Use Dark Theme
bell notificationshomepageloginedit profile

Munafa ebook

Munafa ebook

Read Ebook: L'âme enchantée I: Annette et Sylvie by Rolland Romain

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 992 lines and 54287 words, and 20 pages

L'AME ENCHANT?E

DU M?ME AUTEUR

LIBRAIRIE OLLENDORFF

EDITION D?FINITIVE sur beau papier v?lin et Hollande.

LIBRAIRIE HACHETTE

LIBRAIRIE FONTEMOING

LIBRAIRIE ALCAN

LIBRAIRIE PLON

LIBRAIRIE DE L'HUMANIT?

ROMAIN ROLLAND

L'AME ENCHANT?E

ANNETTE ET SYLVIE

PARIS

Soci?t? d'?ditions Litt?raires et Artistiques

LIBRAIRIE OLLENDORFF

Tous droits r?serv?s.

DE CETTE ?DITION, IL A ?T? TIR?:

SEIZE CENT CINQUANTE EXEMPLAIRES NUM?ROT?S

SUR PAPIER VELIN ALFA

R?IMPOS?E IN-16 58 x 80

VINGT EXEMPLAIRES HORS COMMERCE MARQU?S A A T

Avertissement au Lecteur

Quand j'ai donc adopt? Jean-Christophe, ou Colas, ou Annette Rivi?re, je ne suis plus que le secr?taire de leurs pens?es. Je les ?coute, je les vois agir, et je vois par leurs yeux. A mesure qu'ils apprennent de leur coeur et des hommes, j'apprends avec eux; quand ils se trompent, je tr?buche; quand il se reprennent, je me rel?ve, et nous nous remettons en route. Je ne dis pas que cette route est la meilleure. Mais cette route est la n?tre. Que Christophe, Colas et Annette, aient ou n'aient pas raison, Christophe, Colas et Annette, sont. La vie n'est pas une des moindres raisons.

R. R.

Ao?t 1922.

ANNETTE ET SYLVIE

Elle ?tait assise pr?s de la fen?tre, tournant le dos au jour, recevant sur son cou et sur sa forte nuque les rayons du soleil couchant. Elle venait de rentrer. Pour la premi?re fois depuis des mois, Annette avait pass? la journ?e dehors, dans la campagne, marchant et s'enivrant de ce soleil de printemps. Soleil grisant, comme un vin pur, que ne trempe aucune ombre des arbres d?pouill?s, et qu'avive l'air frais de l'hiver qui s'en va. Sa t?te bourdonnait, ses art?res battaient, et ses yeux ?taient pleins des torrents de lumi?re. Rouge et or, sous ses paupi?res closes. Or et rouge dans son corps. Immobile, engourdie sur sa chaise, un instant, elle perdit conscience...

Un ?tang, au milieu des bois, avec une plaque de soleil, comme un oeil. Autour, un cercle d'arbres aux troncs fourr?s de mousse. D?sir de baigner son corps. Elle se trouve d?v?tue. La main glac?e de l'eau palpe ses pieds et ses genoux. Torpeur de volupt?. Dans l'?tang rouge et or elle se contemple nue... Un sentiment de g?ne, obscure, ind?finissable: comme si d'autres yeux ? l'aff?t la voyaient. Afin d'y ?chapper, elle entre plus avant dans l'eau, qui monte jusque sous le menton. L'eau sinueuse devient une ?treinte vivante; et des lianes grasses s'enroulent ? ses jambes. Elle veut se d?gager, elle enfonce dans la vase. Tout en haut, sur l'?tang, dort la plaque de soleil. Elle donne avec col?re un coup de talon au fond, et remonte ? la surface. L'eau maintenant est grise, terne, salie. Sur son ?caille luisante, mais toujours le soleil... Annette, au bras d'un saule qui pend sur l'?tang, s'accroche, pour s'arracher ? l'humide souillure. Le rameau feuillu, comme une aile, couvre les ?paules et les reins nus. L'ombre de la nuit tombe, et l'air froid sur la nuque....

Elle sort de sa torpeur. Depuis qu'elle y a sombr?, quelques secondes ? peine se sont ?coul?es. Le soleil dispara?t derri?re les coteaux de Saint-Cloud. C'est la fra?cheur du soir.

Annette, d?gris?e, se l?ve, un peu frissonnante, et, fron?ant le sourcil de d?pit irrit? pour l'aberration o? elle s'est laiss?e choir, dans le fond de sa chambre, devant son feu va se rasseoir. Un aimable feu de bois, dont l'office ?tait de distraire les yeux et de tenir compagnie, plus que de r?chauffer: car du jardin entrait, par la fen?tre ouverte, avec le souffle mouill? d'un soir de premier printemps, le m?lodieux bavardage des oiseaux revenus qui allaient s'endormir. Annette songe. Mais cette fois, elle a les yeux ouverts. Elle a repris pied dans son monde ordinaire. Elle est dans sa maison. Elle est Annette Rivi?re. Et, pench?e vers la flamme qui rougit son jeune visage,--en taquinant du pied sa chatte noire qui tend le ventre aux tisons d'or, elle ranime son deuil, un instant oubli?; elle rappelle l'image de l'?tre qu'elle a perdu. En grand deuil, au front, aux plis des l?vres, la trace non effac?e du passage de la douleur, et le dessous des paupi?res encore un peu gonfl? par les larmes r?centes, mais saine, fra?che, baign?e de s?ve comme la nature nouvelle, cette robuste jeune fille, point belle, mais bien faite, aux lourds cheveux ch?tains, au cou d'un blond h?l?, aux joues, aux yeux de fleur,--cherchant ? ramener sur ses regards distraits et ses rondes ?paules les voiles dispers?s de sa m?lancolie,--semble une jeune veuve, qui voit fuir l'ombre aim?e.

Veuve, Annette l'?tait en effet dans son coeur; mais celui dont ses doigts voulaient retenir l'ombre, ?tait son p?re.

Il y avait six mois d?j? qu'elle l'avait perdu. Vers la fin de l'automne, Raoul Rivi?re, jeune encore, , fut enlev? en deux jours par une crise d'ur?mie. Bien que, depuis plusieurs ann?es, sa sant?, dont il abusait, l'oblige?t ? des m?nagements, il ne s'attendait pas ? un baisser de rideau aussi brusque. Architecte parisien, ancien pensionnaire de la Villa Romaine, beau gar?on, n? malin et dou? d'une faim peu commune, f?t? dans les salons, combl? par le monde officiel, il avait su collectionner, toute sa vie, sans para?tre les chercher, les commandes, les honneurs et les bonnes fortunes. Figure bien parisienne, popularis?e par la photographie, les dessins des magazines et la caricature,--avec son front bomb?, renfl? aux tempes, t?te baiss?e, comme un taureau qui fonce, ses yeux au globe saillant, au regard d'audace, ses cheveux blancs touffus, taill?s en brosse, sa mouche sous la bouche rieuse et vorace, un air d'esprit, d'insolence, de gr?ce et d'effronterie. Dans le Tout-Paris des arts et des plaisirs, chacun le connaissait. Et nul ne le connaissait. Homme ? double nature, qui savait admirablement s'adapter ? la soci?t? pour l'exploiter, mais qui savait aussi se tailler ? part sa vie cach?e. Homme ? fortes passions et ? vices puissants, qui, tout en les cultivant, se gardait d'en rien montrer qui p?t effaroucher les clients,--qui avait son mus?e secret , mais qui ne l'entr'ouvrait qu'? de tr?s rares initi?s,--qui se foutait du go?t et de la morale publics, tout en y conformant sa vie apparente et ses travaux officiels. Nul ne le connaissait, ni parmi ses amis, ni parmi ses ennemis... Ses ennemis? Il n'en avait point. Des rivaux, tout au plus, ? qui il en avait cuit de se mettre sur son chemin; mais ils ne lui en voulaient pas: apr?s les avoir roul?s, il avait eu si bien l'art de les enj?ler que, comme ces timides sur le pied desquels on marche, ils eussent ?t? pr?s de sourire et de s'excuser. Le rude et matois avait r?ussi le tour de force de rester en bons termes avec les concurrents qu'il supplantait, et les conqu?tes qu'il d?laissait.

Il avait ?t? un peu moins heureux en m?nage. Sa femme eut le mauvais go?t de souffrir de ses infid?lit?s. Quoique, depuis vingt-cinq ans qu'ils ?taient mari?s, elle aurait eu largement, pensait-il, le temps de s'habituer, jamais elle n'en prit son parti. D'une honn?tet? morose, de mani?res un peu froides comme l'?tait sa beaut? de Lyonnaise, ayant des sentiments forts, mais concentr?s, elle n'?tait aucunement adroite ? le retenir; et elle avait encore moins le talent, si pratique, de para?tre ignorer ce qu'elle ne pouvait emp?cher. Trop digne pour se plaindre, elle ne put cependant se r?signer ? ne pas lui montrer qu'elle savait et souffrait. Comme il ?tait sensible,--,--il ?vitait d'y penser; mais il lui gardait rancune de ne pas savoir mieux voiler son ?go?sme. Depuis des ann?es, ils vivaient ? peu pr?s s?par?s; mais, d'un tacite accord, ils le cachaient aux yeux du monde; et m?me leur fille Annette ne se rendit jamais compte de la situation. Elle n'avait pas cherch? ? approfondir la m?sintelligence de ses parents; ce lui ?tait d?sagr?able. L'adolescence a bien assez de ses propres pr?occupations. Tant pis pour celles des autres!...

La supr?me habilet? de Raoul Rivi?re fut de mettre sa fille de son parti. Bien entendu, il ne fit rien pour cela: c'est le triomphe de l'art. Pas un mot de reproche, pas une allusion aux torts de madame Rivi?re. Il ?tait chevaleresque; il laissait ? sa fille le soin de les d?couvrir. Elle n'y avait pas manqu?: car elle ?tait, elle aussi, sous le charme de son p?re. Et le moyen de ne pas donner tort ? celle qui, ?tant sa femme, avait la maladresse de se g?ter ce bonheur! Dans cette lutte in?gale, la pauvre madame Rivi?re ?tait vaincue d'avance. Elle acheva sa d?faite, en mourant la premi?re. Raoul resta seul ma?tre du terrain,--et du coeur de sa fille. Pendant les cinq derni?res ann?es, Annette avait v?cu dans l'enveloppement moral de son aimable p?re, qui la ch?rissait et, sans penser ? mal, lui prodiguait les s?ductions qui lui ?taient naturelles. Il en fut d'autant plus d?pensier avec elle qu'il en trouvait moins l'emploi au dehors; car, depuis deux ans, il ?tait retenu davantage au foyer par les annonces de la maladie qui devait l'emporter.

Rien n'avait donc troubl? la chaude intimit? qui mariait le p?re et la fille, et remplissait le coeur, mal ?veill?, d'Annette. Elle avait de vingt-trois ? vingt-quatre ans; mais son coeur paraissait plus jeune que son ?ge; il n'?tait pas press?. Peut-?tre, comme tous ceux qui ont devant soi un long avenir, et parce qu'elle sentait battre en elle une vie profonde, elle la laissait s'amasser, sans h?te d'en faire le compte.

Elle tenait ? la fois des deux parents: du p?re, pour le dessin des traits et le sourire charmant qui, chez lui, promettait beaucoup plus qu'il ne pensait, et chez elle, rest?e pure, beaucoup plus qu'elle ne voulait;--de la m?re, pour la tranquillit? apparente, la mesure des mani?res, et pour le s?rieux moral, malgr? l'esprit tr?s libre. Doublement attirante, par la s?duction de l'un et la r?serve de l'autre. On ne pouvait deviner ce qui dominait en elle des deux temp?raments. Sa vraie nature restait encore inconnue. Des autres, comme d'elle-m?me. Nul n'avait le soup?on de son univers cach?. Telle une ?ve au jardin, ? demi endormie. Des d?sirs qui ?taient en elle, elle n'avait pas eu ? prendre conscience. Rien ne les avait ?veill?s, car rien ne les avait heurt?s. Il semblait qu'elle n'e?t qu'? ?tendre le bras pour les cueillir. Elle n'essayait point, assoupie ? leur bourdonnement heureux. Peut-?tre ne voulait-elle pas essayer... Qui sait jusqu'? quel point on t?che ? se duper? On ?vite de voir en soi ce qui inqui?te... Elle pr?f?rait ignorer cette mer int?rieure. L'Annette qu'on connaissait, l'Annette qui se connaissait, ?tait une petite personne tr?s calme, raisonnable, ordonn?e, ma?tresse d'elle-m?me, qui avait sa volont? et son libre jugement, mais qui n'avait eu, jusqu'ici, nulle occasion d'en user contre les r?gles ?tablies du monde ou du foyer.

Sans nullement n?gliger les devoirs de la vie mondaine, et sans ?tre blas?e sur ses plaisirs, qu'elle go?tait de fort bon app?tit, elle avait senti le besoin d'une activit? plus s?rieuse. Elle tint ? faire des ?tudes assez compl?tes, ? suivre les cours de la Facult?, ? passer des examens, une double licence. D'intelligence vive, qui voulait s'occuper, elle aimait les recherches pr?cises, particuli?rement les sciences, o? elle ?tait bien dou?e;--peut-?tre parce que sa saine nature sentait le besoin d'opposer, par instinct d'?quilibre, la stricte discipline d'une m?thode nette et d'id?es sans brouillards ? l'inqui?tant attrait de cette vie int?rieure, qu'elle craignait d'affronter, et qui, malgr? ses soins, ? chaque arr?t de l'esprit inactif, venait battre son seuil. Cette activit? claire, propre, r?guli?re, la satisfaisait pour l'instant. Elle ne voulait pas songer ? ce qui viendrait apr?s. Le mariage ne l'attirait point. Elle en ?cartait la pens?e. Son p?re souriait de ses partis-pris; mais il n'avait garde de les combattre: il y trouvait son compte.

La disparition de Raoul Rivi?re ?branla jusque dans ses fondations l'?difice ordonn?, dont il ?tait, ? l'insu d'Annette, le pilier principal. Elle n'ignorait point le visage de la mort. Elle avait fait connaissance avec lui, lorsque cinq ans avant, sa m?re l'avait quitt?e. Mais les traits de ce visage ne sont pas toujours les m?mes. Soign?e depuis quelques mois dans une maison de sant?, madame Rivi?re ?tait partie silencieusement, comme elle avait v?cu, gardant le secret de ses affres derni?res, comme des soucis de sa vie, et laissant apr?s elle, dans le candide ?go?sme de l'adolescente, avec une douleur tendre, pareille aux premi?res pluies de printemps, une impression de soulagement que l'on ne s'avouait pas, et l'ombre d'un remords, que bient?t recouvrit l'insouciance des beaux jours.....

L'?quilibre ?tait rompu. Ses ?tudes, ses travaux, ne lui ?taient plus rien. La place qu'elle leur avait attribu?e dans sa vie lui parut d?risoire. L'autre partie de sa vie, que la douleur venait d'atteindre, se r?v?lait d'une incommensurable ?tendue. L'?branlement de la blessure en avait ?veill? toutes les fibres: autour de la plaie ouverte par la disparition du compagnon aim?, toutes les puissances d'amour, secr?tes, ignor?es; aspir?es par le vide qui venait de se creuser, elles accouraient, des fonds lointains de l'?tre. Surprise par cette invasion, Annette s'effor?ait d'en d?tourner le sens; elle s'obstinait ? les ramener toutes ? l'objet pr?cis de sa souffrance:--toutes, l'?pre aiguillon br?lant de la Nature, dont les souffles de printemps la baignaient de moiteur,--le vague et violent regret du bonheur... perdu, ou d?sir??--les bras tendus vers l'absence,--et le coeur bondissant, qui aspire au pass?..., ou bien ? l'avenir? Mais elle ne parvenait ainsi qu'? dissoudre son deuil dans un trouble myst?re de douleur et de passion et d'obscure volupt?. Elle en ?tait, ? la fois, consum?e, r?volt?e...

Ce soir de fin d'avril, la r?volte l'emporta. Son esprit de raison s'indigna des confuses r?veries, qu'il laissait sans contr?le depuis de trop longs mois, et dont il voyait le danger. Il voulut les refouler; mais ce ne fut pas sans peine: on ne l'?coutait plus; il avait perdu l'habitude du commandement... Annette, s'arrachant au regard du feu dans le foyer et ? l'insidieuse emprise de la nuit qui ?tait tout ? fait venue, se leva et, frileuse, s'enveloppant dans une robe de chambre du p?re, elle fit la lumi?re dans la pi?ce.

Mais un autre d?p?t se trouvait en ses mains, depuis la mort du p?re: c'?taient tous ses papiers. Annette ne cherchait pas en prendre connaissance. Sa pi?t? lui disait qu'ils ne lui appartenaient pas. Un autre sentiment lui soufflait le contraire. Il fallait, en tout cas, d?cider de leur sort: Annette, seule h?riti?re, pouvait dispara?tre ? son tour; et ces papiers de famille ne devaient pas tomber en des mains ?trang?res. Il ?tait donc urgent de les examiner, soit afin de les d?truire, soit pour les conserver. D?j?, depuis plusieurs jours, Annette s'y ?tait d?cid?e. Mais quand elle se retrouvait, le soir, dans la pi?ce impr?gn?e de la pr?sence aim?e, elle n'avait plus le courage que de s'en p?n?trer, des heures, sans bouger. Elle craignait, en rouvrant les lettres du pass?, un contact trop direct avec la r?alit?...

Elle commen?a de lire, curieuse, un peu troubl?e. Mais son instinct de l'ordre et son besoin du calme, qui voulaient que, dans elle et autour, tout f?t clair et rang?, s'imposaient en prenant et d?pliant les lettres, une lenteur de mouvements, une froideur d?tach?e, qui, quelque temps, du moins, purent lui faire illusion.

Les premi?res lettres qu'elle lut ?taient de sa m?re. Le ton chagrin lui rappela d'abord ses impressions de nagu?re, pas toujours bienveillantes, un peu agac?es parfois, avec quelque piti? ? l'?gard de ce qu'elle jugeait, dans sa haute raison, une habitude d'esprit v?ritablement maladive: <> Mais, petit ? petit, poursuivant sa lecture, elle s'apercevait, pour la premi?re fois, que cet ?tat moral n'?tait pas sans motifs. Certaines allusions aux infid?lit?s de Raoul l'inqui?t?rent. Trop partiale pour juger au d?triment de son p?re, elle passa, affectant de ne pas tr?s bien comprendre. Sa pi?t? lui fournissait d'excellentes raisons pour d?tourner les yeux. Elle d?couvrait toutefois le s?rieux de l'?me, la tendresse bless?e de madame Rivi?re; et elle se reprocha, en l'ayant m?connue, d'avoir ajout? aux tristesses de cette vie sacrifi?e.

Cette fois, le calme impos? d'Annette se vit soumis ? une difficile ?preuve. De tous les feuillets de la nouvelle liasse, des voix se faisaient entendre, bien autrement intimes et s?res de leur pouvoir que celle de la pauvre madame Rivi?re: elles affirmaient sur Raoul leurs droits de propri?t?. Annette en fut r?volt?e. Son premier mouvement fut de froisser dans sa main les lettres qu'elle tenait, et de les jeter au feu.--Mais elle les en retira.

Elle regardait, h?sitante, les feuilles d?j? mordues par la flamme, qu'elle venait de reprendre. Certes, si elle avait de bonnes raisons, tout ? l'heure, pour ne pas vouloir s'introduire dans les querelles pass?es entre ses parents, elle en avait encore de meilleures pour vouloir ignorer les liaisons de son p?re. Mais ces raisons ne comptaient pour rien, maintenant. Elle se sentait personnellement atteinte. Elle n'e?t pas su dire comment, ? quel titre, pourquoi. Immobile, pench?e, fron?ant le bout de son nez, avan?ant son museau, avec une moue de d?pit, comme une chatte irrit?e, elle fr?missait du d?sir de relancer au feu les insolents papiers, qu'elle serrait dans son poing. Mais, ses doigts se desserrant, elle ne r?sista pas ? l'envie d'y jeter un regard. Et, brusquement d?cid?e, elle rouvrit la main, red?plia les lettres, effa?ant soigneusement du doigt les froissures qu'elle avait faites... Et elle lut,--elle lut tout.

Avec r?pulsion,--,--elle voyait passer ces liaisons amoureuses, dont elle n'avait rien su. Elles formaient un troupeau fantasque et bigarr?. Le caprice de Raoul, en amour comme en art, ?tait <>. Annette reconnaissait certains noms de son monde; et elle se rappelait, avec hostilit?, les sourires, les caresses, qu'elle avait re?us jadis de telle des favorites. D'autres ?taient d'un niveau social moins relev?; l'orthographe n'en ?tait pas moins libre que les sentiments exprim?s. Annette accentuait sa moue; mais son esprit, qui avait les yeux vifs et railleurs, comme ceux du p?re, voyait l'application comique de celles qui, pench?es, un frison sur les yeux, tirant le bout de la langue, faisaient galoper leur plume sur le papier. Toutes ces aventures, les unes un peu plus longues, les autres un peu moins longues, jamais tr?s longues en somme, passaient, se succ?daient; et l'une effa?ait l'autre. Annette leur en savait gr?,--froiss?e, mais d?daigneuse.

Elle n'?tait pas encore au bout de ses d?couvertes. Dans un autre tiroir, soigneusement mise ? part,--,--une liasse nouvelle lui r?v?la une liaison plus durable. Bien que les dates fussent n?gligemment marqu?es, il ?tait facile de voir que cette correspondance embrassait une longue suite d'ann?es. Elle ?tait de deux mains,--l'une, dont l'?criture incorrecte et l?ch?e, qui courait de travers, s'arr?tait ? moiti? du paquet,--l'autre qui, d'abord, enfantine, appuy?e, s'affirmait peu ? peu, et continuait jusqu'aux derni?res ann?es,--bien plus, , jusqu'aux derniers mois de la vie de son p?re. Et cette correspondante, qui lui d?robait une part de cette p?riode sacr?e, dont elle pensait avoir eu le privil?ge unique, cette intruse, doublement, ?crivait ? son p?re: <>!...

Elle eut la sensation d'une intol?rable blessure. D'un geste de col?re, elle rejeta de ses ?paules la houppelande du p?re. Les lettres tomb?es de ses mains, repli?e sur sa chaise, elle avait les yeux secs, et ses joues la br?laient. Elle ne s'analysait pas. Elle ?tait trop passionn?e pour savoir ce qu'elle pensait. Mais, de toute sa passion, elle pensait: <>

Elle se ressaisit pourtant. Elle entrevit, un instant, l'?normit? de cette pr?tention. Elle haussa les ?paules. Quels droits avait-elle sur lui? Que lui devait il?--L'imp?rieux grondement de la passion dit: <> Inutile de discuter! Annette, abandonn?e ? l'absurde d?pit, souffrait de la morsure, et go?tait en m?me temps une am?re jouissance de ces forces cruelles qui, pour la premi?re fois, enfon?aient dans sa chair leur cuisant aiguillon.

Add to tbrJar First Page Next Page

Back to top Use Dark Theme