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Read Ebook: L'âme enchantée I: Annette et Sylvie by Rolland Romain
Font size: Background color: Text color: Add to tbrJar First Page Next Page Prev PageEbook has 992 lines and 54287 words, and 20 pagesElle se ressaisit pourtant. Elle entrevit, un instant, l'?normit? de cette pr?tention. Elle haussa les ?paules. Quels droits avait-elle sur lui? Que lui devait il?--L'imp?rieux grondement de la passion dit: < Une partie de la nuit passa ? sa lecture. Et lorsqu'elle consentit enfin ? se coucher, sous ses paupi?res baiss?es elle relut longtemps des lignes et des mots, qui la faisaient tressauter, jusqu'? ce que le fort sommeil de la jeunesse la dompt?t, sans mouvement, ?tendue, respirant largement, tr?s calme, soulag?e par la d?pense m?me qui s'?tait faite en elle. Elle relut, le lendemain; bien des fois, elle relut, dans les jours qui suivirent, les lettres qui ne cessaient d'occuper sa pens?e. Maintenant, elle pouvait ? peu pr?s reconstituer cette vie--cette double vie, qui s'?tait d?roul?e, parall?le ? la sienne:--la m?re, une fleuriste, ? qui Raoul avait fourni les fonds pour ouvrir un magasin; la fille, qui ?tait dans les modes, ou bien dans la couture . L'une se nommait Delphine, et l'autre Sylvie. A en juger par le style fantasque, n?glig?, mais dont le d?shabill? ne manquait pas de charme, elles se ressemblaient. Delphine paraissait avoir ?t? une aimable personne, qui, malgr? de petites roueries tendues ?a et l? dans ses lettres, ne devait pas avoir fatigu? beaucoup Rivi?re de ses exigences. Ni la m?re, ni la fille ne prenaient la vie au tragique. Au reste, elles semblaient s?res de l'affection de Raoul. C'?tait peut-?tre le meilleur moyen pour la conserver. Mais cette impertinente assurance ne froissait pas moins Annette que l'extr?me familiarit? de leur ton avec lui. Sylvie occupait surtout son attention jalouse. L'autre avait disparu; et la fiert? d'Annette affectait de d?daigner le genre d'intimit? que Delphine avait eue avec son p?re; elle oubliait d?j? que, les jours pr?c?dents, la d?couverte d'attachements du m?me ordre lui avait ?t? une sensible offense. Maintenant qu'entrait en lice une intimit? beaucoup plus profonde, toute autre rivalit? lui semblait n?gligeable. L'esprit tendu, elle t?chait de se repr?senter l'image de cette ?trang?re qui, malgr? son d?pit, ne l'?tait qu'? demi. Le sans-g?ne riant, le tranquille tutoiement de ces lettres o? Sylvie disposait de son p?re, comme s'il e?t ?t? sa propri?t? enti?re, l'indignaient; elle cherchait ? fixer l'insolente inconnue, afin de la confondre. Mais la petite intruse d?fiait son regard. Elle avait l'air de dire: Et plus Annette s'irritait, plus cette affirmation faisait son chemin en elle. Elle la combattait trop pour ne pas s'habituer peu ? peu au combat, et m?me ? l'adversaire. Elle finit par ne plus pouvoir s'en passer. Le matin, la premi?re pens?e qui l'accueillait, au r?veil, ?tait celle de Sylvie; et la voix narquoise de la rivale lui disait maintenant: Si nette elle l'entendit, si vive fut, une nuit, la vision de la soeur inconnue que, dans son demi-sommeil, Annette tendit les bras, afin de la saisir. Et le lendemain, courrouc?e, protestant, mais vaincue, le d?sir la tenait et ne la l?cha plus. Elle partit de la maison, ? la recherche de Sylvie. L'adresse ?tait dans les lettres. Annette alla boulevard du Maine. C'?tait l'apr?s-midi. Sylvie ?tait ? l'atelier. Annette n'osa point l'y relancer. Elle attendit quelques jours, et elle revint un soir apr?s d?ner. Sylvie n'?tait pas rentr?e; ou elle ?tait d?j? ressortie: on ne savait au juste. Annette, qu'? chaque course une impatience nerveuse tenait crisp?e d'attente tout le jour, s'en retournait d??ue; et une secr?te l?chet? lui conseillait de renoncer. Mais elle ?tait de celles qui ne renoncent jamais ? ce qu'elles ont d?cid?;--elles y renoncent d'autant moins que l'obstacle s'ent?te, ou qu'elles craignent ce qui va arriver. Elle alla de nouveau, un jour de la fin mai, vers neuf heures du soir. Et cette fois, on lui dit que Sylvie ?tait chez elle. Six ?tages. Elle monta, trop vite, car elle ne voulait pas se laisser le temps de chercher des raisons pour rebrousser chemin. En haut, elle eut le souffle coup?. Elle s'arr?ta sur le palier. Elle ne savait pas ce qu'elle allait trouver. Un long couloir commun, sans tapis, carrel?. A droite, ? gauche, deux portes entr'ouvertes: d'un logement ? l'autre, des voix se r?pondaient. De la porte de gauche venait sur les carreaux rouges un reflet du couchant. L? habitait Sylvie. Annette fit: < --Eh bien! Qu'est-ce que c'est donc? demanda-t-elle, d'une voix qui z?zayait, ? cause des ?pingles qu'elle mordait de c?t?. Puis, subitement distraite par une branche de lilas, qui trempait dans son pot ? eau, elle y plongea le nez, avec un grognement de plaisir. En relevant la t?te et regardant ses yeux rieurs dans le miroir, elle aper?ut, par derri?re, h?sitante, sur le seuil de la porte, Annette, aur?ol?e de soleil. Elle fit: < Qu'elles ?taient diff?rentes! Chacune ?tudiait l'autre, avec des yeux aigus, exacts, sans indulgence, qui cherchaient: < Sylvie voyait Annette, grande, fra?che, la face large, le nez un peu camus, le front de jeune g?nisse sous la masse des cheveux ch?tain d'or en torsades, les sourcils tr?s fournis, des yeux larges bleu-clair qui affleuraient un peu et qui, ?trangement, parfois se durcissaient, par ondes venues du coeur; la bouche grande, l?vres fortes, un duvet blond au coin, habituellement ferm?es, en une moue d?fensive, attentive, but?e, mais qui, lorsqu'elles s'ouvraient, pouvaient s'illuminer d'un ravissant sourire, timide et rayonnant, qui transformait toute la physionomie; le menton, comme les joues, pleins, sans emp?tement, solidement charpent?s; la nuque, le cou, les mains, couleur de miel fonc?; une belle peau bien ferme, baign?e par un sang pur. Un peu lourde de taille, le buste un peu carr?, elle avait les seins larges et gonfl?s; l'oeil exerc? de Sylvie les palpa sous l'?toffe, et s'arr?ta surtout sur les belles ?paules, dont la pleine harmonie formait avec le cou, blonde et ronde colonne, le plus parfait du corps. Elle savait s'habiller, ?tait mise avec soin, presque trop pour Sylvie, un soin trop observ?: les cheveux bien tir?s, pas une boucle folle, pas une agrafe en faute, tout en ordre.--Et Sylvie se demandait: < Qu'elles ?taient diff?rentes!..... Et pourtant, toutes deux avaient, du premier regard, reconnu le regard, les yeux clairs, le front, le pli du coin des l?vres,--le p?re... Annette, intimid?e, raidie, prit son courage et dit, d'une voix blanche, que gla?ait l'exc?s d'?motion, qui elle ?tait, son nom. Sylvie la laissa parler, sans cesser de la fixer, puis dit tranquillement, avec le sourire un peu cruel de sa l?vre retrouss?e: --Je le savais. Annette tressaillit. --Comment? --Je vous ai vue d?j?--souvent--avec le p?re... Sylvie n'en perdit rien; elle se d?lecta lentement de cette rougeur. Elle continuait de parler, sans h?te, pos?ment. Elle racontait qu'? la c?r?monie mortuaire, elle ?tait ? l'?glise, dans un des bas-c?t?s, et qu'elle avait tout vu. Sa voix qui chantonnait, en nasillant un peu, d?vidait son r?cit, sans montrer d'?motion. Mais si elle savait voir, Annette savait entendre. Et quand Sylvie eut fini, Annette, relevant les yeux, lui dit: --Vous l'aimiez bien? Les regards des deux soeurs ?chang?rent une caresse. Mais ce ne fut qu'un moment. D?j? une ombre jalouse avait pass? dans les yeux d'Annette, et elle continua: --Il vous aimait beaucoup. Elle voulait sinc?rement faire plaisir ? Sylvie; mais sa voix, malgr? elle, prit une nuance de d?pit. Sylvie crut y sentir une intonation protectrice. Ses petites griffes pointant aussit?t des pattes, elle dit avec entrain: --Oh! oui, il m'aimait beaucoup! Elle fit une petite pause; puis, d'un air complaisant, d?cocha: Les mains passionn?es d'Annette, ses mains grandes et nerveuses, fr?mirent et se serr?rent. Sylvie les regardait. La gorge contract?e, Annette demanda: --Il vous parlait de moi, souvent? --Souvent, r?p?ta l'innocente Sylvie. Il n'?tait pas tr?s s?r qu'elle d?t la v?rit?. Mais Annette, peu experte ? cacher sa pens?e, ne mettait pas en doute la parole des autres; et celle de Sylvie l'atteignit au coeur..... Ainsi, son p?re parlait d'elle ? Sylvie, ils parlaient d'elle ensemble! Et elle, jusqu'au dernier jour, avait tout ignor?; il semblait se confier, et il l'avait dup?e; il la tenait ? l'?cart; elle ne savait m?me pas l'existence de sa soeur!... Une telle in?galit?, si injuste, l'accabla. Elle se sentit vaincue. Mais elle ne voulut pas le montrer; elle chercha une arme, la trouva; et elle dit: --Vous l'avez vu bien peu, dans ces derni?res ann?es. --Ce n'est pas bien, ce n'est pas bien! Je dois donner l'exemple. Ses yeux faisaient le tour de la modeste chambre, regardaient la fen?tre, les rideaux de guipure, dans une lueur de lune le toit et les chemin?es de la maison d'en face, la branche de lilas dans le pot ? eau ?br?ch?. L'air froide, d'autant plus qu'elle br?lait au fond, elle offrit ? Sylvie son amiti?, son aide... Sylvie, n?gligemment,--un mauvais petit sourire,--?couta, laissa tomber... Annette, mortifi?e, cachant mal son d?pit d'orgueil et de passion naissante, se leva avec brusquerie. Elles ?chang?rent un adieu aimablement banal. Et, tristesse et col?re au coeur, Annette sortit. Mais comme elle ?tait au bout du couloir carrel? et descendait d?j? la premi?re marche de l'escalier, Sylvie courut ? elle, dans ses petites babouches, dont l'une resta en route, et, par derri?re, lui passa les bras autour du cou. Annette se retourna, en criant d'?motion. Elle ?treignit Sylvie, d'un ?lan passionn?. Sylvie cria aussi, mais de rire, pour la violence de l'?treinte. Leurs bouches fougueusement s'?taient jointes. Mots amoureux. Tendres murmures. Remerciements, promesses qu'on se reverrait bient?t... Elles se d?tach?rent. Annette, riant de bonheur, se trouva, sans savoir comment elle l'avait descendu, au bas de l'escalier. D'en haut, elle entendit un sifflement gamin, comme pour appeler un chien, et la voix de Sylvie qui chuchotait: --Annette! Elle leva la t?te, vit tout en haut, dans un rond de lumi?re, la frimousse pench?e de Sylvie qui riait: --Attrape!... re?ut en pleine figure une pluie de gouttelettes et le lilas mouill? que Sylvie lui jetait,--et lui jetait aussi, des deux mains, des baisers... Sylvie disparut. Annette, la t?te lev?e, continuait de la chercher, quand elle n'?tait plus l?. Et serrant dans ses bras la branche de fleurs tremp?e, elle embrassait le lilas. Malgr? la distance, et bien que certaines rues, ? cette heure tardive, ne fussent pas tr?s s?res, elle revint ? pied. Elle aurait bien dans?. Rentr?e enfin chez elle, heureuse et harass?e, elle ne se coucha pas avant d'avoir plac? les fleurs dans un vase, pr?s de son lit. Et elle se releva pour les en retirer, et--comme chez Sylvie--les mettre dans son pot ? eau. Recouch?e, elle gardait sa lampe allum?e, car elle ne voulait pas se s?parer de cette journ?e. Mais elle se retrouva, soudain, trois heures apr?s, au milieu de la nuit. Les fleurs ?taient bien l?. Elle n'avait pas r?v?, elle avait vu Sylvie... Elle se rendormit, sur le sein de l'image ch?rie. Les journ?es qui suivirent furent remplies par un bourdonnement d'abeilles, ?difiant une ruche nouvelle. Tel, autour d'une jeune reine, un essaim qui se groupe. Autour de Sylvie aim?e, Annette b?tissait un nouvel avenir. La vieille ruche ?tait d?sert?e. Sa reine ?tait bien morte. S'effor?ant de masquer cette r?volution de palais, le coeur passionn? feignait de croire que son amour pour le p?re ?migrait en Sylvie, et qu'il l'y retrouverait... Mais Annette savait bien qu'elle en prenait cong?. Imp?rieux grondement de l'amour nouveau, qui cr?e et qui d?truit... Les souvenirs du p?re, impitoyablement, furent ?cart?s de la vue. Les objets familiers, rel?gu?s--avec tous les ?gards--dans l'ombre pieuse de chambres o? ils ne couraient pas risque d'?tre souvent troubl?s. La houppelande, remis?e au fond d'un vieux placard. Apr?s l'avoir enfouie, Annette l'en retira, ind?cise, y appuya sa joue, puis, soudain, rancuni?re, la rejeta. Illogisme de la passion! Qui des deux trahissait?... Elle s'?tait ?prise de la soeur qu'elle avait d?couverte. Elle ne la connaissait gu?re! Mais, du moment qu'on aime, cette incertitude n'est qu'un attrait de plus. Le myst?re de l'inconnu s'ajoute au charme de ce qu'on croit conna?tre. De Sylvie entrevue, elle ne voulait retenir que ce qui lui avait plu. Elle convenait en secret que ce n'?tait pas tr?s exact. Mais quand, honn?tement, elle t?chait de revoir les ombres du portrait, elle entendait les petites savates trotter dans le couloir; et les bras nus de Sylvie se nouaient autour de son cou. Sylvie allait venir. Elle l'avait promis... Annette pr?parait tout, afin de la recevoir. O? la ferait-elle entrer?--L?, dans sa jolie chambre. Sylvie s'assi?rait ici, ? la place favorite, devant la fen?tre ouverte. Annette voyait par ses yeux, se r?jouissait de lui montrer sa maison, ses bibelots, ses arbres rev?tus de leur plus tendre verdure, et l'?chapp?e l?-bas, sur les coteaux fleuris. D'en partager avec elle la gr?ce et le confort, elle en jouissait avec une fra?cheur de sensations toutes neuves.--Mais voici qu'elle pensa que les yeux de Sylvie feraient la comparaison entre son propre logement et la maison de Boulogne. Une ombre tomba sur sa joie. Cette in?galit? lui pesa, comme si elle ?tait ? son tort... N'avait-elle pas les moyens de la r?parer, pr?cis?ment en conviant Sylvie ? profiter des avantages que le sort lui avait faits?... Oui, mais ce serait s'attribuer sur elle un avantage de plus. Annette pressentait qu'on ne le lui consentirait pas sans r?sistance. Elle se souvenait du silence railleur, dont Sylvie avait accueilli ses premi?res invites. Il fallait m?nager sa susceptibilit?. Comment faire?... Annette essaya quatre ou cinq plans, dans sa t?te. Aucun ne la satisfit. Elle changea dix fois l'arrangement de la chambre; apr?s y avoir dispos?, avec un plaisir d'enfant, les objets de plus de prix, elle les remporta, et elle ne laissa que ce qu'elle avait de plus simple. Il n'y eut pas un d?tail--une fleur sur l'?tag?re, la place d'un portrait,--qu'elle ne discut?t... Pourvu que Sylvie n'arriv?t point, avant que tout f?t en ordre!--Mais Sylvie ne se pressait point; et Annette eut le temps de d?faire et refaire, et encore, et encore, ses petits arrangements. Elle trouvait Sylvie bien lente ? venir; mais elle en profitait pour corriger quelque chose ? ses plans. Inconsciente com?die! Elle se dupait, en attribuant une importance ? ces riens. Toute cette agitation de rangements, de d?rangements, n'?tait qu'un pr?texte pour se donner le change sur une autre agitation de pens?es passionn?es, qui troublaient l'ordre habituel de sa vie raisonn?e. Le pr?texte s'usa. Cette fois, tout ?tait pr?t. Et Sylvie ne venait point. Annette l'avait d?j? re?ue dix fois, en imagination. Elle s'?puisait ? attendre... Elle ne pouvait pourtant pas retourner chez Sylvie! Si, allant la revoir, elle lisait dans les yeux ennuy?s de Sylvie qu'on se passait bien d'elle! A cette seule id?e, l'orgueil d'Annette saignait... Non, plut?t que cette humiliation, ne la revoir jamais!... Pourtant... Elle se d?cidait, h?tivement, s'habillait pour chercher l'oublieuse. Mais elle n'avait pas fini de boutonner ses gants qu'elle se d?courageait; et, les jambes cass?es, elle se rasseyait sur une chaise du vestibule, ne sachant plus que faire... Et, juste ? cet instant,--affaiss?e pr?s de la porte, son chapeau sur la t?te, toute pr?te ? sortir, et ne s'y d?cidant pas,--juste, Sylvie sonna!... Entre la sonnerie et la porte qui s'ouvre, dix secondes ne s'?coul?rent pas. Une telle promptitude et l'apparition des yeux ravis d'Annette, dirent assez ? Sylvie qu'elle ?tait attendue. D?j? les deux museaux sur le seuil s'embrassaient, avant d'avoir dit un mot. Annette, imp?tueusement, entra?na Sylvie ? travers la maison, sans lui l?cher les mains, en la mangeant des yeux, riant de la gorge, sottement, comme un enfant heureux... Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page |
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