l'argent dont on les trouva porteurs fut vers? ? la caisse de chaque r?giment. On avait pris plusieurs d?p?ts de num?raire, les uns appartenant aux r?volt?s et provenant des dons volontaires faits par les particuliers et le clerg? ? l'insurrection, les autres appartenant au tr?sor public. Le montant des uns et des autres fut r?uni ? la caisse g?n?rale de l'arm?e pour payer la solde arri?r?e. Peu ? peu les habitants rassur?s rentr?rent, et form?rent m?me le voeu de garder chez eux l'arm?e fran?aise, pour n'?tre pas expos?s ? de nouveaux combats livr?s dans leurs rues et leurs maisons. Un fait singulier et qui pouvait donner lieu d'appr?cier les services qu'il y avait ? esp?rer des Suisses, c'est que deux ou trois cents d'entre eux, qui servaient avec Augustin de Echavarri, pass?rent de notre c?t? apr?s la prise de Cordoue, et qu'en m?me temps un nombre presque ?gal de soldats des deux r?giments que nous avions avec nous nous quitt?rent pour se rendre ? l'ennemi. Il ?tait ?vident que ces soldats ?trangers, combattus entre le go?t de servir la France et leur ancien attachement pour l'Espagne, flotteraient entre les deux partis, pour se ranger en d?finitive du c?t? de la victoire. Il ne fallait donc gu?re y compter en cas de revers, malgr? la fid?lit? connue et justement estim?e des soldats de leur nation.

Le coup de foudre qui avait frapp? Cordoue avait ? la fois terrifi? et exasp?r? les Espagnols. Mais la haine d?passant de beaucoup la terreur, ils avaient bient?t dans toute l'Andalousie form? le projet de se r?unir en masse pour accabler le g?n?ral Dupont, et venger sur lui le sac de Cordoue, qu'ils d?peignaient partout des plus sombres couleurs. On racontait jusque dans les moindres villages le massacre des femmes, des enfants, des vieillards, le viol des vierges, la profanation des lieux saints; assertions horriblement mensong?res, car, si la confusion avait ?t? un moment assez grande, le pillage avait ?t? peu consid?rable, et le massacre nul, except? ? l'?gard de quelques insurg?s pris les armes ? la main. Ce ne fut qu'un cri n?anmoins dans toute l'Andalousie contre les Fran?ais, d?j? bien assez d?test?s sans qu'il f?t besoin, par de faux r?cits, d'augmenter la haine qu'ils inspiraient. On jura de les massacrer jusqu'au dernier, et, autant qu'on le put, on tint parole.

? peine nos troupes avaient-elles franchi la Sierra-Morena, sans laisser presque aucun poste sur leurs derri?res, ? cause de leur petit nombre, que des nu?es d'insurg?s, chass?s de Cordoue, s'?taient r?pandus sur leur ligne de communication, occupant les d?fil?s, envahissant les villages qui bordent la grande route, et massacrant sans piti? tout ce qu'ils trouvaient de Fran?ais voyageurs, malades ou bless?s. Le g?n?ral Ren? fut ainsi assassin? avec des circonstances atroces. ? Andujar les r?volt?s de Jaen, profitant de notre d?part, envahirent la ville, et massacr?rent tout un h?pital de malades. La femme du g?n?ral Chabert, sans l'intervention d'un pr?tre, e?t ?t? assassin?e. Au bourg de Montoro, situ? entre Andujar et Cordoue, eut lieu un ?v?nement digne des cannibales. On avait laiss? un d?tachement de deux cents hommes pour garder une boulangerie qui ?tait destin?e ? fabriquer le pain de l'arm?e, en attendant qu'elle f?t entr?e dans Cordoue. La veille m?me du jour o? elle allait y entrer, et par cons?quent avant les pr?tendus ravages qu'elle y avait commis, les habitants des environs, les uns venus de la Sierra-Morena, les autres sortis des bourgs voisins, se jet?rent ? l'improviste, et en nombre consid?rable, sur le poste fran?ais, et l'?gorg?rent tout entier avec un raffinement de f?rocit? inou?. Ils crucifi?rent ? des arbres quelques-uns de nos malheureux soldats. Ils pendirent les autres en allumant des feux sous leurs pieds. Ils en enterr?rent plusieurs ? moiti? vivants, ou les sci?rent entre des planches. La plus brutale, la plus inf?me barbarie n'?pargna aucune souffrance ? ces infortun?es victimes de la guerre. Cinq ou six soldats, ?chapp?s par miracle au massacre, vinrent apporter ? l'arm?e cette nouvelle, qui la fit fr?mir, et ne la disposa point ? la cl?mence. La guerre prenait ainsi un caract?re atroce, sans changer toutefois le coeur de nos soldats, qui, la chaleur du combat pass?e, redevenaient doux et humains comme ils avaient coutume d'?tre, comme ils ont ?t? dans toute l'Europe, qu'ils ont parcourue en vainqueurs, jamais en barbares.

Le g?n?ral Dupont, ?tabli ? Cordoue, profitant des ressources de cette grande ville pour refaire son arm?e, pour r?parer son mat?riel, mais n'ayant qu'une douzaine de mille hommes, dont plus de deux mille Suisses sur lesquels il ne pouvait pas compter, n'?tait gu?re en mesure de s'avancer en Andalousie avant la jonction des divisions Vedel et Fr?re, rest?es, l'une ? Tol?de, l'autre ? l'Escurial. Il les avait r?clam?es avec instance, et il comptait bien, avec ce renfort de dix ? onze mille hommes d'infanterie, ce qui e?t port? son corps ? vingt-deux mille au moins, traverser l'Andalousie en vainqueur, ?teindre le foyer br?lant de S?ville, ramener au roi Joseph le g?n?ral Casta?os et les troupes r?guli?res, pacifier le midi de l'Espagne, sauver l'escadre fran?aise de l'amiral Rosily, et d?jouer ainsi tous les projets des Anglais sur Cadix. Il attendait donc avec impatience les renforts demand?s, ne doutant gu?re de leur arriv?e prochaine, apr?s les d?p?ches qu'il avait ?crites ? Madrid. Restait ? savoir n?anmoins si ces d?p?ches parviendraient, tous les anciens bandits de la Sierra-Morena en ?tant devenus les gardiens, et ?gorgeant les courriers sans en laisser passer un seul.

Mais tandis que le g?n?ral Dupont, entr? le 7 juin ? Cordoue, attendait des renforts, le soul?vement de l'Andalousie prenait plus de consistance. Les troupes de ligne, au nombre de 12 ? 15 mille hommes, se concentraient autour de S?ville. Les nouvelles lev?es, quoique moins nombreuses qu'on ne l'avait esp?r?, s'organisaient cependant, et commen?aient ? se discipliner. Les unes ?taient introduites dans les rangs de l'arm?e pour en grossir l'effectif, les autres ?taient form?es en bataillons de volontaires. On les armait, on les instruisait. Le temps ?tait ainsi tout au profit de l'insurrection qui pr?parait ses moyens, et au d?savantage de l'arm?e fran?aise, dont la situation empirait ? chaque instant; car, ind?pendamment de la non-arriv?e des renforts, la chaleur, sans cesse croissante, augmentait la quantit? des malades, et affectait notablement le moral des soldats. En m?me temps notre flotte courait de grands dangers ? Cadix.

L'agitation, depuis le massacre de l'infortun? Solano, n'avait cess? de s'accro?tre dans cette ville, o? dominait la plus infime populace. Le nouveau capitaine g?n?ral, Thomas de Morla, cherchait ? se maintenir en flattant la multitude, et en lui permettant chaque jour la somme d'exc?s qui pouvait la satisfaire. Tout de suite apr?s avoir ?gorg? le capitaine g?n?ral Solano, cette multitude s'?tait mise ? demander la destruction de notre flotte et le massacre des matelots fran?ais. C'?tait chose naturelle ? d?sirer, mais difficile ? ex?cuter contre cinq vaisseaux fran?ais et une fr?gate, mont?s par trois ? quatre mille marins ?chapp?s ? Trafalgar, et disposant de quatre ? cinq cents bouches ? feu. Ils auraient incendi? les escadres espagnoles et tout l'arsenal de Cadix avant de laisser monter un seul homme ? leur bord. Ajoutez que, plac?s ? l'entr?e de la rade de Cadix, pr?s de la ville, m?l?s ? la division espagnole qui ?tait en ?tat d'armement, ils pouvaient la d?truire, et accabler la ville de feux. Il est vrai qu'on aurait appel? les Anglais, et que nos marins auraient succomb? sous les feux crois?s des forts espagnols et des vaisseaux anglais; mais ils seraient morts cruellement veng?s d'alli?s aveugl?s et d'ennemis barbares.

Thomas de Morla, qui appr?ciait mieux cette position que le peuple de Cadix, n'avait pas voulu s'exposer ? de telles extr?mit?s, et il avait, avec son astuce ordinaire, entrepris de n?gocier. Il avait propos? ? l'amiral Rosily de se mettre un peu ? l'?cart, en s'enfon?ant dans l'int?rieur de la rade, de laisser la division espagnole ? l'entr?e, de mani?re ? s?parer les deux escadres et ? pr?venir les collisions entre elles, de confier ainsi aux Espagnols seuls le soin de fermer Cadix aux Anglais; ce qu'on ?tait r?solu ? faire, disait-on; car, tout en stipulant une tr?ve avec ceux-ci, on affectait de ne pas vouloir leur livrer les grands ?tablissements maritimes de l'Espagne. On persistait, en effet, ? refuser le secours des cinq mille hommes de d?barquement qu'ils avaient offert. L'amiral Rosily, qui attendait ? chaque instant l'arriv?e du g?n?ral Dupont qu'il savait en marche, avait accept? ces conditions, se croyant certain, sous peu de jours, d'?tre ma?tre du port et de l'?tablissement de Cadix. En cons?quence, il avait fait cesser le m?lange de ses vaisseaux avec les vaisseaux espagnols, et pris position dans l'int?rieur de la rade, dont la division espagnole avait continu? d'occuper l'entr?e.

C'est ainsi que s'?taient ?coul?s les premiers jours de juin, temps que le g?n?ral Dupont avait employ? ? s'emparer de Cordoue. Mais bient?t l'amiral Rosily s'?tait aper?u que les m?nagements apparents du capitaine g?n?ral Thomas de Morla n'?taient qu'un leurre afin de gagner du temps, et de pr?parer les moyens d'accabler la flotte fran?aise dans l'int?rieur de la rade, sans qu'il p?t en r?sulter un grand mal pour Cadix et son vaste arsenal.

Pour se faire une id?e de cette situation, il faut savoir que la rade de Cadix, semblable en cela ? celle de Venise et ? toutes celles de la Hollande, est compos?e de vastes lagunes qui ont ?t? form?es par les alluvions du Guadalquivir. Au milieu de ces lagunes on a pratiqu? des bassins, des canaux, des chantiers, de superbes magasins, et on a profit? d'un groupe de rochers, plac? ? quelque distance en mer, et li? ? la terre par une jet?e, pour former une immense rade, et pour la fermer. C'est sur ce groupe de rochers que la ville de Cadix est construite. C'est du haut de ce groupe qu'elle domine la rade qui porte son nom, et que, croisant ses feux avec la basse terre de Matagorda situ?e vis-?-vis, elle en rend l'entr?e impossible aux flottes ennemies. La rade s'ouvre ? l'ouest, et ? l'est s'?tend un vaste enfoncement, qui communique par des passes et des canaux avec les grands ?tablissements connus sous le nom g?n?ral d'arsenal de la Caraque. Il y a de cette entr?e, dont Cadix a la garde, ? la Caraque, une distance de trois lieues. Les feux sont tr?s-nombreux pr?s de l'entr?e, dans le but d'?carter l'ennemi. Mais en s'enfon?ant dans l'int?rieur, et au milieu des lagunes dont on s'est servi pour creuser les bassins, l'impossibilit? d'y p?n?trer a dispens? de prodiguer les d?fenses et les batteries.

En voyant les mortiers, les obusiers amen?s ? grand renfort de bras dans toutes les batteries qui avaient action sur le milieu de la rade, en voyant, ?quiper des chaloupes canonni?res et des bombardes, l'amiral Rosily ne douta plus de l'objet de ces pr?paratifs, et il forma le projet, ? la pleine lune, lorsque les mar?es seraient plus hautes, de profiter du tirant d'eau pour se jeter avec ses vaisseaux tout arm?s dans les canaux aboutissant ? la Caraque. Il devait y ?tre ? l'abri des feux les plus redoutables, en mesure de se d?fendre long-temps, et de beaucoup d?truire avant de succomber. Mais il aurait fallu pour cela des vents d'ouest, et les vents d'est souffl?rent seuls. Il fut donc oblig? de suspendre l'ex?cution de son projet. Bient?t d'ailleurs la pr?voyance des officiers espagnols vint rendre cette manoeuvre impossible. Ils coul?rent dans les passes conduisant ? la Caraque de vieux vaisseaux; ils plac?rent ? l'ancre une ligne de chaloupes canonni?res et de bombardes qui portaient de la tr?s-grosse artillerie. Ils en firent autant du c?t? de Cadix, o? ils ?tablirent une autre ligne de canonni?res et de bombardes, et coul?rent encore de vieux vaisseaux. L'escadre se trouvait ainsi enferm?e dans le centre de la rade, fix?e dans une position d'o? elle ne pouvait sortir, expos?e tant aux feux de terre qu'? ceux des chaloupes canonni?res, et priv?e des moyens de se transporter l? o? elle aurait pu causer le plus de mal.

Entr? le 7 ? Cordoue, le g?n?ral Dupont pouvait bien, en effet, ?tre sur le rivage de Cadix le 13 ou le 14. Mais, pendant ce temps, les terres environnantes se couvraient de redoutes, de canons, de moyens formidables de destruction. L'amiral, sentant tr?s-bien que, s'il n'?tait pas d?livr? par le g?n?ral Dupont, il succomberait sous cette masse de feux, et perdrait inutilement trois ou quatre mille matelots, les meilleurs de la France, forma un projet d?sesp?r?, qui n'?tait pas propre ? les sauver, mais qui leur offrait au moins une chance de salut, et en tout cas la satisfaction de se venger, en d?truisant beaucoup plus d'hommes qu'ils n'en perdraient. Quoique les passes du c?t? de Cadix pour sortir de la rade fussent obstru?es, l'amiral avait d?couvert un passage praticable, et il r?solut, le jour o? l'on recommencerait le feu, de se porter en furieux sur la division espagnole, qui ?tait fort mal arm?e et pas plus nombreuse que la sienne, de la br?ler avant l'arriv?e des Anglais, de se jeter ensuite sur ces derniers s'ils paraissaient, de d?truire et de se faire d?truire, en se fiant au sort du soin de sauver tout ou partie de la division. Mais pour ce coup de d?sespoir il fallait un premier hasard heureux, c'?tait un vent favorable. Il attendit donc, apr?s avoir fait tous ses pr?paratifs de d?part, ou l'apparition du g?n?ral Dupont, ou une r?ponse acceptable de S?ville, ou un vent favorable.

Le 14 juin venu, aucune de ces circonstances n'?tait r?alis?e. Le g?n?ral Dupont n'avait point paru; la junte de S?ville exigeait la reddition pure et simple; quant au vent, il soufflait de l'est, et poussait au fond de la rade, au lieu de pousser ? la sortie. On avait justement le vent qu'on aurait souhait? quelques jours plus t?t pour se jeter sur la Caraque, avant que les canaux en fussent obstru?s. Les moyens de l'ennemi ?taient tripl?s. Il ne restait qu'? essuyer une lente et infaillible destruction, sous une canonnade ? laquelle on ne pourrait pas r?pondre de mani?re ? se venger. Se rendre laissait au moins la chance d'?tre tir? de prison quelques jours apr?s par une arm?e fran?aise victorieuse. Il fallut donc amener le pavillon sans autre condition que la vie sauve. Les braves marins de Trafalgar, toujours malheureux par les combinaisons d'une politique qui avait le continent en vue plus que la mer, furent encore sacrifi?s ici, et constitu?s prisonniers d'une nation alli?e, qui, apr?s les avoir si mal second?s ? Trafalgar, se vengeait sur eux d'?v?nements g?n?raux dont ils n'?taient pas les auteurs. Les vaisseaux furent d?sarm?s, les officiers conduits prisonniers dans les forts, aux applaudissements fr?n?tiques d'une populace f?roce. Ainsi finit ? Cadix m?me l'alliance maritime des deux nations, ? la grande joie des Anglais d?barqu?s ? terre, et se comportant d?j? dans le port de Cadix comme dans un port qui leur aurait appartenu! Ainsi s'?vanouissaient, l'une apr?s l'autre, les illusions qu'on s'?tait faites sur la P?ninsule, et chacune d'elles, en s'?vanouissant, laissait apercevoir un immense danger!

L'amiral Rosily venait de succomber, parce que le g?n?ral Dupont n'avait pu arriver ? temps pour lui tendre la main: qu'allait-il advenir du g?n?ral Dupont lui-m?me, jet? avec dix mille jeunes soldats au milieu de l'Andalousie insurg?e? On avait compt? que tout s'aplanirait devant lui; que cinq ? six mille Suisses le renforceraient en route; qu'une division fran?aise, traversant paisiblement le Portugal, le rejoindrait par Elvas, et qu'il pourrait ainsi marcher sur S?ville et Cadix avec vingt mille hommes. Mais envelopp?s par l'insurrection, la plus grande partie des Suisses s'?taient donn?s ? elle. Le Portugal, commen?ant ? partager l'?motion de l'Espagne, n'?tait pas plus facile ? traverser, et le g?n?ral Kellermann avait pu s'avancer ? peine avec de la cavalerie jusqu'? Elvas. Toutes les facilit?s qu'on avait r?v?es, en se fondant sur l'ancienne soumission de l'Espagne, se changeaient en difficult?s. Chaque village devenait un coupe-gorge pour nos soldats; les vivres disparaissaient, et il ne restait partout qu'un climat d?vorant.

Comme rien ne le pressait, il op?ra cette retraite avec ordre et lenteur. Il partit le 17 juin au soir, afin de marcher la nuit, ainsi qu'on a coutume de le faire en cette saison, et sous ce climat br?lant. Depuis ce qu'on avait appris de la cruaut? des Espagnols, aucun malade ou bless? pouvant supporter les fatigues du d?placement ne voulait ?tre laiss? en arri?re. Il fallait donc tra?ner apr?s soi une immense suite de charrois, qui mirent plus de cinq heures ? d?filer, et que les Espagnols, les Anglais, dans leurs gazettes, qualifi?rent plus tard de caissons charg?s des d?pouilles de Cordoue. On avait trouv? six cent mille francs ? Cordoue, et enlev? fort peu de vases sacr?s. La plupart de ces vases avaient ?t? restitu?s, et trois ou quatre caissons d'ailleurs auraient suffi ? emporter, en fait d'objets pr?cieux, le plus grand butin imaginable. Mais des bless?s, des malades en nombre consid?rable, beaucoup de familles d'officiers qui avaient suivi notre arm?e en Espagne, o? elle semblait plut?t destin?e ? une longue occupation qu'? une guerre active, ?taient la cause de cette interminable suite de bagages. On laissa toutefois quelques malades et quelques bless?s ? Cordoue, sous la garde des autorit?s espagnoles, qui du reste tinrent la parole donn?e au g?n?ral Dupont d'en avoir le plus grand soin. Si, en effet, les odieux massacres que nous avons rapport?s ?taient ? craindre en Espagne dans les bourgs et les villages, dont ?taient ma?tres des paysans f?roces, on avait moins ? les redouter dans les grandes villes, o? dominait habituellement une bourgeoisie humaine et sage, ?trang?re aux atrocit?s commises par la populace.

On n'eut aucune hostilit? ? repousser durant la route; mais, parvenue ? Montoro, l'arm?e fut saisie d'horreur en voyant suspendus aux arbres, ? moiti? ensevelis en terre ou d?chir?s en lambeaux, les cadavres des Fran?ais surpris isol?ment par l'ennemi. Jamais nos soldats n'avaient rien commis ni rien essuy? de pareil dans aucun pays, bien qu'ils eussent fait la guerre partout, en ?gypte, en Calabre, en Illyrie, en Pologne, en Russie! L'impression qu'ils en ressentirent fut profonde. Ils furent encore moins exasp?r?s, quoiqu'ils le fussent beaucoup, qu'attrist?s du sort qui attendait ceux d'entre eux qui seraient ou bless?s, ou malades, ou attard?s sur une route par la fatigue, la soif, la faim. Une sorte de chagrin s'empara de l'arm?e, et y laissa des traces f?cheuses.

Le lendemain 18 juin, on arriva ? Andujar sur le Guadalquivir. Tous les habitants, qui craignaient qu'on ne venge?t sur eux les massacres commis tant ? Andujar que dans les bourgs environnants, s'?taient enfuis, et on trouva cette petite ville absolument abandonn?e. On la fouilla pour y chercher des vivres, et on en d?couvrit suffisamment pour les premiers jours. Le g?n?ral Dupont pla?a dans Andujar m?me les marins de la garde, qui ?taient les plus solides et les plus sages des troupes qu'il avait avec lui. Il fit engager par des ?missaires tous les habitants ? revenir, leur promettant qu'il ne leur serait fait aucun mal, et il r?ussit effectivement ? les ramener. La ville d'Andujar pr?sentait, pour les bless?s et les malades, quelques ressources, dont on usa avec ordre, de mani?re ? ne pas les ?puiser inutilement. On s'occupa aussi d'y attirer, soit avec de l'argent, dont on avait apport? une certaine somme, soit avec des maraudes bien organis?es, des moyens de subsister. Andujar avait un vieux pont sur le Guadalquivir, avec des tours mauresques qui faisaient office de t?te de pont. On remplit ces tours de troupes d'?lite. On ?leva ? droite et ? gauche quelques ouvrages. Puis on ?tablit la premi?re brigade sur le fleuve et un peu en avant, la seconde ? droite et ? gauche de la ville d'Andujar, les Suisses en arri?re de cette ville, la cavalerie au loin dans la plaine, observant le pays jusqu'au pied des montagnes de la Sierra-Morena. En un mot, on fit un ?tablissement o?, moyennant beaucoup d'activit? ? s'approvisionner, l'on pouvait se soutenir assez long-temps, et attendre en s?curit? les renforts demand?s ? Madrid.

Tout e?t ?t? bien dans cette r?solution de r?trograder pour se rapprocher des d?fil?s de la Sierra-Morena, si on avait pris, par rapport ? ces d?fil?s, la position la meilleure. Malheureusement il n'en ?tait rien, et ce fut une premi?re faute dont le g?n?ral Dupont eut plus tard ? se repentir. Le vrai motif pour abandonner Cordoue et les ressources de cette grande ville, c'?tait la crainte de voir sur la gauche de l'arm?e les insurg?s de Grenade avanc?s jusqu'? Jaen, passer le Guadalquivir ? Menjibar, se porter ? Baylen, et fermer les d?fil?s de la Sierra-Morena. Comme ? Cordoue on ?tait ? vingt-quatre lieues de Baylen, cette distance rendait le danger immense. ? Andujar, on n'?tait plus, il est vrai, qu'? sept lieues de Baylen, mais ? sept lieues enfin, et il restait une chance de voir l'ennemi se porter ? l'improviste vers les d?fil?s. De plus, il y avait au del? de Baylen d'autres issues, par lesquelles on pouvait aussi p?n?trer dans les d?fil?s de la Sierra-Morena: c'?tait la route de Baeza et d'Ubeda, donnant sur la Caroline, point o? les d?fil?s commencent v?ritablement. Il fallait donc d'Andujar veiller sur Baylen, et non-seulement sur Baylen, mais sur Baeza et Ubeda, ce qui exigeait un redoublement de soins. Le parti le plus convenable ? prendre en quittant Cordoue, c'?tait d'abonder compl?tement dans la sage pens?e qui faisait abandonner cette ville, et de se porter ? Baylen m?me, o?, par sa pr?sence seule, on aurait gard? la t?te des d?fil?s, et d'o? on aurait, avec quelques patrouilles de cavalerie, ais?ment observ? la route secondaire de Baeza et d'Ubeda. Baylen avait d'autres avantages encore, c'?tait d'offrir une belle position sur des coteaux ?lev?s, en bon air, d'o? l'on apercevait tout le cours du Guadalquivir, et d'o? l'on pouvait tomber sur l'ennemi qui voudrait le franchir. Sans doute, si ce fleuve n'e?t pas ?t? gu?able en plus d'un endroit, on aurait pu tenir ? ?tre sur ses bords m?mes, afin d'en d?fendre le passage de plus pr?s. Mais le Guadalquivir pouvant ?tre pass? sur une infinit? de points, le mieux ?tait de s'?tablir un peu en arri?re, sur une position dominante, de laquelle on verrait tout, et d'o? l'on pourrait se jeter sur le corps qui aurait travers? le fleuve, pour le culbuter dans le ravin qui lui servait de lit. Baylen avait justement tous ces avantages. Le sacrifice d'Andujar, comme centre de ressources, ?tait trop peu de chose pour qu'on m?conn?t les raisons que nous venons d'exposer. Ce fut donc, nous le r?p?tons, une v?ritable faute que de s'arr?ter ? Andujar, au lieu d'aller ? Baylen m?me, pour couper court ? toute tentative de l'ennemi sur les d?fil?s. Du reste, avec une active surveillance, il n'?tait pas impossible de r?parer cette faute, et d'en pr?venir les cons?quences. Le g?n?ral Dupont s'?tablit donc ? Andujar, attendant des nouvelles de Madrid qui n'arrivaient gu?re, car il ?tait rare qu'un courrier r?uss?t ? franchir la Sierra-Morena.

Tel ?tait ? la fin de juin le r?sultat des premiers efforts qu'on avait faits pour comprimer l'insurrection espagnole. Le g?n?ral Verdier avait dissip? le rassemblement de Logro?o; le g?n?ral Lasalle, celui de Valladolid et de la Vieille-Castille. Le g?n?ral Lefebvre avait rejet? les Aragonais dans Saragosse, mais se trouvait arr?t? devant cette ville. Le g?n?ral Duhesme ? Barcelone ?tait oblig? de combattre tous les jours pour se tenir en communication avec le g?n?ral Chabran, exp?di? sur Tarragone. Le mar?chal Moncey, achemin? sur Valence, n'avait pas d?pass? Cuenca, attendant l? que la division Chabran e?t fait plus de chemin vers lui. Enfin le g?n?ral Dupont, arriv? victorieux ? Cordoue, apr?s avoir pris et saccag? cette ville, avait r?trograd? vers les d?fil?s de la Sierra-Morena, pour lesquels il avait des craintes, et chang? la position de Cordoue contre celle d'Andujar. La flotte fran?aise de Cadix, faute de secours, venait de succomber.

L'?tat-major fran?ais recueillait ces bruits, et, bien qu'il n'en cr?t rien, il en ?tait inquiet n?anmoins, et les mandait ? Bayonne. L'infortun? Murat avait tant demand? ? rentrer en France, que, malgr? le d?sir de conserver ? Madrid ce fant?me d'autorit?, on lui avait permis de partir, et il en avait profit? avec l'impatience d'un enfant. Le g?n?ral Savary ?tait devenu d?s lors le chef avou? de l'administration fran?aise, et faisait trembler tout Madrid par sa contenance mena?ante, et sa r?putation d'ex?cuteur impitoyable des volont?s de son ma?tre. Plein de sagacit?, il appr?ciait tr?s-bien la situation, et n'en dissimulait aucunement la gravit? ? Napol?on. Ayant con?u des craintes pour les corps avanc?s du mar?chal Moncey et du g?n?ral Dupont, il se d?cida ? se d?munir de troupes ? Madrid, et ? faire partir deux divisions pour le midi de l'Espagne. D?j? un convoi de biscuit et de munitions, exp?di? au g?n?ral Dupont, avait ?t? arr?t? au Val-de-Pe?as, et il avait fallu un combat acharn? pour franchir ce bourg. Le g?n?ral Savary dirigea la division Vedel, seconde de Dupont, et forte de pr?s de six mille hommes d'infanterie, de Tol?de sur la Sierra-Morena, avec ordre de d?gager ces d?fil?s, et de rejoindre son g?n?ral en chef. On estimait que celui-ci, parti avec 12 ou 13 mille hommes, et en comptant avec la division Vedel environ 17 ou 18 mille, serait en mesure de se soutenir en Andalousie. On lui intimait, en tout cas, l'ordre de tenir bon dans les d?fil?s de la Sierra-Morena, afin d'emp?cher les insurg?s de p?n?trer dans la Manche. Cependant le g?n?ral Savary, dou? d'un tact assez s?r et devinant que le g?n?ral Dupont ?tait le plus compromis, ? cause des troupes r?guli?res du camp de Saint-Roque et de Cadix qui marchaient contre lui, se disposait ? lui envoyer ? Madridejos, c'est-?-dire ? moiti? chemin d'Andujar, sa troisi?me division, celle que commandait le g?n?ral Fr?re; ce qui aurait port? son corps ? 22 ou 23 mille hommes, et l'aurait mis au-dessus de tous les ?v?nements. Toutefois, sur une observation de Napol?on, il envoya la division Fr?re non pas ? Madridejos, au centre de la Manche, mais ? San-Clemente. ? San-Clemente elle ne se trouvait pas plus ?loign?e du g?n?ral Dupont qu'? Madridejos, et elle pouvait au besoin aller au secours du mar?chal Moncey, dont on ignorait le sort autant qu'on ignorait celui du g?n?ral Dupont, et qu'on n'esp?rait plus secourir par Tarragone, car le g?n?ral Chabran, oblig? de r?trograder sur Barcelone, venait d'y rentrer.

Ces pr?cautions prises, on crut pouvoir se rassurer sur les deux corps fran?ais envoy?s au midi de l'Espagne, et attendre la suite des ?v?nements. Il ne restait plus ? Madrid que deux divisions d'infanterie, la seconde et la troisi?me du corps du mar?chal Moncey, la garde imp?riale et les cuirassiers. C'?tait assez pour l'instant, l'arriv?e du roi Joseph avec de nouvelles troupes devant bient?t remettre les forces du centre sur un pied respectable. Seulement le g?n?ral Savary renon?a, avec l'approbation de l'Empereur, ? envoyer une colonne sur Saragosse, et laissa ? l'?tat-major g?n?ral de Bayonne le soin d'amener devant cette ville insurg?e des forces capables de la r?duire.

Dans ce moment, la constitution de Bayonne, comme on l'a vu au livre pr?c?dent, venait de s'achever. Il importait de h?ter le d?part de Joseph pour Madrid par deux raisons, d'abord la n?cessit? de remplacer l'autorit? du lieutenant g?n?ral Murat, et secondement l'urgence de faire parvenir ? Madrid les renforts qu'on retenait pour servir d'escorte au nouveau roi. Napol?on avait tout dispos? en effet pour lui procurer une r?serve de vieilles troupes, dont une partie le suivrait ? Madrid, une autre renforcerait en route le mar?chal Bessi?res, afin de tenir t?te aux insurg?s des Asturies et de la Galice qui ramenaient au combat les insurg?s de la Vieille-Castille, battus au pont de Cabezon sous Gregorio de la Cuesta; une troisi?me enfin irait sous Saragosse contribuer ? la prise de cette ville importante. Napol?on, avons-nous dit, avait amen? de Paris au camp de Boulogne, du camp de Boulogne ? Rennes, de Rennes ? Bayonne, six anciens r?giments, les 4e l?ger et 15e de ligne, les 2e et 12e l?gers, enfin les 14e et 44e de ligne, deux bataillons de la garde de Paris, les troupes de la Vistule, et enfin plusieurs r?giments de marche. Aux six r?giments d'ancienne formation dirig?s sur l'Espagne, il en avait joint deux pris sur le Rhin, le 51e et le 49e de ligne, et il avait donn? des ordres pour en tirer des bords de l'Elbe quatre autres de la plus grande valeur, les 32e, 58e, 28e et 75e de ligne, qui faisaient partie des troupes d'observation de l'Atlantique; c'?tait un total de douze vieux r?giments ajout?s aux corps provisoires envoy?s primitivement en Espagne. Il se pr?parait ainsi ? Bayonne une r?serve consid?rable pour faire face aux difficult?s de cette guerre, qui grandissaient ? vue d'oeil. Il ne borna point l? ses pr?cautions. Craignant que les coureurs de la Navarre, de l'Aragon, de la haute Catalogne, ne vinssent insulter la fronti?re fran?aise, ce qui e?t ?t? un f?cheux d?sagr?ment pour un conqu?rant qui, deux mois auparavant, croyait ?tre ma?tre de la P?ninsule, depuis les Pyr?n?es jusqu'? Gibraltar, il forma quatre colonnes le long des Pyr?n?es, fortes chacune de 12 ? 1,500 hommes, et compos?es de gendarmerie ? cheval, de gardes nationales d'?lite, de montagnards des Pyr?n?es organis?s en compagnies de tirailleurs, enfin de quelques centaines de Portugais provenant des d?bris de l'arm?e portugaise transport?s en France. Ces colonnes devaient veiller sur la fronti?re, repousser toute insulte des gu?rillas, et au besoin descendre le revers des Pyr?n?es pour y pr?ter main-forte aux troupes fran?aises quand celles-ci en auraient besoin.

Toutefois, pour les Pyr?n?es orientales ce n'?tait pas assez, et il fallait venir au secours du g?n?ral Duhesme bloqu? dans Barcelone. Les choses dans cette province en ?taient arriv?es ? ce point que le fort de Figui?res, o? l'on avait introduit une petite garnison fran?aise lors de la surprise des places fortes espagnoles en mars dernier, ?tait enti?rement bloqu?, et expos? ? se rendre faute de vivres.

Napol?on r?solut de former l? un petit corps de 7 ? 8 mille hommes, sous l'un de ses aides-de-camp les plus habiles, le g?n?ral Reille, de l'envoyer avec un convoi de vivres ? Figui?res, et de le r?unir ensuite sous Girone au g?n?ral Duhesme, afin de porter le corps de Catalogne ? environ 20 mille hommes. Mais il n'?tait pas facile de rassembler une pareille force dans le Roussillon, aucune troupe ne stationnant ordinairement en Provence ni en Languedoc. Napol?on sut n?anmoins en trouver le moyen. ? la colonne de gendarmerie, de gardes nationaux, de montagnards, de Portugais, qui, sous le g?n?ral Ritay, devait garder les Pyr?n?es orientales, il ajouta deux nouveaux r?giments italiens, l'un de cavalerie, l'autre d'infanterie, qui faisaient partie des troupes toscanes, et qu'il avait eu de bonne heure la pr?caution d'acheminer sur Avignon. Il y avait en Pi?mont les corps dont avaient ?t? tir?es la division fran?aise Chabran et la division italienne Lechi. Napol?on leur emprunta de nouveaux d?tachements, faciles ? trouver ? cause de l'abondance des d?p?ts en conscrits, et les dirigea vers le Languedoc sous le titre de bataillons de marche de Catalogne. Il prit en outre ? Marseille, Toulon, Grenoble, plusieurs troisi?mes bataillons qui ?taient en d?p?t dans ces villes, un bataillon de la cinqui?me l?gion de r?serve stationn?e ? Grenoble, et, enfin, s'adressant ? tous les r?giments qui avaient leurs d?p?ts sur les bords de la Sa?ne et du Rh?ne, et qui pouvaient par eau envoyer en quelques jours des d?tachements ? Avignon, il leur emprunta ? chacun une compagnie, et en forma deux bataillons excellents, qu'il qualifia du titre de premier et second bataillon provisoire de Perpignan. C'est avec cette industrie qu'il parvint ? r?unir un second corps de 7 ? 8 mille hommes pour la Catalogne, sans affaiblir d'une mani?re sensible ni l'Italie ni l'Allemagne. Heureusement pour lui, le calme dont jouissait la France lui permettait de se priver sans inconv?nient m?me des troupes de d?p?t. Seulement, ces troupes de toute origine, de toute formation, les unes italiennes, les autres suisses, portugaises et fran?aises, la plupart jeunes et point aguerries, pr?sentaient de bizarres assemblages, et ne pouvaient valoir quelque chose que par l'habilet? des chefs qui seraient charg?s de les commander.

Ces soins pris pour amener sur la fronti?re d'Espagne les forces n?cessaires, Napol?on s'occupa d'en disposer conform?ment aux besoins du moment. Il avait successivement achemin? sur Saragosse les trois r?giments d'infanterie de la Vistule, une partie de la division Verdier, avec le g?n?ral Verdier lui-m?me, beaucoup d'artillerie de si?ge, et une colonne de gardes nationaux d'?lite lev?s dans les Pyr?n?es, le tout formant un corps de dix ? onze mille hommes. Il chargea le g?n?ral Verdier de prendre la direction du si?ge, le g?n?ral Lefebvre-Desnoette n'?tant qu'un g?n?ral de cavalerie, et lui donna l'un de ses aides-de-camp, le g?n?ral Lacoste, pour diriger les travaux du g?nie. Tout faisait esp?rer qu'avec une pareille force, et beaucoup d'artillerie, on viendrait ? bout de cette ville insurg?e. En tout cas, Napol?on lui destinait encore quelques-uns de ses vieux r?giments en marche vers les Pyr?n?es.

Il s'occupa ensuite d'organiser, avec les r?giments arriv?s ? Bayonne, le corps du mar?chal Bessi?res, qui avait pour mission de couvrir la marche de Joseph sur Madrid, et de tenir t?te aux r?volt?s du nord, lesquels chaque jour faisaient parler d'eux d'une mani?re plus inqui?tante. Des six vieux r?giments mand?s les premiers, quatre ?taient arriv?s, les 4e l?ger et 15e de ligne, les 2e et 12e l?gers, et les deux bataillons de Paris. Napol?on les pla?a sous le commandement du brave g?n?ral de division Mouton, qui ?tait en Espagne depuis que les Fran?ais y ?taient entr?s, et en forma deux brigades. La premi?re, compos?e des 2e et 12e l?gers et des d?tachements de la garde imp?riale, fut command?e par le g?n?ral Rey. La seconde, compos?e du 4e l?ger et du 15e de ligne, avec un bataillon de la garde de Paris, fut command?e par le g?n?ral Reynaud. L'ancienne division du g?n?ral Verdier, dont une partie l'avait suivi sous Saragosse, fut r?unie tout enti?re ? la division Merle, et form?e en quatre brigades sous les g?n?raux Darmagnac, Gaulois, Sabattier et Ducos. Le g?n?ral de cavalerie Lasalle, qui avait d?j? les 10e et 22e de chasseurs, et un d?tachement de grenadiers et de chasseurs ? cheval de la garde imp?riale, dut y joindre le 26e de chasseurs, et un r?giment provisoire de dragons. La division Mouton pouvait ?tre ?valu?e ? 7 mille hommes, celle de Merle ? 8 mille et quelques cents, celle de Lasalle ? 2 mille, en tout 17 mille hommes. Divers petits corps compos?s de d?p?ts, de convalescents, de bataillons et escadrons de marche, formaient ? Saint-S?bastien, ? Vittoria, ? Burgos, des garnisons pour la s?ret? de ces villes, et portaient ? 21 mille hommes le corps du mar?chal Bessi?res, destin? ? contenir le nord de l'Espagne, ? r?primer les r?volt?s de la Castille, des Asturies, de la Galice, ? couvrir la route de Madrid, et ? escorter le roi Joseph.

Ainsi Napol?on avait d?j? envoy? successivement plus de 110 mille hommes en Espagne, dont 50 mille, r?pandus au del? de Madrid, ?taient r?partis entre Andujar, Valence et Madrid, sous le g?n?ral Dupont, le mar?chal Moncey, le g?n?ral Savary, dont 20 mille ?taient en Catalogne, sous les g?n?raux Reille et Duhesme; 12 mille devant Saragosse, sous le g?n?ral Verdier; 21 ? 22 mille autour de Burgos, sous le mar?chal Bessi?res, et quelques mille ?parpill?s entre les divers d?p?ts de la fronti?re. Contre des troupes de ligne et pour une guerre r?guli?re avec l'Espagne, c'e?t ?t? beaucoup, peut-?tre m?me plus qu'il ne fallait, bien que nos soldats fussent jeunes et peu aguerris. Contre un peuple soulev? tout entier, ne tenant nulle part en rase campagne, mais barricadant chaque ville et chaque village, interceptant les convois, assassinant les bless?s, obligeant chaque corps ? des d?tachements qui l'affaiblissaient au point de le r?duire ? rien, on va voir que c'?tait bien peu de chose. Il e?t fallu sur-le-champ 60 ou 80 mille hommes de plus en vieilles troupes, pour comprimer cette insurrection formidable, et probablement on y e?t r?ussi. Mais Napol?on ne voulait puiser que dans ses d?p?ts du Rhin, des Alpes et des c?tes, et n'entendait point diminuer les grandes arm?es qui assuraient son empire sur l'Italie, l'Illyrie, l'Allemagne et la Pologne: nouvelle preuve de cette v?rit? souvent reproduite dans cette histoire, qu'il ?tait impossible d'agir ? la fois en Pologne, en Allemagne, en Italie, en Espagne, sans s'exposer ? ?tre insuffisant sur l'un ou l'autre de ces th??tres de guerre, et bient?t peut-?tre sur tous.

Il n'?tait pas besoin de cette correspondance pour r?v?ler ? Napol?on toute l'?tendue de la faute qu'il avait commise, quoiqu'il ne voul?t pas en convenir. Il savait tout maintenant, il connaissait l'universalit? et la violence de l'insurrection. Seulement, il avait trouv? les insurg?s si prompts ? fuir en rase campagne, qu'il esp?rait encore pouvoir les r?duire sans une trop grande d?pense de forces.--Prenez patience, r?pondait-il ? Joseph, et ayez bon courage. Je ne vous laisserai manquer d aucune ressource; vous aurez des troupes en suffisante quantit?; l'argent ne vous fera jamais d?faut en Espagne avec une administration passable. Mais ne vous constituez pas l'accusateur de mes soldats, au d?vouement desquels vous et moi devons ce que nous sommes. Ils ont affaire ? des brigands qui les ?gorgent, et qu'il faut contenir par la terreur. T?chez de vous acqu?rir l'affection des Espagnols; mais ne d?couragez pas l'arm?e, ce serait une faute irr?parable.--? ces discours Napol?on joignit les instructions les plus s?v?res pour ses g?n?raux, leur recommandant express?ment de ne rien prendre, mais d'?tre d'une impitoyable s?v?rit? pour les r?volt?s. Ne pas piller, et faire fusiller, afin d'?ter le motif et le go?t de la r?volte, devint l'ordre le plus souvent exprim? dans sa correspondance.

Pendant que le voyage de Joseph s'effectuait au pas de l'infanterie, la lutte continuait avec des chances vari?es en Aragon et en Vieille-Castille. Le g?n?ral Verdier, arriv? devant Saragosse avec deux mille hommes de sa division, et trouvant les divers renforts que Napol?on y avait successivement envoy?s, tels qu'infanterie polonaise, r?giments de marche, comptait environ 12 mille hommes de troupes, et une nombreuse artillerie amen?e de Pampelune. D?j? il avait fait enlever par le g?n?ral Lefebvre-Desnoette les positions ext?rieures, resserr? les assi?g?s dans la place, et ?lev? de nombreuses batteries par les soins du g?n?ral Lacoste. Les 1er et 2 juillet, il r?solut, sur les pressantes instances de Napol?on, de tenter une attaque d?cisive, avec 20 bouches ? feu de gros calibre, et 10 mille fantassins lanc?s ? l'assaut. La ville de Saragosse est situ?e tout enti?re sur la droite de l'?bre, et n'a sur la gauche qu'un faubourg. Malheureusement, on n'avait pas encore r?ussi, malgr? les ordres r?it?r?s de l'Empereur, ? jeter un pont sur l'?bre, de mani?re ? pouvoir porter partout la cavalerie et priver les assi?g?s de leurs communications avec le dehors. Vivres, munitions, renforts de d?serteurs et d'insurg?s leur arrivaient donc sans difficult? par le faubourg de la rive gauche, et presque tous les insurg?s de l'Aragon avaient fini pour ainsi dire par se r?unir dans cette ville. Situ?e tout enti?re, avons-nous dit, sur la rive droite, Saragosse ?tait entour?e d'une muraille, flanqu?e ? gauche d'un fort ch?teau dit de l'Inquisition, au centre d'un gros couvent, celui de Santa-Engracia, et ? droite d'un autre gros couvent, celui de Saint-Joseph. Le g?n?ral Verdier avait fait diriger une puissante batterie de br?che contre le ch?teau, et s'?tait r?serv? cette attaque, la plus difficile et la plus d?cisive. Il avait dirig? deux autres batteries de br?che contre le couvent de Santa-Engracia au centre, contre le couvent de Saint-Joseph ? droite, et il avait confi? ces deux attaques au g?n?ral Lefebvre-Desnoette.

Le 1er juillet, au signal donn?, les vingt mortiers et obusiers, soutenus par toute l'artillerie de campagne, ouvrirent un feu violent tant sur les gros b?timents qui flanquaient la muraille d'enceinte, que sur la ville elle-m?me. Plus de 200 bombes et de 1,200 obus furent envoy?s sur cette malheureuse ville, et y mirent le feu en plusieurs endroits, sans que ses d?fenseurs, qui lui ?taient la plupart ?trangers, et qui, post?s dans les maisons voisines des points d'attaque, n'avaient pas beaucoup ? souffrir, fussent le moins du monde ?branl?s. Sous la direction de quelques officiers du g?nie espagnols, ils avaient plac? en batterie 40 bouches ? feu qui r?pondaient parfaitement aux n?tres. Ils avaient, sur les points o? nous pouvions nous pr?senter, des colonnes compos?es de soldats qui avaient d?sert? les rangs de l'arm?e espagnole, et pas moins de dix mille paysans embusqu?s dans les maisons. Le 2 juillet au matin, de larges br?ches ayant ?t? pratiqu?es au ch?teau de l'Inquisition et aux deux couvents qui flanquaient l'enceinte, nos troupes s'?lanc?rent ? l'assaut avec l'ardeur de soldats jeunes et inexp?riment?s. Mais elles essuy?rent sur la br?che du ch?teau de l'Inquisition un feu si terrible, qu'elles en furent ?tonn?es, et que, malgr? tous les efforts des officiers, elles n'os?rent p?n?trer plus avant. Il en fut de m?me au centre, au couvent de Santa-Engracia. ? droite seulement le g?n?ral Habert r?ussit ? s'emparer du couvent de Saint-Joseph, et ? se procurer une entr?e dans la ville. Mais quand il voulut y p?n?trer, il trouva les rues barricad?es, les murs des maisons perc?s de mille ouvertures et vomissant une gr?le de balles. Les soldats d'Austerlitz et d'Eylau auraient sans doute brav? ce feu avec plus de sang-froid; mais devant des obstacles mat?riels de cette esp?ce, ils n'auraient peut-?tre pas fait plus de progr?s. Il ?tait ?vident qu'il fallait contre une pareille r?sistance de nouveaux et plus puissants moyens de destruction, et qu'au lieu de faire tuer des hommes en marchant ? d?couvert devant ces maisons, il fallait les renverser ? coups de canon sur la t?te de ceux qui les d?fendaient.

Le g?n?ral Verdier conservant le couvent de Saint-Joseph dont il s'?tait empar? ? droite, fit rentrer ses troupes dans leurs quartiers, apr?s une perte de 4 ? 500 hommes tu?s ou bless?s, perte bien grave par rapport ? un effectif de 10 mille hommes. Le grand nombre d'officiers atteints par le feu prouvait quels efforts ils avaient eu ? faire pour soutenir ces jeunes soldats en pr?sence de telles difficult?s.

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